Espoirs Crépusculaires
Par : Droran
Genre : Polar , Horreur
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 1
Débute la nuit...
Publié le 29/09/15 à 04:31:01 par Droran
« Son amour n’était plus. Pauvre hère dont la femme fut emportée par la maladie, disparue à jamais. Seul survivant d’un foyer décimé. Désormais, il lui faudrait rester fort, encaisser la douleur tant que sa propre existence durerait. Un mal qu’il ne concevait que durement, à seule fin de respecter une défunte volonté brûlant encore dans son cœur et ses pensées. Une douleur qui, curieusement, le rappelait à sa condition d’être vivant, le condamnant au rôle de martyr persécuté par ses propres démons.
C’est poussé par la peine et l’envie d’isolement qu’il s’enfonça à travers la forêt d’Ughän, ancien lieu occulte ratiboisé environnant sa bourgade natale, cachant en son sein une haute colline verdoyante. La colline aux mille vœux, lieu mystique ignoré, qui jadis avait vu naître l’amour réciproque d’un homme envers une divinité. Guidé par sa seule foi, son périple l’y lui mena tout droit.
Exténué, couché de tout son long parmi les herbes hautes, il observait le ciel étoilé. Aucun nuage ne venait masquer la lune resplendissante apaisant les pensées et les maux de cet homme, qui pourtant se bornait à tenter de ne plus rien ressentir.
“ Eusoph, entendez ma voix. ”
Soudainement raisonnait de la voûte céleste une nébuleuse voix, féminine et chaleureuse, doucereuse et mystérieuse. Il se sut saint d’esprit, et décida de l’écouter. Découvrant son esprit, l’interpellé ouvrit grand les yeux, s’apprêta à boire les paroles fantomatiques qui lui parvenaient.
“ Je sais ce qui vous afflige. J’aimerais vous aider. ”
Ces déclarations l’intriguèrent. Sans vraiment s’en rendre compte, et sans se demander qui s’adressait à lui, il se surprit à répondre d’un seul mot : “Comment ? ”. Et plus un son ne retentit. Le hululement grouillant à travers les cimes que remuait le souffle du vent, les cris d’amour insectes et cette voix spectrale : tous se turent. Le temps sembla ne plus avoir cours. L’homme se questionna sur l’état de son ouïe, s’aida de ses bras pour se relever. Les sons de ses propres gestes furent pourtant clairement perçus, et ce fait l’inquiéta plus qu’il ne le rassura. Son cœur s’emballa. Il fit un tour sur lui-même sans parvenir à discerner les sombres alentours, et releva son regard empreint d’incompréhension vers l’astre lunaire. »
Eusoph l’illuminé, extrait des Légendes de L’Ordre Céleste
I. Le Palais des songes ignorés (Une fuite, une chance ; mais le passé agonisant épargnera les peines.
L’automne s’éteignait officiellement en ce premier jour d’hiver. Temps morose, dû au ciel nuageux et grisonnant. L'air frais circulait à travers immeubles et monuments, se chargeait de faire grelotter les passants forcés de se couvrir pour lui échapper. Partout, l'on se pressait pour se réchauffer, tentait d'éviter l'engourdissement. Les sourires se faisaient rares, tout comme les rires. L'atmosphère globale dans les rues s'atténuait de bons sentiments à mesure que la saison s’installait, tel un crépuscule tombant lentement.
Un phénomène que ne manquait pas d’observer Hoel. Adolescent, jeune de 17 ans. Accoutumé à déambuler en ville, ses pensées s’emplissaient de questions à ce propos. C’en devenait un passe-temps. Les personnes croisant sa route, quelles qu’elles soient, lui paraissaient torturées et fatiguées. Elles qui il y a quelques mois encore se pavanaient en souriant. Pour lui, ce n’était qu’un cycle en perpétuelle recréation. L’esprit malade associant le beau temps au bien-être. Chaque année, en cette saison, les citadins se laissaient ronger peu à peu par leurs démons, et leurs maux duraient jusqu’au retour des premières chaleurs. Pour lui, c’était à croire qu’ils n’apprenaient pas. Pourtant, finir par savoir si le problème venait d’eux ou de quelque chose les poussant à adopter un tel comportement était quasiment impossible. La faute de cette ville. Ils ont tout compris, concluait-il ses pensées à chaque fois, en pariant que personne n’aurait donné tort à ses analyses de comptoir. Pas à pas, il en venait à se persuader d’avoir touché la vérité. La seule manière d’erroner sa pensée étant de la contredire. Mais encore aurait-il fallu qu’il daigne en faire part à quelqu’un.
Ce matin-là, comme à son habitude, il portait un sac plein de gazettes qu'il lui fallait écouler ; ses jambes le portant à travers les rues bondées, surplombées d’immensités de béton. Lui aussi s’accommodait des températures estivales : coiffé d'un bonnet gris, couvert d'une veste chaude et ganté de mitaines confortables, il avançait d’un pas impatient en direction de la grande gare nord de Promel, située au cœur de l’agglomération, au sein du secteur numéroté douze. Imposante de par la démesure de son architecture, bâtie de pierres blanches moisies par endroits par la pluie, elle fut conçue selon des modèles d’art désuets – mais fort esthétiques – aux formes courbes ornées de fresques narrant les guerres internes ayant autrefois ravagé la ville. Elle gagnait également à être considérée comme étant le nerf central des transits s’effectuant entre les métropoles extérieures et les entrailles de Promel.
