Espoirs Crépusculaires
Par : Droran
Genre : Polar , Horreur
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 22
Publié le 03/12/15 à 03:42:07 par Droran
—Ne manquait plus que cela... Laissèrent échapper les lèvres gercées de l'enquêteur.
L'air ambiant humectait de senteurs cuivrées à même de faire tourner de l'oeil la moindre personne n'y étant pas accoutumée. Un lent flot d'essence vitale s'épandait parmi les minuscules gravillons éparpillés sur le sol goudronné. Un sublime miroir s’élargissant en un cercle parfait, imbibé de l'âme de l'hôte ayant quitté ce monde d'une bien brusque manière. Étendu en une pose peu naturelle, se vidant de cette mare sanglante dont s'imprégnait chaque fibre de ses vêtements, un jeune garçon dévisageait d'un œil vide les personnes en présence. Se reflétait dans son regard les vives lueurs projetées aux alentours, laissant luire dans ses pupilles une insoutenable impression de tristesse. Un second miroir renvoyant aux adultes l'image de leurs propres silhouettes.
Holden ne tint plus, détourna le regard. Incommodé par l'organe martelant sa poitrine, craignant de s'évanouir, il ramena une main à son visage pour se cacher la bouche et le nez. Le jeune malchanceux voyait sa vie s'écouler de sa bouche entrouverte : résultat d'une mort violente, devinable à l'angle étrange de son cou brisé. Mort sur le coup, déduisit facilement l'enquêteur.
—Vous vous sentez bien ? La questionna Sven, qui le voyait pris de légers tremblements.
Daniel éloigna sa main de sa bouche, mais ne répondit rien. À leur côté, le délinquant les accompagnant fit claquer la chaîne des menottes cerclant ses poignets, racla le fond de sa gorge, cracha un épais mollard sur le corps ensanglanté.
—On est tombé dessus quand ils se sont tous dispersés, ajouta l'agent de police. Qu'est-ce que vous en pensez ?
L'homme questionné prit le soin de choisir ses mots, desserra les lèvres :
—Qu'elle bande de fils de putes...
Sven esquissa un sourire mesquin.
—Je n'aurais pas mieux dit. (Il se tourna vers les deux agents ayant reculé lors de leur arrivée.) On s'en occupe. Ce qu'il faudrait faire, les gars, c'est boucler le périmètre. Quelque chose me dit qu'on est encore pas près de se coucher...
Partageant cet avis, ils abdiquèrent, s'éloignèrent d'un pas tranquille vers la source des faisceaux projetés depuis le lointain. Chacun un bras tendu devant leur regard pour contrer l'agressive luminosité.
Holden demeura silencieux, n'écoutant que les battements résonnant encore en son intérieur. Un infernal trémoussement de matières organiques faisant vibrer ses organes et bouillonner son sang. L'enveloppe de ses veines se déformant, gonflée et étirée par les pulsations du Maître Palpitant. À son grand déplaisir, la petite partie de chasse nocturne se voyait être le théâtre d'un homicide. Mauvais signe ? Se questionna-t-il. Non... Banale affaire de gang. Mais je n'aurais pas dû accepter de venir, cela leur pendait au nez.
—Visiblement, personne n'a touché le corps, estima l'enquêteur. Le signalement a été fait auprès du central ?
—Oui, la compagnie ne va pas tarder à venir s'en occuper.
—Bonne chose, vous assurez. L'enquête devrait être bouclée rapidement. Le tueur est probablement en train de se faire arrêter, ou dans le pire des cas l'un de ses camarades le dénoncera.
Des mots qui ne plurent pas au jeune prisonnier, qui gesticula inutilement dans le but de défaire la poigne resserrée autour de son bras.
—Vous êtes complètement baisés, personne voudra parler à de sales flics comme vous ! S'emporta-t-il, dans un élan infantile des plus ridicule.
Des gosses de 13 ans, ne pas parler ? C'est beau, la naïveté. Pourquoi Sven l'a trimbalé jusqu'ici, d'après lui ? Se laissa aller à penser Daniel. Son collègue s'assura de l'attention du rebelle en resserrant sa main autour de son bras :
—Tu as bien raison, personne n'aura à parler. (Sven marqua une petite pause, le visage marqué d'un air grave.) Puisque c'est toi qui va le faire.
Mauvaise idée, se convainquit Holden. Lui qui ne souhaitait être au courant de rien, n'être mêlé à rien d'autre que la festive animosité exultée par la charge lancée vers le lieu recelant la bande de petites frappes. S'il veut jouer à l’enquêteur, ne lui reste que passer les examens.
—Qui est-ce ? Interrogea Sven en brusquant l'adolescent par de vives secousses. Un de tes potes ? Un gosse qui passait par hasard dans la rue ?
