Incarnation
Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction , Fantastique
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 28
Publié le 27/10/16 à 12:52:56 par Sheyne
Pour les braconniers, l'attente fut terrible. Le roi, lui, s'était précipité. Attrapant le bras d'Euka, il se propulsa dans le couloir. Au fond de celui-ci, ils se glissèrent dans un carrefour transversal et s'adossèrent contre le mur. Alors il colla la jeune femme contre lui. Les coursives étaient assez étroites pour limiter les chocs. Et si ses repères étaient bons, lors de la collision il serait propulsé contre la paroi où ils se trouvaient déjà, limitant les dégâts.
Euka semblait perdue. Sans comprendre, elle plongeait ses grands yeux en amande dans les siens, à la recherche de réconfort. Il choisit de s'y noyer en la serrant un peu plus fort, le temps lui manquait pour expliquer.
Quant à la protection qu'il lui offrait, à dire vrai, il ne savait pas pourquoi il lui intimait ainsi de rester calme en faisant matelas de son propre corps. Mais malgré le cauchemar qu'était devenue sa vie, la seule chose qui comptait réellement à présent, c'est qu'il ne voulait pas la perdre. Après tout, elle était sans aucun doute la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis bien longtemps.
Bientôt, deux autres félins se plaquèrent à côté d'eux. L'instant suivant, ce fut l'enfer. Un épouvantable hurlement métallique explosa, le cri terrible de l'acier mangeant la pierre, et il sut qu'il avait vu juste. Écrasé contre la paroi, transpercé par la puissance du choc, il vida ses poumons.
À sa gauche, le couloir se déforma sous l'impact. Trois hommes chats le traversèrent en volant, avant de s'éclater contre le mur dans un craquement d'os sinistre. L'un d'entre eux parvint à se récupérer sur ses quatre pattes, ça ne le sauva pas. Une lourde machine siffla à sa suite. Raclant le sol des coursives dans un cri d'étincelles, elle pulvérisa les corps en une gerbe sanglante. Un braconnier s'y écrasa à sa suite.
À sa droite, les deux derniers félins pleuraient, le visage déformé par la brutalité des chocs. Dans ses bras, Euka tremblait. Il aurait voulu la rassurer, mais le vaisseau acheva sa course dans une brutalité extrême.
En une ultime secousse, les murs se gondolèrent. Au-dessus d'eux, le plafond, élargi d'un bon mètre, se déchira sur toute sa longueur. Sous ses pieds il sentit le sol vaciller, prêt à craquer. Et il ne savait pas ce qui le terrorisait le plus. Le son terrible du navire sur le point de se disloquer, ou le sentir se balancer, comme en équilibre au bord du vide.
Néanmoins lorsque tout fut terminé, il s'interdit de bouger pour un moment, persuadé qu'un seul pas pouvait les condamner. C'était stupide, il le savait, de penser pouvoir faire bouger plusieurs tonnes de métal avec le poids d'un seul corps, mais les émotions avaient pris le pas sur sa logique.
Déglutissant bruyamment, son esprit confus fit le point sur la situation. Dans ses bras, Euka n'avait jamais paru aussi frêle.
Entre leurs jambes ruisselait un filet écarlate. Livide, la jeune femme en regardait la source : ses compagnons. Écrasés comme des brindilles par l'une des turbines qui avait dégringolé dans les coursives, ils n'étaient plus qu'un amas sanglant. Alors, refusant d'en voir plus, elle ferma les paupières en se blottissant contre lui.
À leurs côtés, les deux derniers félins s'agitaient. L'accès au couloir était bloqué d'une part par la machine et de l'autre côté par l'acier tordu qui s'était refermé sur lui même. Nerveux, ils scrutaient l'ouverture au plafond d'un oeil hésitant, comme si quelque chose de terrible allait en sortir.
Trente longues secondes passèrent avant que le métal fumant ne cesse de gronder autour d'eux. Le roi ne bougea qu'à ce moment-là. Délicatement, son étreinte se desserra et il repoussa la jeune femme. Avançant sur quelques pas, il sentit ses jambes encore tremblantes d'adrénaline. Le plafond éventré lui donnait la chair de poule. Où s'étaient-ils écrasés ?
