<h1>Noelfic</h1>

Espoirs Crépusculaires


Par : Droran

Genre : Polar , Horreur

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 29

Publié le 01/06/16 à 02:29:02 par Droran

Par-delà son miroir de brume se jouait au-dehors une scène s'apparentant à un chaos. Un désordre auquel mieux valait pour lui ne pas se mêler sans savoir ce qui l'y attendait, sous peine de le voir se changer en incohésion de malheur.
À nouveau, des poupées avec qui l’on ne veut plus jouer. Les extrémités de ses doigts jouèrent différentes notes, tapotant de leurs ongles le revêtement rugueux cerclant la direction.
Sa lèvre supérieure tressauta. Un tic nerveux échappant à son attention, trahissant la colère montante depuis son départ du commissariat. Au-dehors s’activaient les âmes perturbées par un évènement dont il ignorait chaque détail. Le sentiment d’être pris en otage au cœur de faits louches impossibles à mettre en lumière l’irritait sans qu’il ne puisse se soustraire à toute mauvaise pensée.
Je l’ai bien cherché, impossible d’en rester là, se dit-il en retirant les clefs encore enfoncées sur le contact. L’une de ses mains se déplaça sur le levier installé sur son flanc. Retournons goûter au froid.
La portière s’écarta, déchirant d’un intervalle vers son intérieur le côté gauche de l'embarcation métallique. Ressurgit alors la température proche du zéro, qui transperça Daniel tel un spectre survenu pour voler son âme. Un puissant frisson l’ébroua, le força à boutonner sa veste. La froideur n'en finissait pas de s’intensifier depuis le début de soirée, et son corps ne s'en accommodait qu’à grande peine. Dents serrées, il étendit un pied hors de l’habitacle, égratigna de sa semelle gauche le goudron rêche s’épandant sur la chaussée.
Une fulguration lumineuse brilla non loin parmi les vagues de couleurs, se répéta bien vite. L’enquêteur détourna un peu la tête, s’extirpa du cockpit, jeta un oeil au-delà des voitures de police stoppées en travers de la route.
Entouré d’une foule de visages s’agglutinant par pure curiosité, un agent en uniforme communiquait avec l’un de ses collègues par le biais d’une lampe épinglée à sa poitrine. À hauteur de bras, son ongle frottait le commutateur cranté ressortant de la tranche du dispositif lumineux. Son regard et ses traits empreints d’une torpeur naissante fixaient avec éloquence l’interpellé, vers qui filaient d’agressifs flashs transmettant en langage codé quelques consignes à appliquer.
Ils vont boucler le secteur, constata l’enquêteur, témoin des activités d’une poignée d’hommes et de femmes en uniforme foulant de leurs lourdes chaussures le bitume froid, s’affairant laborieusement à contenir la trentaine de noctambules décidés à ne pas reculer. Rassemblement d’êtres oisifs, attirés en cette heure par une raison qu’ils ne sauraient eux-mêmes signifier, tels de candides hétérocères attirés vers une chaude lumière sans craindre de consumer leur vie. Pas de plaque sur moi, je ne passerai qu’au culot.
Derrière la ligne d’officiers s’activait promptement l’homme mandaté par l’invective codée. Marchant à reculons, une bobine déroulant de longues bandes jaunes plastifiées entre les mains d’un complice concerné par la manœuvre ; étirant tous deux, tant bien que mal, les banderoles d’un côté et de l’autre d’une portion de la rue. Une barrière de fortune sur le point d’être édifiée en vue de restreindre l’accès d’un lieu sensible, zone que les badauds ne devaient en aucun cas approcher.
D’un geste du bras, Daniel fit claquer la portière de son embarcation, se mit aussitôt en marche. Les couleurs émises par les gyrophares des voitures, réverbérées par l’asphalte brillant, se reflétèrent sous ses semelles. Sur lui pareillement. Tantôt baigné de rouge, tantôt noyé de bleu, il enfouie ses deux mains bien au fond de ses poches et traversa la petite portion de route le séparant des personnes en présence.
