Espoirs Crépusculaires
Par : Droran
Genre : Polar , Horreur
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 28
Publié le 19/12/15 à 00:50:49 par Droran
Si seulement, souhaita l'enquêteur en détournant ses pas de ceux de Joris Taulth, qui s'aventura à l'intérieur du commissariat.
La brise nocturne sembla le porter jusqu'à la voiture demeurant à l'arrêt, aux côtés de laquelle il se figea. Dorénavant seul, la nuit lui parut plus lugubre qu'antérieurement. Au loin résonnait toujours le raffut des moteurs, des pneus frottant l'asphalte. Entre les arbres, un chat miaula. Il frissonna, transi par le froid. La fatigue et la faim le tourmentaient. Mieux valait enfin rentrer.
Le claquement de sa portière l'isola du reste du monde. Partiellement, dans un premier temps. Il glissa une clef sur le contact, l'enclencha afin de laisser chauffer le moteur. Les faisceaux des phares se dessinèrent sur les arbres délimitant le périmètre de stationnement.
Son regard patrouilla le long des plaques d'immatriculation vissées sur l'arrière des voitures de fonction fleurissant aux alentours, et s'arrêta sur la façade du bâtiment de police. Par-delà la porte d'entrée lui apparaissaient des individus recevant un par un les quelques civils restés à l'accueil dans l'espoir probable de faire une déposition. Tout, ici, lui rappelait un lointain semblant de vie. Une routine qu'il menait avant un improbable incident dont il se surprenait parfois à penser qu'il ne soit un mauvais rêve fabriqué de toute pièce par son esprit.
Je n'aurais peut-être pas dû envoyer paître la psychologue qui m'était assignée, Se repentit-il en posant l'une de ses mains le volant. Elle aurait certainement su me faire croire que replonger corps et âme dans le travail m'aiderait à surmonter mes tourments...
D'un geste, il coupa les phares lui permettant de discerner le dehors. Dès lors, il s'immobilisa sous la clarté émanant de la diode illuminant l'intérieur du refuge, porta une vision nébuleuse sur son propre reflet s'imprimant sur le pare-brise : une image chagrinante incarnée dans la surface vitrée. La pâleur de sa peau, la saillance de ses traits, lui arrachèrent d’intenses sentiments de honte et de regret. En proie à la douleur, l’éveil de ses sens se vit trahir par d’imperceptibles brillements dans ses pupilles, de brèves coruscations ponctuant chacune de ses pensées, rendant son regard tour à tour détaché et enjôleur. Et quels tourments ? En vînt-il à se questionner. Vidé de toute substance, ou plutôt de raison, je ne ressens rien sinon un cruel manque d’empathie envers moi-même. Entre quatre murs je me refusais à le penser, mais peut-être ma condition n’a-t-elle jamais changée. Peut-être suis-je spectateur de ma propre vie depuis plusieurs années, et non une poignée de semaines. Peut-être n’ai-je pas fini de m’extirper du piège dans lequel on me retenait.
Quelque part, les courts échanges en compagnie de ses collègues l’inspiraient. Tôt ou tard, il lui faudrait se ressaisir. Pour cela il supputa les moyens à fournir pour y parvenir.
Plus que tout, un bon repas. Vu mon état, même en feignant la mort, vautours et corbeaux débecteraient la simple envie de goûter à ma chair. L’exécrable mine que j’arbore, et dont je suis seul juge en cette seconde, à elle seule, servirait d’avifuge pour tout charognard de la sorte, fut-il des plus affamés. Mais en un sens, ne suis-je pas bien ainsi, à me complaire dans l’apathie ? Peut-être que non. Pourtant je ne l’éprouve pas ainsi…
Ses pensées se scindaient en deux camps : le pour s’opposait au contre, le bon se heurtait au mauvais. Ce tiraillement l’abreuvait d’une brûlante colère mêlée de ses inquiétudes et de son inhabituelle agitation. Des maux dont il devait se soustraire à tout prix. Coupant court à toute sentence, il porta son regard vers l'entrée du commissariat, dont les battants s'écartaient en laissant s'exfiltrer une poignée d'hommes en uniformes. Joris, Valmeiser, Sven, et deux autres personnes. Le groupe d'hommes entraînés décidés à mettre un terme à l'affaire qui les préoccupait. Tous grimpèrent à bord d'un véhicule banalisé, sans même se rendre compte que l'enquêteur se trouvait encore dans le parking.
Bonne chance, leur souhaita Holden en les voyant disparaître par delà les limites du lieu de stationnement. Imitant l'initiative, il raviva les balises extérieures, et invectiva le moteur n’attendant qu’à faire jaillir les chevaux qu’il renfermait. L'automobile amorça le mouvement, progressa à allure modérée dans un détour la menant immanquablement jusqu'à la sortie du parking.
