L?archer, qui porte son arc par dessus son sac, dans son dos, a l?air plus détendu que la veille, même si la fatigue est palpable. Les deux hommes marchent la tête basse, silencieusement.
Derrière eux, loin dans la jungle, un nouveau cri aigüe les surprend. Ils ne se retournent même pas. Ils savent qu?ils ne verront la bête que lorsque celle-ci se décidera à se montrer à eux.
La jungle laisse rapidement place à une plaine, battue par de fortes rafales. L?herbe, sauvage, arrive jusqu?aux hanches des marcheurs. L?archer, sans raison apparente, s?arrête soudainement. Joan, trop las pour s?en inquiéter, s?arrête à son tour.
L?archer fixe l?horizon. Les secondes puis les minutes passent. Il rompt enfin le silence, d?une voix assurée :
« Nous dormirons au bourg du Canal ce soir. » Ses yeux deviennent rieurs.
« Ce soir ? Mais la nuit dernière, vous aviez dit que deux jours de marche seraient nécessaires dans le meilleur des cas? »
« A pied, oui. Observe. dit l?archer. »
Son doigt pointe l?horizon, au Nord-Est de leur position. Joan scrute jusqu?au plus loin que porte son regard. Il distingue une tache bleue, encore lointaine. Calquant son attitude sur celle de son compagnon, il tâche de garder patience. La tache grossit, d?abord peu, puis de plus en plus vite.
Joan se rend d?abord compte que la tache bleue n?est que la partie immergée de l?iceberg. Elle surmonte en effet une sorte de pont, couleur de bois clair. Ce pont est lui même supporté par trois roues colossales. Le bleu est la voile. Les yeux de Joan s?écarquillent.
« Qu?est-ce que ? » souffle-t-il.
Le magistral navire des plaines fonce sur eux, mais à une centaine de pieds il vire de bord, les contournant pour finalement arriver à leur niveau, proue au Nord.
Des visages les contemplent depuis le bastingage, alors qu?une échelle de corde est jetée. Un homme en descend, avec une habileté surprenante pour un quelqu?un de forte corpulence. Ses yeux remplis d?étoiles regardent tour à tour l?archer, puis Joan, avant de revenir se poser sur l?homme encagoulé.
« Je vous dépose, mes seigneurs ? » demande-t-il sur un ton amusé.
L?archer repousse sa capuche sur ses épaules, et ôte le voile qui masque son visage. C?est la première que Joan voit cette face barbue, aux traits durs. L?archer sourit.
« Nous allons au Canal, Loï. »
L?intéressé acquiesce d?un mouvement de la tête, et, étendant son bras, invite les voyageurs à monter à bord. Se croisant, lui et l?archer se saluent d?une brève étreinte.
La voile bleue, loin au-dessus d?eux, claque dans le vent.