<h1>Noelfic</h1>

Red Light Story


Par : King_Yugo

Genre : Sayks , Polar

Status : Terminée

Note :


Chapitre 16

Le Génie Rasta

Publié le 04/07/11 à 00:24:28 par King_Yugo

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Si je vous décris ces quelques scènes de la vie quotidienne des Amstellodamois c'est pour exprimer le fait que chaque petites parcelles de vies à son importance dans la cité du vice, plus qu'ailleurs où la normalité est à prendre au sens premier du terme. A ce moment, de longues heures me séparaient des échéances et m'encourageaient ainsi à prendre une position d'observateur des mœurs de cette société si iconoclaste dans laquelle, paradoxalement, les gens semblaient plus sereins et plus naturels que nul part ailleurs. Il faut également préciser que j'étais trop démonté pour faire part de mes sentiments, incapable de penser et de m'auto-analyser sans risquer de m'évaporer dans des songes paranoïaques qui m'auraient inévitablement conduit à ma perte. Pour faire bien, disons que je faisais preuve d'un incroyable self-contrôle et d'un sang froid à toute épreuve, même si, vous vous en doutez, ce n'était absolument pas le cas. Il m'est également arrivé de me poser la question suivante : « Et eux, qu'ont-ils pensé de moi ? ». Mais pour être honnête, je pense que personne ne m'a calculé. En fait, je n'étais pas vraiment là-bas. Mon corps, si, mais mon esprit était ailleurs, loin, très loin de la terre ferme.

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Il se passe un moment durant lequel je ne me rappelle de rien mais j'ai un flash : Un vent doux secoue le tapis d'eau sous nos pieds et un addict au crack vient se poser sur le banc à notre gauche. Son corps est secoué de spasmes. Ses joues sont creuses, sa bouche édentée. Dans la main il tient une petite pipette en métal et un briquet. Ses ongles sont rongés et noirs. Il tourne sa tête de droite à gauche, probablement plongé dans un délire sérieux, complétement flippé. On se sent mal à l'aise donc on se casse. Ça n'a l'air de choquer personne d'autre que nous.

Après avoir vagabondé vers la place Rembrandt, on est téléporté dans le Lion of Judah, par le biais de je ne sais quelle force suprême. On est accoudé au comptoir, face à un rasta dealer défoncé qui regarde un film d'action des années 90 avec Harrison Ford et un autre type qui me dit vaguement quelques choses. Ses dreads sont assez fines et régulières. Sans quitter l'écran des yeux, il roule joint sur joint, plane continuellement dans un paradis vert. Sur le tabouret à notre droite, un autre rasta, de petite taille, portant des petites chaussures rouge et un turban assorti. Tee-shirt et jean ample, barbe imposante mais peu fournie. On essaye de faire remarquer notre présence mais aucun d'eux ne s'en aperçoit.

- On est peut-être mort, comme dans le Sixième sens.
- Nan, mec. Ils sont juste perchés. C'est les rastas, les fils de Jah.

Le dealer tourne la tête et sursaute avec une lenteur typiquement rasta et néerlandaise en général. On achète un joint de beuh économique pour le fumer au bar. Dans un effort qui paraît surhumain, le rasta dealer tend son bras et attrape un pétard pré-roulé dans l'un des bocaux disposés sur le comptoir en arrière-plan. Le rasta au turban se met à bouger les épaules et sourit en chantant, il est bien défoncé quand même. Bounty Killa dans les enceintes. L'ambiance est pesante, le dealer à l'air particulièrement énervé. Peut-être à cause notre présence, pauvre touristes que nous sommes. Néanmoins, le rasta au turban engage la conversation, nous demande nos noms, d'où l'on vient, s'il peut tirer une latte sur notre joint. On accepte, il fume et tente de communiquer mais il est trop loin pour nous. Seul un fumeur extrêmement expérimenté peut détecter ce genre de langage. A force de lui demander d'articuler, le dialecte devient plus compréhensible :

- I can show you a place to dance, if you like this kind of music...
Yes, why not.