—Ou un membre de gang rival, ajouta Daniel, hésitant encore à se détacher peu à peu de la conversation.
Étonné par l'une des hypothèses, l'adolescent se referma sur lui-même, se mura dans le refus.
—Vous pouvez aller vous faire foutre ! Aboya-t-il en s'agitant sauvagement.
—Par qui, et où ? Le questionna une voix derrière lui.
Joris Taulth s'approchait tranquillement vers eux, tirait alors une cigarette d'un paquet qu'il rangea ensuite dans une poche placée à hauteur de son pectoral gauche. Venu dans le but de se renseigner sur ce que faisait Holden, la vision du corps trempant dans le sang imprima sa rétine. Son visage prit un air de surprise, puis de dégoût.
—Ah, les fils de putes... Laissa-t-il échapper en laissant retomber le bout de sa cigarette vers son menton.
Ses paroles se finirent en pensée. Il porta un regard sur Daniel, qui le dévisageait.
—Tu dois l'avoir mauvaise. La soirée avait peu de chance de déboucher là-dessus.
Mais bien sûr... Un sourire forcé étira les traits fatigués de l'enquêteur.
—Pas de bol, tout simplement. Je m'en remettrai. On m'a un jour dit que la chance était la seule femme à ne pas vouloir de moi, ajouta-t-il en baissant le regard.
Joris secoua la tête d'un air réprobateur.
—Ne commence pas avec ça.
En réponse, son interlocuteur fit tomber son sourire. S'encra dans ses traits un profond mécontentement.
—Si jamais il te reprenait l'envie de me proposer une sortie de ce genre, sache d'avance que tu pourras aller te faire voir.
—J'y penserai, répondit l'agent de police sans une once d'irritabilité.
Il sortit un briquet d'une des poches arrières de son pantalon, le porta jusqu'à la pointe de sa cigarette, l'alluma d'une simple pression sur un bouton. Vive et ondoyante, la flamme dansant sur l'arrête supérieure de l'objet consuma rapidement l'extrémité du bâtonnet de tabac.
—Tu vas vouloir qu'on y aille, pas vrai ? Demanda-t-il à l'adresse de son ami, en laissant courir son regard sur Sven et l'adolescent, qui l'observaient.
—Bien deviné, avoua l'enquêteur en hochant légèrement la tête. Tu me ramènes ?
L'agent en uniforme aspira une bouffée de fumée, la recracha tranquillement. Face à lui, le délinquant semblait perdre le fil de ce qui se disait.
—Bordel, vous allez me laisser partir ? Je comprends rien de ce qui se cause, les connards !
Sven serra le poing, l'abattit sur sa mâchoire sans s'annoncer.
—On t'a pas demander de comprendre quoi que ce soit ! Cria-t-il dans son oreille. Tu vas peut-être nous dire qui est le gosse qui patauge à tes pieds ? Et qui la tué ?
—Même pas mal, enfoiré ! J'ai rien à te dire !
Spectateur tirant une nouvelle fois sur sa cigarette, Joris sourit. Il s'approcha d'un pas, recracha un nocif nuage de fumée sur le visage de l'adolescent, qui toussota.
—Bien sûr que tu ne vas pas parler, dit-il en jetant un œil aux jeunes personnes se faisant emmener par d'autres officiers, non loin de là. Tu ne voudrais pas perdre la face devant tes copains.
—Cela, ou il ne le peut pas. C'est peut-être lui le tueur, ajouta Daniel.
Le prisonnier s'ébroua.
—Des conneries ! J'ai tué personne !
—Maintenant que t'es entre nos mains, c'est à nous d'en décider, répondit Joris. À ta place je ne piperais plus un mot et essaierais de me faire bien voir.
Le jeune homme déglutit, fut tenté de répondre, mais garda la bouche close.
—Quelqu'un l'interrogera, lui et le reste de la bande. Ton portable a un flash, Joris ?
Ce dernier ne comprit pas, sortit pourtant son téléphone de sa poche. En vérité, la réponse lui échappait, à lui qui ne se servait que rarement d'une telle fonctionnalité. Ce pour quoi il dû jeter un œil au dos de l'appareil pour s'en assurer.
—Je crois bien, fit-il savoir à Holden.
—Alors prends une photo du corps, tu pourras la donner au collègue qui se chargera de l'affaire. Et emmène le gosse, ensuite. La cavalerie est en route, on a plus rien à faire ici.