"Il y a au moins trois mètres de haut. Il va falloir se faire la courte échelle pour accéder au bastingage.
- Alors, on monte ?
- Oui, c'est le mieux."
Doucement, il se remettait de ses émotions et envisageait le seul plan de fuite possible. L'un des deux félins, libéré du poids de la décision, prit son élan et bondit contre un des murs. Il s'en servit comme de marchepied pour se hisser seul jusqu'à l'étage supérieur. Le roi en resta éberlué. Aussitôt, le seconde fit de même, puis ce fut à Euka de s'avancer. Elle se prépara à sauter, mais ne le voyant pas bouger elle se ravisa, inquiète :
"Hell, tu viens ?
- Je... oui."
Alors, malgré l'horreur de la situation, la jeune femme comprit le problème. Elle esquissa un sourire encourageant. Sa frimousse le réconforta. Ce n'était pas son corps, elle le savait.
"Tu avais bien réussi à me suivre dans la forêt. Je ne m'en fais pas pour toi, focalise toi seulement sur ce que tu as à faire, ton instinct te guidera. Fais juste comme moi, je t'attends là haut."
D'un bond, elle s'éleva d'un mètre. Ses jambes animales vinrent battre la paroi et la soulevèrent dans les airs. Athlétique, son corps pivota et bondit dans l'ouverture. L'espace d'un instant, elle avait semblé plonger dans ciel.
Psychoter ne servirait à rien. Le roi la suivit sans poser de question. Il s'imagina seulement la rejoindre et son corps se dota d'une volonté propre.
Puissantes, ses pattes arrière le propulsèrent plus haut qu'il ne l'aurait cru possible : avant même qu'il ne le réalise, il était à la perpendiculaire de la paroi. Ses griffes vinrent mordre le métal, mais la chaire sous ses pieds assura la prise. En un instant, il fusait à toute allure dans l'ouverture. La vitesse le grisa.
Il n'eut cependant pas le temps de repérer où tomber. Jaillissant à l'étage, un rayon de soleil lui arracha la vue. Il jura avant de s'écraser aux pieds du groupe.
En constatant la mine déconfite des félins, il eut honte de lui. Nul doute qu'en d'autres circonstances, il aurait provoqué l'hilarité générale. Euka le félicita tout de même. En se relevant, il se justifia lui même :
"Bah... On ne peut pas être bon à tout."
Et sa remarque le surprit. Pourquoi lui, dieu parmi les hommes, unique seigneur d'Yggdrasil ne pourrait pas être bon partout ? Comment arrivait-il à tolérer que ces animaux se moquent de sa condition ? Lui qui se sentait diminué, impuissant, loin de chez lui. Sans compter son avenir incertain qui lui donnait la nausée. Pourrait-il un jour vivre à nouveau comme avant ?
Mais ses jugements éclatèrent bien vite. Un seul regard sur ses compagnons le tordit de remords. Eux aussi, ils étaient comme lui. Arrachés à leur foyer, trainé dans les couches les plus basses de l'humanité ils avaient vu tous leurs amis mourir un par un.
Soupirant, ses yeux vinrent chercher ceux d'Euka. Ce seul contact lui apporta les réponses qu'il cherchait. Il s'inquiétait pour lui, évidemment, mais plus seulement. Après ces épreuves, il avait l'impression d'appartenir à un groupe. Il se sentait heureux d'être accepté tel qu'il était vraiment, heureux de se savoir utile.
"Et maintenant ? L'ouverture est géante, d'ici, on ne peut pas sauter pour aller plus haut.
- Bah... On va arpenter les coursives en espérant trouver un escalier encore en état de marche."
Curieux du spectacle, il leva la tête en portant la main au visage pour se protéger des rayons. Aussitôt, il tomba à genoux, ahuri. Fissure monumentale vers les cieux, ce n'était pas tant la taille colossale de l'ouverture qui le sidéra, mais ce vers quoi elle donnait. Quelques racines géantes, et loin, haut, très haut dans le ciel se perdait un immense feuillage. Véritable portail entre les mondes, l'écartement métallique menait vers son royaume. Le navire s'était échoué sur Yggdrasil.
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