Lorsqu'Alessa se réveilla, tout lui parut flou autour d'elle. Il lui fallut quelques instants pour comprendre qu'elle était couchée sur un lit, dans un bâtiment crasseux, et qu'elle avait mal ; une affreuse sensation de brûlure se répandait dans son corps, et on aurait dit que sa tête était serrée par un étau. Gémissante, elle porta la main à son front, et remarqua alors que cette dernière était recouverte par un léger bandage. Perplexe, elle essaya de rassembler ses souvenirs. Elle revoyait la grange, son combat contre le démon, puis l'arrivée inattendue du jeune garçon... A cette pensée, la mémoire lui revint complètement. Elle se souvenait à présent de l'attaque du village, et de tous les démons qu'elle avait du tuer. Ensuite, le garçon était revenu, et peu après, elle s'était évanouie. Mais pourquoi ? Elle n'avait pourtant pas été blessée. Quoique... Une vive douleur émanant de sa main bandée semblait dire le contraire.

- Ca y est, tu es réveillée ?

Elle sursauta en entendant cette voix. Dans sa confusion, elle n'avait même pas remarqué que le garçon de tout à l'heure était là, assis près du lit. Il l'observait attentivement.
- C'est plutôt bon signe, continua-t-il. Tiens, prends ça, ajouta-t-il en lui tendant une pomme.

Elle se redressa et, après une hésitation, elle prit le fruit en main.

- Vas-y, mange, ça ira mieux après.

Indécise, elle croqua dans la pomme et en avala un morceau. A sa grande surprise, elle se sentit immédiatement mieux ; la sensation de brûlure se dissipa, et son mal de tête s'atténua un quelque peu. Même le goût était bon. Elle continua de manger en silence. Pendant ce temps, elle observa l'étrange garçon. Ses yeux parcoururent un instant les vêtements sombres qu'il portait, puis son regard s'attarda sur son visage. Ils devaient avoir le même âge. Pourtant, il ne ressemblait pas à l'idée qu'elle se faisait d'un garçon de seize ans ; il n'avait en effet rien de l'un de ces gamins au comportement stupide. Au contraire, son expression calme et posée semblait indiquer un esprit réfléchi. Alessa réalisa soudain qu'il s'agissait de la première personne qu'elle rencontrait qui, comme elle, se battait contre les démons. Elle se doutait qu'elle n'était pas la seule, mais elle se moquait bien de ce que pouvait faire les autres. Et même alors qu'elle était en présence de l'un d'eux, son indifférence ne changea pas.

- Il faut que je te remercie, dit-il soudain. Je n'aurais pas pu m'occuper de ce village tout seul.

Alessa ne répondit pas. Elle se dépêcha d'en finir avec sa pomme ; puis, elle fit mine de se lever.

- A ta place, je ne ferais pas ça, intervint-il. Il vaut mieux se reposer quand on vient d'être empoisonné.

Les yeux d'Alessa s'agrandirent de stupeur.

- Emp... empoisonné ? répéta-t-elle, horrifiée.
- Du calme, j'ai déjà retiré le poison de ton corps. Simplement, attends un peu avant de te lever. Tu risques de ne pas pouvoir tenir sur tes jambes.

C'était déjà ce qui s'était passé tout à l'heure, juste avant qu'elle ne s'évanouisse. A contrecœur, elle se résigna à rester dans ce stupide lit, décidée à s'en aller dès qu'elle se sentirait mieux. Elle aurait voulu être n'importe où plutôt qu'ici, en compagnie de ce garçon bizarre qui semblait n'avoir rien d'autre à faire que de rester là à l'observer. Ca commençait franchement à l'agacer.

- Dis, c'est sympa pour le poison, mais c'est bon là, je vais bien, lança-t-elle. Tu voudrais pas retourner chez toi, auprès de tes parents, et me laisser tranquille ?

Le garçon ne répondit pas tout de suite. Il pencha légèrement la tête de côté, et regarda le plafond, pensif.

- Ca fait un moment que je n'ai plus ni parents ni « chez moi », dit-il enfin. Quant à toi, j'ai deux ou trois trucs à te dire avant de te laisser.

Alessa se laissa tomber sur son lit en soupirant. L'idée d'être coincée ici lui déplaisait au plus haut point. Toutefois, elle nota, non sans agacement, qu'une partie d'elle avait hâte d'entendre ce qu'il avait à dire.

- Bon, déclara-t-elle d'un ton las, dis moi tout.
- Et bien, commença-t-il, je t'ai observé tout à l'heure, et je dois t'avouer que tu m'as l'air de t'y prendre très mal avec les démons.

Cette remarque la piqua au vif. Cela faisait des mois qu'elle donnait tout ce qu'elle avait pour se battre contre ces ordures, et voilà qu'un pauvre type tombé de nulle part venait la critiquer.

- Ah ouais ? répliqua-t-elle, rouge de colère. Et pourquoi ça ?
- Honnêtement, c'est plutôt flagrant, poursuivit l'autre, parfaitement calme. Ca se voit à travers les armes que tu utilises. Ca se voit aussi à travers ton manque évident de connaissance en matière de démons...
- Mais de quoi tu parles ? demanda Alessa, de plus en plus irritée.
- Tu ne savais pas que les démons éclaireurs se déplaçaient toujours par deux ?

Alessa ne répondit rien, car effectivement, elle ne le savait pas. Pire, son erreur avait failli couter la vie à une pauvre fillette, tout à l'heure. Fillette sauvée par ce type. En plus de la rage qu'elle avait envers elle-même à cause de son erreur, elle éprouvait à présent une cuisante sensation d'humiliation.

- Et ben non, j'en savais rien ! s'emporta-t-elle. Et alors ? Je suis une ratée, c'est ça ?
- Pas du tout.

Cette remarque acheva de désorienter Alessa. Les joues rouges, la respiration saccadée, elle fixa son interlocuteur d'un regard incrédule. Celui-ci était toujours parfaitement calme, et ses yeux la quittèrent pour se perdre dans le vague.

- Et c'est d'ailleurs le plus étonnant, poursuivit-il, pensif. Les ratés, comme tu dis, ne survivent pas. Ils se font tuer très rapidement, il n'existe aucune exception. Si tu as survécu, si tu t'es retrouvée seule face à des démons et que tu es sortie vivante... Alors, il faudrait être idiot pour te traiter de ratée.

Perplexe, la jeune fille sentit sa respiration reprendre un rythme normal, et son emportement retomba. Elle ne quittait plus le garçon des yeux.

- Franchement, éliminer une dizaine de démons comme ça, en situation d'urgence, avec des armes pareilles et en si peu de temps, c'est un véritable exploit. Honnêtement, j'en suis jaloux.

Alessa ne dit rien, mais ce n'était pas par soucis de se montrer distante. C'était juste qu'elle ne savait absolument pas quoi dire. Elle n'en eut toutefois pas besoin.

- Alors, continua le garçon en reportant son regard sur elle, je suis venu te faire une offre...