L’entrée du hall arborait d’immenses portes vitrées, derrière lesquelles l’affluence d’âmes affairées assurait un flux constant d’allées et venues au sein des différents transports desservant en nombre et à intervalles réguliers les points d’arrêt implantés ailleurs en ville et bien au-delà. L’abondance de visiteurs en faisait un lieu idéal pour Hoel, qui foula du pied le dessous de l’immense arche de pierre érigée au-dessus d’une partie du parvis, devant l’entrée vitrifiée. Il se délesta du bagage pesant sur ses épaules, le fit tomber sur le sol dallé reposant sous ses pas ; et défit les sangles de cuir courant sur tout son long. Le dessus du sac retomba légèrement, laissant apparaître une longue pile de journaux ne demandant qu’à être distribués.
La couverture de l’exemplaire présent en tête de pile attira le regard de l’adolescent, qui expira un souffle chaud et retira ses mitaines – celles-ci le gênant dans ses mouvements –, qu’il rangea dans l’une des poches de sa veste. Se penchant en avant, il se saisit ensuite de quelques quotidiens. La matinée va me paraître bien sage, nota-t-il tout en se redressant.
Aux nouvelles du jour, des enlèvements inexpliqués perpétrés dans les environs des secteurs nord. Sept enfants disparus lors des six derniers mois, et aucune nouvelle quant à l'avancement de l'enquête ; bien que le manque de pistes permettant de remonter jusqu’aux ravisseurs se laissait facilement deviner.
Une de ces sales affaires comme on en entendait parler à la pelle, dont la plupart des gens finissaient par se désintéresser jusqu'à ne plus y porter attention ; si tant est que leur rejeton ne disparaisse pas entre temps. Mais ce n'était pas le problème de l'adolescent qui, dès qu'une personne passait non loin de lui, tendait le papier en ponctuant son geste de quelques mots polis. S’il était parfois ignoré, la plupart du temps on le lui prenait en le remerciant. C'était peu de choses à faire, et nul besoin de lire le canard. Seule importait la distribution. Le quotidien pouvait très bien finir dans une poubelle quelques mètres plus loin sans que cela n'importe à personne ; et certainement pas au jeune dispensateur, qui épuisait ainsi son stock et serait payé comme convenu.
Il dévisageait les passants : hommes et femmes affairés, quelques jeunes adultes rentrant chez eux après que leur soirée se soit enfin terminée, ainsi que certains vigiles veillant à la sûreté du lieu. « Nouvelles du jour ! » S’exclamait-il encore à leur adresse pour les inciter à s’intéresser à lui.
Parmi le flot de personnes actives, un homme s’avança calmement vers l’adolescent.
— Des nouvelles intéressantes aujourd’hui, Adam ? demanda-t-il en se figeant à ses côtés, l’air de le connaître depuis un long moment.
Non heurté par le manque de politesse dont fit preuve l’arrivant, Hoel lui tendit un exemplaire du quotidien en affichant un sourire d’apparence aimable dès que ses yeux se posèrent sur lui. D’apparence seulement, puisqu’il ne fit que se moquer du prénom utilisé, qui n’était en rien le sien. L’uniforme noir si caractéristique des forces de l’ordre dont était habillé l’homme ne laissait planer aucun doute quant à sa profession, et sa visite n’était nullement une surprise pour Hoel ; qui au contraire l’attendait impatiemment, tout en aspirant à garder ce souhait caché.
— De la politique, du sport, des sujets bons à jeter… Pour ne pas changer. Jette un œil en page neuf, le petit article en bas à droite, conseilla-t-il à l’adulte.
L’agent de police ouvrit le journal, s’attarda quelques secondes à lire le contenu de la page indiquée par le jeune dispensateur, et releva son visage de trentenaire buriné par la dureté de son travail en s’adressant à lui :
— Les conneries d’un journaleux qui ne s’appuie sur rien. Tu y crois ?
Le sourire de Hoel s’élargit un peu plus.
— Sept disparitions, c’est assez gros pour ne pas se poser de questions… Tu n’es pas de cet avis ?
— Regarde-moi. J’ai la gueule d’un enquêteur ? questionna l’adulte tout en mouvant sa main gauche en un cercle autour de son visage hargneux surmonté de cheveux bruns coupés courts. Je n’ai aucun trait à l’enquête, mais si un trafic avait lieu, ça se saurait. D’ailleurs tu y connais quelque chose en trafic de mômes ?
Laissant tomber son sourire, l’adolescent fit mine de réfléchir, garda le silence quelques secondes.
— Pas vraiment. Mais je serais toi je m’attarderais plutôt sur d’autres drôles de rumeurs qui circulent dans les rues. Je ne sais presque rien, mais on dit qu’il se trame quelque chose pour ce soir. Mieux vaudrait vérifier, des fois que cela fasse du bruit.
