Noelfic est temporairement en accès limité.
Envie de discuter en attendant ?
Accédez au SkyChat
Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 5


Publié le 24/11/2015 à 20:27:39 par Sheyne

Lorsqu'avalé par Hélios le soleil disparait, sa lumière vengeresse embrase le monde.

Au coeur de la nuit, Yggdrasil et ses neuf paliers baignaient d'écarlate. Ses racines, hautes perchées dans le ciel nocturne, s'étendaient jusque dans le vide qu'était autrefois la croute terrestre. Flottant à des milliers de kilomètres du titanesque noyau de nickel en fusion, l'arbre cité gravitait inlassablement depuis plus de trois-cents ans. Immuablement, il entrainait une immense partie de l'humanité dans ses branches noueuses.

La nuit tombée, le centre de la terre irradiait les cieux. Il les teintait de ses rayons rougeatre, conférant aux multiples étages une allure surnaturelle. Les fantastiques feuillages mouvants, alors éclairés par en dessous, donnaient l'impression de prendre feu. Ils nourrissaient le surnaturel. Et si du haut du palais, au sein de la cime le spectacle était ravissant, les chemins sinueux des ruelles des bas plateaux en devenaient effrayants à souhait. En conséquence, les récits d'ombre, ou de monstres filant dans la semi-pénombre carminée étaient monnaie courante et entretenaient la folie superstitieuse des habitants.

«On y est presque !»

À travers ce décor féérique, deux silhouettes glissaient rapidement. Loin d'être silencieuse, l'une des deux pulvérisait les pavés sales à chaque pas. Courant brutalement, elle dispersait les flaques d'eau croupie sous sa masse fabuleuse. La seconde, plus menue et plus discrète, se faufilait à ses côtés sans mot dire, légèrement en retrait.
Mais ils n'étaient pas seuls à se déplacer dans la pénombre. Au-dessus de leur tête, un petit écureuil roux bondissait de toits en branches, de racines en terrasses pour suivre le duo affairé. Bientôt, il dut s'arrêter sur un balcon pour surveiller la scène, et celui qui semblait colossal pointa son doigt dans sa direction :

«Là, grimpe à la corniche, il devrait être en train de dormir, démerde-toi comme tu veux, mais je veux ce putain de collier.
— C'est bon, tu l'auras.»

La voix fluette de la jeune femme se fâchait. Jamais de toute sa vie elle n'avait reçu d'ordre. L'autre Ours lui tapait sur les nerfs, mais en différentes circonstances elle aurait pu l'apprécier grandement. En effet, malgré son odeur pestilentielle, il possédait les qualités nécessaires à un chef d'état-major : la force de commandement, la reflexion et surtout la prestance.
Tout en escaladant la paroi de pierre friable, elle se jura d'y repenser plus tard s'il tenait son accord et que tout se passait comme prévu. Le mur était mangé par le lierre, la progression fut donc facile. ( Non pas qu'elle ait déjà escaladé une surface pareille, mais ses doigts savaient d'instinct où s'accrocher et par où aller. )
Il ne lui fallut qu'une dizaine de secondes pour gagner le balcon. Lorsque sa main se posa sur la surface lisse et froide de la plateforme, le petit cri d'un animal la crispa. Son visage devint tendu, mais pendant qu'elle enjambait la balustrade le son se perdit entre deux racines.

Elle fit aussitôt face à une large fenêtre scellée par de grands panneaux de bois. À la manière de stores vénitiens, ils coupaient l'éclat sanglant du ciel nocturne en ne laissant rien paraître de l'intérieur. La lumière externe était bien trop forte pour y distinguer quoi que ce soit. Tout semblait verrouillé, si bien qu'y entrer sans faire de bruit était tout bonnement impossible. Et réveiller l'occupant (si tant est qu'il soit seul), habitué à l'obscurité... qui plus est sans connaître les lieux ni la disposition des meubles au préalable sonnait comme une idée suicidaire. D'autant plus que la corniche donnait sur une large place d'où l'Ours attendait.
Toutes les habitations alentour avaient une vue imprenable sur la fontaine délabrée en son centre, mais également sur le balcon où la jeune femme se trouvait. L'entrée était trop incertaine... renoncer semblait l'unique option.

Au moment où elle parut se résigner, un petit bruit de pattes tapota la pierre non loin. Dans un élan aussi léger que rapide, un éclair roux lui fila entre les jambes. Il se glissa par dessous le volet. L'instant d'après le verrou lâcha.
Stupéfiée, la voleuse ne fit aucun commentaire, Helios était de son côté, on n’allait pas non plus en faire toute une histoire. Quoi de plus normal lorsqu'on sait qu'il est un dieu vengeur et par quels sentiments l'âme prisonnière était animée. Et puis les divinités doivent bien s'entraider...

