L'église était un imposant édifice posté en bordure de la place centrale, face à l'auberge. Des villageois étaient restés devant pour protéger l'abri. Lorsqu'Alessa et la fillette arrivèrent, le dernier venait tout juste de se faire tuer par un démon. Il fut rapidement vengé, et les deux filles pénétrèrent dans l'église. L'intérieur était extrêmement sombre, mais Alessa réussit tout de même à distinguer un escalier qui devait être, en temps normal, caché sous l'autel. Elles descendirent les marches et se retrouvèrent face à une énorme porte blindée, avec un dispositif permettant d'entrer un code sur le côté. Une caméra était posée au plafond, et l'objectif était fixé sur elles. Alessa lui fit signe de les laisser entrer. Après quelques instants, la porte s'ouvrit.

A l'intérieur, une sorte de gigantesque entrepôt rassemblait de nombreux villageois rescapés. Des stocks de vivres étaient entassés partout, ainsi que toutes sortes de chose utiles et en quantité suffisante pour permettre à toutes ces personnes de rester ici pendant un bon moment. Il y avait des familles, qui, heureuses d'être ensembles, se serraient les uns contre les autres. On pouvait également voir des parents qui pleuraient sans leurs enfants, et mille autres exemples qui montraient toute l'horreur d'une attaque de démons. Dès qu'elles furent entrées, la porte se referma aussitôt.

- Tes parents sont là ? demanda Alessa à la petite fille.

Celle-ci secoua la tête, en signe de dénégation. Elle ne lui lâchait pas la main.

- Il y a personne pour moi ici, je vis toute seule, dans la rue.

En entendant ça, Alessa se baissa pour serrer la gamine dans ses bras ; puis, elle poussa un lourd et long soupir. Elle était terriblement désolée pour ce petit être abandonné dans ce monde si dangereux. Elle-même savait parfaitement ce qu'on ressentait lorsqu'on vivait complètement seul.

- Reste ici et repose-toi, lui dit-elle. Je reviens.

Puis, elle se dirigea vers l'homme qui gérait les commandes de la porte.

- Les villageois postés devant l'abri sont tous morts, lui annonça-t-elle. Je vais ressortir pour empêcher les démons d'entrer. Ouvrez.
- Vous ? s'étonna-t-il, incrédule. Vous devriez plutôt rester ici bien sagement, non ?
- Ouvrez moi cette foutue porte !

Devant son impatience, il haussa les épaules et pressa un gros bouton rouge. La porte s'ouvrit silencieusement, les épaisses plaques d'acier se séparant lentement l'une de l'autre. Elles se refermèrent à nouveau tandis qu'Alessa remontait l'escalier.
« Tous ces pauvres gens... », pensa-t-elle en regardant les cadavres des villageois morts, une fois qu'elle fût retournée sur la place. Pas de chance. Cela faisait un moment que l'attaque avait commencé. Restait-il des villageois vivants dans le village ? Rien n'était moins sûr. Et tous ceux, là en bas, qui avaient perdu un proche ou un ami...A nouveau, elle soupira profondément. Les gens avaient tant besoin d'aide, et elle pouvait en donner si peu...

Tout à coup, la sensation de terreur qui l'avait quittée l'envouta à nouveau. Une angoisse abominable envahissait progressivement son esprit, capturant ses sens et sa raison. Que se passait-il ? Elle regarda tout autour d'elle, et soudain, elle le vit à nouveau. L'atroce créature de feu marchait vers elle d'un pas tranquille, un sourire toujours aussi monstrueux dessiné sur le visage. Mais, si elle était là, alors où était...Une horrible pensée traversa l'esprit d'Alessa. Non, impossible...Le démon s'approchait toujours. Il finit par lever le bras dans sa direction, la main ouverte. Alessa se remit à trembler, sans pouvoir s'en empêcher, totalement paralysée par la peur. Ce monstre allait la tuer...la déchirer...la détruire, la brûler, l'exterminer ! Son coeur s'affolait, battant si vite qu'elle eut peur de l'entendre exploser. Le souffle court, la respiration précipitée, la jeune fille regardait cette bête sortie tout droit de l'enfer s'approcher d'elle, toujours plus près...Et quand il sera là, juste devant elle, que se passera-t-il ? Elle n'allait sans doute pas tarder à le savoir, et cette pensée lui glaça le sang. Elle se sentait faiblir, elle se sentait mourir...Jusqu'à ce que...

