Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Comment tuer sa mère (en cinq façons) ?


Par : faces-of-truth
Genre : Nawak
Statut : Terminée



Chapitre 5


Publié le 19/07/2010 à 12:55:14 par faces-of-truth

Ma mère retire son peignoir et pénètre dans la douche. Elle saisit le pommeau et fait couler l’eau chaude sur son corps. Elle savoure l’instant où le liquide chute le long de son système nerveux. Elle prend le gel Nivea Femmes. Elle se savonne. Elle masse les contours de sa forme. Elle se trouve trop grosse. Elle se rince. Elle laisse les molécules inonder son visage. Elle se réveille vraiment. Elle coupe l’eau. Elle secoue ses cheveux. Elle ouvre la porte de la douche. Elle pose le pied par terre. En posant le pied dans la flaque d’eau, le courant émis par le sèche-cheveux y baignant rentre dans sa cheville et gagne en l’espace d’un millième de seconde l’ensemble de son organisme.
Surprise et secouée, elle est projetée en l’air et s’écrase en arrière en se fracassant le bas du crâne contre la poignée de la petite baie vitrée. L’électricité la dévore en un rien de temps comme le venin d’un serpent mortel. Son corps est agité de violents spasmes qui font trembler sa tête. Ses yeux se convulsent, ses mains martèlent le sol, une fumée semble émaner de sa bouche. Et puis elle s’immobilise. Elle est comme une poupée gonflable couchée par terre, la tête pendant sur sa poitrine. Comme une femme d’un conte de fée. Tous ceux qui la touchent en meurent. Mais dans ce cas-là, toute la poésie tombe à l’eau.

Aujourd’hui, mon plan se révélait assez classique. J’avais compris que l’idée de l’empoisonnement se révélait trop technique et je n’avais pas anticipé les nombreux imprévus qui étaient survenus. C’était ma faute. J’avais pensé qu’un meurtre était facile, mais en réalité, il n’en était rien. Vous devez vous demander pourquoi je me suis donné tout ce mal pour un simple poison, n’est-ce pas ? Vous vous dîtes « mais il est débile, pourquoi il ne propose pas un verre directement à sa madre avec ce qu’il faut dedans pour la refroidir afin qu’elle le boive et puis basta ! ». La réponse est simple. Regardez dans les yeux une personne que vous allez tuer, et tendez lui la corde de l’Enfer. Vous savez ce que ça fait ? Vous vous pissez dessus. Vous allez commettre un acte qui va rester encré dans votre esprit jusqu’à ce que votre rythme cardiaque se transforme en règle d’écolier. Vous vous voyez en train d’aborder le mec ou la fille de vos rêves ? En train de chercher les meilleurs mots possibles pour ne pas vous prendre une veste ? Et bien, là, vous travaillez les meilleurs mouvements qu’il soit pour ne pas aller en taule.
Alors moi, j’ai choisi la méthode fine : je prépare un piège et je prie pour que ma mère tombe dedans. C’est un peu comme une partie de chasse. Et dans la chasse, le seul remords est d’avoir échoué.
L’échec de la veille avait été digéré. Je jouais alors ma deuxième chance ce matin-là. Ma maternelle se levait plus tard, car on était dimanche. Pendant que celle-ci allait à la cuisine pour prendre son petit déjeuner, je me dirigeai vers la salle de bain. À pas de loups, je passai devant la chambre de ma sœur encore endormie. J’ouvris lentement la porte au fond du couloir qui grinça.
Notre salle de bain n’était pas très grande : un long meuble avec deux vasques était collé à un mur, une douche occupait un coin de la pièce et une armoire rendait le centre du lieu encore plus étroit. Au contact du carrelage froid, un frisson me parcourut l’échine. Mais était-ce la fraîcheur du sol ou l’excitation de mon entreprise ? Moi-même, je ne saurais le dire…
J’activai le chauffage et ressortis aussitôt de la salle. Je refermai la porte le plus discrètement possible, fis quelques pas à reculons, pivotai sur moi-même et me retrouvai nez à nez avec Sylvie.
-Bonjour, me dit-elle.