Sans émettre la moindre réponse, l'homme tira une ultime fois sur son clope. Avec insistance, espérant en consumer une plus grande partie. Savourant la substance engrangée, il réchappa lentement le tout. L'irritante émanation s'échappa de ses poumons sous l'impulsion d'une longue expiration, remonta le long de sa gorge pour s'en aller glisser le long des lisses parois buccales, filtrer entre les dents barrant en partie le passage vers la sortie, et caresser en de sublimes volutes blancs ses lèvres galvaudées. Satisfait, il porta deux doigts à sa bouche, les referma sur le bâtonnet, qu'il jeta subitement au loin. Le mégot rebondit trois fois sur le sol en dispersant d’éphémères braises luminescentes, se figea négligemment sur l’asphalte recouvrant les environs.
Face à lui, retenant encore fermement le détenu, Sven eut à son tour l'air perdre le fil de la discussion.
—L'ambulance n'est pas encore là. Vous ne l'attendez pas ?
—Non, rien à battre, répondit Joris en tapotant du bout de ses doigts le large écran tactile de son téléphone mobile. D'autre vont sûrement s'en charger.
L'improvisé photographe se décala de quatre pas sur le côté pour contourner l'adolescent. Les semelles de ses lourdes chaussures se figèrent à quelques centimètres de la flaque de sang dans laquelle nageait le trop jeune macchabée. Une vision en un sens si mortelle qu'il aurait préféré ne pas avoir à l'immortaliser.
—Et si jamais le corps disparaissait ? Osa avancer Sven, faisant ainsi figure d'une paranoïa prêtant à faire sourire les personnes en présence. Quelqu'un pourrait très bien passer et l'emporter. L'ambulance ne trouverait rien en arrivant.
—Qu'est-ce que tu nous chantes, le bleu ? S'amusa à le questionner Joris. (Il releva ses avant-bras face à lui, appuya l'un de ses pouces sur l'écran du mobile pour effectuer une complexe mise au point.) Pourquoi quelqu'un s'amuserait à embarquer un cadavre sous les yeux d'une dizaine d'officier entraînés ?
—Pour du trafic d'organes. Vous y avez pensé ? Des types enlèvent les cadavres pour les dépecer et les revendre en pièces détachées au marché noir. Un déguisement ou une liasse de billet, et personne n'aura rien vu.
Avoue tout de suite que tu as monté un coup. Ne supportant pas ce qu'il entendait, Holden se sentit forcé de réagir.
—Ce sera pour le mieux. Les enquêteurs auront l'occasion de démanteler une branche de ce marché parallèle, cela les occupera. (Il déporta son attention vers l'agent peinant à photographier la victime.) Joris ?
Un flash lumineux brilla entre les mains de l'interrogé, qui se retourna vers lui en jetant un œil au cliché pris.
—Si son fantôme reste coincé là-dedans, ce sera de ta faute, prononça-t-il en rangeant l'appareil dans une poche de son pantalon.
L'enquêteur ignora sa remarque, lui tourna le dos. Ses jambes s'animèrent, commencèrent à se mouvoir en direction de la sortie où la voiture restait garée. Ne s'en offusquant pas, Joris s'apprêta à le suivre, se saisit du bras de l'adolescent menotté que ne tenait pas le collègue zélé. Puis il fit un pas. Seulement, Sven ne lâcha pas le prisonnier. Taulth stoppa son élan, posa sur la personne visée un regard interrogateur, qu'elle n'eut aucun mal à déchiffrer.
—Je vous suis, décida finalement le jeune officier.
Décision dont n'eut rien à redire son collègue.
—C'est notre invité qui va être content, dit-il en tapant du plat de sa main sur l'épaule du délinquant.
Ce dernier se rebella, leur fit part de son opinion en de blessantes insanités. Les deux hommes s'en amusèrent, partirent à la suite de l'enquêteur leur apparaissant déjà en une silhouette longiligne découpée dans la lumière projetée par les phares des transports de police.
—Alors comme ça, meurtrier ne te suffisait pas, tu donnes aussi dans le trafic d'organes ? Avança Joris, alors d'humeur taquine, à l'adresse du délinquant.
Ce dernier nia la chose avec véhémence, se contorsionna, avançant ses épaules une à une dans l’espoir de se dégager des étreintes refermées sur lui.
—Décidément tu les collectionnes. T'es pas près de revoir la lumière du jour.
—Et ne cherche pas, le seul avocat auquel tu auras droit sera celui qu'on te servira au dîner... Ou au petit-déjeuner, si tu ne te calmes pas.
Le jeune homme ne rajouta rien à ce sujet, se contenta de protester contre les phares brillant au point de l'aveugler ; imprimant sur ses rétines de grands cercles bleus accompagnant un mal de crâne naissant.