Au-devant, l’un des agents empoigna le col d’un civil se montrant trop collant, le repoussa sauvagement en arrière. D’autres officiers firent barrage pour dissuader quelques âmes en présence d’outrepasser leurs droits. Le chaos dépeint par la scène laissait parfaitement entendre ce qu’elle recelait réellement : transparaissait au travers de ces représentants de l’ordre, ici désordonnés et livrés à eux-mêmes, la récence et l’improbabilité d’une scène de crime. Une rivière de délit, limpide, d’une malfaisante pureté s’écoulant lentement parmi les cailloux dont était formé le lit de la justice.
La Liquidation, parvint à lire Holden sur l’enseigne d’un bâtiment, objet de toute l’attention des rôdeurs salivant d’appétence morbide. Encore un nom très inspiré… pensa-t-il en bousculant quelques têtes pour se frayer un chemin parmi l’agglomérat de citadins.
Face à l’immeuble, il se déporta vers la droite du rassemblement, s’approcha d’une banderole jaune tendue entre deux piquets plantés dans de lourds sabots. Seule portion de la zone où les agents chargés de la sécurité semblaient trop occupés pour le remarquer.
Amorçant un élan, il sortit les mains de ses poches, s’accroupit un instant sous l’épais plastique de couleur, le dépassa, et continua à filer vers le bâtiment sans calculer la moindre personne en présence.
—Et lui, alors ?! Pourquoi il a le droit de passer ? Vous êtes décidés à nous casser les couilles, alors faites au moins correctement votre boulot ! Cria l’un des réprimés derrière son dos.
Mais ferme-la, mords-toi la langue… Holden continua, feinta de ne rien entendre, s’avança toujours plus près du bâtiment ; espérant en atteindre l’entrée sans être importuné.
—Eh, vous, la veste en jeans ! Arrêtez-vous ! L’apostropha une voix féminine non loin de lui.
C’est pas vrai... Ravala-t-il, un brin rageur, en obéissant à l’injonction. Ses jambes cessèrent de se mouvoir. Il soupira, fit volte-face ; et fut contraint de cligner des yeux. Brillait droit sur son visage le faisceau giratoire d’un gyrophare de police.
—Quelque chose ne va pas, officier ? Pourquoi cet aboiement ? Demanda-t-il, s’efforçant de paraître le plus sec possible, en levant un bras face à son museau pour tenter d’endiguer l’éblouissement.
Deux mètres au-devant se découpait dans les vagues colorées la silhouette de la policière l’ayant interpellé. Anomalie circonscrite de contours indéfinis, au faciès voilé d’une ombre naissante des puissantes projections lumineuses exposées dans son dos.
Une grimace de gêne distordit les lèvres de Daniel. Incapable de distinguer les traits de cette figure nimbée d’azure et de vermeil, il pencha légèrement la tête. Ses doigts levés à hauteur de son nez remuèrent l’air, se déplièrent, se replièrent en un poing empli de frustration.
—Je vous ai vu passer sous le ruban, lui fit savoir l’occultée. Ce périmètre est interdit d’accès, où croyez-vous aller ?
Dérouté par l’absence de repères visuels, Holden abaissa le regard. Son attention descendit le long du mirage obombré, entraînée sur les rails d’un train fantôme ayant pour terminus le lieu nommé Réalité. Détachées de l’infernale rotation chromatique, embarquées dans un wagon filant à travers les quelques plis d’un pantalon épousant à merveille deux solides jambes athlétiques, ses pupilles purent à nouveau distinguer détails et matières tangibles.
—À tout hasard, vers ce grand bâtiment ? Répondit l’intrus en levant son second bras, poing fermé et pouce tendu vers l’arrière. On m’attend à l’intérieur. Et si besoin de le préciser, mon nom est Holden, je suis enquêteur.
Accrochait à sa vue les lourdes rangers de son interpellatrice. Ouvrages entièrement unis de cuir, aux fines coutures témoignant d’une certaine qualité de conception. De solides protections remontant jusqu’au bas de ses mollets.
—Faites-moi voir votre plaque, insista-t-elle tout de même.
