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Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2


Publié le 22/11/2015 à 02:56:24 par Sheyne

Lorsque les engrenages tournent, les âmes dansent.

Dépossédé de son corps, le souverain ne pouvait bouger, emporté par un cyclone de lumière.
Happé par cette force colossale, incapable de voir ou d'entendre... mais il savait. Il savait que sa conscience primitive transcendait les vérités inaccessibles aux communs des mortels.
En face de lui, des milliards de points lumineux s'entrecroisaient, s'accrochant les uns aux autres et se détachant sans cesse en un infernal balai surnaturel. Et chacune de ces lumières avait une histoire possédait une volonté propre, une couleur différente.
Vortex immuablement silencieux, le tourbillon informe se mouvait au seul rythme de la machinerie cosmique. Comme un vrombissement sourd, l'engrenage claquait parfois et l'on aurait cru qu'une lourde porte venait de se fermer. Suivait un puissant raclement, une longue note perçante... et le chant céleste se poursuivait en une boucle incessante.

Les frontières de ce monde semblaient aussi étroites que sans limites et alors qu'il portait sa perception sur les engrenages, il aperçu le soleil et les cimes feuillues d'Yggdrasil.
Perdu dans une incompréhension totale, le roi s'arrêta au milieu de la ruelle. La transition fut aussi brusque qu'inattendue. Il bâtit des paupières, forcé à détacher son regard de l'astre brillant, mais n'en resta pas moins immobile.
On approchait du coeur de l'après-midi, la chaleur en témoignait, mais où était-il ? Par quelle hallucination, par quel miracle était-il sorti du palais ? Et plus que tout, après cette démence passagère son corps lui faisait mal, sa poitrine le gênait, douloureuse comme éreinté après une course n'ayant que trop duré.

Alors un cri le ramena à lui.

« Là ! Ne le laissez pas s'enfuir ! »

Brusqué, le seigneur balaya la scène du regard. Plusieurs hommes se précipitaient dans sa direction. Ces derniers traquaient probablement un brigand... À cette pensée, il fut pris d'une peur profonde quant à son identité, mais lâcha aussitôt l'idée. Ces animaux ne pouvaient pas le connaître et il ne craignait donc rien dans l'immédiat. Logiquement, le loisir de se mettre en sécurité lui appartenait entièrement. Mais pour rejoindre la protection de son domaine, une question subsistait : jusqu'où était-il tombé ?

Malgré la lumière, la ruelle se dévoilait lugubre et sinistrée. La boue se mêlait aux détritus jetés par les fenêtres. Même les produits reposant sur les quelques stands de marchands semblaient pourris. Toute cette crasse répugnante s'accumulait là par la faute d'habitants aux moeurs sans doute aussi écoeurantes que leur environnement. Aucun raffinement.

Quand il voulut fouiller ses poches, à la recherche de son arme, une vieille bourse de tissus lui échappa des mains. Ce n'est que lorsqu'elle s'écrasa dans le sol boueux, seulement au moment où elle éclaboussa ses souliers maintes fois rapiécés qu'il réalisa qu'elle lui était étrangère... Étrangère et sans doute l'objet de convoitise des hommes beuglant dans son dos.
Alors il se mit à courir, délaissant ce qui semblait être son larcin. Pour la première fois de son existence il filait non pas pour le plaisir, mais pour sa vie. Et bien que ses côtes lui arrachaient des gémissements de douleur, son corps paraissait incroyablement léger, assez pour continuer à toute allure, trop pour l'empêcher de se poser des questions.

« Arrête-toi bordel ! »

Aucun doute permis, c'était bien pour lui que ces barbares venaient.
Éclaboussant quelques pecnots sur son passage, il ne tint aucun compte de la remarque. Par deux fois il changea de venelle jusqu'à s'en perdre dans un boyau obscur. Mais les bruits derrière lui se poursuivaient en s'intensifiant. Les haillons sales collant ses jambes l'empêchait de les distancer.

