Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Comment tuer sa mère (en cinq façons) ?


Par : faces-of-truth
Genre : Nawak
Statut : Terminée



Chapitre 13


Publié le 30/12/2013 à 13:14:44 par faces-of-truth

Ma révélation était tombée comme la foudre, et le teint de peau de Maman vira au blanc à la seconde où ses yeux se posèrent sur mes deux armes. Au début, elle avait semblé perplexe. Elle s’était demandé si elle devait ignorer cette mauvaise plaisanterie de ma part ou me blâmer pour tant de mauvais goût. Mais alors que les ustensiles de ma sentence lui apparurent, un sentiment étrange se mêla à sa contrariété et à son doute. Et je jubilais de le lire dans son regard. La peur. La crainte. J’étais à présent plus qu’une source de stress ou qu’un cas de crise adolescente désespérée. J’étais devenu une menace. Et c’était exactement ce que je voulais qu’elle pense.
-Matthieu, dit-elle en serrant les dents. Qu’est-ce que tu fabriques encore ? Pourquoi tu as ça dans tes mains ?
Elle était visiblement décontenancée, et peinait à masquer ses émotions ; ce qui rendait sa tentative de reprise de contrôle encore plus risible.
-Je ne veux pas que tu emmènes ces choses dans la maison. C’est sale. Et en plus tu risques de te couper.
Ses sourcils étaient froncés. Elle essaya de m’intimider en durcissant la voix, mais ça ne marcha pas. Elle était lamentable. Ce n’était pas une belle façon de mourir.
-Maman, fis-je soudainement.
Ses pupilles la trahirent aussitôt en se dilatant. Sa bouche s’entrouvrit dans un air déconfit et ses mains se posèrent sur le plan de travail derrière elle. Elle attendait que je parle, elle voulait savoir ce que j’allais dire, ce que je comptais vraiment faire. La madre sûre d’elle ne m’aurait même pas laissé émettre un son. Là, elle se préparait à écouter ma sentence. J’étais en position de force. Elle était à moi.
-Maman… Tu te souviens de ce que je viens de dire ?
Elle ne répondit pas.
-J’ai dit que j’avais essayé de te tuer. Te tuer. Et toi, tout ce que tu trouves à dire, c’est « N’emmène pas ces choses dans la maison, c’est sale » ? C’est plus grave que ce que je pensais.
Elle jeta un œil aux cognées.
-Sympa, hein ? déclarai-je. Je me suis dit que prendre du coupant était une bonne solution, j’aurais le temps de prendre mon pied.
Silence.
-Tu n’as pas l’air prête pour faire la causette, dis-moi. Je t’ai connue plus bavarde que ça. Détends-toi, fais comme chez toi.
Nous restâmes immobiles, séparés par la table entre nous.
-J’avoue être déçu, annonçai-je, je m’attendais à plus de réactivité de ta part. Je t’aurais volontiers conseillé d’aller consulter un neurologue, mais bon, c’est trop tard…
-Matthieu…
-Ah ! Tu parles !
-Qu’est-ce que tu fais… ?
-Il faut vraiment que je t’explique tout ?
-Pose ça, s’il te plait.
-Euh… Comment dire… ? C’est pas vraiment maintenant que j’avais prévu de le faire.
-Ce n’est pas drôle du tout ! Alors pose les ou je viens les chercher moi-même, gronda-t-elle.
Je levai mon arme droite en la pointant vers la tête de ma génitrice.
-Eh bien, approche. Prouve-moi que tu es vraiment déterminée.
Elle ne bougea pas. Son visage se secouait étrangement. Elle ne savait plus sur quel pied danser. Comme si la vie quotidienne était une valse à connaître, et qu’elle était alors confrontée à une musique surgie de l’inconnu.
-Alors ? Tu renonces ? me moquai-je.
Elle déglutit.
-Pourquoi tu fais-ça, Matthieu ? Je ne comprends pas, qu’est-ce qui ne va pas chez toi ?