— Ne joue pas au con avec moi, tu as l’air d’en savoir pas mal. Qu’est-ce qui se prépare ? continua l’agent de police, qui replia le journal et le laissa tomber sur le sac du jeune travailleur.
— J’ai la gorge sèche et l’estomac vide, les mots ne me viennent pas. Tu n’aurais pas de quoi me payer à manger ? osa l’adolescent, qui pourtant comptait parler, quelle que fût la réponse.
L’homme plongea une main dans la poche arrière de son pantalon, de laquelle il extirpa un portefeuille que ses doigts soulagèrent d’un billet.
— Et étouffe-toi avec ce que tu avaleras, souhaita-t-il au jeune homme en lui tendant l’argent.
— Ne le prends pas comme ça, l’apaisa Hoel en cachant le billet dans sa veste. Ces temps-ci les regards se portent sur un certain Furieux, si tu vois de qui je veux parler. Une mafia locale à l’origine d’un réseau, ça aurait du sens, non ?
— Ça pourrait en avoir. Mais si tu veux mon avis, il n’y a pas à s’occuper de ce type, petit. Il fait du bruit dans le coin mais reste une petite frappe. Un rigolo. Parle-moi plutôt du coup de ce soir auquel tu faisais allusion.
Si lui est une petite frappe, tu es un nouveau-né. Dois-je conclure que vous l’avez sous surveillance ? Se perdit à penser Hoel, alors que son interlocuteur prononçait ses derniers mots.
— Tu devrais aller faire un tour du côté du secteur cinq, répondit-il à l’adulte. De ce que je sais, un nouveau gang émerge. Ils se font appeler les Tonythod et risquent de faire parler d’eux. Possible qu’il y ait du sang, et qu’ils aient un lien avec les disparitions… Mais là-dessus je ne sais pas grand-chose, donc je ne m’avancerai pas.
— Pas grand-chose, hein ? insista l’adulte sur un ton laissant comprendre qu’il soupçonnait le mensonge.
— Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? Je tends l’oreille au sujet de ce qui se dit autour de moi, c’est tout ! Mais c’est de la source sûre. Je t’ai donné des bons tuyaux par le passé, et tous ont été vrais. Qu’est-ce que j’aurais à voir dans tout ça ? Je suis un ado paumé. Tout ce dont je me contente, c’est de garder la tête hors de la merde dans laquelle on essaie de me noyer.
— C’est bon, ça va, ça va. On va lancer une traque ce soir. Mais ne t’avise pas à jouer au plus malin : je sais où te trouver, Adam ; et attends-toi à recevoir de la visite si j’apprends que tu t’es foutu de moi ou de l’un de mes collègues.
Tu ferais presque peur. Ferme-là et donne-moi plutôt un prix pour mon jeu d’acteur.
L’envie de cracher une vérité insoupçonnée effleura l’esprit de l’adolescent, qui déploya sa gorge pour continuer dans le mensonge :
— C’est compris. Je ne veux pas avoir d’ennuis avec les flics, expliqua-t-il en feintant autant que possible la crainte de représailles.
— Tant mieux. Et excuse-moi, je vais te laisser maintenant. S’il y a vraiment du lourd, je te filerai plus de fric.
L’adolescent lui adressa un sourire d’apparence sympathique.
— On fait comme ça, tu me tiens au courant.
L’adulte déposa une tape sur l’épaule de Hoel, puis s’éloigna en direction de la place s’étendant devant la gare ; le laissant ainsi reprendre sa distribution, rassuré par l’idée que la journée se déroulerait telle qu’il la prévoyait.
Ce n'est que lorsqu'il resta une petite pile d'exemplaires que l’adolescent plia bagage. Comme il lui arrivait parfois de le faire, il attrapa le peu de journaux restant et abandonna non seulement son sac, mais aussi son poste. Ignorant les personnes amenées à se questionner sur son geste, il se mit à traverser la place de la gare jusqu'à rejoindre le centre-ville, pour se rapprocher du commissariat se trouvant à quelques rues de là : imposant bâtiment à l’allure rectangulaire reposant au-dessus de très hauts escaliers de pierre, dans lequel allait et venait un nombre important de visiteurs, rendus là pour des raisons ne regardant qu'eux seuls. Et l'adolescent était de ce même cas, semblable à toutes ces personnes. En bas des marches, alors loin de l'entrée, il retira son bonnet et plongea une main dans l'une des poches de sa veste, de laquelle il sortit un béret beige dont il se coiffa de façon à ce que le vêtement tombe légèrement sur son visage. Ainsi, glissant son bonnet dans une poche autre que celle renfermant ses mitaines, il débuta l'ascension qui le mena jusqu'à l'intérieur de l'édifice, où il put se confondre parmi les adultes se mouvant autour de lui.
À l'accueil, longs comptoirs arrondis derrière lesquels s'alignaient de jeunes secrétaires, il se présenta comme livreur de journaux. On le laissa passer, et il put se déplacer librement dans les locaux, laisser quelques exemplaires de sa gazette sur certains bureaux en prenant tout son temps. À l’affût des conversations intéressantes, il tendit l’oreille, analysa quelques bribes de paroles et ne s’attarda que lorsque sa curiosité se retrouvait attisée, observa les visages et tenta son possible pour les mémoriser.
