Espoirs Crépusculaires
Par : Droran
Genre : Polar , Horreur
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 3
Publié le 29/09/15 à 05:37:13 par Droran
Des paires de phares percèrent subitement la nuit, se reflétèrent sur les murs décrépis et tagués des immeubles, éclairèrent chacune des extrémités de la ruelle. L'instant d'après, des sons s'élevèrent en même temps que de nouvelles couleurs : le rouge se succéda au bleu au rythme du chant des sirènes de police qui retentirent sans prévenir. Les bons sentiments s’élevant du rassemblement se turent aussitôt, se changèrent en panique. Les regards se croisèrent, s’interrogèrent sur la manière de réagir au piège. Sans que cela se soit fait sentir, on avait mis la main sur leur lieu de culte. Pris d'une soudaine panique, le conventicule criminel se dispersa sans délai.
— Chacun pour sa peau, on se retrouve à la planque ! aboya leur supposé chef, caché parmi le groupe.
Hoel jeta l’ombre sur son visage innocent en abattant la capuche du gilet sur sa chevelure châtaine coiffée en bataille, et se sépara du rassemblement.
Deux immeubles se désunissaient non loin. Il fuit vers l'avant, s’élança dans l’interstice séparant les deux habitations en cognant son épaule droite contre la pierre. Le mince espace demeurait imperméable à la lumière, et peu de monde oserait s’y aventurer. L’adolescent longea ainsi l'un des murs auquel son jean accrocha en produisant un son de frottement à chacun de ses pas. Main gauche tendue au-devant, bras droit raclant la pierre derrière lui, il progressa prudemment en s’attendant à rencontrer un obstacle en milieu de course. La sortie vers une seconde ruelle se trouvait à cinq mètres, mais il préféra s’arrêter dès que sa main entra en contact avec une barre métallique. L’empoignant, il s’éleva à la force de ses bras. Les sirènes semblaient résonner dans toutes les directions, et la police le cueillerait probablement s’il pointait le bout de son nez en dehors de l’espace clôt. Mieux valait pour lui qu’il s’échappe par la voie des airs.
Dorénavant, l’adrénaline empêchait que la fraicheur ambiante ne le fasse tressaillir. Hoel releva son regard, considéra les parcours praticables. Bien plus haut courraient contre la pierre des câbles soutenus par de solides fixations arquées, qui feraient de parfaites prises pour atteindre le haut des immeubles. Décidé à se lancer, il serra les dents, colla ses semelles contre les parois parallèles étroitement rapprochées. Ses muscles se raidirent. Il prit de la hauteur. Lentement, non sans tâtonnement, il releva un pied après l’autre en s’appuyant sur la barre métallique pour atteindre le contour d’une lucarne condamnée par trois barreaux, autour desquels se refermèrent ses doigts. De là, tirant à nouveau sur ses bras, il émit une impulsion pour s’élever jusqu’aux plus basses fixations vissées au mur. Ses doigts ripèrent contre la façade crépie, se décharnèrent au contact de la surface en y laissant courir de courts tracés de sang ; mais se refermèrent comme espéré autour de la prise métallique. La montée était donc réalisable. Hoel progressa lentement entre les arceaux de métal, accordant à intervalle régulier une once de son attention aux cris se jouant dans les environs. À chaque décimètre gagné, la paranoïa et la fatigue prenaient le dessus sur sa lucidité. Et pour cause : il avait grandement sous-estimé l’effort à fournir pour atteindre le sommet de l’étroit couloir vertical. Tout juste arriva-t-il à la moitié de la distance à grimper que l’endurance lui fit déjà défaut ; dès lors, il lui fallut sur-le-champ orienter son projet vers une tout autre orientation.
Plutôt que chercher à continuer son escalade, Hoel prit quelques secondes pour repenser la tournure que prendraient ses prochaines actions. Perché à près d’une quinzaine de mètres au-dessus du sol, il n’était plus question de retoucher terre ici même. Monter jusqu’aux faîtes n’étant pas non plus réalisable, ne lui restait plus qu’à passer sur la façade d’un des immeubles sur lesquels il s’appuyait : le passage donnait sur une venelle moins étroite que celle qu’il venait de quitter ; et si les voix lui parvenant annonçaient que la police y patrouillait également, une mince chance demeurait qu’il puisse passer inaperçu.