Je fis une moue.
-Je pense que j’ai un ou deux petits soucis familiaux. On va dire ça comme ça.
-Tu veux brûler la maison et là, maintenant tu te promènes avec des haches de jardinage… ? Mais…
-Oh Maman, je t’en prie… Arrête avec ça, j’en ai marre d’entendre ces conneries à longueur de journée… Je n’ai pas voulu brûler la maison, ça aurait servi à rien. Faudrait être con pour faire ça, non ?
Elle observait tous mes gestes.
-Si j’ai trafiqué la plaque de cuisson, c’était pour qu’elle t’explose à la gueule, voilà. C’est bon, tu piges ? fis-je en imitant l’air béat de ma mère. Putain, tu dois vraiment être dépourvue de jugeote pour n’avoir rien capté. Fallait quoi ? Que je mette un tee-shirt « Danger, mort en vue » ?
Maman fit un petit pas dans ma direction.
-Alors, je te préviens de suite, ça marche que dans les films ce que tu comptes faire.
Elle recula aussitôt.
-C’est dingue quand même cette histoire, lâchai-je en riant. Je me suis vraiment démené pour en arriver là. En fait, pendant pas mal de temps, sans que tu t’en rendes compte j’ai…
Un rire nerveux m’échappa.
-Pardon… J’ai comploté contre toi dans l’espoir de te refroidir comme un vulgaire porc envoyé à l’abattoir. Et j’ai… J’ai puisé dans toute l’ingéniosité, l’imagination qu’il y avait dans mon crâne pour te buter et faire passer ça pour un accident ! Oh merde, si tu savais… Ça demande tellement de temps, de stratégie, de réflexion, de préparation… Tu serais vraiment fière de moi !
Je fis les cent pas devant ma cible alors que me revenaient tous ces souvenirs que je pouvais enfin jeter à la figure de la maternelle.
-J’ai empoisonné ton jus d’orange, électrifié une flaque d’eau alors que tu prenais ta douche, essayé de te faire exploser et même de te faire empaler par ton argenterie… C’est pas fabuleux tout ça ? J’avoue que ça m’a bien occupé. J’ai vraiment fait feu de tout bois pour y parvenir…
Je déglutis.
-Aaaaaah, m’exclamai-je, quel pied de pouvoir enfin crever l’abcès !
J’expirai puissamment en me remémorant cette aventure.
-Je pense écrire un livre, un jour. Ouais. Un bon bouquin. Succès garanti. Qu’est-ce que t’en penses ? « Comment tuer sa mère (en cinq façons) ? », par Matthieu ***. Oui, parce que, cette fois, je sais que ça va marcher. J’ai appris de mes échecs, j’ai fait de mes erreurs des avantages. Et regarde-toi maintenant… Tu penses pouvoir m’échapper cette fois ?
Lorsque je la fixai de nouveau, je vis que ses yeux avaient rougis.
-Qu’est-ce que c’est que cette histoire… ?
-Mmh ?
-C’est une plaisanterie…
Pour toute réponse, j’émis un gloussement de consternation.
-Ce que tu dis me dépasse, Matthieu…
-Oui, sûrement. Prends ton temps pour comprendre. Mais pas trop quand même, j’ai l’adrénaline qui me démange.
-Je… Je ne t’ai… pas rendu heureux… ? soupira-t-elle.
-Les meilleurs instants de la vie sont les moments d’espérance, Maman. Comme quand tu es au début des vacances et que tu rêves de tout ce que tu pourras faire, ou au commencement d’une fête qui s’annonce riche en joies et plaisirs. Ces dernières semaines, l’espoir de ta mort a rempli un vide en moi. Et là, à cette seconde, je suis plus heureux que jamais… Et c’est grâce à toi.
Je lui fis un sourire reconnaissant.
-Merci, Maman.
Elle se mit à hoqueter. C’était officiellement sérieux dans sa tête à présent.
-Je… J’ai été une si m…mauvaise mère p… pour que… tu me haïsses… à ce point… ?