Cet homme, enquêteur ? À ses yeux, rien n’était moins sûr. L’apparence de l’intrus ne lui inspirait aucune confiance, et ses doutes se trahissaient en de perceptibles intonations suintantes d’illégitimité. Il ne cherchait qu’à la baratiner, et elle ne se laisserait pas avoir si facilement.
Le meurtrier revient toujours sur les lieux du crime, aurait juré comprendre Holden à la simple écoute du timbre de sa voix. L’image que laissait paraître tout enquêteur était celle d’un véritable professionnel, distingué et fringué d’un beau costume. Or, ce rôdeur habillé en civil lui paraissait bien misérable. Fébrile, légèrement courbé sur lui-même, bras levé au-devant d’un visage blafard aux lèvres violacées et gercées, étirées en une grimace se fondant dans une barbe négligée trop peu fournie pour cacher ses joues creusées. Un fagot près à basculer sous les poussées de houles luminescentes. Noyé tour à tour par des tonalités ardentes, puis célestes. Immobile, se détachant d’un arrière-plan composé de quatre marches longées d’une rambarde métallique s’élevant jusqu’à la porte d’entrée vitrifiée d’un bar, surplombée d’une enseigne baignant d’un halo rougeâtre le perron de l’établissement.
—Malheureusement, face à l’urgence de la situation, j’ai dû la laisser chez moi pour me rendre ici au plus vite.
Pieux mensonge s’éloignant très peu de la réalité, bien plus facile à avaler que la stricte vérité.
—Comme c’est étonnant… Ironisa la gardienne.
—Soyez mignonne, gardez pour vous ce genre de commentaire. (Daniel abaissa ses bras, étendit une main vers la destination à atteindre.) Accompagnez-moi à l’intérieur, vous verrez qu’on m’y attend.
—Pas la peine. Les enquêteurs, je les reconnais à des kilomètres.
—Permettez-moi d’en douter, mademoiselle la profileuse. On grelote de froid, je parie qu’il fait meilleur à l’intérieur.
—Probablement, mais vous n’irez pas.
Holden grimaça de plus belle. Comble de l’humiliation, ces paroles ne laissaient planer aucun doute. Elle décidait de ne pas le laisser filer, et ne le lâcherait plus avant un bon moment.
—Gardez vos mains bien en évidence, tournez-vous lentement, ordonna la policière. Je vais vous fouiller.
—Ne faites ri…
En retrait, un tintement détourna l’attention de Daniel, le poussa à ne pas terminer sa phrase. Il pivota sur lui-même, projeta son regard loin derrière lui. La porte d’entrée du bar basculait pour se refermer, tandis qu’une masse se jetait contre la rambarde placée en devanture. Un agent de police en uniforme, aux mains fermement resserrées autour d’un barreau métallique, tentant de se pencher au plus loin vers l’extérieur. Trop impliqué par ses actes pour se soucier de quiconque. Pris d’une étrange frénésie, convulsant, secoué par de puissantes et incontrôlables crispations abdominales.
La policière délaissa son captif pendant quelques instants. L’irruption de son collègue la prenait au dépourvu. Plié en deux par-dessus son reposoir, le nouvel arrivant ouvrit grand ses lèvres, fit découler du fond de son estomac un mêlement de bile et de repas. Récrément fétide aspiré par la gravité. Masse informe dégorgée, frappant de force le sol en une expansion monstrueuse s’épandant telle une jonchée organique, submergeant la moindre aspérité du goudron sur un mètre de diamètre.
Holden ne manqua rien de tout cela. Mieux encore, il s’en amusa. L’œuvre d’art gorgeant le sol à quelques foulées de lui était une sacrée prouesse dont son auteur semblait avoir du mal à se remettre. Ses babines imprégnées d’afflux gastriques découlés en un fil vacillant dans le vide, ce dernier demeurait inerte, le regard fixé sur son ouvrage.
—Il n’y avait pas de toilettes à l’intérieur ? Questionna-t-il l’artiste, en haussant la voix pour se faire entendre.
L’homme en uniforme releva la tête. Sa salive étirée vers le bas ne se détacha pas, colla à son menton. Pourtant, il étira ses lèvres en un sourire partiellement amusé et plus que tout surpris.
—Alors comme ça, vous êtes venus ? Constata le souffreteux, s’exprimant d’une irréprimable voix éraillée. Pourquoi ?
