Les pneus crissèrent, chauffés à blanc. Se vaporisant sur le goudron, leur plainte suraiguë résonnait en un ultime cri d'horreur. Possédé, Walter s'était rué sur le volant, broyant l'engin de mort entre ses doigts. Bandant ses muscles, il manqua de le briser, le happant d'un coup sur la droite. Puissance abominable, le prédateur vira brusquement.

Le sol se souleva dans un épouvantable grondement. Déséquilibrée, la jaguar manqua de basculer, ne touchant plus terre que d'une seule patte. Lentement, la mâchoire infernale se détourna de sa proie. Fendant les aires, elle claqua dans le vide, dévoilant un abdomen bondé de tuyères.

La jeune femme était tombée au sol, terrorisée, le visage porté vers le ciel. Elle ne vit que le ventre de la bête, semblant voler au-dessus d'elle. Retourné sur le côté, presque à la perpendiculaire, le monstre de métal lui cachait le soleil. Véritable déferlement de puissance, il la dépassa en un instant. Le souffle de sa célérité l'étala sur la route, manquant de l'emporter dans sa course folle. Trop surprise, elle ne put distinguer le conducteur.

Surgissant du carrefour, un formidable coup de klaxon tomba. Un camion tentait désespérément de s'arrêter. Mais, immuablement, la voiture poursuivait sa route ; achevant violemment son quart de tour, s'écrasant sur le goudron. Les suspensions claquèrent. Le félin était retombé sur ses pattes.
Walter, complètement halluciné, rafla l'effroyable masse, fusant en contresens.

Attirée par la dépression, la jaguar vint claquer sur le côté du poids lourd, se brisant dans un horrifiant craquement sonore. La secousse manqua de l'arracher de son siège.
C'est alors que le rétroviseur explosa. S'arrachant à la monstruosité, la voiture fusait, disparaissant au coin de l'avenue.

Lorsque le camionneur s'arrêta pour un constat, la jaguar s'était déjà perdue dans le lointain. Seule restait la journaliste, étalée sur le passage clouté, un masque d'incompréhension rivé au visage. Quelqu'un avait cherché à la tuer, ou tout du moins à lui faire comprendre qu'elle allait bientôt y rester... Dieu seul savait par quel miracle elle était encore en vie.

Tétanisée, elle n'osait se relever. Déjà, la circulation commençait à reprendre son cours. Passage au feu vert. De nombreux klaxons pétardaient. Quelques personnes se permettaient de passer outre son corps au sol, circulants au ralenti, prenant garde à ne pas l'écraser, tout en l'injuriant de tous les noms. Après tout, cette conne, par terre, les mettait encore plus en retard, de quel droit osait-elle se coucher sur la route ?
Fort heureusement, les sirènes de polices finirent par fuser de toute part. Si elle avait voulu se faire livrer une pizza, nul doute qu'elle aurait pu commencer à manger longtemps avant leur arrivée. Du moins, c'est l'impression qu'elle en eut.

Quand ils finirent enfin par recueillir son témoignage, elle reposait adossée au mur, une cigarette à la main. Le camion avait déjà été évacué, fluidifiant le trafic.
Forte de son expérience, passée avec les forces de l'ordre, elle ne mit qu'une minute à les renseigner de son mieux. Une voiture noire, impeccable, filant telle une fusée. Rien de plus ? Non, effectivement rien. C'était le seul souvenir de la mince seconde durant laquelle elle eut le temps de voir cette abomination en face... Juste avant qu'il la rafle, en fusant à quelques centimètres de son visage. Tout le reste n'était qu'esquisse chiffonnée dans son esprit.

Une trentaine de minutes plus tard, elle s'excusait auprès des forces de l'ordre, tentant de remettre un semblant d'ordre dans ses pensées, empruntant lentement la route de son rendez-vous.

Vainement, elle tentait de se convaincre que tout allait bien se passer...
Au fond d'elle-même, elle savait qu'elle avait tort.