Par miracle, la vitre était également ouverte, peut-être à cause de la chaleur nocturne. Quant à l'animal... et bien, il avait disparu en s'engouffrant dans l'habitation. La jeune femme lui emboita silencieusement le pas. Lentement, elle progressa à tâtons jusqu'à toucher un nouveau pan de mur.
Pour ne pas réveiller l'occupant, elle avait juste assez dégagé les stores pour se glisser à l'intérieur avant de les refermer aussitôt. Mais si la lumière ne risquait pas de les incommoder, elle n'y voyait absolument rien. Alors elle attendit quelques minutes sans bouger, droite, le temps que ses yeux s'habituent aux ténèbres en méditant sur un plan d'action. Un couteau se trouvait dans sa poche, elle l'avait pris à l'auberge. Le plus simple était sans aucun doute d'égorger l'habitant durant son sommeil, avant de chercher le collier... en espérant qu'il ne l'ait pas caché quelque part.

Bientôt, elle put distinguer un large lit à baldaquin. La vaste pièce était peu meublée, si ce n'était une vieille commode sur le côté gauche. Elle l'ignora et longea lentement par l'autre flanc en évoluant furtivement jusqu'au pied de la couchette. Là, elle arma son poing, couteau entre les doigts, et son coeur se mit à cogner fort dans sa poitrine. S'étant assuré de l'emplacement de sa cible, l'esprit vidé, son bras se leva pour s'abattre fatalement.

Alors en silence, la lame acérée transperça indistinctement peau, chaire et cartilage. Puis un affreux craquement retentit lorsqu'elle buta sur un os qui lâcha brusquement. Ce devait être la boite crânienne. L'arme blanche plantée dans la tempe se retira dans un abominable bruit de raclement. Immédiatement une infernale odeur de fer envahit la pièce.

L'assassin ne s'était jamais senti aussi vivant. Même dans le palais, même avec les drogues. Être le propre acteur de sa vie lui procurait une joie sanglante, une sensation d'éveil sans précédente.
Voir les prisonniers subir les pires tortures ou massacrer des gens par dizaine avec son vibreur... Tout cela n'était que foutaise. Il fallait bien accorder ça au Philosophe, cet enculé lui avait appris quelque chose finalement ! Il n'avait toujours été qu'un pâle spectateur, appuyant sur un bouton, ou balançant un ordre. Jamais il n'avait risqué quelques punitions puisqu'il était le maître... Mais là... Mais ça... Savoir qu'en cas d'échec tout était fini l'emplissait d'une telle jubilation...
Alors sa folie prit le dessus. Il abattit le couteau une nouvelle fois, puis une seconde, perçant le thorax, déchirant les couvertures, redemandant de cette adrénaline déchainée qui s'était emparée de ses veines lorsqu'il avait joué sa vie pour en voler une. Finalement il se retint plus : il martela furieusement le lit, le faisant sauter en tous sens tandis que le cadavre troué semblait danser et craquer, déborder d'organes par tous les côtés dans un bruit de succion atroce.

Soudain, un hurlement explosa la bulle chorégraphique. Des gémissements de terreur... Une autre personne dans la couchette. La masse roula en dehors du matelas et une ampoule repoussa les ténèbres. Le projecteur braqué sur la scène, l'homme à terre beugla. Face à lui se dévoilait une représentation macabre.
Dos au mur, couteau planté dans un amas de chaire détruite, deux yeux bleus soulignaient une malade couverte d'écarlate. La mimique tordue, et le regard aliéné, la jeune femme éclata de rire en retirant l'arme du corps de sa victime. L'acier trempé de sang charia un filet liquide qui jaillit dans les airs devant elle, avant de gicler jusqu'à sa seconde proie.
Possédé, le seigneur vagabond prit un instant pour porter un oeil sur la dépouille. Une fille au visage mutilé, l'amante de ce chien. Pauvre animal, il tripotait désespérément un tiroir de sa table de chevet.
Le lit étant entre eux, l'assassin prit donc soin de le contourner lentement en écartant les bras avant de déclarer en un geste théâtral :

«Alors quoi ?! Tu veux bien la baiser elle, et pas moi ?! Je ne suis pas à ton goût c'est ça ? - Puis léchant ses lèvres couvertes de sang elle poursuivit – C'est vrai qu'elle est bonne la salope !
— A... arrête-toi !
— Ooooh ! Et qu'est-ce que tu comptes faire ?!
— Je... je vais te crever pétasse.»

Se détachant du meuble, l'homme se retourna brusquement un objet entre les mains. Svelt, cheveux roux coupé court, on reconnaissait le bouseux au collier, celui qui l'avait trainée dans la boue. Sa face se tordait de terreur, mais l'assurance semblait le gagner peu à peu. Il s'endiabla :

«Lâche ton couteau ! Tu vas payer pour ce que t'as fait pouffiasse. Montre-moi ton visage avant que je te bute !»

En un instant, l'esprit fou perdit tout sourire, la situation venait de lui échapper. Ses veines s'enflammèrent à nouveau. Si le destin se poursuivait dans ce sens tout était fini. Car en face de lui sa proie tremblante le menaçait, le doigt sur la gâchette d'une arme à feu.


Commentaires