Je fis deux pas dans sa direction et la regardai fixement.
-Oui.
Elle se mordit la lèvre inférieure. Elle avait compris qu’elle était dans une impasse, et qu’il fallait entrer dans mon jeu.
-Et pourquoi tu ne veux pas juste en parler ?
-Mais parce que je veux que tu meures !
Non mais oh ! Je n’avais quand même pas fait tout ça pour finir sur une conversation à la mords-moi le nœud sur le respect et la rédemption, merde.
-Très bien. Et où iras-tu après ? Tu as pensé à ta sœur ?
-Sylvie fera ce qu’elle voudra, elle pourra même te rejoindre par ses propres moyens, je ne l’en empêcherai pas.
-Comment oses-tu parler comme ça ?! s’emporta-t-elle alors.
-Moi, j’ose ? Serais-tu bien placée pour me donner des leçons ?!
-Ce n’est pas parce que tu fais ta crise de petit merdeux en essayant de me faire peur que je vais me laisser aplatir !!
-Je ne parle pas de maintenant, connasse. Je parle de ce que tu fais dans notre dos.
Elle se tut alors.
-Sylvie ne sait rien, elle est trop stupide pour s’en rendre compte ; mais moi, j’ai découvert ton secret. Comment il va ? Ça fait un moment que tu l’as pas vu ? Sa bite te manque ?
Les yeux de Maman s’ouvrirent tellement que je crus un instant qu’ils allaient tomber par terre.
-Alors ? pressai-je.
-Comment as-tu su… ?
-Ce n’est pas un problème, l’important est que je sois au parfum. D’ailleurs, il était mignon le petit « mon amour » de tout à l’heure…
Elle se sentait découverte, complètement piégée. C’était exactement ce que je voulais. Qu’elle se repentît.
-Matthieu, écoute… Je… J’avais l’intention de vous en parler…
-Oui, bien sûr. Il y a un an aussi, je suppose ?
-J’ai tourné la page avec ton père… Et lui aussi, d’ailleurs.
-Et Sylvie pisse assise.
-Pardon… ?
-Je fais comme toi, je change de sujet.
-Je…
-On ne parle pas de Papa, on parle de toi.
-D’accord… Alors, écoute-moi bien.
-Je suis tout ouïe !
-J’ai aimé ton père, nous avons été heureux ensemble. Mais c’est du passé, nous avons choisi à deux de refaire nos vies. Et la mienne est avec vous… et…
-Oui, oui. Sylvie m’a déjà fait le coup de l’amour brisé, les violons qui pleurent et tout le reste.
-Il faut que tu comprennes… J’ai le droit d’être à nouveau heureuse…
-Et tu ne prends même pas la peine de prévenir tes gosses, accusai-je.
-Quand je vois comment tu réagis, je me rends compte que j’avais raison d’appréhender ce jour.
Eh oui, ça devait être moi le méchant, forcément.
-Tu vois, dis-je, que vous ayez douze, vingt, cinquante, cent ans… Vous, les femmes, avez toutes ce mécanisme d’autodéfense de merde qui est de retourner la faute sur l’autre. Autant dire que, si c’est ta seule technique pour m’amadouer… T’es mal barrée.
-Je ne cherche pas à te faire culpabiliser…
-JE N’ESPERE PAS !!!!! hurlai-je.
Elle fit un pas en arrière. Je ris. Ma petite blague avait fait son petit effet.
-A force de reculer, tu vas rentrer dans le mur, tu sais.
-Matthieu, maintenant ça suffit !
-Ah bon ? Mais pourquoi ? Ton rôle de maternelle n’est-il pas de rendre tes chérubins épanouis ? Joyeux ? Enthousiastes ? Eblouis par la chance qu’ils ont d’avoir une Maman pareille ? Tu veux vraiment me priver de ce moment d’extase ?
-Tu ne réalises pas…
-… ce que je fais ? Oh mais détrompe-toi !