Les convenances me faisaient toujours rire. Elles sont tellement usées et utilisées qu’elles en ont perdu leur sens. Maintenant, quand on demande « Comment ça va ? » à quelqu’un, on n’écoute qu’à moitié sa réponse.
-‘Lut. Bien dormi ?
-Bof.
-Formidable.
Je passai à côté d’elle, mettant fin à cette conversation sans intérêt.
-Tu faisais quoi ?
Je me retournai, à la fois surpris par cet intérêt soudain pour mes activités et inquiet par le fait qu’elle fourre son nez dans mes plans. J’ai toujours eu un tempérament parano, j’étais capable de voir le mal à chaque coin de rue, derrière n’importe quelle porte… À l’époque où Virginie m’envoyait des sms dévoilant son béguin pour moi, je ne pouvais m’empêcher de redouter d’être l’objet d’un jeu de moqueries mesquin avec ses copines. Ce ne fut heureusement pas le cas… Mais la paranoïa n’est pas, à mon sens, un parasite.
-Tu faisais quoi ? répéta ma sœur.
-Tais-toi, je parle au lecteur.
Je disais donc… La paranoïa est plus un avantage que notre esprit nous confère qu’un inconvénient. Je la vois comme… une vertu. Oui, c’est le mot. Mais qu’est-ce qu’une vertu ? C’est ce qui offre le bien aux autres tout en contribuant à notre propre bonheur. Mais cette définition est-elle réelle ou utopique ? Je crois que c’est Aristote qui disait, entre deux partouzes avec ses élèves, que l’homme peut être heureux en étant vertueux. Je crois plutôt qu’on peut se passer de la gentillesse et du zèle pour cela. Je m’explique. La paranoïa peut nous rendre heureux. Enfin heureux… Je me comprends… Imaginer le pire n’a rien de bien réjouissant, je vous l’accorde. Mais anticiper la catastrophe, appréhender l’échec et se tenir en garde contre n’importe quel danger, aussi inoffensif soit-il à défaut de son existence, ne peut avoir que de bonnes répercutions sur nos vies. En effet, si nos craintes étaient fondées et que le mal tant redouté se réalise, nous ne sommes pas déçus, ni même frustrés ou pris par surprise, puisque nous nous y attendions. On n’espérait pas de succès, donc qu’avons-nous perdu ? Au contraire, si par miracle un bien-fait se réalise, nous n’en sommes que deux fois plus heureux ! Persuadés de l’impossibilité d’un enchaînement positif, le bonheur engendré est alors plus fort que jamais. Les cadeaux les plus appréciés sont ceux que l’on n’espérait pas.
Pour moi, c’est ça le bonheur, le vrai… La surprise du plaisir et de la satisfaction inattendus. Sa rareté lui donne toute sa valeur.
Mais attention ! Certains choisissent de voir la vie en noir dans l’unique but de recevoir en échange les effets de la paranoïa sur l’esprit. Mais force est de constater que cela est inefficace. Il est en effet impossible de ne pas être déçu quand on voit que le bus ne passe pas à l’heure alors qu’on se répète « Il sera en retard, il sera en retard » en espérant que cette seule pensée puisse avoir une influence sur le monde lui-même. Ceux qui vivent ainsi sont des « faux pessimistes », des imposteurs, des Tartuffe. Ils ne mentent pas seulement à leur entourage ; pire, ils se dupent eux-mêmes. Une foi sans limites est indispensable, sans elle, nous ne sommes que des poissons dans un filet qui agitent désespérément la queue afin de retrouver l’utopique liberté de la mer du bonheur.
-Hein ? Quel lecteur ? De quoi tu parles ?
Sur le coup, j’aurais dû prévoir que je tomberais sur la plus casse-couilles des sœurs.
-Laisse tomber.
Je laissai ma frangine au milieu du couloir, fier d’avoir évité de répondre à sa question. Je descendais les escaliers en fredonnant le refrain de Land of Confusion de Genesis. Ne me demandez pas pourquoi. Je me suis levé avec cet air dans la tête. Je me dis alors que je devrais penser à mettre un poster de Phil Collins à côté de l’affiche du dernier album d’Amon Amarth dans ma chambre.