Faire le tour du commissariat lui prit plus d’une demi-heure. Après quoi, comme toujours, il se retira discrètement, quitta l'office de justice jusqu'à redescendre ses longues marches, en bas desquelles il laissa tomber son béret qu’il glissa dans la poche de sa veste, ganta ses mains et revêtit son bonnet ; puis continua son chemin, s'en alla se fondre parmi la foule de visages attristés arpentant le centre-ville.
Une sombre nuit, pourtant baignée de la douce clarté d’une lune brillante, dont les rais à peine masqués par de fines nuées resplendissaient sur les surfaces vitrées des colossaux gratte-ciel, sans espoir d’atteindre le cœur des rues elles-mêmes illuminées de mille couleurs au moyen d’enseignes fantasques et d’éclairages urbains.
— Il a insulté ta mère de pute, arrache-lui la tête !
Des entrailles du nord de Promel, au sein d’une venelle habituellement déserte du cinquième secteur, s’élevaient clameurs et insultes issues d’un cénacle barbare étreint de deux immenses murs décrépis. Une masse grouillante, de toute taille comme de tout âge, débordante de haine et d’envie de rébellion. D’une même voix, le groupe exhortait sa rage en direction d’un complice, encerclé et forcé au méfait.
Le cœur battant, Hoel se tenait au milieu de la foule, lancé au combat tel un coq des plus nerveux. Un coq n’ayant de ses semblables que les plumes. Accoutré d’un jean déchiré, de chaussures de sport noires et d’un gilet gris porté au-dessus d’un fin pull de cette même couleur, il se fondait parfaitement parmi les délinquants. Voyou, il ne l’était pourtant pas moins que la plupart des personnes l’encerclant. Ce qui l’empêchait de se trouver à sa place en cette situation était d’ordre purement moral. S’il n’avait tenu qu’à lui d’en décider, il ne se serait pas retrouvé en ce lieu, à devoir corriger un chef de gang rival ; quand bien même ce dernier l’aurait mérité. Mais les cris l’imprégnaient d’une bestialité dont il ne pouvait plus se défaire, et pour l’heure tout du moins, laisser libre cours à ses pulsions en devenait grisant comme jamais.
Poussé par la hurlée de ses camarades, Hoel effectua un moulinet à l’aide de la batte qu’enserraient ses mains rougies par le froid, tourna autour de l’adolescent au crâne rasé et au visage marqué de coups désigné comme étant l’adversaire. Les lèvres de ce dernier s’animèrent, crachèrent insultes et insanités tel un chaud poison vivifiant s’échappant de ses poumons en une vapeur colérique ; puis il s’avança, élança son poing en direction du visage de son opposant. Hoel l’intercepta, abattit violemment sa batte sur le bras de l’adolescent avant même d’être touché, et frappa de toutes ses forces derrière sa jambe gauche afin qu’il pose un genou au sol.
Le rassemblement criminel explosa de démence, recracha son contentement en d’innommables cris bestiaux afin d’enivrer leur comparse, qui se retourna vers leur cohorte postée en demi-cercle autour de son combat. Les poings levés en direction du ciel enténébré, il hurla de toute sa rage comme pour se féliciter, et put ainsi jeter un œil sur le fond de la rue sans attiser la curiosité de ses camarades.
La pointe de l’arme décrivit un nouveau moulinet dans l’air. Renâclant bruyamment, Hoel fit remonter une glaire stagnant dans sa gorge, qu’il cracha non loin de sa victime clouée au sol par la douleur se propageant dans son articulation.
Le visage déformé par la crainte, le blessé releva un regard assassin baigné de larmes vers son bourreau. Cependant, Hoel n’en eut cure, et enserra bien fort le manche de sa batte : prêt à frapper, il l’éleva à hauteur de ses épaules. Le regard larmoyant du jeune homme se reflétait dans ses pupilles désormais aveuglées par la rage. Le sang devait couler. Une grimace dégoulinante de véhémence étira ses traits. Hoel élança sa batte vers le pauvre hère, qui tenta d’esquisser un geste ; mais la vitesse du coup fut telle que l’esquive devint impossible. L’arme fondit sur son cou, qui émit un craquement sonore lors du choc de l’aluminium contre l’os et les muscles. Les cris des spectateurs s'intensifièrent, explosèrent. La jeune victime s’effondra sur le sol, face contre l'asphalte, sa nuque formant un angle écœurant.
Hoel, alors sous l'effet de l'adrénaline, abaissa ses bras et lâcha l'objet que tenaient ses doigts picorés par le froid. La batte rebondit en un son métallique noyé par le tumulte de ses compagnons qui se ruèrent aussitôt sur lui. On l’enlaçait, simulait l’écartèlement en le tirant joyeusement en tous sens. Le jeune homme se laissa porter par la vague déferlant ainsi sur lui, prit part à l’allégresse générale afin qu’on le laisse plus vite en paix.