L'enquêteur attendait, debout face à la portière avant droite, le visage tourné vers ses collègues avançant sans précipitation. En approche, Joris croisa son regard, lui adressa un vif clin d'oeil en espérant décrisper les traits sévères trahissant le mécontentement de son collègue et ami. Pour toute réponse, ce dernier tourna la tête, gêné. L'officier porta donc son attention vers l'agent de police escortant avec lui l'adolescent menotté.
—Monte à l'arrière, tu veux bien ? Demanda-t-il à Sven. Il va falloir surveiller ces deux énergumènes.
Le policier n'eut rien à y redire, jeta un œil à l'intérieur du véhicule. La jeune personne déjà enfermée par le propriétaire de l'automobile les regardait depuis la banquette arrière. Sven frappa de la jointure de son index droit contre la vitre pour attirer l'attention du curieux, lui fit signe de reculer en vue de laisser entrer son camarade. Il ouvrit d'une seule main la portière, précipita le prisonnier dans l'espace réduit. L'adolescent s'affala honteusement contre le tissu du long siège. Un œil, sa joue et une partie de ses lèvres collées au revêtement empreint d'humidité, le pauvre se contorsionna pour tenter de prendre une posture décente. Ses mains entravées derrière son dos ne l'y aidèrent pas. Sven se pencha à l'intérieur du véhicule, saisit son col pour le relever en position assise ; puis pris place à ses côtés, fit claquer sa portière tandis que Joris et Daniel échangeaient quelques mots au dehors.
Debout d'un côté et de l'autre du véhicule, l'enquêteur et son collègue se dévisageaient par dessus le toit.
—Tu fais un détour près de chez moi ? Demanda Daniel, une main à plat sur le dessus de la carrosserie, en haussant le ton pour contrer les sirènes et les cris tonitruant aux alentours.
—Jusqu'au secteur onze ? Sérieusement ? L’interrogea l'officier de police.
On lui rendit un regard insistant, bien plus éloquent que n'aurait su l'être la moindre réponse prononcée. Ce à quoi Taulth rétorqua :
—Pas moyen, et tu le sais bien. C'est à peine plus d'une heure de route, alors que le commissariat du coin se trouve presque à côté.
L'enquêteur grimaça.
—Je n'aime pas cela, Joris. Être présent sur le lieu d'un meurtre, c'est une chose dont je me serais bien passé !
—Une fois les deux idiots mis derrière les barreaux, on file. Rien de plus. Les deux heures dont je parlais plus tôt seront à peine excédées, et personne ne dira que tu étais là.
Le mécontent lui renvoya un regard empli de suspicion. J'ai hâte de voir cela. Rien ne se passe jamais comme prévu, te souviens-tu ? Ce qui venait d'être avancé ne lui donnait aucune envie de répondre.
—Je suis désolé.
—Peu importe, fais comme tu veux, en termina Daniel.
Sur ces mots, il ouvrit sa portière, se pencha à l'intérieur de l'habitacle, s’installa à la place du mort. Joris prit de nouveau ses aises face au volant.
À l'arrière, les jeunes délinquant décidaient de ne pas se laisser faire :
—Nos potes viendront nous chercher, vous allez tous crever ! Cracha l'un d'eux en cherchant à forcer sur ses menottes.
Sven lui porta un violent coup pour le faire taire, et le conducteur se retourna sur son siège.
—Quels potes ? Ceux avec qui tu te retrouveras en cellule ?
—Vous ne nous avez pas tous eux ! Avança le second adolescent.
—Je serais toi je ne compterais pas là-dessus, l'ahurit. Je t'ai tamponné avant même que tu puisses détaler, du coup tu n'en sais rien. Et ton pote aussi. Ce que je vous conseille, c'est de vous faire tout petit ou les choses finiront très mal pour vous.
Sven attrapa l'un des jeunes passagers par les cheveux.
—Mettez-la en veilleuse ou j'en prends un pour frapper l'autre, les menaça-t-il en repoussant le malmené contre son voisin.
Bien que furieux, aucun d'eux n'osa répliquer. Le message étant passé, Joris se remit droit face au pare-brise. Le talkie-walkie demeurait toujours sur le tableau de bord. Il étendit un bras, s'en saisit. Son doigt écrasa le bouton de tranche permettant de diffuser sa voix.
—Voiture une, ici Taulth. Où vous en êtes, les gars ? Laissa-t-il résonner à travers l'appareil.