Cap sur l'ouest, pour but de rejoindre le secteur treize l'ayant vu passer lors de son aller. Laissant l'endroit derrière lui, Daniel se purgea de tout souvenir en rapport aux événements antérieurs à sa montée dans l'habitacle.
Cher logis, me voici. Le cœur battant à tout rompre, pulsant en cadence, suivant le tempo découlant du flot de mes mornes pensées. Entends-tu ? Le remous des entrailles s’agitant, bouillonnantes, gorgées de sang. Les veines se gonflant, striant mes membres de leur chaude couleur turquoise. Mes doigts enserrant le cuir cerclant le volant, organe de commande reliant mes gestes aux roues directrices du véhicule. La ronronnante machinerie ingurgitant goulûment litre sur litre d’un breuvage vivifiant. Ressens-tu ? L’âpre colère, oppressante aigreur résultant de l’écoeurante instabilité qu’exhalent mes ressentis après cette longue soirée… Un mal poisseux galvanisant, dont je devrais me préserver. Mais même feindre une conversation ne suffit à y remédier.
Il forçait sur ses yeux, portait par moment ses doigts à ses paupières pour les masser vigoureusement. Le véhicule roulait droit vers la frontière du secteur, le long d’une route à deux voies occasionnellement bordée d’abribus désertés, arborant sur leurs côtés de grandes affiches publicitaires lumineuses, sensuelles et explicitement sexuelles, mentionnant parfums, mode, ou produits cosmétiques. Le peu de temps que s’attardait sur elles son regard suffisait à imprimer, au moins inconsciemment, ce qu’il y percevait. Néanmoins comme chacun, et toujours depuis ses plus jeunes années. La chose n’en venait pas à le déranger.
Les trottoirs se montraient autrement moins animés. Séances de cinéma, ballets et cabarets s'étaient depuis longtemps clôturés. La plupart des bars fermaient dorénavant leurs stores. Des acteurs nocturnes ne restaient en vérité qu'une poignée de fêtards rentrant chez eux, certains loubards, et quelques prostituées. Un manque d'animation flagrant, dont la morosité le calmait. La fatigue également. S'étouffaient peu à peu les ardeurs de ses réflexions, mise en laisse par le peu d'intérêt porté à ce qu'il traversait.
Un grésillement résonnant depuis l'arrière du volant l'éveilla soudainement. Le talkie-walkie utilisé par Joris durant l'altercation y demeurait encore sans que l'enquêteur n'y ait porté attention.
« Ici le central. À toutes les unités en présence dans le secteur huit, fusillade signalée dans un bar de l'avenue de buis. Lieu à haute probabilité dangereuse, l'endroit est de notoriété mafieuse. Soyez donc prudents. Terminé. »
Les paroles résonnèrent dans l'habitacle, parvinrent aux oreilles de l'enquêteur qui, surprit, mit un temps à les remettre en ordre dans son esprit. L'avenue de buis, dans ce secteur ? L'allure de son véhicule ne s’amenuisa pas. La mafia ? L'éclairage tombant des candélabres urbains inondait la carrosserie, laissant s'y refléter les immeubles et décors alentours. Bancs, panneaux publicitaires ou de signalisation, abribus désertés. Ruffus Le Givré. La mécanique continua sa course le long des habitations, toujours plus proche du bout de la rue traversée. Un halo vert inonda le pare-brise, glissa sur les timides courbes de la citadine s’apprêtant à dépasser les lignes blanches délimitant la zone d'arrêt. Daniel décéléra, inclina quelque peu le volant. Dans quoi Valmeiser s'est fourré...
Un son assourdissant le happa hors de ses réflexions. Son regard relâcha la rue qu'il rejoignait, se projeta à travers la vitre encastrée dans la portière longeant son flanc. Équipé de sirènes hurlantes, un bolide en approche filait à toute berzingue. Une embarcation d'âmes démentes qui grilla le feu de signalisation dictant de laisser passer son véhicule engagé. Un spectre d'acier apparu à ses yeux en une rapide forme floue. Sa poitrine se souleva d'un bond, martelée par un pic cardiaque inattendu. Un soubresaut qui lui fit perdre tout contrôle moteur. Les muscles de sa jambe droite se crispèrent, commandant à son pied d'écraser la mécanique reliée à la machinerie motrice. Fort heureusement, la pédale de frein. Déployant sa gorge pour cracher d'inintelligibles borborygmes étranglés, Holden braqua subitement la direction, dévia sa trajectoire en frappant de ses avant-bras le cuir rêche ornant le volant. La voiture fit une embardée. Les pneus crissèrent, écorchèrent leur gomme en décrivant un arc de cercle au centre du croisement traversé. S'élevèrent dans son sillage de fins volutes de fumée que dissipa l'automobile lancée à folle allure à travers le carrefour.