Il parle avec un accent traînant qui me rappelle celui de la Nouvelle-Orléans, un peu à la Lil' Wayne. J'ai répondu du mieux possible, en hochant les épaule genre détendu. Je ne suis pas assez inconscient pour suivre ce lutin rasta, je suis même à la limite de sombrer dans un gouffre mental mais quelque chose m'y pousse et il est difficile de refuser cette offre. Si on décline, il pourrait nous brûler et se servir de nos cendres comme engrais pour ses plantes magiques. En plus, j'ai déjà vu ça dans un film. Mon acolyte bloque sur le rasta dealer qui bloque lui même sur Harrison Ford : C'est un triple blocage. Personne ne parle, je bouge lentement la tête et les épaules, les yeux mi-clos, je me sens lourd et léger. L'heure qui passe est le cadet de mes soucis, je vois l'affaire Ruxanda comme un violent cauchemar duquel je me serais réveillé récemment, mais ce n'est pas le cas : Les albanais sont réels et ce type avec ces lunettes noires qui se collent des douilles avec un air soucieux ne m'a pas l'air net. Les rastas sont peut-être les alliés notoire des albanais. C'est vrai qu'ils ont l'air cool, comme ça, mais qui sont-ils vraiment ? Je me dis qu'on est loin des clichés mielleux sur les rastas. Ces types ne doivent pas être des bisounours. J'imagine des canons sciés planqués sous le turban rouge du lutin. Lui, au moins, il a l'air inoffensif. Il veut communiquer avec le rasta dealer mais celui-ci l'ignore, ou ne le perçoit pas : il lui fait signe de se taire. Alors le lutin se met à danser en souriant, chantant et agitant les bras. Depuis le bar, je m'aperçois que le jour tire déjà sa révérence et mon portable affiche 12h12, c'est incroyablement non-sensique. Le joint de beuh est assez énorme et de petites étoiles blanches squattent mon champ de vision. J'essaie de m'en débarrasser mais elles ont l'air bien décidé à m'envahir telle une tribu de fourmis rouges en colère.

- Si un jour j'ai une fille, je l'appellerais Adrénaline.
- Quoi ?
- Bah on parlait des prénoms qu'on donnerait à nos enfants si jamais on est assez responsable pour en avoir un jour.
On parlait vraiment de ça ?

Je n'ai aucun souvenir de cette discussion. Elle existe seulement dans sa tête et le rasta dealer roule un énorme joint d'herbe pure. On commande des jus d'ananas, on fume ensemble et l'insupportable superposition de l'espace dont j'avais été victime la dernière fois vient se joindre à la sensation d'une neige épaisse et opaque dans mon cerveau : Je ne vois plus rien. Défoncé, je me lève de mon tabouret. Divers objets sont accrochés sur le mur derrière le comptoir. Une photo d'un roi éthiopien, soit disant Jah, un chapeau de colon, un dessin de Malcolm X, le cadavre desséché d'un poisson exotique qui, d'après le rasta au turban, est un poisson ayant élu domicile dans les eaux chaudes des caraïbes. Au plafond pendouille une bannière « Born Black », décorée par des fils barbelés et les couleurs du drapeau rasta. Je me sens oppressé. Dans l'écran, Harrison Ford semble soucieux, peut-être qu'il s'inquiète du fait que le rasta dealer n'a toujours pas cligné des yeux. L'atmosphère enfumée contribue à mon mal-être, le gars avec ses lunettes qui se coulent des douilles ne me quitte pas des yeux, j'arrive à sentir ses deux fentes vicieuses braqués sur mon corps tremblant aux travers de ses verres opaques. Là, quelque chose me terrifie : Le rasta tourne la tête sans bouger ses épaules et découvre ses dents d'ivoire en un sourire gingival, sans rien dire. Dans le même timing, Harrison Ford braque son flingue en ma direction.

- Viens, on doit se casser d'ici.

Mikael me dévisage et comprend que quelque chose ne tourne pas rond dans mon crâne. J'ai le corps fébrile, des sueurs froides, des coups de chaud, la bouche pâteuse et cette pute albanaise a dresser.

- T'es tout pâle.
- Je suis déglingué.