Refermant son poing gauche autour d’une attache murale, il commença à se déplacer en de petites avancées vers la bordure de la brèche. À chaque déplacement, seule la douleur procurée par les fins bouts de peau arrachés picorait l’extrémité de ses doigts. Le froid tentait de surnager jusqu’à lui, sans plus parvenir à le saisir.
Il atteignit la limite du passage en moitié moins d’efforts que lui en avait demandés son ascension. Silencieux, il ne put en revanche que rester immobile à redouter l’impossibilité de continuer. Un peu plus d’une dizaine de mètres plus bas restaient positionnés deux hommes en uniforme se défoulant sur autant d’adolescents geignards recroquevillés à leurs pieds. Sur sa gauche, le bout d’une cage d’escaliers de secours lui apparaissait ; cependant plus bas que lui, et trop loin pour qu’il puisse espérer l’atteindre en tendant un bras le long de l’angle du mur. Mieux valait éviter de faire une bêtise ; et pour cela, si différents moyens d’expérimenter une chute certaine le laissaient face à un choix délicat, longer le câble débordant de l’angle du mur demeurait l’issue la moins dangereuse.
En bas, les agents de police se déchaînaient. Leurs matraques de service ne servaient définitivement pas à impressionner, mais bien à casser du délinquant. Hoel se devait d’en profiter, l’instant était propice : il se pencha en avant, avança son bras gauche le long de la façade de l’immeuble supportant sa semelle droite. Ses doigts se refermèrent sur le câble frôlant le mur, et sa main droite en fit de même. Allez, j’ai déjà fait ça un million de fois… Il relâcha la pression qu’exerçaient ses jambes contre le mur, et son abdomen se balança hors de l’antre sombre. Son poids pesa sur le câble, l’étira vers le bas. Ses doigts se comprimèrent contre la pierre, s’écorchèrent à son contact en infligeant à l’adolescent une vive sensation de brûlure qui n’eut le temps de durer qu’une seconde : une attache murale sauta, et il se cramponna fermement. L’incident le fit serrer des dents et retomber de quelques centimètres. Ses coudes cognèrent contre la façade, il tourna sur lui-même en craignant qu’une nouvelle fixation ne lâche. À raison. Des vis ressortirent du mur, et un second scellement métallique se décolla. Accompagné de son propre cri, Hoel chut sans relâcher sa prise, et fut violemment retenu par un point mieux fixé. Son cœur se souleva, et son corps se balança dans le vide, heurta violemment la rampe métallique de l’escalier de secours qu’il cherchait à rejoindre.
Le souffle coupé, il profita du choc pour refermer son bras gauche autour de la rampe courant le long de la plate-forme métallique s’étendant au-dessus des marches de l’escalier. Ses côtes lui firent savoir qu’elles n’avaient pas aimé la cascade, mais les voix s’élevant de la terre ferme le poussèrent à s’empresser. Il relâcha le câble que tenait encore sa main droite et se hissa douloureusement au-dessus de la rambarde. Poser ses pieds à plat sur la plate-forme lui permit de souffler et d’adresser un rapide coup d’œil en direction des deux individus. Alertés par le cri, les officiers de police n’avaient rien manqué de l’incident. Ils s’accroupirent aussitôt aux côtés des jeunes personnes se contorsionnant à leurs pieds en saisissant les menottes prises dans leurs ceintures.
Hoel ne manqua pas de saisir le temps d’avance qu’on lui offrait. Entre lui et l’accès à la prochaine rue s’alignaient deux autres escaliers de secours espacés d’un peu plus de deux mètres chacun. Le saut était réalisable. Il se recula pour prendre de l’élan, s’élança en avant. En un saut, il prit appui sur la rambarde et s’expulsa au travers du vide, droit sur une nouvelle rampe autour de laquelle ses mains se refermèrent aisément.
Témoins de la scène, les hommes s’activèrent à refermer les entraves sur les poignets de leurs captures. Hoel ne les attendit pas et désenroula ses doigts, se laissa chuter durant trois courtes secondes avant de reprendre soudainement prise sur une plate-forme plus basse, à cinq mètres du sol.
— Plus un geste ! le somma l’un des hommes fraîchement relevés, en empoignant l’arme de poing reposant dans l’étui longeant sa cuisse.