-C’est vraiment ce que tu souhaites, alors ? Me tuer à coups de hache ? Tu as pensé à ton avenir ?
-Oui, c’est d’ailleurs ce qui me pousse à agir.
-Qu’en penseraient tes proches ? Et Virginie ?
-Elle est morte, je l’ai tuée aussi.
La madre eut un regard horrifié. J’explosai de rire.
-Non, je déconne.
-Donne-moi tout de suite ce que tu as dans tes mains !
-D’accord, mais tu te tues avec juste après.
-Stop ! Tu arrêtes !
-Bon, dans ce cas, je garde tout.
-Tu es complètement malade ! cracha ma mère. Tu es encore plus atteint que ce que je pensais !
-Je suis fou à ton avis ?
-Pose ça par terre !
-C’est vrai que, par moments, j’ai des sortes… d’hallucinations. Je rêve que je fais des choses. Des choses que je voudrais réelles.
-Oui, mais là tu ne rêves pas, Matthieu !!! Alors avant de te blesser ou de faire une grosse bêtise, pose ce que tu as dans tes mains !!!
-C’est ce que tu penses ? Que je fais un genre de… crise épileptico-psychotique ? Que je dois être soigné ?
-Matthieu, je t’en prie… Fais ce que je te dis, on va t’aider… On va tout faire pour que ça s’arrange, d’accord… ?
-Oh non, recommence à crier et à paniquer plutôt, s’il te plait ; le coup de la larmichette pour attendrir, c’est tellement surfait.
-Obéis-moi, Matthieu… Fais-le pour toi.
-Alors ? Tu ne m’as pas répondu. Tu penses que je suis fou ?
-Pose. Ces. Haches !
-Tu penses que je suis fou ? insistai-je.
-Je vois que tu as un problème, et que tu as besoin d’aide !!! Matthieu, allez !
-Eh bien, sache une chose : je n’ai jamais été aussi lucide. Je ne suis pas fou, je ne suis pas barjo. Je suis juste un membre d’une famille trahie. Et j’applique méticuleusement mon plan de nettoyage.
Silence.
-Et je t’emmerde, aussi, achevai-je.
Ma mère gonfla ses poumons et s’avança vers moi d’un mouvement brusque.
-C’est terminé, gronda-t-elle.
-Exactement, répondis-je.
Je levai la hache que je tenais dans ma main droite et la projetai vers ma mère. Celle-ci se pencha aussitôt et esquiva l’objet tranchant qui s’écrasa sur le micro-ondes dans un bruit sourd.
-AAAAAHHH !!!! hurla Maman.
Elle rasa le mur pour éviter mes attaques et fonça dans le salon. Je m’avançai vers le cadavre du pauvre four transpercé et ramassai mon arme. En pivotant, je vis ma cible tenter désespérément d’ouvrir la porte d’entrée.
-C’est inutile, Maman, j’ai verrouillé chaque porte et chaque fenêtre de cette maison. Tu cherches tes clés ? Ton portable ? Commence par les chiottes.
Elle balaya la salle des yeux et se rua sur le téléphone.
-Non, mais sérieusement, tu crois que t’as accouché d’un triso ou quoi ? J’ai coupé la ligne aussi.
Profitant de sa tachycardie, je relançai mon ustensile de jardinage dans sa direction. Elle l’évita et l’engin se planta dans le meuble de la chaîne hifi. Cette dernière chuta au sol et le lecteur s’enclencha.
-You put the boom-boom into my heart ; You send my soul sky high when your lovin' starts ; Jitterbug into my brain ; Goes a bang-bang-bang 'til my feet do the same !!
Oh mon dieu, on pourrait dire que la gloire avait été laissée au placard ce soir-là…
-Wake me up ! Before you go go !
-Vraiment désolé, Maman, criai-je pour couvrir la musique, je vais essayer de changer, histoire que tu ne meures pas sur cette musique !
La madre était à genoux et essayait de ramper vers l’escalier.
-MATTHIEU, ARRETE ÇA !!!! pleurait-elle.