L'air ambiant humectait de senteurs cuivrées à même de faire tourner de l'oeil la moindre personne n'y étant pas accoutumée. Un lent flot d'essence vitale s'épandait parmi les minuscules gravillons éparpillés sur le sol goudronné. Un sublime miroir s’élargissant en un cercle parfait, imbibé de l'âme de l'hôte ayant quitté ce monde d'une bien brusque manière. Étendu en une pose peu naturelle, se vidant de cette mare sanglante dont s'imprégnait chaque fibre de ses vêtements, un jeune garçon dévisageait d'un œil vide les personnes en présence. Se reflétait dans son regard les vives lueurs projetées aux alentours, laissant luire dans ses pupilles une insoutenable impression de tristesse. Un second miroir renvoyant aux adultes l'image de leurs propres silhouettes.
Holden ne tint plus, détourna le regard. Incommodé par l'organe martelant sa poitrine, craignant de s'évanouir, il ramena une main à son visage pour se cacher la bouche et le nez. Le jeune malchanceux voyait sa vie s'écouler de sa bouche entrouverte : résultat d'une mort violente, devinable à l'angle étrange de son cou brisé. Mort sur le coup, déduisit facilement l'enquêteur.
—Vous vous sentez bien ? La questionna Sven, qui le voyait pris de légers tremblements.
Daniel éloigna sa main de sa bouche, mais ne répondit rien. À leur côté, le délinquant les accompagnant fit claquer la chaîne des menottes cerclant ses poignets, racla le fond de sa gorge, cracha un épais mollard sur le corps ensanglanté.
—On est tombé dessus quand ils se sont tous dispersés, ajouta l'agent de police. Qu'est-ce que vous en pensez ?
L'homme questionné prit le soin de choisir ses mots, desserra les lèvres :
—Qu'elle bande de fils de putes...
Sven esquissa un sourire mesquin.
—Je n'aurais pas mieux dit. (Il se tourna vers les deux agents ayant reculé lors de leur arrivée.) On s'en occupe. Ce qu'il faudrait faire, les gars, c'est boucler le périmètre. Quelque chose me dit qu'on est encore pas près de se coucher...
Partageant cet avis, ils abdiquèrent, s'éloignèrent d'un pas tranquille vers la source des faisceaux projetés depuis le lointain. Chacun un bras tendu devant leur regard pour contrer l'agressive luminosité.
Holden demeura silencieux, n'écoutant que les battements résonnant encore en son intérieur. Un infernal trémoussement de matières organiques faisant vibrer ses organes et bouillonner son sang. L'enveloppe de ses veines se déformant, gonflée et étirée par les pulsations du Maître Palpitant. À son grand déplaisir, la petite partie de chasse nocturne se voyait être le théâtre d'un homicide. Mauvais signe ? Se questionna-t-il. Non... Banale affaire de gang. Mais je n'aurais pas dû accepter de venir, cela leur pendait au nez.
—Visiblement, personne n'a touché le corps, estima l'enquêteur. Le signalement a été fait auprès du central ?
—Oui, la compagnie ne va pas tarder à venir s'en occuper.
—Bonne chose, vous assurez. L'enquête devrait être bouclée rapidement. Le tueur est probablement en train de se faire arrêter, ou dans le pire des cas l'un de ses camarades le dénoncera.
Des mots qui ne plurent pas au jeune prisonnier, qui gesticula inutilement dans le but de défaire la poigne resserrée autour de son bras.
—Vous êtes complètement baisés, personne voudra parler à de sales flics comme vous ! S'emporta-t-il, dans un élan infantile des plus ridicule.
Des gosses de 13 ans, ne pas parler ? C'est beau, la naïveté. Pourquoi Sven l'a trimbalé jusqu'ici, d'après lui ? Se laissa aller à penser Daniel. Son collègue s'assura de l'attention du rebelle en resserrant sa main autour de son bras :
—Tu as bien raison, personne n'aura à parler. (Sven marqua une petite pause, le visage marqué d'un air grave.) Puisque c'est toi qui va le faire.
Mauvaise idée, se convainquit Holden. Lui qui ne souhaitait être au courant de rien, n'être mêlé à rien d'autre que la festive animosité exultée par la charge lancée vers le lieu recelant la bande de petites frappes. S'il veut jouer à l’enquêteur, ne lui reste que passer les examens.
—Qui est-ce ? Interrogea Sven en brusquant l'adolescent par de vives secousses. Un de tes potes ? Un gosse qui passait par hasard dans la rue ?
—Ou un membre de gang rival, ajouta Daniel, hésitant encore à se détacher peu à peu de la conversation.
Étonné par l'une des hypothèses, l'adolescent se referma sur lui-même, se mura dans le refus.
—Vous pouvez aller vous faire foutre ! Aboya-t-il en s'agitant sauvagement.
—Par qui, et où ? Le questionna une voix derrière lui.