- Hé ! Laisse-la tranquille !

Une véritable pluie de balles d'abattit sur le démon, l'obligeant à s'enfuir dans un tourbillon de flammes. Alessa était tombée à genoux. L'instant d'après, quelqu'un la prit par les épaules. Lorsqu'elle croisa le regard de Sebantey, le sort de terreur qu'exerçait le démon sur elle fut rompu.

- Hé, ça va ? Allez, lève-toi.

Elle saisit sa main tendue et il l'aida à se relever. Elle ne tremblait plus, et son esprit se calmait. Même le battement de son coeur était redevenu à peu près normal.

- Qu...qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle, tout en essayant de reprendre contenance. Pourquoi est-ce qu'il est là ?
- Il veut détruire l'église !
- Quoi ? s'exclama-t-elle. Mais tous les survivants vont y passer !
- Je sais, mais...

C'était malheureusement déjà trop tard. Le démon avait réapparu, posté bien en face de l'église, et de là, il lança de toutes ses forces une onde de flammes dévastatrices qui fonçait droit sur l'imposant bâtiment. L'église était sur le point d'être totalement anéantie, ainsi que tous ceux qui étaient réfugiés dans l'abri. Sebantey sourit. Ca avait marché. Alessa le vit courir pour s'intercaler entre l'église et l'onde de flammes. Quand celle-ci le toucha, une lumière très vive l'aveugla momentanément. Mais, alors qu'elle ne voyait rien, elle remarqua que le calme était revenu, que le son de l'immense déflagration avait disparu. Elle rouvrit péniblement les yeux. Sebantey se tenait toujours devant l'église, debout. En revanche, elle ne voyait plus le démon. Elle accourut vers son partenaire, et elle remarqua vaguement qu'il tenait un petit objet argenté dans la main.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Et c'est quoi, ça ?

Sebantey lui présenta alors l'objet. Il s'agissait d'une sorte d'amulette, une pierre noire posée sur une plaque de cristal, avec une chaîne qui pendait au bout.

- Ceci est un attrape-sort, expliqua-t-il. Ce simple objet est capable d'absorber les manifestations physiques de l'essence démoniaque. C'est bien pratique, dans ce genre de cas.

Alessa regarda un instant le petit bijou, intriguée. Elle n'avait jamais entendu parler d'une telle chose. De même qu'elle n'avait jamais vu de démons lancer des sorts. Décidément, elle ignorait encore beaucoup de choses.

- Mais qu'est-ce qui lui est arrivé ? demanda-t-elle.
- Au démon ? Il est toujours là-bas, regarde.

Elle s'exécuta, et effectivement, au milieu des cadavres, elle voyait une masse étendue sur le sol qui remuait à peine. Elle ne l'avait même pas remarqué.

- Les Anges de Feu tirent leurs pouvoirs de la destruction qu'ils provoquent, expliqua Sebantey. Son attaque était extrêmement puissante, et l'absence d'impact a créé un vide énergétique suffisamment grand pour le tuer. Il n'en a plus pour longtemps. Viens.

Ils marchèrent vers lui en silence. L'Ange respirait faiblement, et ses flammes étaient pratiquement éteintes.

- C'est un démon très jeune, commenta Sebantey. Un adulte aurait déjà fait flamber tout le village et les trois quarts de la forêt.
- Les démons grandissent ?
- Pas vraiment, c'est plutôt une évolution. L'essence démoniaque développe leurs pouvoirs. C'est pour ça qu'il est venu vers l'église ; tuer tous ces villageois d'un seul coup lui aurait fait gagner une puissance phénoménale.
- Tu l'as piégé ?
- Oui, je savais qu'il viendrait ici.

Ils ne dirent plus rien pendant un moment, et rien ne vint troubler cet instant de silence. Les flammes du démon étaient de plus en plus faibles?

