Une fois dehors, elle se retrouva au coeur de cette zone de guerre qu'était devenu le village. Les habitations qui abritaient des familles entières brûlaient à présent, avant de s?écrouler et de disparaître. Des années de tranquillité venaient d'être brusquement anéanties par la violence inouïe d'une attaque de démons, répandant sang et douleur sur leur passage. Il ne restait rien des rencontres galantes entre adultes, ni des enfants qui jouaient dehors, ni de toutes ces choses qui vivaient ici et rendaient les gens heureux. Non, tout ça venait d'être déchiré et massacré par ces ignobles créatures, qui détruisent les rêves et les espoirs pour les remplacer par la peur et le cauchemar. Et c'est précisément ça qui motivait Alessa à se battre, qui lui donnait la force de brandir ses armes et d'affronter ces abominations. A travers l'obscurité à peine éclaircie par les flammes, la jeune fille vit quelque chose approcher très rapidement. Lorsqu'il ne fut plus qu'à une dizaine de mètres, elle put enfin voir à quoi ressemblaient les auteurs de ce crime épouvantable. Posé sur quatre puissantes pattes aux longues griffes acérées, surmonté par une montagne de muscles et recouvert par d'épais poils noirs et rouges, un gigantesque chien-démon fonçait sur elle. Son ½il vif et méchant ainsi que ses puissants crocs capables de déchiqueter un membre sans difficulté auraient suffit à faire fuir le plus courageux des hommes. Dommage pour lui, ce soir, il faisait face à une personne qui en avait assez de fuir. Lorsque le chien sauta sur Alessa, celle-ci tenait déjà en main sa longue lame en dents de scie. De toutes ses forces, Alessa lui administra un magnifique coup en plein vol qui déchira la gorge du monstre et l'envoya tomber quelques mètres plus loin, mort. La jeune chasseuse regarda un instant son arme dégoulinant de sang noirâtre. Ce chien n'était que le premier d'une longue liste... Alors, suivant le son des cris et des appels à l'aide, Alessa s'enfonça dans le village à la recherche de démons à éliminer et de personnes à sauver.

Il semblait qu'une véritable meute de chien-démons avait envahi le village. Au bout de quelques minutes à arpenter les ruelles, Alessa en avait déjà éliminé une demi-douzaine. Ces molosses étaient d'excellentes armes pour ce type de combat ; aucun villageois n'était de taille à les affronter, et il leur était impossible de les fuir. Les chiens grouillaient partout dans le village, et repéraient très facilement tout individu à proximité, sans leur laisser la moindre chance. De véritables machines à tuer. Un nombre incroyable de gens devaient se faire massacrer à chaque minute qui passait ; il fallait à tout prix que ça s'arrête.

 Il était plutôt difficile de circuler dans le village, compte tenu du fait que les rues étaient encombrées de débris et de cadavres humains. Les maisons en flammes se multipliaient, pourtant, les démons-chien n'étaient pas capables de créer un incendie. Mais alors, qu'est-ce qui en était responsable ? Elle n'avait vu aucun autre démon depuis sa sortie de l'auberge. Elle se demandait également où pouvait bien se trouver son partenaire. Elle espérait au moins qu'il s'en sortait également, où qu'il soit. Elle avait encore trop besoin de lui pour accepter de s'en séparer maintenant.

Les minutes passaient, et la situation ne s'arrangeait pas. A plusieurs reprises, Alessa aida quelqu'un qui avait été coincé par l'effondrement d'un bâtiment. De même, elle empêcha plusieurs fois un chien-démon de s'en prendre à un villageois sans défense. Tous ceux qu'elle libérait se dirigeait à toute vitesse vers la place centrale ; pourtant, elle n'avait rien vu de spécial là-bas, et à leur place, elle ferait tout pour sortir du village, plutôt que de s'y enfoncer. Bizarre... Une série de cris proches attira son attention. Trois adolescents s'étaient faits coincés par une meute sur un grand terrain de basket. Ce n'était qu'une question de secondes avant que les démons ne donnent l'assaut et ne les réduisent en pièces. Alessa siffla de toutes ses forces pour attirer l'attention des chiens ; puis, elle jeta un petit couteau droit sur l'un d'entre eux, qui poussa un hurlement plaintif. Son plan fonctionna ; abandonnant la bande, ils se précipitèrent sur celle qui avait impunément blessé l'un de leurs compagnons, bien décidés à se venger. Mais la jeune fille ne se laissa pas impressionner, et une volée de lames plus tard, une dizaine de chiens morts gisait sur le terrain. Très impressionnée, la bande de jeunes vient s'approcher d'elle :

- Alors ça, c'est trop fort ! s'écria l'un d'eux.
- Où t'as appris à faire ça ? demanda un autre.

La seule fille du groupe intervint soudain :

- Dis, tu voudrais pas nous escorter jusqu'à la planque ?
- Quoi ? demanda Alessa. Quelle planque ?
- T'es pas au courant ? dit l'un des garçons. Tu dois pas être d'ici. Il y a un abri souterrain dans le village, pour s'y réfugier en cas d'attaque, comme maintenant ! L'entrée est dans l'église, sur la place principale.
- Vraiment ?
- Mais oui ! La moitié des habitants doivent déjà s'y être réfugié !
- Et pourquoi vous n'y êtes pas ?
- Ben en fait... dit le garçon, un peu gêné. On est a violé le couvre-feu, et on s'est tiré dans la forêt. Quand on est revenu, c'était comme ça !