-Oui, oui, je suis sur le coup !
Le bouton pour extraire le disque était cassé, impossible de stopper cette immondice ! Je jetai un œil à Maman et vis cette dernière me foncer dessus pour m’arracher la hache de mes mains.
-LÂCHE, MATTHIEU !!!! ÇA SUFFIT MAINTENANT !!!!
Un duel de force s’engagea ; elle avait plus de force que moi, la garce ! Je devais la déséquilibrer sinon elle allait me niquer !
-Don't leave me hanging on like a yo-yo ; Wake me up before you go go !!
Je sentais le manche de bois glisser entre mes mains moites. Je serrai les dents et tentai de la faire reculer en remuant mes bras dans tous les sens ; elle lâcha prise et tenta de me tirer les cheveux. J’en profitai pour lui donner un coup de pied dans le tibia gauche et la poussai en arrière.
-Before you go go !!!
Elle s’écroula sur la table basse transparente qui se brisa sous son dos.
-AAAAAAAIIIEE !!!!!!
Je ramassai ma deuxième hache et la vis se lever avec précipitation et s’effondrer sur le plancher. Un bout de verre était enfoncé dans son avant-bras droit. En perdant l’équilibre, elle le brisa en tombant et ouvrit sa plaie de plus belle. Une éruption sanguine gicla sur le parquet et le mur.
-Oh non, tu as sali la tapisserie, ça va être chiant quand je ferai les visites avec l’agent immobilier…
Elle se redressa avec peine, mit sa main gauche sur la blessure et s’échappa vers l’escalier. Je balançai à nouveau l’outil de jardinage dans sa direction mais il s’écrasa sur le mur et se brisa. Pff, qualité chinoise…
La madre grimpa comme un chat vers le haut de la maison ; je me tournai vers cette satanée chaîne hi-fi et donnai des coups de pied pour arrêter le massacre auditif. Ça grésilla. Puis l’intro de Too Funky prit la relève. Ce bon vieux George Michael était déterminée à participer coûte que coûte à ma soirée d’orphelinat.
Je me dirigeai vers les traces de sang qui m’indiquaient la voie comme les cailloux du Petit Poucet. Je me sentais comme Michael Myers au début de Halloween. Tout aussi fort, tout aussi déterminé. Si je devenais comme lui, je serais invité à pourchasser ma sœur dans les années futures… Quelle belle perspective d’avenir ! Je montai les marches une à une et arrivai à l’étage. Maman partait vers la salle de bain.
-MAMAN !!! ARRETE DE FUIR !!!
Elle se tourna et me fis face. Sa main trempée de sang s’appuya sur le mur. J’avançai.
-Il faudra bien que ça arrive, tu sais, expliquai-je. C’est mon destin, tu comprends ?
-Arrête Matthieu, je t’en conjure !! Tu ne sais pas ce que tu es en train de faire !
-Mon monde a toujours tendu vers l’entropie, Maman. Après ce soir, j’aurai atteint mon état de stabilité. Et tu auras enfin achevé ton travail d’éducation sur ton fils ! Finis donc ce que tu as commencé…
La musique du rez-de-chaussée gâchait quand même toute la dramaturgie du moment. Satanée George ! Maman se faufila dans la pièce et referma la porte derrière elle.
D’un coup de pied bien placé, j’enfonçai l’entrée et y pénétrai. A ma grande surprise, je me fis arroser la gueule avec un vieux Shalimar Guerlain qui puait. Et un placement de marque, un ! J’avais eu un putain de réflexe à en faire pâlir Spider-Man et Compagnie en fermant mes yeux juste à temps. Ma mère me fonça dessus et me plaqua contre le mur.
-Donne-moi ça !!! fustigea-t-elle en agrippant ma hache de toutes ses forces.
-Quand vas-tu comprendre… que je ne suis pas du genre à partager ??!
Alors elle me gifla violemment. Whoa ! Je l’avais pas vue venir celle-là.
