"-Tiens, salut!
-Re.
-Dis, ton bolide passe bien par la Place de l'Horloge?
-Ouais. Pourquoi?
-J'ai rendez-vous avec une putain de...
-C'est bon, j'ai compris."

Mon coloc', un bourreau des coeurs. Obèse. Mais ça ne l'empêche pas de se farcir plus de filles en un jour que moi en trente ans. Il est assez invivable dans le sens où il ramène toujours une de ses proies à la maison pour... Je vais pas faire un dessin. Mais je suis bien obligé de le supporter, c'est mon meilleur ami. C'est quand-même quelqu'un de patient, pour me supporter pendant quinze ans. Les quinze années les plus troubles de ma vie d'ailleurs. Tel ma mère qui me cherchait des amis, Sam me cherchait des filles. Il connaît par coeur mes critères: petite, sympa, mignonne, colèrique (jamais su pourquoi), qui aime le rock, un peu dark, et surtout, qui me comprenne. Pendant quinze ans, il m'a branché à des tas de filles, m'a abonné à plusieurs sites de rencontre, m'a payé des prostitués pour qu'au moins, je perde mon pucelage... rien n'y faisait. Aujourd'hui, chuis un peu le célibataire endurci de service, celui qui permet aux autres de se sentir moins esseulé à côté.
Du genre "Mon Dieu, je me suis encore faite larguée... À ce train-là, je vais finir comme Andy!"
Cette phrase, je l'entends souvent lorsque Sam m'oblige, flingue sur la tempe, à aller à ses fêtes de merde qui renforcent d'autant plus ma solitude.
Sam persiste à croire que je trouverais, un jour, l'âme soeur... Pauvre naif.
"-Hop, merci du voyage, vieux! En prime, j'te garde une meuf' et...
-Non merci, c'est pas la peine.
-Andy... Bon, ben à plus.
-C'est ça."
C'est énorme quand il se met à être déçu de mes réactions. Le pire, c'est que c'est pas de l'hypocrisie.
C'est vraiment un pote.


Ma journée se termine enfin. Maintenant, il faut se reposer pour recommencer le lendemain, et répéter jour après jour les mêmes schémas qu'aujourd'hui, hier et avant-hier... Des fois, j'aimerais bien quitter ma trajectoire, virer mes passagers dans la cambrousse et partir loin, dans mon petit bus...
J'ai beau avoir un permis et un beau véhicule de fonction,
je n'ai pas de voiture. Et devinez comment je rentre chez moi?
En bus. Quelle ironie.
Je me retrouve donc seul dans l'abribus sous une pluie battante, sinon c'est pas rigolo. J'ai regardé le planning, aujourd'hui c'est Paul qui conduit le bus passant par chez moi. Vu sa légendaire ponctualité, qui tient plus du mythe que de la réalité, je suis donc parti pour une bonne demi-heure à poireauter dehors sous le déluge.
Bon, un coup de Jeff Buckley, ça me fera pas de mal. En plus j'ai un son du tonerre, on entends presque plus la pluie. Je vois déjà les premiers débordements des égoux, les vagues provoquées par les voitures, les gens courrir, trempés jusqu'au os, se couvrant tant bien que mal avec leurs attachés-cases...
Et cette fille...
Elle me rappelle furieusement quelqu'un...
Oh non, c'est pas elle... Quand-même pas...


... Adelle?