Ma mère était dans la cuisine, assise, trempant sa tartine de confiture dans son café, en écoutant les nouvelles à radio. Bientôt, les ondes narreront mon exploit au monde entier.
« This is the mother I live with, oho… This is the woman I want to kill, oho…”
-Bonjour, Maman.
-Bonjour, Matthieu.
J’étais dans son dos. Je feignais de me laver les mains en ouvrant le robinet. Dès le réveil, la madre ne put s’empêcher de me donner une leçon.
-Ne fais pas couler l’eau trop longtemps.
Le genre de phrase qui peut rendre dingue n’importe qui. Si j’avais un fusil à pompe, je serais le tueur à gage de Sosa et ma mère serait Tony Montana. PAN !
-Pourquoi ?
Rien que pour la faire chier.
-Faut pas gaspiller, répondit-elle sans me jeter un regard.
Répartie minable, aucun argument. À mon sens, on ne profite de son luxe qu’en le galvaudant.
-Si tu le dis.
Maman avala tout le contenu de son bol, se leva, le rinça dans l’évier, le rangea dans le lave-vaisselle et quitta la pièce, non sans me commander de passer l’aspirateur une fois que j’aurais fini. Ce dernier ordre hérissa mes poils, mais je me consolai en me disant qu’elle ne pourrait pas vérifier si j’avais obéi une fois rentrée dans la salle de bain.
Je me posai dans l’encadrement de la porte de la cuisine et pistai les bruits de pas de ma cible qui montait à l’étage. J’attendis quelques secondes, puis en fis de même, discrètement.
L’esthétique de notre escalier n’était pas toute droite. La première moitié faisait face au salon, puis l’ascension prenait un virage à quatre-vingt-dix degrés avant de donner sur le palier. Je commençai à gravir les marches à pas de loups. Il fallait que je pénètre dans la salle de bain pendant que ma mère prenait sa douche, sans qu’elle s’en aperçoive. Je voulais aussi être là pour assister à ma délivrance…
Je faillis tomber en arrière lorsque ma sœur apparut soudainement dans l’angle de l’escalier, me jetant un regard inquisiteur. Mon cœur battait la chamade et je ne pus empêcher un petit cri de sortir de ma gorge.
-Tu te prends pour Sam Fisher ? se moqua-t-elle.
-Tu te prends pour Columbo ?
-T’es vraiment marrant, toi, faut absolument que je pense à noter tes blagues.
-Oui, ben, en attendant, t’as du boulot : Maman a dit que tu devais passer l’aspirateur en bas…
-Mon cul.
-Fais-le remplir. T’as qu’à appeler Juju pour ça…
-Connard.
Je la laissai passer à mes côtés, ignorant son air hautain, et repris mon escalade pour le paradis. J’observai le couloir de l’étage : peu de luminosité, toutes les portes étaient closes, car les fenêtres étaient ouvertes dans les chambres pour aérer. Comme le socle de la récompense dans un jeu vidéo, la salle de bain était en face de moi, fermée, la lumière de l’intérieur s’échappant par le dessous de la porte. Je m’approchai lentement. Le son de la radio et le bruit de l’eau ruisselante parvinrent à mes oreilles. J’étais tout proche. Je fis alors attention au moindre de mes gestes. Le contact de mes pieds avec la moquette. La poignée que j’abaissais le plus lentement possible. L’ouverture délicate de la porte qui, bien-sûr, grinça.
La chaleur de la pièce me surprit. Le changement de température accentua mon stress et un léger haut-le-corps me prit. Mais je devais surmonter ça. Je jouais trop gros.
Tout en refermant derrière moi, je vis la silhouette de ma mère se savonner tout en faisant couler l’eau sur sa tête derrière la baie de la douche, trop embuée pour qu’elle puisse déceler ma présence. Le poste de radio avait le volume trop élevé à mon goût. Mais les publicités qui clamaient leurs conneries commerciales masquèrent les bruits qui auraient pu me trahir.