Le sourire aux lèvres, il se dégagea de l'étreinte du groupe, remonta une manche de son gilet gris pour se gratter l'avant-bras droit, et s'approcha du corps ainsi que de l'arme qui avait roulé près de ce dernier. Allongé en une pose peu glorieuse, le malchanceux voyait son sang s'échapper de sa bouche entrouverte et couler lentement sur le bitume, où se formerait peu à peu une flaque auréolant son crâne. Mes excuses, mec… Le feu de départ est tiré.
C’est poussé par la peine et l’envie d’isolement qu’il s’enfonça à travers la forêt d’Ughän, ancien lieu occulte ratiboisé environnant sa bourgade natale, cachant en son sein une haute colline verdoyante. La colline aux mille vœux, lieu mystique ignoré, qui jadis avait vu naître l’amour réciproque d’un homme envers une divinité. Guidé par sa seule foi, son périple l’y lui mena tout droit.
Exténué, couché de tout son long parmi les herbes hautes, il observait le ciel étoilé. Aucun nuage ne venait masquer la lune resplendissante apaisant les pensées et les maux de cet homme, qui pourtant se bornait à tenter de ne plus rien ressentir.
“ Eusoph, entendez ma voix. ”
Soudainement raisonnait de la voûte céleste une nébuleuse voix, féminine et chaleureuse, doucereuse et mystérieuse. Il se sut saint d’esprit, et décida de l’écouter. Découvrant son esprit, l’interpellé ouvrit grand les yeux, s’apprêta à boire les paroles fantomatiques qui lui parvenaient.
“ Je sais ce qui vous afflige. J’aimerais vous aider. ”
Ces déclarations l’intriguèrent. Sans vraiment s’en rendre compte, et sans se demander qui s’adressait à lui, il se surprit à répondre d’un seul mot : “Comment ? ”. Et plus un son ne retentit. Le hululement grouillant à travers les cimes que remuait le souffle du vent, les cris d’amour insectes et cette voix spectrale : tous se turent. Le temps sembla ne plus avoir cours. L’homme se questionna sur l’état de son ouïe, s’aida de ses bras pour se relever. Les sons de ses propres gestes furent pourtant clairement perçus, et ce fait l’inquiéta plus qu’il ne le rassura. Son cœur s’emballa. Il fit un tour sur lui-même sans parvenir à discerner les sombres alentours, et releva son regard empreint d’incompréhension vers l’astre lunaire. »
Eusoph l’illuminé, extrait des Légendes de L’Ordre Céleste
I. Le Palais des songes ignorés (Une fuite, une chance ; mais le passé agonisant épargnera les peines.
L’automne s’éteignait officiellement en ce premier jour d’hiver. Temps morose, dû au ciel nuageux et grisonnant. L'air frais circulait à travers immeubles et monuments, se chargeait de faire grelotter les passants forcés de se couvrir pour lui échapper. Partout, l'on se pressait pour se réchauffer, tentait d'éviter l'engourdissement. Les sourires se faisaient rares, tout comme les rires. L'atmosphère globale dans les rues s'atténuait de bons sentiments à mesure que la saison s’installait, tel un crépuscule tombant lentement.
Un phénomène que ne manquait pas d’observer Hoel. Adolescent, jeune de 17 ans. Accoutumé à déambuler en ville, ses pensées s’emplissaient de questions à ce propos. C’en devenait un passe-temps. Les personnes croisant sa route, quelles qu’elles soient, lui paraissaient torturées et fatiguées. Elles qui il y a quelques mois encore se pavanaient en souriant. Pour lui, ce n’était qu’un cycle en perpétuelle recréation. L’esprit malade associant le beau temps au bien-être. Chaque année, en cette saison, les citadins se laissaient ronger peu à peu par leurs démons, et leurs maux duraient jusqu’au retour des premières chaleurs. Pour lui, c’était à croire qu’ils n’apprenaient pas. Pourtant, finir par savoir si le problème venait d’eux ou de quelque chose les poussant à adopter un tel comportement était quasiment impossible. La faute de cette ville. Ils ont tout compris, concluait-il ses pensées à chaque fois, en pariant que personne n’aurait donné tort à ses analyses de comptoir. Pas à pas, il en venait à se persuader d’avoir touché la vérité. La seule manière d’erroner sa pensée étant de la contredire. Mais encore aurait-il fallu qu’il daigne en faire part à quelqu’un.
Ce matin-là, comme à son habitude, il portait un sac plein de gazettes qu'il lui fallait écouler ; ses jambes le portant à travers les rues bondées, surplombées d’immensités de béton. Lui aussi s’accommodait des températures estivales : coiffé d'un bonnet gris, couvert d'une veste chaude et ganté de mitaines confortables, il avançait d’un pas impatient en direction de la grande gare nord de Promel, située au cœur de l’agglomération, au sein du secteur numéroté douze. Imposante de par la démesure de son architecture, bâtie de pierres blanches moisies par endroits par la pluie, elle fut conçue selon des modèles d’art désuets – mais fort esthétiques – aux formes courbes ornées de fresques narrant les guerres internes ayant autrefois ravagé la ville. Elle gagnait également à être considérée comme étant le nerf central des transits s’effectuant entre les métropoles extérieures et les entrailles de Promel.
