- Alors, dit le garçon, je suis venu te faire une offre. Viens avec moi. Je peux t'apprendre de nombreuses choses sur les démons. Je peux te procurer de meilleures armes. En clair, je peux t'aider à t'améliorer, à devenir plus forte. Je ne pense pas me tromper en disant que c'est ça qui t'intéresse. Si je le fais, ce n'est pas parce que tu es une ratée, mais justement parce que tu es forte. Parce que tu as les capacités de sauver des vies. Parce que tu as les moyens de rendre le monde meilleur.

Il laissa passer un silence de quelques instants, tout en maintenant un regard franc et pénétrant sur Alessa. Puis, il poursuivit :

- De plus, tu as bien vu que ni toi, ni moi, n'aurions pu intervenir dans ce village seul en évitant qu'il n'y ait des victimes... Ainsi, en te prenant avec moi, j'y gagne un partenaire. Le travail d'équipe est vital pour un chasseur de démons. Celui qui agit seul, aussi fort soit-il, est suicidaire. Quand on ne peut pas faire autrement, c'est un risque à prendre. Mais quand on a le choix...

Il soupira, et réfléchit quelques instants avant de poursuivre. Enfin, il déclara :

- Alors voilà ma proposition. Si tu décides de venir avec moi, on combattra ensemble. Cela dit, libre à toi de choisir. Tu peux très bien refuser. Simplement, je ne pouvais pas te laisser partir sans tenter ma chance. C'aurait été parfaitement idiot, conclut-il.

Un long moment passa sans que personne ne dise un mot. Même les discussions et les rires à l'extérieur semblaient s'être suspendus à cet instant. Alessa ne savait ni quoi dire, ni quoi penser. Elle était totalement prise au dépourvu. Toutes sortes de choses se bousculaient dans sa tête. Alors, sans réfléchir, presque par automatisme, elle répondit :

- Non, je refuse.

Elle ne put s'empêcher de remarquer que les traits du garçon s'affaissèrent. Elle, qui d'ordinaire ne s'excusait jamais, se sentit même obligée d'ajouter :

- Désolée.

Il haussa les épaules.

- Je te l'ai dit, c'est à toi de voir. Ca valait le coup d'essayer, en tout cas.

Puis, après un nouveau soupir :

- A ce moment-là, je n'ai plus rien à faire dans ce village. Sur ce, je te souhaite bonne continuation, termina-t-il avec un triste sourire.

Puis, il sortit sans rien ajouter, laissant la porte ouverte. Cette solitude soudaine n'arrangea rien au désarroi d'Alessa. Elle réalisa qu'il s'agissait de la plus longue conversation qu'elle avait eut avec un être humain depuis... Impossible de dire combien de temps. Trop longtemps, sans doute. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. D'habitude, elle se fichait bien de ce que pouvaient dire, penser et faire les autres... Alors pourquoi ne pouvait-elle pas simplement chasser ce type de son esprit ?

Et soudain, elle comprit. Si elle avait choisi de s'isoler toutes ces années, c'est parce qu'elle se sentait différente. Qu'elle avait l'impression que les autres ne vivaient pas dans le même monde qu'elle. Or, elle venait de rencontrer quelqu'un de seul, sans foyer, sans famille, et n'ayant visiblement pas d'autres projets que celui de lutter contre les démons. Pour la première fois, elle venait de rencontrer quelqu'un qui lui ressemblait.

Voilà pourquoi elle se sentait si déstabilisée ! Et elle était en train de le laisser partir... Mais qu'est-ce qu'elle attendait ?

D'un bond, elle sortir de son lit. Aussitôt, son mal de tête doubla d'intensité, et ses jambes menacèrent de plier. Il n'avait pas menti sur le poison. Luttant pour rester debout, elle vit ses armes entreposées dans un coin de la pièce. Elle détestait l'idée de sortir désarmée, mais elle n'avait clairement pas le temps de s'occuper de ça. Laissant ses armes, elle se rendit dans le couloir, avançant aussi vite que son état le permettait. Quand elle ouvrit la porte vers l'extérieur, elle se retrouva à proximité de la place du village. Le soleil l'aveugla, et une bouffée de chaleur lui sauta au visage. La main en visière, elle cherchait désespérément son but. Quelle idiote ! Elle venait de passer à côté d'une occasion en or de devenir plus forte, et peut-être même... Elle secoua la tête comme pour chasser quelques mauvaises idées. Et soudain, elle le vit. Il était à la sortie du village, se dirigeant lentement mais sûrement vers la route qui l'entraînerait au loin dans le vaste monde.

- Hé ! hurla Alessa, attirant tous les regards sur elle. Hé ! Attends !

Elle devait avoir l'air ridicule, mais elle s'en fichait. Ignorant ses jambes qui n'étaient toujours pas rétablies, elle courut aussi vite que possible en direction de ce garçon dont elle ignorait toujours le nom. Enfin, elle arriva devant lui. Alors, hors d'haleine, elle parvint à dire :

- Attends... Pars pas... sans moi...
- Tiens ? dit l'autre, surpris. Tu as changé d'avis ?
- Ouais, répondit-elle en avalant sa salive. Ouais, je viens avec toi. Mais si j'accepte, c'est uniquement parce que je veux devenir plus forte. Comme tu l'as dit, c'est tout ce qui m'intéresse. C'est bien compris ?

Elle tenait à ce que ce soit bien clair. Après qu'il ait hoché la tête, elle ajouta :

- Je vais juste chercher mes armes. Je reviens, attends moi ici !

Sur ce, elle s'éloigna en direction de l'hôpital, respirant profondément, la main appuyée sur un point de côté. Quand elle fut presque arrivée, elle jeta un regard en arrière, comme pour vérifier que le garçon était toujours là. Puis, elle pénétra dans le bâtiment. Alors, à l'abri de son regard, Sebantey fit son premier vrai sourire depuis plusieurs mois.

Elle ne tarda pas à réapparaître, revenant vers lui d'un pas pressé, ses armes cachées par sa veste noire à demi-enfilée.

- On peut y aller ? demanda-t-il.
- Une dernière chose, dit encore Alessa. Je veux savoir ton nom.
- Je m'appelle Sebantey. A toi de me dire le tien.
- Moi, c'est Alessa.

Cette fois, il se contenta de sourire à demi. Puis, tournant le dos au village, ils s'engagèrent sur la route et s'éloignèrent ensemble.