-Félin… Sensuel… Irrésistible…, disait une voix féminine qui semblait proche de l’orgasme. Essayez notre nouveau… cabriolet…
Je m’avançai lentement vers un placard blanc. J’ouvris un tiroir et attrapai le sèche-cheveux. Je démêlai le fil enroulé autour du poignet et ne pus m’empêcher de comparer cette situation aux cinq minutes que l’on passe à dénouer les écouteurs de notre baladeur MP3 avant de pouvoir profiter de notre musique.
Je jetai un œil au pied de la douche. Comme prévu, elle fuyait. J’avais méticuleusement retirer la bâche qui ne permettait pas à l’eau de rentrer dans des joints faits à l’arrache par des ouvriers incompétents -désolé pour le pléonasme- ce qui avait créé une petite flaque sur le carrelage juste devant la douche.
Je branchai le sèche-cheveux, l’allumai quelques secondes à la plus faible puissance, l’éteignit, le retirai de la prise, le posai au sol et laissai tomber la fiche électrique dans la fuite. Cette même fuite qui deviendrait dans quelques minutes le Styx de ma madre…
Je fis quelques pas en arrière. Mon piège était prêt. La radio continuait à raconter des foutaises.
-Tu veux savoir si il ou elle te trompe ? Envoie « COCU » au 62424.
J’ouvrai la porte et retournai dans le couloir. Les dés étaient jetés ; dans deux minutes, je serais soit libre, soit foutu. Je faisais mine de regarder une peinture sur le mur représentant trois traits de différentes couleurs, un rouge, un bleu, un jaune (de l’art, qu’ils appellent ça), alors qu’en fait, je pistais le bruit de la douche.
Au bout de ce qui me parut être une éternité, l’eau fut coupée. Mon cœur cessa alors de battre. Je fixai la lumière qui émanait de la salle de bain comme s’il s’agissait des flammes de l’Enfer qui ouvraient les portes du Royaume du Malin telle une pute qui écarte ses cuisses. Oui, je suis poète, je vous l’avais pas dit ?
J’entendis la baie qui coulissait, la radio qui passait White Wedding de Billy Idol, les gouttes d’eau qui tombaient du corps de Maman, le pommeau rangé, la serviette saisie et… et puis rien. Je n’entendis plus rien. La lumière s’éteignit également. Je frôlais la tachycardie. Que se passait-il ? Qu’est-ce qui ne marchait pas ? Ma mère aurait dû pousser un hurlement. Celui-ci se fit alors entendre.
-Merde ! Putain de coupure de courant !!!
Non…
-Fais chier…
J’ouvris la porte de ma chambre et bondis à l’intérieur juste au moment où ma mère sortit de la salle de bain en mettant son peignoir, toute trempée… mais surtout vivante. Elle descendit l’escalier. Je vérifiai que la voie était libre et pénétrai dans ce qui aurait dû être la tombe de ma victime. Dans l’obscurité, je ne voyais rien. Comment s’en était-elle sortie ? Elle n’avait pu échapper à l’électrocution, même dans le noir. Puis le courant revint. Je fus ébloui par une lumière vive, le poste ressuscita en me perçant les tympans et la révélation de la nature de mon nouvel échec m’accabla davantage : surprise par la coupure de courant, ma mère avait lâché sa serviette qui s’était étalée sur la flaque, elle était sortie de la douche en marchant dessus et avait ainsi échappé au piège électrique. Je fixai le sèche-cheveux. Je ne bougeais pas. Encore une défaite. Encore un imprévu. Un coup du mauvais sort. Je ne croyais pas en Dieu, mais je commençais à redouter l’existence d’un esprit s’évertuant à me pourrir la vie. Et cette putain de radio qui continuait à balancer des niaiseries à tout-va…
Je devais vite ranger mon arme qui n’avait pas servie, au risque de me faire exécuter sur une chaise électrique faite-maison par celle que j’avais voulu refroidir. En prenant garde à ne pas me blesser, je séchai l’ustensile et le remis dans le tiroir.
Il fallait recommencer. La déception était énorme. Mais je savais au fond de moi qu’un jour, je parviendrais à mes fins. J’en étais sûr.
-Tu veux voir des filles se dévêtir rien que pour toi ? disait une pétasse sur les ondes. Envoie « Q » au 86969…


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