L’entrée du hall arborait d’immenses portes vitrées, derrière lesquelles l’affluence d’âmes affairées assurait un flux constant d’allées et venues au sein des différents transports desservant en nombre et à intervalles réguliers les points d’arrêt implantés ailleurs en ville et bien au-delà. L’abondance de visiteurs en faisait un lieu idéal pour Hoel, qui foula du pied le dessous de l’immense arche de pierre érigée au-dessus d’une partie du parvis, devant l’entrée vitrifiée. Il se délesta du bagage pesant sur ses épaules, le fit tomber sur le sol dallé reposant sous ses pas ; et défit les sangles de cuir courant sur tout son long. Le dessus du sac retomba légèrement, laissant apparaître une longue pile de journaux ne demandant qu’à être distribués.
La couverture de l’exemplaire présent en tête de pile attira le regard de l’adolescent, qui expira un souffle chaud et retira ses mitaines – celles-ci le gênant dans ses mouvements –, qu’il rangea dans l’une des poches de sa veste. Se penchant en avant, il se saisit ensuite de quelques quotidiens. La matinée va me paraître bien sage, nota-t-il tout en se redressant.
Aux nouvelles du jour, des enlèvements inexpliqués perpétrés dans les environs des secteurs nord. Sept enfants disparus lors des six derniers mois, et aucune nouvelle quant à l'avancement de l'enquête ; bien que le manque de pistes permettant de remonter jusqu’aux ravisseurs se laissait facilement deviner.
Une de ces sales affaires comme on en entendait parler à la pelle, dont la plupart des gens finissaient par se désintéresser jusqu'à ne plus y porter attention ; si tant est que leur rejeton ne disparaisse pas entre temps. Mais ce n'était pas le problème de l'adolescent qui, dès qu'une personne passait non loin de lui, tendait le papier en ponctuant son geste de quelques mots polis. S’il était parfois ignoré, la plupart du temps on le lui prenait en le remerciant. C'était peu de choses à faire, et nul besoin de lire le canard. Seule importait la distribution. Le quotidien pouvait très bien finir dans une poubelle quelques mètres plus loin sans que cela n'importe à personne ; et certainement pas au jeune dispensateur, qui épuisait ainsi son stock et serait payé comme convenu.
Il dévisageait les passants : hommes et femmes affairés, quelques jeunes adultes rentrant chez eux après que leur soirée se soit enfin terminée, ainsi que certains vigiles veillant à la sûreté du lieu. « Nouvelles du jour ! » S’exclamait-il encore à leur adresse pour les inciter à s’intéresser à lui.
Parmi le flot de personnes actives, un homme s’avança calmement vers l’adolescent.
— Des nouvelles intéressantes aujourd’hui, Adam ? demanda-t-il en se figeant à ses côtés, l’air de le connaître depuis un long moment.
Non heurté par le manque de politesse dont fit preuve l’arrivant, Hoel lui tendit un exemplaire du quotidien en affichant un sourire d’apparence aimable dès que ses yeux se posèrent sur lui. D’apparence seulement, puisqu’il ne fit que se moquer du prénom utilisé, qui n’était en rien le sien. L’uniforme noir si caractéristique des forces de l’ordre dont était habillé l’homme ne laissait planer aucun doute quant à sa profession, et sa visite n’était nullement une surprise pour Hoel ; qui au contraire l’attendait impatiemment, tout en aspirant à garder ce souhait caché.
— De la politique, du sport, des sujets bons à jeter… Pour ne pas changer. Jette un œil en page neuf, le petit article en bas à droite, conseilla-t-il à l’adulte.
L’agent de police ouvrit le journal, s’attarda quelques secondes à lire le contenu de la page indiquée par le jeune dispensateur, et releva son visage de trentenaire buriné par la dureté de son travail en s’adressant à lui :
— Les conneries d’un journaleux qui ne s’appuie sur rien. Tu y crois ?
Le sourire de Hoel s’élargit un peu plus.
— Sept disparitions, c’est assez gros pour ne pas se poser de questions… Tu n’es pas de cet avis ?
— Regarde-moi. J’ai la gueule d’un enquêteur ? questionna l’adulte tout en mouvant sa main gauche en un cercle autour de son visage hargneux surmonté de cheveux bruns coupés courts. Je n’ai aucun trait à l’enquête, mais si un trafic avait lieu, ça se saurait. D’ailleurs tu y connais quelque chose en trafic de mômes ?
Laissant tomber son sourire, l’adolescent fit mine de réfléchir, garda le silence quelques secondes.
— Pas vraiment. Mais je serais toi je m’attarderais plutôt sur d’autres drôles de rumeurs qui circulent dans les rues. Je ne sais presque rien, mais on dit qu’il se trame quelque chose pour ce soir. Mieux vaudrait vérifier, des fois que cela fasse du bruit.
— Ne joue pas au con avec moi, tu as l’air d’en savoir pas mal. Qu’est-ce qui se prépare ? continua l’agent de police, qui replia le journal et le laissa tomber sur le sac du jeune travailleur.
— J’ai la gorge sèche et l’estomac vide, les mots ne me viennent pas. Tu n’aurais pas de quoi me payer à manger ? osa l’adolescent, qui pourtant comptait parler, quelle que fût la réponse.