Fermement cramponné au volant, Daniel attendit que la carcasse de son véhicule cesse de se déplacer. Immobilisé, il déglutit, inspira fortement. Sa salive s'engagea dans la mauvaise trachée. Merde, ne parvint-il à articuler entre deux soudaines invectives criées par ses organes respiratoires. Penché sur le volant, il hoqueta, se laissa aller à de courtes expectorations étouffées. Les à-coups portés contre sa poitrine le firent tressauter, ses lèvres ne surent retenir quelques postillons qui vinrent se coller au cuir se présentant face à lui. Sa main gauche se referma fermement autour des bords du volant, tandis que la droite descendit maladroitement se poser sur le levier de vitesse.
—Sales... (Holden se tordit en deux, toussa de tout son soûl pour expulser les corps étrangers) Connards, laissa-t-il échapper avec difficulté.
Ils vont chez le mafieux, se dit-il en enclenchant la première vitesse, tout en faisant aller l’embrayage et l'accélération. Visage relevé vers la rue où le véhicule fugitif progressait encore, il redémarra promptement, roula à sa suite sans même réfléchir au pourquoi de son acte insensé. Regard fixé au loin, accroché à la plaque d'immatriculation fixée au-dessus du pare-chocs arrière de la voiture de police, il fila à toute allure pour ne pas se faire semer. Les immeubles se mirent à défiler en de rapides images floues à travers les vitres latérales, au rythme des kilomètres-heure dépassés.
Un feu de signalisation, annonce d'une intersection, s'interposa à la fuite du véhicule policier. Eut-il put la stopper ? En aucun cas. Les officiers aux commandes du bolide grillèrent toute priorité. À sa suite, Daniel suivit l'exemple, pied au plancher ; ses pensées balayées par les éclairs rouges et bleus dépeignant de vagues reflets colorés sur son pare-brise.
Se dessinaient sous les contours de quelques fenêtres illuminées certaines âmes attirées par la hurlée des gyrophares. Un dispositif sonore crachant un puissant son s'élevant dans les airs et résonnant jusqu'aux artères voisines, à travers lesquelles fut contraint de rouler Daniel, à la suite du véhicule décidé à filer sans plus s'arrêter.
L'autoradio encastrée dans le tableau de bord arborait une cadrant digital sur lequel s'affichait l'heure avancée. Les deux premières heures de la matinée étaient passées, se consommaient déjà de moitié. Une nouvelle journée commençait, les routes se montraient bien peu fréquentées. Daniel s'en rendit bien vite compte sur le chemin le ramenant au cœur du secteur, où les enseignes de bars et de cabarets irradièrent sur la carrosserie de son véloce carrosse.
À travers les rues illuminées, le véhicule de police se mit à ralentir. Issues du lointain, se mêlaient à leurs sirènes celles de leurs collègues certainement arrivés avant eux sur le lieu du crime. Bien que partiellement préservé du brouhaha extérieur, Daniel ne manqua pas de s'en rendre compte. Il tourna à une intersection, à la suite de l'éclaireur, amorça un arrêt dès que ses conducteurs écrasèrent leur pédale de frein. Les officiers se stoppèrent au beau milieu de la chaussée. Lui, longea un trottoir et figea son véhicule le long d'un caniveau.
Depuis sa place assise, ses yeux se plissèrent. Les reflets de bleu et de rouge se démultipliaient, s'inscrivaient dans son pare-brise, imprégnaient la buée résultant du choc thermique ressenti entre la chaleur de l'habitacle et la basse température extérieure. Se dessinait à travers le verre des figures incertaines, formes et silhouettes floues dont certaines se mouvaient de part et d'autre de son champ visuel.
Le moteur ronronnait encore. Holden coupa le contact, garda ses mains sur le volant. Mais qu'est-ce qu'ils font.... Il étendit un bras, tenta de chasser la condensation en étalant sa paume contre la vitre. Difficile d'y voir clair, et s'évertuer à essuyer la surface de verre se montra être aussi vain qu'impossible. Par-delà son miroir de brume se jouait au-dehors une scène s'apparentant à un chaos. Un désordre auquel mieux valait pour lui ne pas se mêler sans savoir ce qui l'y attendait, sous peine de le voir se changer en incohésion de malheur.
03/02/16 à 18:43:16
Sweet ? :3
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