Ces quelques mots lui arrachèrent une toux sèche qu’il ne put contrôler. Restaient collés aux parois internes de sa gorge quelques résidus dont il se débarrassa avec peine ; chaque expectoration, puis avalement, semblant lui écorcher le gosier. Une suite d’actes douloureux qui avivèrent son visage blafard d’une soudaine teinte cramoisie ; embuant d’un même temps ses yeux en partie masqués par des mèches de cheveux étant retombées durant sa nausée. Pourtant dépenaillé, Daniel parvint sans mal à reconnaitre en ce malchanceux les traits du jeune représentant de la loi ayant croisé son chemin plus tôt dans la soirée. Il attendit que cessent les tressauts du malheureux avant de répondre à sa question.
—Le hasard fait mal les choses, se défendit l’enquêteur en haussant les épaules. À vous voir dans un tel état, Sven, j’ai l’impression de commettre une grave erreur.
—Pourtant je me porte comme un charme, mentit l’officier en passant une manche sur son menton.
—Et qu’est-ce que ce petit accident ?
—Le métier qui rentre, simplement.
—Vous faisiez face à une scène de crime pour la toute première fois ? Votre cœur n’a pas tenu ?
—Non, pas exactement. J’ai déjà vu de drôles de scènes… Mais, là, en toute honnêteté… Entrez-donc, vous comprendrez.
Eh bien, c’est rassurant… Ironisa Daniel, pleinement conscient de la possible gravité des évènements. Et que pense la jeune femme de tout cela ? Restait braquée sur son dos la vue de la personne ayant manqué de l’arrêter. Valait-il mieux la rembarrer, l’enfoncer pour bien souligner son erreur, que la honte se charge de consumer sa conscience ? Ou simplement l’ignorer ? Indécis, l’enquêteur se contenta d’avancer vers Sven, alors accoudé à la rambarde, face au bâtiment. Ses pas contournèrent la flaque nauséabonde, s’engagèrent sur les marches du petit escalier, se stoppèrent face à la porte d’entrée. Parvenaient d’au-delà des murs quelques voix étouffées, laissant penser qu’on s’activait tant à l’intérieur que dans la rue.
Baigné d’un profond éclat rutilant, il éleva son regard vers les néons composant l’enseigne de l’établissement. De belles boucles et formes courbes formaient la sulfureuse désignation du lieu de perdition. La Liquidation, relut Holden, sentant alors bouillonner son sang. Une envoûtante petite diablesse se servait de la plus ronde des lettres comme reposoir, arborait un revolver encore fumant à la main. Et voilà que des gens s’y font liquider… En finit-il avant de passer l’entrée.
Ses paumes repoussèrent la porte du tripot, large et vitrifiée. Sitôt, une agréable atmosphère exhalée lui souffla au visage, réchauffa son épiderme. Du moins quelque peu. Si l’intérieur était chauffé, un courant persistant tiédissait la douillette ambiance du macabre bistrot.
Le lieu n’aurait pu être plus vivant en journée que lors de cette heure avancée. Sous les lourdes chaleurs projetées par de vieilles ampoules fatiguées s’activaient autant d’hommes qu’il avait dû y avoir de clients lors de la soirée. Autour du long bar de marbre, ou encore des petites tables de bois rondes entourées de chaises rustiques, les agents de police circulaient, formaient des groupes discutant alors avec les rescapés.
Perdu dans la contemplation, le nouvel arrivant sursauta. Une main se posa sur son épaule sans qu’il n’ait pu en prévoir l’irruption.
—Danieeeeel, que fais-tu là ? Lui demanda un ami barbu tout en le guidant vers le comptoir. Allez viens, tout est sous contrôle, pose-toi deux minutes.
Se prêtant au jeu et souhaitant s’acclimater de la douceur ambiante, l’obligé s’approcha de la longue surface exempte d’employés. Joris Taulth tira un tabouret, sur lequel prit place son invité. Sven, entré à son tour, se joignit à eux. Encore patraque, il se pencha en avant et s’accouda contre le marbre, à droite de l’enquêteur. Ses mains glissèrent parmi ses cheveux désordonnés pour les plaquer à nouveau en arrière de son crâne.