Deux secondes suffiraient à ce qu'il débouche sur ce qui semblait une large rue passante. Une seconde de trop. Une lourde pierre jetée à la volée faucha ses jambes, son corps bascula. Pathétiquement, le roi s'écrasa dans la boue. S'il n'avait risqué d'avaler le liquide poisseux nul doute qu'il aurait vomi. L'odeur était infecte et l'affreux bruit de succion manqua de le faire craquer. L'horreur.

Avant même qu'il puisse se relever, les porcs étaient sur lui, furieux, hurlant tous en même temps. Un violent coup de pied le renvoya au sol.
Alors, pataugeant à terre, il se retourna, rampant sur le dos pour faire face à ses assaillants. C'était la fin. Trois hommes au visage suant, déchiré par la course folle semblaient attendre quelque chose de lui :

« Rends-moi mon collier, salope ! Et ne tente même pas de t'échapper.
— Co... connasse !
— Bouge-toi on te dit ! »

Entouré, trainé dans la boue comme un sac, le seigneur ne put qu'obtempérer et retrouver un vieux pendentif au fond d'une de ses poches. Tout en tendant le bijou de sa main couverte de crasse, ses lèvres tremblèrent :

« Ne m... Tue... Tuez pas. »

Il dut s'y reprendre a trois fois tant sa gorge était enrouée par la course. Le souffle lui manquait et sa voix était désastreusement aiguë, ce qui sembla déclencher la surprise générale. Choqué et énervé, le poursuivant de tête clarifia la situation :

« Quoi ?! Par ce qu'on a vraiment la gueule de sales impériaux ? C'est écrit sur ma tête que j'aime décapiter les gens ? Sale conne, on est tous dans la même merde ici et tu nous voles ? J'avoue ça démange, mais on ne tue pas les femmes, même les putains voleuses.
— Surtout aussi mignonne.»

Tous approuvèrent d'un sourire carié.
Totalement perdu, le roi se releva lentement contre le mur. Ses doigts écartés caressaient chaque fissure des vieux blocs de pierre, espérant inconsciemment qu'ils s'arrêteraient sur le vide, ou une issue salvatrice.
La manière dont ces tarés le dévisageaient avec envie le répugnait au plus haut point. Finalement, l'attention générale fut retenue par le propriétaire du collier :

« Bon maintenant récupère ta bourse et dégage. La prochaine fois on ne sera pas aussi clément."

D'un geste dédaigneux, le sac de pièces perdu dans la course s'écrasa aux pieds du roi. Un bruit d'éclaboussure plus tard, le second type le scrutait avant de cracher :

« Si t'as besoin de plus de sous pas besoin de voler, retourne donc faire le tapin, je pourrai être très... généreux.
— Bah, rigola le dernier, quand on aime la boue et les plates, pas besoin de payer bien cher...
— S'pèce d'enculé ! »

Trente secondes plus tard, soulagé de leurs départs, le souverain déchu se laissa retomber au sol, exténué. Seul, accroupis dans la crasse omniprésente des bas quartiers, des larmes coulèrent. Ce n'était pas tant la tristesse qui le retournait, mais un poignant mélange d'émotions... Des émotions si intensément brutales et pour la plupart inconnues. Un affolement qui vous prend de force, sans crier gare. La honte d'être trainé par terre comme un chien, l'horreur de s'égarer, la haine et le désir de vengeance. Il pleurait de soulagement aussi, après avoir cru mourir par deux fois. Mais s'en voulait également de son impuissance... Par-dessus tout, le roi se savait totalement démuni, complètement perdu. Pour la première fois, il ne maîtrisait plus rien, dérivait dans le large fleuve de la vie. Loin d'avoir un radeau, sa tête s'enfonçait sous l'eau, l'air lui manquait.

Bouleversé par les événements, épouvanté à l'idée de les comprendre, il s'abandonna au déni. Évitant tout geste nouveau, vidant ses pensées, ses yeux se perdirent dans le vide de ce pauvre mur. Mur aussi mal en point que lui. Ses haillons crasseux l'arrangeaient bien en masquant son physique nouveau.

Bientôt il devrait se trainer dans un endroit sur et faire face à la situation, mais pas encore. Il n'en avait pas la force.


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