-Tu sais que je pourrais te coller un procès pour ça ? me moquai-je.
Je lui envoyai alors le plus puissant coup de boule que je pouvais faire. Un joli « CRAC » m’assura qu’il était bien placé.
-AIIIE ! fit ma mère en lâchant prise. Je repris mon équilibre et l’observai se boucher le nez qui pissait le sang.
-Encore deux ou trois trous, et ça devrait le faire…
Son bras, son visage et son vêtement déchiré étaient tout ensanglantés. Elle posa son regard grave sur moi.
-Tu as mal, Maman ?
Elle hoqueta et se dirigea vers le couloir.
-Où tu vas aller, maintenant ? demandai-je.
Elle ouvrit la porte des toilettes et mit un pied à l’intérieur.
-Ce n’est pas le meilleur moment pour changer l’eau de l’aquarium, tu sais ? riai-je.
La madre cherchait un objet pour se défendre, mais semblait peiner à trouver son bonheur. Lorsqu’elle pivota, j’étais déjà face à elle.
-AAAAHHHH !!!!
Et ce fut là que je la vis…
-Eh ! Mais… T’as de la moustache !!!
Elle profita de ma stupéfaction et se précipita dans sa chambre.
-Mais c’est horrible !!! m’exclamai-je en m’approchant.
Je l’entendis fermer à clé derrière elle.
-Oh oui, brillante idée, tiens !
Je l’imaginais bien en train de prier tous les dieux de la terre de venir lui porter secours. Quel dommage qu’ils soient sourds…
Je me mis devant l’entrée et tapai.
-Toc toc ? Y a quelqu’un ? Oh allez, j’ai vu de la lumière ! C’est pour le calendrier !
Elle ne semblait pas décidée à m’ouvrir. Etrange. Je me repeignai mes cheveux en bataille, pris une grande inspiration et donnai un puissant coup de hache dans la porte. J’entendis ma mère hurler derrière.
-J’AAARRIIIIIVEUH !!!
Un autre coup. Et un autre. Et encore un autre. Le bois se désintégra à mesure que mes attaques se succédaient. Je parvins à faire un joli trou d’une bonne largeur. Je me penchai alors et passai ma tête de l’autre côté. Maman était contre sa table de chevet, terrorisée. Je gardais le silence et eus un gloussement en pensant à ma position.
-C’est quand même un film de merde, hein ?
Et là, un rire s’échappa de ma gorge. Un rire sinistre, aigu, parfait pour foutre la chocotte de sa vie à ma cible.
-HAHAHAHA !!! HAAHIHIHIHIIIIIAAA !!!!
Cela sembla marcher. Trop peut-être, car elle se saisit de sa lampe et chargea vers mon visage pour m’assommer. Je me retirai à temps et évitai le coup qui s’écrasa sur la porte déjà bien abîmée.
-WWWHHOOOO !!!!! m’emportai-je. Ça va pas, non ??! T’aurais pu me blesser !!!!!
Alors j’abattis ma hache de nouveau.
-AAAAAAAAHHHH !!!!!
-HAHAHAHA !!! HIHIHIHI !!!!!
Bon ok, j’exagérais volontairement le « hihihi », mais c’était trop fun !
Je terminai de démolir l’obstacle et pénétrai dans la chambre. Maman me balança tout ce qu’elle avait à portée dans la figure. Des livres, des cadres de photographies, des coussins, des figurines de décoration. Mais j’avançai coûte que coûte. Elle parvint à me toucher au front avec sa foutue lampe, ce qui me fit perdre ma cible de vue. Elle en profita pour grimper sur son lit et filer de la pièce.
-On va pas y passer toute cette putain de nuit, bordel !!!! hurlai-je.
Je quittai à mon tour la chambre et entendis les pas de ma mère dans l’escalier ; je fonçai à sa poursuite en hurlant. Je faillis glisser dans une flaque de sang, mais me tins au mur pour ne pas tomber dans les marches.
-MAMAAAN !!!!