- Les Anges de Feu sont condamnés à tuer, dit le garçon. Les flammes qui les animent et leur donnent vie consument leur essence démoniaque, jusqu'à épuisement. Aussi, le seul moyen de rester en vie est de rassembler de l'essence, en tuant. Celui-ci n'en a plus assez pour faire de mal à qui que ce soit. Il va juste...s'éteindre, et il mourra.

Et ainsi, dans un dernier crépitement, les flammes étouffées s'éteignirent et l'Ange mourut dans un dernier râle. Alessa gardait les yeux fixés sur lui. Elle s'apprêtait à dire quelque chose, quand soudain, un violent bruit de moteur se fit entendre. En réalité, il y en avait plusieurs, et les sons se rapprochaient. Quelques instants plus tard, trois gros camions blindés débarquaient sur la place principale dans un raffut infernal. Les portes s'ouvrirent, et des hommes armés en sortirent. Quelques-uns se dirigeaient vers l'église, et les autres s'aventuraient dans le village par équipe de trois. On pouvait entendre d'autres camions se rendre dans d'autres endroits du village.

- On dirait que l'Archange s'est enfin décidé à intervenir, commenta Sebantey.

C'était la première fois qu'Alessa voyait les forces d'intervention de l'Archange. Son partenaire lui avait expliqué que les membres de cette organisation se divisaient en deux groupes : les chasseurs de démons indépendants, et les « simples » soldats. Il s'agissait en réalité de troupes d'élite formées pour combattre les démons. Ceux-là venaient sans doute de la caserne située quelques kilomètres plus loin.

- Ils ne risquent plus grand-chose, maintenant, dit-elle en voyant les soldats s'enfoncer dans le village. La plupart des démons doivent être morts.
- Ca ne les empêchera pas d'être à la une du journal demain. « Les forces de l'Archange ont à nouveau empêché un massacre ! »
- Mais c'est nous qui avons tout fait !
- Ne t'attends pas à voir ta photo en couverture, c'est perdu d'avance.
- Et qu'est-ce qu'ils vont faire des survivants ? voulut savoir Alessa.
- Rien. Ils habitent ici, après tout. L'Archange va nettoyer le village, et chacun pourra reprendre sa vie.
- Je te rappelle que les maisons de ces gens sont parties en fumée !
- Et bien, j'espère pour eux qu'ils ont mis de l'argent de côté. Tu sais, les démons accentuent aussi la misère du monde. Ils ne font pas que tuer?

De dépit, la jeune fille poussa un profond soupir.

- Ca fait une heure qu'on se bat ici, et j'ai l'impression que ça n'a rien changé du tout !
- Tous les gens dans l'église et dans les autres abris sont encore vie. Voilà ce que ça a changé. Et puis, deux chasseurs de démons amateurs contre un Ange de Feu et une armée de chiens de l'enfer...C'est déjà pas mal qu'on en soit sorti vivant.
- Attends, quels autres abris ? demanda la jeune fille.
- Il y a un abri comme celui-là dans chaque partie du village, répondit-il en désignant l'église. Par rapport à nous, c'était le plus près.
- Mais alors il y a d'autres survivants ?
- Bien sûr, tous ces abris peuvent contenir des centaines de personnes.

Elle poussa un long soupir de soulagement. C'était toujours ça de gagné. Soudain, quelques coups de feu résonnèrent dans le village. Les soldats venaient de rencontrer les derniers chiens-démons qui restaient. Le nombre de pertes dans les forces armées de l'Archange étaient élevé, mais dans le cas présent, on pouvait supposer que tout se passerait bien. Après tout, ils n'étaient que les types qui venaient nettoyer derrière. S'ils s'étaient retrouvés face à l'Ange de Feu, ça aurait été bien différent?

- Bon, lança Sebantey, je vois que l'auberge n'a pas été détruite, et que le jour ne s'est pas encore levé. On n'a plus besoin de moi ici, et deux attaques dans la même journée, mine de rien, ça fatigue. En clair, je vais me coucher ! Bonne nuit !