L’homme plongea une main dans la poche arrière de son pantalon, de laquelle il extirpa un portefeuille que ses doigts soulagèrent d’un billet.
— Et étouffe-toi avec ce que tu avaleras, souhaita-t-il au jeune homme en lui tendant l’argent.
— Ne le prends pas comme ça, l’apaisa Hoel en cachant le billet dans sa veste. Ces temps-ci les regards se portent sur un certain Furieux, si tu vois de qui je veux parler. Une mafia locale à l’origine d’un réseau, ça aurait du sens, non ?
— Ça pourrait en avoir. Mais si tu veux mon avis, il n’y a pas à s’occuper de ce type, petit. Il fait du bruit dans le coin mais reste une petite frappe. Un rigolo. Parle-moi plutôt du coup de ce soir auquel tu faisais allusion.
Si lui est une petite frappe, tu es un nouveau-né. Dois-je conclure que vous l’avez sous surveillance ? Se perdit à penser Hoel, alors que son interlocuteur prononçait ses derniers mots.
— Tu devrais aller faire un tour du côté du secteur cinq, répondit-il à l’adulte. De ce que je sais, un nouveau gang émerge. Ils se font appeler les Tonythod et risquent de faire parler d’eux. Possible qu’il y ait du sang, et qu’ils aient un lien avec les disparitions… Mais là-dessus je ne sais pas grand-chose, donc je ne m’avancerai pas.
— Pas grand-chose, hein ? insista l’adulte sur un ton laissant comprendre qu’il soupçonnait le mensonge.
— Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? Je tends l’oreille au sujet de ce qui se dit autour de moi, c’est tout ! Mais c’est de la source sûre. Je t’ai donné des bons tuyaux par le passé, et tous ont été vrais. Qu’est-ce que j’aurais à voir dans tout ça ? Je suis un ado paumé. Tout ce dont je me contente, c’est de garder la tête hors de la merde dans laquelle on essaie de me noyer.
— C’est bon, ça va, ça va. On va lancer une traque ce soir. Mais ne t’avise pas à jouer au plus malin : je sais où te trouver, Adam ; et attends-toi à recevoir de la visite si j’apprends que tu t’es foutu de moi ou de l’un de mes collègues.
Tu ferais presque peur. Ferme-là et donne-moi plutôt un prix pour mon jeu d’acteur.
L’envie de cracher une vérité insoupçonnée effleura l’esprit de l’adolescent, qui déploya sa gorge pour continuer dans le mensonge :
— C’est compris. Je ne veux pas avoir d’ennuis avec les flics, expliqua-t-il en feintant autant que possible la crainte de représailles.
— Tant mieux. Et excuse-moi, je vais te laisser maintenant. S’il y a vraiment du lourd, je te filerai plus de fric.
L’adolescent lui adressa un sourire d’apparence sympathique.
— On fait comme ça, tu me tiens au courant.
L’adulte déposa une tape sur l’épaule de Hoel, puis s’éloigna en direction de la place s’étendant devant la gare ; le laissant ainsi reprendre sa distribution, rassuré par l’idée que la journée se déroulerait telle qu’il la prévoyait.
Ce n'est que lorsqu'il resta une petite pile d'exemplaires que l’adolescent plia bagage. Comme il lui arrivait parfois de le faire, il attrapa le peu de journaux restant et abandonna non seulement son sac, mais aussi son poste. Ignorant les personnes amenées à se questionner sur son geste, il se mit à traverser la place de la gare jusqu'à rejoindre le centre-ville, pour se rapprocher du commissariat se trouvant à quelques rues de là : imposant bâtiment à l’allure rectangulaire reposant au-dessus de très hauts escaliers de pierre, dans lequel allait et venait un nombre important de visiteurs, rendus là pour des raisons ne regardant qu'eux seuls. Et l'adolescent était de ce même cas, semblable à toutes ces personnes. En bas des marches, alors loin de l'entrée, il retira son bonnet et plongea une main dans l'une des poches de sa veste, de laquelle il sortit un béret beige dont il se coiffa de façon à ce que le vêtement tombe légèrement sur son visage. Ainsi, glissant son bonnet dans une poche autre que celle renfermant ses mitaines, il débuta l'ascension qui le mena jusqu'à l'intérieur de l'édifice, où il put se confondre parmi les adultes se mouvant autour de lui.
À l'accueil, longs comptoirs arrondis derrière lesquels s'alignaient de jeunes secrétaires, il se présenta comme livreur de journaux. On le laissa passer, et il put se déplacer librement dans les locaux, laisser quelques exemplaires de sa gazette sur certains bureaux en prenant tout son temps. À l’affût des conversations intéressantes, il tendit l’oreille, analysa quelques bribes de paroles et ne s’attarda que lorsque sa curiosité se retrouvait attisée, observa les visages et tenta son possible pour les mémoriser.
Faire le tour du commissariat lui prit plus d’une demi-heure. Après quoi, comme toujours, il se retira discrètement, quitta l'office de justice jusqu'à redescendre ses longues marches, en bas desquelles il laissa tomber son béret qu’il glissa dans la poche de sa veste, ganta ses mains et revêtit son bonnet ; puis continua son chemin, s'en alla se fondre parmi la foule de visages attristés arpentant le centre-ville.
