Je regardais distraitement les nuages se déformer par la fenêtre un peu sale, les nuages qui se disloquaient de manière hasardeuse dans le ciel pour se reformer. C'était un jour de grand vent.
J'étais assis sur une simple chaise en plastique dans une salle nue à l'exception de cette fenêtre.

Une poignée grinça et une porte s'ouvrit. Une personne de 25 ans max m'ouvrit avec un sourire et un regard gêné. Ses cheveux étaient parfaitement coiffés avec du gel et ses yeux me scrutaient derrière ses lunettes rectangulaires.
Il m'invita à le suivre et s'assit derrière un bureau qui avait du mal à rentrer dans la petite pièce.

" Mr Corgan hein ? Un véritable plaisir de vous rencontrer, après tout ce temps.
- Plaisir partagé.
- Dites donc, ça fait un moment que vous ne nous avez pas offert une prestation live ! Que se passe-t-il au sein du groupe ?"

Ce gars ne m'inspirait pas vraiment confiance. Il s'appelait Thomas Wilson et c'est lui qui m'avait contacté chez moi. D'ailleurs je me demande comment il avait eu mon numéro. J'avais décidé de venir seul sans en parler à quiconque pour ne pas trop donner d'espoir aux autres.

" Un simple découragement mais nous sommes toujours là.
- Bien. Tant mieux alors. Je me rappelle qu'on venait vous voir jouer tout les trois dans un bar quand nous avions fini nos cours !
- Nous sommes 4 maintenant...
- Ah vraiment ? J'ignorais que vous aviez retrouvé quelqu'un après la mort, regrettable devrais-je dire, de Dave. Très bien, mais laissez-moi vous parler de mon projet.
- Je vous en prie.
- Je suis, avec quelques amis, en train de créer une maison de disque indépendante, Mill Records. Et vous vous en doutez, nous avons besoin de musiciens. Je voulais alors proposer à vous, et au groupe tout entier évidemment, d'enregistrer un EP, un CD avec 4 titres quoi, afin de vous relancer, mais également la boîte. Donnant-donnant quoi. Et pour vous prouver notre bonne volonté, on vous donne 30 % des gains totaux. Contrairement à d'autres boîtes qui daigneraient vous accorder à peine 2 ou 3 %...
- Je ne sais quoi dire, je ne m'y attendais pas vraiment.
- Prenez le temps de réfléchir et recontactez-moi dès que possible."

Il me tendit une carte et m'indiqua la sortie avec un grand sourire. Il avait raison, c'est exactement ce qu'il fallait au groupe pour sortir de ce merdier !

J'annonçais la nouvelle à Starla dès que je rentrai, puis appelai tour à tour Tank et Diva qui furent bien évidemment d'accord pour reprendre de l'activité.

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4 titres. On en avait trois pour le moment, Looking for Starla, the Road et celui que j'avais fini par renommer Bidoof's Revenge, car il fallait bien lui trouver un nom. Mais si on sortait ça, le groupe allait passer pour une bande de lover péteux qui faisaient tout en acoustique pour le fric.
Et surtout ce n'était pas le style musical que Cherub Rock adoptait... Après tout, les deux musiques qui étaient hors contexte était des états d'âme que j'avais posé sur ma guitare. Loin de moi de penser qu'ils étaient mauvais, ils étaient juste trop personnel.

J'avais donc réuni le groupe, et nous étions partis dans une séance d'impro. J'enregistrais le tout avec mon lecteur mp4 pour pêcher tout ce qui était bon et le réadapter, le travailler, et en faire quelque chose de mieux.
Je parle ici au singulier et ce n'est pas pour rien. Sans pour autant dénigrer leur travail ou me vanter d'une manière ou d'une autre, je trouvais que ce qu'ils faisaient était souvent fade, en particulier le jeu de Diva.
Autant elle possédait une bonne technique, autant elle ne jouait qu'avec cette même technique. C'était à peu près la même pour Tank, et de toute façon, on ne composait pas une chanson avec une batterie. J'hésite encore aujourd'hui. Je ne sais pas si je ne croyais pas en leur capacité, si je me sentais supérieur à eux.
Seule Starla sortait un peu du lot. Après tout, on était sur la même longueur d'onde. Mais elle se retrouvait quand même noyé par ma domination.

Eux, ne disaient rien, ils me laissaient faire et je continuais à avancer. Non à courir. Je m'étais lancé dans une entreprise folle d'où je ne pouvais plus sortir. La motivation de la sortie de l'EP me motivait comme jamais. En près de 3 ans, j'avais composé 3 morceaux qui avait un vrai sens. Cette fois-ci, j'en avais composé 10 en 3 semaines. J'avais essayé un peu tous les genres. Du thrash metal, avec une chanson appelée Zombie, un genre de critique du désintérêt des sentiments pour le sexe, à des trucs plus pop ou psychédélique. Une des chansons étaient composés à partir de grands relents de saturation, dans un délire "noise", où les sonorités s'affrontent les unes les autres et se percutent avec une force telle que ça vous fait peur. J'avais appelé le morceau dans cette veine "Bump" et c'était une instrumentale. Puis au bout d'un mois, je rappelai Wilson avec les 4 morceaux pour l'EP : The Road, Zombie, Looking for Starla et Bump.

Il y eut ensuite la fameuse épreuve du studio. Mill Records payait 60 % des frais d'enregistrement. De ce fait, nous fîmes tous des heures supplémentaires à nos boulots pour pouvoir continuer à vivre et payer l'enregistrement. Mais malgré tout, Starla et moi dûmes nous priver pour tout payer, car c'était au-dessus de nos revenus. Ils nous arrivaient donc de sauter un repas, ou deux, voire de ne pas activer le chauffage la nuit ou encore supprimer la douche, ce qui n'est pas la chose la plus agréable quand vous passez la plupart de votre temps libre dans une petite pièce enfermés à 4 personnes pour vous enregistrer.

On avait d'abord commencer par les parties batteries afin que chacun puisse se caler dessus après lorsque nous nous enregistrions, mais problème, la présence de chacun était tout de même requis car Tank s'emmêlait les pinceaux. Ainsi nous répétions inlassablement les mêmes morceaux encore et encore chaque jour. Puis il fallut enregistrer les parties basses et guitares. Mais devant la peur que Diva fasse quelque chose d'imparfait, mais aussi parce que je pensais que cela l'ennuyait, je ré-enregistrais ses parties guitare pour qu'au final ma patte soit la plus grande possible.

Puis il fallut choisir une illustration pour la pochette, chose qui fut vite réglée, puisque je piquais un dessin que Tank avait fait un jour. On y voyait deux personnes, dont l'une tirant sur l'autre avec un pistolet et des munitions en forme de coeur, le tout dans un rendu enfantin, malgré le fait qu'il y ait une des deux personnes mourante. Une semaine plus tard, notre EP était lâché dans la nature...