—Qu’est-ce qu’il se passe ici ? Demanda Holden à l’adresse de Joris, alors en train de s’asseoir sur son côté gauche.
—On occupe notre nuit, il faut croire. Et elle risque d’être longue. Très longue.
—Une veillée qui trouve son explication dans ce qui a poussé notre jeune collègue à rendre ses tripes ?
Joris laissa échapper un rire franc, étendit un bras devant Daniel pour aller taper l’épaule de Sven.
—C’est de sa faute, il a tenu à inspecter la salle du fond alors que Valmeiser tentait de l’en dissuader. Mais dis-moi l’ami, tu dois avoir un peu soif après tout ce chemin pour te ramener ici. Tenté par une bière, ou un petit cocktail ? Demande ce que tu veux au barman devant toi.
—À qui ?
Intrigué, Daniel se pencha par-dessus le comptoir pour observer ce qui se jouait de son autre côté. Sur le parquet était agenouillé un agent vidant les frigos et déplaçant quelques bouteilles, certainement lancé à la recherche d’éventuels produits illicites ou autres éléments suspects.
—Il y a eu un meurtre dans ces frigos ? Lança Holden à son adresse.
Sans daigner se relever, soda en main, l’homme s’amusa de la pique prononcée par l’enquêteur.
—Je cherche de quoi faire fermer l’établissement. Une boisson périmée, à votre avis, ce sera suffisant ?
Son visage était si banal que Daniel pensa l'avoir déjà croisé de nombreuses fois. En revanche, son teint était si vif qu’il n’était pas absurde de penser qu’il ait pu s’enfiler quelques décilitres d’alcool fort. Peut-être sa tête lui tournait-elle, d'ailleurs, ce qui expliquerait qu’il se soit retrouvé assis à trier des boissons.
—Ajoute discrètement de la coke dans deux ou trois bouteilles, ils ne devraient pas s’en remettre, conseilla Joris avec un grand sourire.
L’enquêteur émit un rire inaudible. Ils en seraient capables.
—Parlant de cela, combien de kilos de drogue et combien de flingues vous avez su trouver dans ce bouge entre votre entrée et mon arrivée ? Questionna-t-il les hommes en présence.
—À vrai dire, on ne s’est pas pris la tête à tout fouiller pour le moment. La plupart des collègues sont arrivés à peine quelques minutes avant vous, on en est encore à prendre les dépositions des témoins, lui appris Sven.
—Mais tu fais bien d’en parler, ce n’est pas con du tout, fit remarquer Joris. Vous savez quoi ? (Il marqua deux courtes secondes de pause, attendant une réponse qui ne se fit pas entendre.) On va faire un jeu : donnez à tour de rôle l’emplacement d’une possible cache de flingues ! Le premier qui tombera juste aura droit à un verre offert par la maison... À condition qu’il y ait vraiment des calibres, bien sûr.
—C’est un bar de mafieux, bien sûr qu’il y en a, badina Holden en arborant un sourire moqueur. Et pas besoin de chercher loin, à tous les coups.
—Alors vas-y, ne te gêne pas, apprends-nous le métier.
En bon professionnel, le joueur se lança dans une analyse minutieuse de l’environnement. De grandes étagères accolées grimpaient le long des murs, hautes à en frôler le plafond. Du bois cabossé et rayé sur lequel des dizaines de verres s’entassaient en lignes strictes, comme autant de soldats au garde-à-vous attendant d’être appelés au combat. Etaient disposés de part et d’autre de celles-ci deux placards vieillots délicatement ouvragés. L’un à gauche, l’autre à droite. Larges, ces derniers devaient être pleins à craquer.
Là, il doit y avoir des flingues. Surement en double-fond. Mais je vais devoir me lever pour le prouver. Plutôt, il fit glisser son regard le long d’une surface métallique longeant l’arrière du comptoir. Table de travail supportant divers appareils et ustensiles, dont une caisse enregistreuse sur laquelle se fixa toute son attention. Là où il y a des billets, il y a de quoi les défendre.