Une sombre nuit, pourtant baignée de la douce clarté d’une lune brillante, dont les rais à peine masqués par de fines nuées resplendissaient sur les surfaces vitrées des colossaux gratte-ciel, sans espoir d’atteindre le cœur des rues elles-mêmes illuminées de mille couleurs au moyen d’enseignes fantasques et d’éclairages urbains.
— Il a insulté ta mère de pute, arrache-lui la tête !
Des entrailles du nord de Promel, au sein d’une venelle habituellement déserte du cinquième secteur, s’élevaient clameurs et insultes issues d’un cénacle barbare étreint de deux immenses murs décrépis. Une masse grouillante, de toute taille comme de tout âge, débordante de haine et d’envie de rébellion. D’une même voix, le groupe exhortait sa rage en direction d’un complice, encerclé et forcé au méfait.
Le cœur battant, Hoel se tenait au milieu de la foule, lancé au combat tel un coq des plus nerveux. Un coq n’ayant de ses semblables que les plumes. Accoutré d’un jean déchiré, de chaussures de sport noires et d’un gilet gris porté au-dessus d’un fin pull de cette même couleur, il se fondait parfaitement parmi les délinquants. Voyou, il ne l’était pourtant pas moins que la plupart des personnes l’encerclant. Ce qui l’empêchait de se trouver à sa place en cette situation était d’ordre purement moral. S’il n’avait tenu qu’à lui d’en décider, il ne se serait pas retrouvé en ce lieu, à devoir corriger un chef de gang rival ; quand bien même ce dernier l’aurait mérité. Mais les cris l’imprégnaient d’une bestialité dont il ne pouvait plus se défaire, et pour l’heure tout du moins, laisser libre cours à ses pulsions en devenait grisant comme jamais.
Poussé par la hurlée de ses camarades, Hoel effectua un moulinet à l’aide de la batte qu’enserraient ses mains rougies par le froid, tourna autour de l’adolescent au crâne rasé et au visage marqué de coups désigné comme étant l’adversaire. Les lèvres de ce dernier s’animèrent, crachèrent insultes et insanités tel un chaud poison vivifiant s’échappant de ses poumons en une vapeur colérique ; puis il s’avança, élança son poing en direction du visage de son opposant. Hoel l’intercepta, abattit violemment sa batte sur le bras de l’adolescent avant même d’être touché, et frappa de toutes ses forces derrière sa jambe gauche afin qu’il pose un genou au sol.
Le rassemblement criminel explosa de démence, recracha son contentement en d’innommables cris bestiaux afin d’enivrer leur comparse, qui se retourna vers leur cohorte postée en demi-cercle autour de son combat. Les poings levés en direction du ciel enténébré, il hurla de toute sa rage comme pour se féliciter, et put ainsi jeter un œil sur le fond de la rue sans attiser la curiosité de ses camarades.
La pointe de l’arme décrivit un nouveau moulinet dans l’air. Renâclant bruyamment, Hoel fit remonter une glaire stagnant dans sa gorge, qu’il cracha non loin de sa victime clouée au sol par la douleur se propageant dans son articulation.
Le visage déformé par la crainte, le blessé releva un regard assassin baigné de larmes vers son bourreau. Cependant, Hoel n’en eut cure, et enserra bien fort le manche de sa batte : prêt à frapper, il l’éleva à hauteur de ses épaules. Le regard larmoyant du jeune homme se reflétait dans ses pupilles désormais aveuglées par la rage. Le sang devait couler. Une grimace dégoulinante de véhémence étira ses traits. Hoel élança sa batte vers le pauvre hère, qui tenta d’esquisser un geste ; mais la vitesse du coup fut telle que l’esquive devint impossible. L’arme fondit sur son cou, qui émit un craquement sonore lors du choc de l’aluminium contre l’os et les muscles. Les cris des spectateurs s'intensifièrent, explosèrent. La jeune victime s’effondra sur le sol, face contre l'asphalte, sa nuque formant un angle écœurant.
Hoel, alors sous l'effet de l'adrénaline, abaissa ses bras et lâcha l'objet que tenaient ses doigts picorés par le froid. La batte rebondit en un son métallique noyé par le tumulte de ses compagnons qui se ruèrent aussitôt sur lui. On l’enlaçait, simulait l’écartèlement en le tirant joyeusement en tous sens. Le jeune homme se laissa porter par la vague déferlant ainsi sur lui, prit part à l’allégresse générale afin qu’on le laisse plus vite en paix.
Le sourire aux lèvres, il se dégagea de l'étreinte du groupe, remonta une manche de son gilet gris pour se gratter l'avant-bras droit, et s'approcha du corps ainsi que de l'arme qui avait roulé près de ce dernier. Allongé en une pose peu glorieuse, le malchanceux voyait son sang s'échapper de sa bouche entrouverte et couler lentement sur le bitume, où se formerait peu à peu une flaque auréolant son crâne. Mes excuses, mec… Le feu de départ est tiré.
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