Une parole murmurée au vent. L’adolescent ne prit pas la peine de regarder dans sa direction, s’éleva, posa ses deux pieds à plat sur le palier métallique. Tout en avançant, l’agent fit tomber la sécurité de l’arme et pointa son canon droit sur Hoel ; qui se précipita en avant, décidé à s’éjecter une nouvelle fois dans le vide pour atteindre la sortie de la ruelle.
Une détonation résonna, et le fuyard ne s’arrêta pas. La balle ricocha sur la balustrade en une gerbe d’étincelles sans pour autant freiner sa course. Il se propulsa courageusement hors de la plate-forme et se réceptionna en une violente roulade sur le macadam, devant les deux représentants de l’ordre.
N’ayant rien de cassé, le jeune homme se releva promptement sans adresser un regard aux policiers, qui, pourtant, s’avançaient pour l’interpeller. Aie les couilles de tirer, enfoiré. Sa main droite se chargea de réajuster la capuche couvrant son crâne, et il se mit à sprinter droit devant lui sans attendre qu’on lui hurle des directives ; ce qui irrita l’agent armé, qui releva son bras gauche et pointa le canon de son arme droit sur le dos du fugitif.
— Mais t’es taré ?! s’affola son collègue en lui saisissant le bras lors de l’instant précédant la détonation.
Le coup partit. La balle fit voler en éclats une infime portion de l’extrémité du mur formant l’angle entre la venelle et une artère bien plus large. Surpris, Hoel s’abaissa, moulina l’air de ses bras, mais ne s’arrêta pas. Il détala sur un trottoir surplombé de lampadaires explosés ; écrasant à chacun de ses pas les mégots et débris de verre jonchant le sol. À sa suite surgit de la sombre impasse l’homme qui venait de lui sauver la vie, dorénavant lancé à ses trousses, décidé à le rattraper pour l’arrêter et probablement lui refaire le portrait.
— Une de ces saloperies se dirige vers l’avenue ! Que quelqu’un lui tombe dessus ! S’empressa de signaler à travers un talkie-walkie le second homme resté là où l’adolescent avait décampé.
Les environs étaient connus de Hoel. La voie dans laquelle ses pas bâtaient le macadam, tout comme l’avenue sur laquelle elle donnait : une artère surplombée d’immeubles bas, au trafic atténué par l’heure tardive ; depuis laquelle il lui serait possible de se fondre à travers d’obscurs passages utiles pour semer son poursuivant.
Les sirènes résonnaient de tous les côtés. Néanmoins, il s’arrachait à la paranoïa pour ne pas céder à la panique. S’il allait forcément au-devant de quelques policiers, il n’avait pour le moment qu’un seul homme à sa poursuite. Rien d’insurmontable ; ou du moins rien qui puisse réellement le mettre en difficulté. Dans les rues dégueulasses, on ne pourra pas me suivre. Il faut que j’accélère pour le mettre à l’amende, se dicta-t-il pour toute directive.
Il déboula au milieu de la route parmi les faisceaux des phares et des candélabres, son gilet ouvert fouettant ses hanches et le pull qui les couvrait. Guettant la circulation à la recherche de véhicules suspects, le fuyard dut s’orienter en un instant. Il traça en direction du nord, au centre de la chaussée. Quelques voitures passèrent à ses côtés en se déportant pour ne pas le frôler.
En arrière, son poursuivant gagna peu à peu du terrain ; mais Hoel n’eut le temps de s’en rendre compte : les sirènes de police tonitruèrent dans un rayon proche. Une paire de phares l’aveugla. Un véhicule de police surgit d’une rue parallèle, s’aligna à sa trajectoire en diminuant peu à peu sa vitesse en vue de le tamponner pour stopper sa cavale.
Jamais Hoel n’avait jusqu’alors eu à esquiver une automobile lancée contre lui. Seulement, l’habitude de les fouler du pied ne lui manquait pas. Bras replié devant ses yeux, il sauta en avant dès que la voiture l’eut presque touché. Son pied parvint à prendre appui sur le pare-chocs. Les semelles de ses chaussures patinèrent sur le capot, mais il fut assez habile pour enjamber le pare-brise et effectuer deux pas sur le toit du véhicule sans manquer d’équilibre. Son estomac se noua, il retomba lourdement au sol, se rabattit sur la partie gauche de la chaussée en une démarche chancelante le forçant à appuyer ses mains contre le goudron pour demeurer sur ses deux jambes.