—Jetez un œil à la tirelire, leur souffla l’enquêteur en affichant un sourire vainqueur.
—J’aurais dit la même chose, appuya Sven.
L’officier posté derrière le bar se releva, s’avança vers la machine. Une clef demeurait plantée dans la serrure du tiroir renfermant les espèces. Il la fit tourner, et le compartiment s’ouvrit de lui-même. S’entassaient à l’intérieur quelques billets de couleur dont il s’empara en vue de les compter.
—Perdu, annonça-t-il à l’enquêteur tout en débutant ses calculs.
Holden ne fut pourtant pas de cet avis. Sûr de lui, il leva une main, la fit pivoter en un geste vif. L’officier comprit alors la manœuvre à imiter.
—Oh, je vois.
L’homme glissa une main entre les pieds de la machine reposant sur l’inox, la retourna sans craindre de la briser. En un bruit assourdissant, elle s’étala sur l’un de ses côtés, révélant ainsi un court revolver fixé au ruban adhésif entre les quatre supports, contre sa partie cachée.
—Joli, j’en reste coi ! S’exclama Joris en guise de félicitations pour son camarade.
—De sacrés fils de putes, quand même. Un tir de ce joujou ferait plus qu’un simple trou dans une tête, leur fit part de son analyse Sven.
—Je ne vous le fait pas dire, se contenta d’ajouter l’improvisé barman en étalant cinq billets devant Holden, avant de glisser les autres dans sa propre poche. La récompense est bien méritée.
D’un geste, le collègue attrapa un verre à shot, le fit claquer sur le marbre.
—Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
Surtout pas d’alcool. Silencieux, Holden le toisa du regard. À proximité des tables alentours, les quelques civils (peut-être bien criminels) installés de force s’étaient laissés aller face à la découverte de l’arme, et les observaient sans cesser de converser avec les agents ne leur laissant pas une seconde de répit. Conscient de cela, l’enquêteur se sentit dans la peau d’une bête de foire, jugea bon de couper court à son amusement.
—Non merci, très peu pour moi. C’était plaisant, mais nous en resterons-là.
Le sourire étirant ses lèvres s’estompa peu à peu. Sa main droite se plaqua contre le marbre, se chargea de ramasser les billets gracieusement partagés par son improbable complice.
—Joris, on y va ? Fais-moi voir ce qu’il s’est passé ici, commença-t-il en amorçant un geste pour quitter son tabouret.
Seulement, Taulth referma une main sur son épaule pour l’empêcher de se lever.
—Sers-lui du scotch, mais pas de la merde, ordonna-t-il en pointant du doigt le minuscule récipient posé sur le bar.
L’acolyte posté derrière le comptoir s’empara d’une bouteille emplie d’un alcool brun, qu’il vida d’un trait dans le verre, non sans en mettre un peu à côté.
—Je n’en ferai rien Joris, soutint Holden en échangeant un implacable regard avec lui.
—Pourtant tu souhaites que je te montre les emmerdements qui nous sont tombés sur les bras ?
—Précisément.
—Alors bois ce putain de verre cul-sec ! Crois-moi, tu en auras besoin.
Des paroles prononcées sans le moindre cillement. La détermination, la franchise transparaissaient en un puissant regard déterminé.
Holden montra les dents, excédé par l’étonnante audace de son opposant. Abandonnant toute raison, il se saisit du réceptacle à ivresse, le mena à ses lèvres. S’épancha alors le liquide dans sa cavité buccale, l’embrasant elle puis son larynx, pour s’écouler et ne laisser qu’une longue trainée de flammes jusqu’à son estomac.
D’une féroce ardeur, il élança son avant-bras sous le nez du collègue posté derrière le comptoir. Explosèrent alors les nombreuses coupes alignées en ordre parfait le long des étagères. Toutes clinquèrent, se broyèrent en un puissant son de choc, se projetèrent les unes contre les autres non sans manquer d’équilibre. D’innombrables débris tombèrent sur le sol, où ils s’éparpillèrent en un lit de fragments acérés.
—Satisfait ?
Taulth le gratifia d’un hochement de tête approbateur, relâcha son étreinte, puis se leva. Daniel emboîta immédiatement ses pas.

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