Rongé de l'intérieur par une inquiétude qui se propage en lui comme des métastases, il écrase le joint et l'insère dans un petit étui violet spécialement destiné à accueillir ce genre de pétard pré-roulé. Inévitablement, Lutin Rasta bondit de son siège et tient vraiment à nous accompagner. Impuissant, on accepte de se faire éclairer par ce type défoncé et la route est interminablement longue. Peu de sujets de conversation me viennent à l'esprit et c'est encore pire pour mon acolyte qui lui n'est plus de ce monde depuis son rasage de crâne. Conscient de n'avoir aucun pouvoir sur mon destin et notre destination, je tente de suivre la démarche rapide du Lutin Rasta, qui gambade presque. De ruelles coupe-gorge en ruelle coupe-gorge, on s'éloigne du centre. Les rues deviennent plus larges, les trottoirs plus spacieux. Le silence nocturne est bouleversé par nos pas, c'est un coin bien moins attractif et certainement plus sain que le Red Light. Notre guide nous fait passer par une place que j'imagine très animée la journée mais qui est vide maintenant, Dommage, ça m'aurait un peu rassuré. Si bien qu'on slalome entre plusieurs voies de tramway. Mon esprit m'encourage à briser la glace ainsi que ce sentiment soupçonneux qui émane de nos personnes. Alors, comme qui dirait, je prends les rastas par les dreads.

- So... You like weed ?
- Oh, yeah, I like it so much.

Ça le mérite d'être clair. Il se met à chanter d'une voix cassée et fatiguée, je suis incapable de comprendre les paroles. C'est peut-être un chant rituel, avant sacrifice humain. Les rastas ont leur part d'ombre, tout comme les témoins de Jeovah ou les scientologues. En pensant aux scientologues je me dis que Tom Cruise est un excellent acteur et je ne sais pas pourquoi il s'est laissé manipulé. Je l'ai adoré dans Minority Report, dans la peau de ce mec qui se retrouve dans la merde sans rien avoir demandé à personne. J'imagine alors qu'il fait ça juste pour le fric, ce qui est normal au final. Mon acolyte ferait pareil à sa place. Moi, je fonderais ma propre secte.

Une ruelle sombre. Au bout de celle-ci, un vague éclairage de fortune, et trois types qui jouent aux cartes autour d'une table en fer, pétards à la bouche Ils doivent être turc, ou un truc dans le genre. On s'approche d'eux, ils nous dévisagent comme si on venait d'une autre planète, ce qui n'est pas faux en soi : Je soupçonne Lutin Rasta d'appartenir à une race galactique totalement différente de la nôtre. Gênés, on se tient à l'écart et, collés épaules contre épaules comme deux frères siamois tandis que le lutin au turban parle avec le plus charismatique des trois, le seul à porter un costume convenable et une cravate propre assortie, le sosie basané de Marlon Brando dans Le Parrain. Il n'a pas l'air content de nous voir, le genre de mec pas en odeur de sainteté. Je rage : la barrière du langage m'empêche de bien saisir toute la conversation. Mais celle du regard est mince et je vois couler dans l'eau de ses yeux une folie latente, ou simplement une façon différente de voir les choses. On ne doit pas avoir exactement les même préoccupations. Ce mec doit blanchir du fric dans les kebab les plus dégueulasses de la ville. Lutin Rasta revient vers nous. Ses yeux ont perdu l'éclat qui faisait de lui un familier du génie dans Aladdin. Il nous fait comprendre par l'intermédiaire de gestes étranges qu'on ne peut pas rentrer.

- Merde, je pensais qu'il allait nous emmener dans une soirée sur une plage avec des rastas géants et des choubangs énervés... trop déçu...

Pareil pour moi. Un intense sentiment de compassion jaillit de mon âme et je considère Mikael avec amour. Dire qu'on a fait tout ce chemin pour rien. Mes jambes sont lourdes comme deux poutres à viandes et je n'ai aucune idée de l'endroit ou l'on se trouve.

- Can you give me money ?
- Nigga what ?
- Some money. For Jah.
We haven't got money.
So you maybe got weed ?

Mon acolyte craque et lui envoie la fin de sa White Russian. On s'est fait gratter par ce foutu lutin rasta, il ne nous a rien apporté, il nous a fait perdre du temps. Le fait de s'être fait carotter de la sorte génère chez lui une sorte de rage joyeuse qui le pousse à défoncer tous les rétros dans la rue. La route du retour est longue, très longue, nous sommes assoiffés et à bout de force. A force de péter des rétros, Mikael se blesse et boîte maladroitement pendant tous le trajet. Pour le soulager, on fait trois pauses, roulant un pétard à chacune. On entreprend de finir la Jamaica, qui est décidément trop brune pour que nous ayons confiance en ses vertus.

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