De nouveaux rayons lumineux le forcèrent à plisser des yeux. Un automobiliste au volant d’une épave métallisée freina brutalement devant lui. Les crissements de pneus se mêlèrent à ceux de la voiture de police qui s’immobilisa au travers de la route en forçant son collègue à s’échouer sur le macadam pour éviter d’être renversé. Hoel parvint également à réagir avant que le véhicule civil ne le percute à faible allure. Il plongea en avant, paume contre la carrosserie, et roula sur le capot jusqu’à retomber sur le sol, à quatre pattes, mais indemne.
Les portières claquèrent derrière son dos. Le fuyard n’en attendit pas davantage, se mit à sprinter alors que deux géants fringués d’uniformes sombres se lancèrent à sa suite. Lâchés tels des chiens enragés, ils chargèrent en aboyant des ordres dont le jeune homme n’eut que faire. Des lampes épinglées sur leurs poitrines projetèrent des lueurs tremblotantes sous ses pas. Hoel ne s’en réjouit qu’à moitié, battit des bras et des jambes comme jamais auparavant pour garder l’avance dont il aurait plus tard besoin : il s’écarta du centre de l’artère et fusa entre deux bâtiments aux briques apparentes, à travers un obscur passage plus étroit parsemé de détritus et de conteneurs abandonnés ; où nombre de prospectus papillonnèrent au grès des courants d’air engendrés par ses vives foulées.
Le fuyard renversa une poubelle sur son passage, que ses poursuivants enjambèrent sans décélérer. Il réitéra son geste un peu plus loin, en donnant un coup dans un large tonneau métallique qui s’allongea en travers du passage. L’un des policiers s’y prit les pieds, chercha son équilibre sur une jambe, mais finit par plonger tête la première sur le sol où il roula jusqu’à se stopper contre une pile de cartons rongés par la moisissure.
Restait toujours un animal à ses trousses, mais Hoel devait maintenant faire avec. Au fond de la rue, caché dans l’ombre, s’élevait un grillage haut de six mètres. Son échappatoire. Je peux le faire, c’est dans la poche… S’obstina-t-il à penser alors que les quatre mètres le séparant du représentant de l’ordre ne lui laisseraient que peu de temps. Pourtant, redoublant d’efforts, il se servit d’une poubelle métallique comme tremplin pour bondir sur une benne close, depuis laquelle il s’éjecta contre le métal froid autour duquel ses doigts meurtris se figèrent. Dès lors, il allongea son bras droit et amorça l’escalade. Néanmoins trop lentement : l’énorme masse de l’enragé imita son parcours et s’abattit sur sa silhouette encapuchonnée en empoignant son gilet, qui glissa de ses épaules jusqu’au plus bas de ses omoplates.
Les doigts de l’adolescent ceignirent le grillage à s’en marquer la peau. L’adulte ne lâcha pas son étreinte et se laissa pendre en espérant emporter sa proie avec lui. Cependant, Hoel tint bon. Exhortant un effort inhumain à l’aide d’un cri, il relâcha une prise et se maintint à une main. Son bras droit se laissa pendre et se débarrassa aisément de la manche du vêtement.
L’assaillant retomba de quelques centimètres : les pointes de ses pieds touchèrent le sol. Hoel profita d’emblée du lest. Sa main droite revint cercler les mailles du grillage, et son bras gauche se débarrassa du vêtement pour de bon. Le gilet retomba entre les mains de l’officier de police, qui le jeta à terre.
—Arrête-toi ou je te flingue ! Ordonna-t-il tout en détachant la sangle de l’étui prolongeant sa ceinture.
En hauteur, Hoel passa le sommet du grillage et se laissa retomber de l’autre côté, où il atterrit en position accroupie. Le souffle court, il se releva non sans mal, et se retourna à visage découvert vers le représentant de la loi.
L’homme échevelé – au visage de trentenaire semblant habituellement buriné par la dureté de son travail – ne réprima pas une expression de surprise. La pellicule formée entre ses lèvres closes imprégnées de salive se scinda, laissant découvrir au fugitif un gouffre béant réverbérant les sons émis du plus profond de son gosier.
—À…Adam ? balbutia-t-il, en baissant lentement son arme.
Sans répondre à cet appel, Hoel recula prudemment. L’adulte resta hébété un instant supplémentaire. L’occasion était trop belle. Il fit immédiatement volte-face et courut se fondre dans la nuit.
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