Joris Taulth s'approchait tranquillement vers eux, tirait alors une cigarette d'un paquet qu'il rangea ensuite dans une poche placée à hauteur de son pectoral gauche. Venu dans le but de se renseigner sur ce que faisait Holden, la vision du corps trempant dans le sang imprima sa rétine. Son visage prit un air de surprise, puis de dégoût.
—Ah, les fils de putes... Laissa-t-il échapper en laissant retomber le bout de sa cigarette vers son menton.
Ses paroles se finirent en pensée. Il porta un regard sur Daniel, qui le dévisageait.
—Tu dois l'avoir mauvaise. La soirée avait peu de chance de déboucher là-dessus.
Mais bien sûr... Un sourire forcé étira les traits fatigués de l'enquêteur.
—Pas de bol, tout simplement. Je m'en remettrai. On m'a un jour dit que la chance était la seule femme à ne pas vouloir de moi, ajouta-t-il en baissant le regard.
Joris secoua la tête d'un air réprobateur.
—Ne commence pas avec ça.
En réponse, son interlocuteur fit tomber son sourire. S'encra dans ses traits un profond mécontentement.
—Si jamais il te reprenait l'envie de me proposer une sortie de ce genre, sache d'avance que tu pourras aller te faire voir.
—J'y penserai, répondit l'agent de police sans une once d'irritabilité.
Il sortit un briquet d'une des poches arrières de son pantalon, le porta jusqu'à la pointe de sa cigarette, l'alluma d'une simple pression sur un bouton. Vive et ondoyante, la flamme dansant sur l'arrête supérieure de l'objet consuma rapidement l'extrémité du bâtonnet de tabac.
—Tu vas vouloir qu'on y aille, pas vrai ? Demanda-t-il à l'adresse de son ami, en laissant courir son regard sur Sven et l'adolescent, qui l'observaient.
—Bien deviné, avoua l'enquêteur en hochant légèrement la tête. Tu me ramènes ?
L'agent en uniforme aspira une bouffée de fumée, la recracha tranquillement. Face à lui, le délinquant semblait perdre le fil de ce qui se disait.
—Bordel, vous allez me laisser partir ? Je comprends rien de ce qui se cause, les connards !
Sven serra le poing, l'abattit sur sa mâchoire sans s'annoncer.
—On t'a pas demander de comprendre quoi que ce soit ! Cria-t-il dans son oreille. Tu vas peut-être nous dire qui est le gosse qui patauge à tes pieds ? Et qui la tué ?
—Même pas mal, enfoiré ! J'ai rien à te dire !
Spectateur tirant une nouvelle fois sur sa cigarette, Joris sourit. Il s'approcha d'un pas, recracha un nocif nuage de fumée sur le visage de l'adolescent, qui toussota.
—Bien sûr que tu ne vas pas parler, dit-il en jetant un œil aux jeunes personnes se faisant emmener par d'autres officiers, non loin de là. Tu ne voudrais pas perdre la face devant tes copains.
—Cela, ou il ne le peut pas. C'est peut-être lui le tueur, ajouta Daniel.
Le prisonnier s'ébroua.
—Des conneries ! J'ai tué personne !
—Maintenant que t'es entre nos mains, c'est à nous d'en décider, répondit Joris. À ta place je ne piperais plus un mot et essaierais de me faire bien voir.
Le jeune homme déglutit, fut tenté de répondre, mais garda la bouche close.
—Quelqu'un l'interrogera, lui et le reste de la bande. Ton portable a un flash, Joris ?
Ce dernier ne comprit pas, sortit pourtant son téléphone de sa poche. En vérité, la réponse lui échappait, à lui qui ne se servait que rarement d'une telle fonctionnalité. Ce pour quoi il dû jeter un œil au dos de l'appareil pour s'en assurer.
—Je crois bien, fit-il savoir à Holden.
—Alors prends une photo du corps, tu pourras la donner au collègue qui se chargera de l'affaire. Et emmène le gosse, ensuite. La cavalerie est en route, on a plus rien à faire ici.
Sans émettre la moindre réponse, l'homme tira une ultime fois sur son clope. Avec insistance, espérant en consumer une plus grande partie. Savourant la substance engrangée, il réchappa lentement le tout. L'irritante émanation s'échappa de ses poumons sous l'impulsion d'une longue expiration, remonta le long de sa gorge pour s'en aller glisser le long des lisses parois buccales, filtrer entre les dents barrant en partie le passage vers la sortie, et caresser en de sublimes volutes blancs ses lèvres galvaudées. Satisfait, il porta deux doigts à sa bouche, les referma sur le bâtonnet, qu'il jeta subitement au loin. Le mégot rebondit trois fois sur le sol en dispersant d’éphémères braises luminescentes, se figea négligemment sur l’asphalte recouvrant les environs.