Un abri ? S'il existait vraiment, il ne fallait surtout pas qu'il soit laissé sans défense. Y-avait-il quelqu'un pour le protéger ? Il fallait qu'elle en ait le c½ur net. Mais alors qu'elle s'apprêtait à accepter d'y aller avec eux, un nouveau cri, particulièrement aigüe, retentit tout près d'ici. Décidément, ça ne s'arrêtait jamais. Elle dit aux trois adolescents de courir jusqu'à l'abri, en leur recommandant d'être discret et de rester caché dans l'ombre. Puis, elle se précipita en direction du cri. Une fillette qui n'avait pas dix ans était sur le point de se faire attaquer par un autre de ces chiens. La bête l'observait, curieuse de voir un humain de si petite taille, tandis que l'enfant trébuchait et tombait par terre, des larmes de terreur coulant sur ses joues. Un aboiement puissant indiqua que le démon allait passer à l'attaque. Alessa prit l'un de ses couteaux et elle était sur le point de le lancer ; quand soudain, de violentes détonations retentirent et une multitude de balles d'acier vinrent percer le flanc du chien, qui s'effondra aux pieds de la fillette. Sebantey venait enfin d'arriver. Tout en aidant l'enfant à se relever, Alessa se tourna vers lui pour lui demander où il était passé. Mais en le regardant, elle remarqua de longues traces de sang sur ses bras, ainsi que de profondes marques de griffures.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ? demanda-t-elle.

C'était la première fois qu'elle le voyait blessé. Mais il ne répondit pas à sa question. A la place, il lui dit précipitamment :

- Ecoute, toi et la fille, partez d'ici. Vite. Il arrive.
- Quoi ? s'inquiéta Alessa. Qu'est-ce qui arrive ?
- Le truc le plus dangereux à des kilomètres à la ronde. Dépêchez-vous !

Soudain, un étrange bruit, comme un feu que  l'on vient d'étouffer, se fit entendre à travers la nuit. En l'entendant, Sebantey se figea immédiatement.

- Trop tard... soupira-t-il.

Il leva la tête, et Alessa suivit son regard ; c'est alors qu'elle eut la peur de sa vie. Perché en haut d'une maison, accroupi au bord du toit, un démon tel qu'elle n'en avait jamais vu la regardait avec curiosité. Dans son apparence corporelle, la créature était en tout point semblable avec un être humain ; en revanche, d'intenses flammes rouges brûlaient sur elle, embrassant son corps. Mais ces flammes ne dégageaient ni lumière, ni chaleur ; elles ne semblaient n'être que la manifestation matérielle de l'âme maléfique qui animait le démon. Mais en plus du feu, le démon dégageait une espèce d'aura de terreur si perçante qu'elle inspira à Alessa un irrépressible besoin de fuir. En effet, malgré son courage exceptionnel, la jeune fille n'avait plus qu'un seul désir, partir d'ici, tout laisser derrière elle, et courir aussi loin qu'elle le pouvait. Elle se mit à trembler tandis qu'elle regardait le sourire dément qui traversait le visage du démon, ses yeux fous ne la quittant plus. Cette puissance qui émanait du monstre jouait aussi sur la fillette, dont les pleurs avaient doublé d'intensité. Le seul qui gardait son sang-froid, c'était Sebantey. Son expérience en matière de démons faisait ici toute la différence.

- Alessa, dit-il calmement, prends la fille et va sur la place du village. Il y a une église là-bas, d'où tu pourras rejoindre un abri. Pour l'instant, continua-t-il en montrant le démon, il est calme, mais ça ne va pas durer. Partez.

Sa voix avait quelque chose de rassurant, et l'emprise qu'avait le démon sur Alessa s'atténua quelque peu, lui permettant de retrouver son calme. Même si l'idée de le laisser seul avec ce monstre la répugnait, elle n'avait pas le choix ; il fallait qu'elle s'occupe de la gamine. De plus, son instinct la suppliait toujours de partir d'ici. Toutefois, se forçant à dominer sa peur, elle dit :

- Je ramène la fille, et je reviens t'aider à éliminer ce truc.
- Inutile. Désolé de te dire ça, mais avec ton niveau actuel, tu ne pourrais même pas le blesser. Ca fait un moment que l'attaque a commencé, la plupart des villageois doivent être soit morts soit en sécurité. Aussi, quand tu seras à l'abri, restes-y, et protège-le. C'est la meilleure chose à faire.

Il avait raison, bien entendu. Mais soudain, le démon se releva, et fit un geste vif du bras. En voyant cela, Sebantey se précipita sur les deux filles, leur prit une main chacune, et les entraîna le plus loin possible. Quelques secondes plus tard, un formidable éclair de flammes frappa le sol exactement là où ils étaient avant. L'éclair produisit une très forte détonation, et les maisons environnantes s'enflammèrent aussitôt. La situation devenait critique.

- Je ne peux rien faire tant que vous êtes là ! dit Sebantey. Allez, partez !

Devant l'urgence de la situation, et compte tenu des risques qui pesaient sur la petite fille, Alessa hocha la tête, prit la fillette par la main, et toutes deux disparurent rapidement en s'enfonçant dans les ruelles sombres. Quand elles furent parties, Sebantey reporta son regard sur le démon qui n'avait pas changé de position.

- Voilà, il n'y a plus que nous deux, maintenant ! lui cria-t-il. On va régler ça vite fait, qu'est-ce que t'en dis ?

En guise de réponse, le sourire du monstre s'accentua, et il se redressa complètement, prêt à combattre. De là où elles étaient, Alessa et la fillette se retournèrent en entendant une nouvelle déflagration. Une gigantesque colonne de flammes s'élevait à l'endroit qu'elles venaient de quitter. Le combat avait commencé...