Face à lui, retenant encore fermement le détenu, Sven eut à son tour l'air perdre le fil de la discussion.
—L'ambulance n'est pas encore là. Vous ne l'attendez pas ?
—Non, rien à battre, répondit Joris en tapotant du bout de ses doigts le large écran tactile de son téléphone mobile. D'autre vont sûrement s'en charger.
L'improvisé photographe se décala de quatre pas sur le côté pour contourner l'adolescent. Les semelles de ses lourdes chaussures se figèrent à quelques centimètres de la flaque de sang dans laquelle nageait le trop jeune macchabée. Une vision en un sens si mortelle qu'il aurait préféré ne pas avoir à l'immortaliser.
—Et si jamais le corps disparaissait ? Osa avancer Sven, faisant ainsi figure d'une paranoïa prêtant à faire sourire les personnes en présence. Quelqu'un pourrait très bien passer et l'emporter. L'ambulance ne trouverait rien en arrivant.
—Qu'est-ce que tu nous chantes, le bleu ? S'amusa à le questionner Joris. (Il releva ses avant-bras face à lui, appuya l'un de ses pouces sur l'écran du mobile pour effectuer une complexe mise au point.) Pourquoi quelqu'un s'amuserait à embarquer un cadavre sous les yeux d'une dizaine d'officier entraînés ?
—Pour du trafic d'organes. Vous y avez pensé ? Des types enlèvent les cadavres pour les dépecer et les revendre en pièces détachées au marché noir. Un déguisement ou une liasse de billet, et personne n'aura rien vu.
Avoue tout de suite que tu as monté un coup. Ne supportant pas ce qu'il entendait, Holden se sentit forcé de réagir.
—Ce sera pour le mieux. Les enquêteurs auront l'occasion de démanteler une branche de ce marché parallèle, cela les occupera. (Il déporta son attention vers l'agent peinant à photographier la victime.) Joris ?
Un flash lumineux brilla entre les mains de l'interrogé, qui se retourna vers lui en jetant un œil au cliché pris.
—Si son fantôme reste coincé là-dedans, ce sera de ta faute, prononça-t-il en rangeant l'appareil dans une poche de son pantalon.
L'enquêteur ignora sa remarque, lui tourna le dos. Ses jambes s'animèrent, commencèrent à se mouvoir en direction de la sortie où la voiture restait garée. Ne s'en offusquant pas, Joris s'apprêta à le suivre, se saisit du bras de l'adolescent menotté que ne tenait pas le collègue zélé. Puis il fit un pas. Seulement, Sven ne lâcha pas le prisonnier. Taulth stoppa son élan, posa sur la personne visée un regard interrogateur, qu'elle n'eut aucun mal à déchiffrer.
—Je vous suis, décida finalement le jeune officier.
Décision dont n'eut rien à redire son collègue.
—C'est notre invité qui va être content, dit-il en tapant du plat de sa main sur l'épaule du délinquant.
Ce dernier se rebella, leur fit part de son opinion en de blessantes insanités. Les deux hommes s'en amusèrent, partirent à la suite de l'enquêteur leur apparaissant déjà en une silhouette longiligne découpée dans la lumière projetée par les phares des transports de police.
—Alors comme ça, meurtrier ne te suffisait pas, tu donnes aussi dans le trafic d'organes ? Avança Joris, alors d'humeur taquine, à l'adresse du délinquant.
Ce dernier nia la chose avec véhémence, se contorsionna, avançant ses épaules une à une dans l’espoir de se dégager des étreintes refermées sur lui.
—Décidément tu les collectionnes. T'es pas près de revoir la lumière du jour.
—Et ne cherche pas, le seul avocat auquel tu auras droit sera celui qu'on te servira au dîner... Ou au petit-déjeuner, si tu ne te calmes pas.
Le jeune homme ne rajouta rien à ce sujet, se contenta de protester contre les phares brillant au point de l'aveugler ; imprimant sur ses rétines de grands cercles bleus accompagnant un mal de crâne naissant.
L'enquêteur attendait, debout face à la portière avant droite, le visage tourné vers ses collègues avançant sans précipitation. En approche, Joris croisa son regard, lui adressa un vif clin d'oeil en espérant décrisper les traits sévères trahissant le mécontentement de son collègue et ami. Pour toute réponse, ce dernier tourna la tête, gêné. L'officier porta donc son attention vers l'agent de police escortant avec lui l'adolescent menotté.
—Monte à l'arrière, tu veux bien ? Demanda-t-il à Sven. Il va falloir surveiller ces deux énergumènes.
Le policier n'eut rien à y redire, jeta un œil à l'intérieur du véhicule. La jeune personne déjà enfermée par le propriétaire de l'automobile les regardait depuis la banquette arrière. Sven frappa de la jointure de son index droit contre la vitre pour attirer l'attention du curieux, lui fit signe de reculer en vue de laisser entrer son camarade. Il ouvrit d'une seule main la portière, précipita le prisonnier dans l'espace réduit. L'adolescent s'affala honteusement contre le tissu du long siège. Un œil, sa joue et une partie de ses lèvres collées au revêtement empreint d'humidité, le pauvre se contorsionna pour tenter de prendre une posture décente. Ses mains entravées derrière son dos ne l'y aidèrent pas. Sven se pencha à l'intérieur du véhicule, saisit son col pour le relever en position assise ; puis pris place à ses côtés, fit claquer sa portière tandis que Joris et Daniel échangeaient quelques mots au dehors.
Debout d'un côté et de l'autre du véhicule, l'enquêteur et son collègue se dévisageaient par dessus le toit.
—Tu fais un détour près de chez moi ? Demanda Daniel, une main à plat sur le dessus de la carrosserie, en haussant le ton pour contrer les sirènes et les cris tonitruant aux alentours.
—Jusqu'au secteur onze ? Sérieusement ? L’interrogea l'officier de police.
On lui rendit un regard insistant, bien plus éloquent que n'aurait su l'être la moindre réponse prononcée. Ce à quoi Taulth rétorqua :
—Pas moyen, et tu le sais bien. C'est à peine plus d'une heure de route, alors que le commissariat du coin se trouve presque à côté.
L'enquêteur grimaça.
—Je n'aime pas cela, Joris. Être présent sur le lieu d'un meurtre, c'est une chose dont je me serais bien passé !
—Une fois les deux idiots mis derrière les barreaux, on file. Rien de plus. Les deux heures dont je parlais plus tôt seront à peine excédées, et personne ne dira que tu étais là.
Le mécontent lui renvoya un regard empli de suspicion. J'ai hâte de voir cela. Rien ne se passe jamais comme prévu, te souviens-tu ? Ce qui venait d'être avancé ne lui donnait aucune envie de répondre.
—Je suis désolé.
—Peu importe, fais comme tu veux, en termina Daniel.
Sur ces mots, il ouvrit sa portière, se pencha à l'intérieur de l'habitacle, s’installa à la place du mort. Joris prit de nouveau ses aises face au volant.
À l'arrière, les jeunes délinquant décidaient de ne pas se laisser faire :
—Nos potes viendront nous chercher, vous allez tous crever ! Cracha l'un d'eux en cherchant à forcer sur ses menottes.
Sven lui porta un violent coup pour le faire taire, et le conducteur se retourna sur son siège.
—Quels potes ? Ceux avec qui tu te retrouveras en cellule ?
—Vous ne nous avez pas tous eux ! Avança le second adolescent.
—Je serais toi je ne compterais pas là-dessus, l'ahurit. Je t'ai tamponné avant même que tu puisses détaler, du coup tu n'en sais rien. Et ton pote aussi. Ce que je vous conseille, c'est de vous faire tout petit ou les choses finiront très mal pour vous.
Sven attrapa l'un des jeunes passagers par les cheveux.
—Mettez-la en veilleuse ou j'en prends un pour frapper l'autre, les menaça-t-il en repoussant le malmené contre son voisin.
Bien que furieux, aucun d'eux n'osa répliquer. Le message étant passé, Joris se remit droit face au pare-brise. Le talkie-walkie demeurait toujours sur le tableau de bord. Il étendit un bras, s'en saisit. Son doigt écrasa le bouton de tranche permettant de diffuser sa voix.
—Voiture une, ici Taulth. Où vous en êtes, les gars ? Laissa-t-il résonner à travers l'appareil.
09/12/15 à 03:35:45
J'adore ! "Valmeiser et Audrey se sont fait avoir par un gosse acrobate. Il paraît que le type a carrément esquivé une voiture, pour ensuite les emmener en balade loin de l'avenue des Agapanthes."
Punaise cette transition m'a scotché ! Toute en image, ça tiens du géni ! Sous l'action de légers gestes fébriles, le liquide se mit à tournoyer au sein de sa tasse. Une spirale rognant les bords faits de faïence, ternissant la blancheur de l'objet sous les montées de larges vaguelettes brunes. Une simple secousse, et les choses perdent leur aspect initial, ne put s'empêcher de penser l'enquêteur. Une perte, un accident. Le mode de vie change, et la personne également.
Sinon la fin est WTF, j'veux savoir ce qu'il se passe
Serieusement ce chapitre est top, c'est un peu lent dans la voiture mais toutes les images et les dialogues allègent tout ça et rend la lecture très agréable !
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