Elle essayait encore d’ouvrir la porte d’entrée. Voyant que ça ne servait à rien, elle recula, se rua vers la cuisine, saisit une des chaises et se rua vers une fenêtre. Comprenant son plan, je m’interposai aussitôt.
-NOOON !!!!!
Elle me vit arriver et me la balança dessus.
-AAAAAHHH PUTAIN !!!!
Mon auriculaire fut écrasé contre ma cognée. Maman attrapa une autre chaise et mit les pieds dans ma direction. Je frappai avec mon arme pour trancher son bouclier de fortune mais elle bougeait trop vivement et je ne parvenais pas à le toucher.
-Arrête de gesticuler, veux-tu !!
Elle attaqua de nouveau et je fracassai le tranchant contre elle. Le choc fut brutal et l’acier resta planté dans le bois. J’essayai de le retirer mais il demeurait coincé. L’autre retenait l’objet contre elle. Dans un effort désespéré, je parvins à casser le manche de ma hache. Maman baissa sa garde de surprise et je pus lui frapper violemment le visage avec. Elle lâcha la chaise qui se désintégra sur le parquet, puis elle s’écroula sur le côté en s’écrasant lourdement au sol. Evanouie.
Son visage était tourné sur la gauche, ses yeux étaient clos et son corps était imprégné de sang. J’étais exténué et je suais de partout. Je laissai tomber par terre ce qu’il restait de mon outil de mort, suçai mon doigt endolori et repris mon souffle. La chaîne hi-fi grésilla et le silence le plus total tomba. Je me dirigeai vers le réfrigérateur, l’ouvris, pris une cannette de Coca Cola et la sirotai, comme après un jogging.
Je restai silencieux et immobile quelques minutes, à contempler le carnage dans la maison ; tout était sens dessus dessous, les murs et le sol étaient peints en rouge, et des débris jonchaient le sol. C’était une pure soirée. Celle qu’on ne vit qu’une fois. Mais contrairement à ceux pour qui la victoire est un plat trop chaud qu’ils ne peuvent tenir en main, je comptais bien achever mon œuvre sans perdre trop de temps. Je jetai ma boisson à moitié finie au sol (on n’était plus à ça près, niveau foutoir) et me rendis à l’étage. J’avançais dans la salle de bain et fixai mon reflet dans le miroir au dessus du lavabo. J’avais du sang sur la moitié droite et je puais le parfum. J’ouvris le robinet et me rinçai. Une fois tout propre, je fouillai dans le placard à côté de la douche, me saisis d’une tondeuse à cheveux, la branchai et l’enclenchai.
Sans un tremblement d’hésitation, méticuleusement, je la passai sur ma tignasse brune à plusieurs reprises et entamai la coiffure suprême. Je commençai par le côté gauche et faisais des lignes de l’avant à l’arrière. Des boules de cheveux tombaient dans le lavabo. Par flashs, j’apercevais le Matthieu de la photographie dans ma chambre qui prenait ma place dans la glace. Je m’appliquai tout particulièrement dans le dos du crâne, car je ne pouvais le voir distinctement. Puis, je passai les lames électriques autour de mes oreilles. Calmement. Je fis plusieurs fois les mêmes gestes jusqu’à ce que je sois complètement chauve, comme je l’avais décidé. L’absence du contact capillaire me surprit tout d’abord, puis ce fut la sensation de l’air sur la peau nue qui m’interpella. Mais ce détail m’importait peu. Je voulais que ce changement soit radical, je voulais exprimer tout le malaise qui m’habitait à travers mon visage rasé. Car un air torturé n’aurait pas suffi à convaincre qu’il s’agissait de quelque chose de bien plus important qu’une crise adolescente. Mais je suppose que tous les mecs qui se tondent le caisson ont leur raison personnelle de le faire aussi.
Je fixai mon nouveau reflet, et je dus avouer qu’il me faisait peur. Mais si le monstre effraie son créateur, il terrorisera d’autant plus le public, n’est-ce pas ?
Je fis demi-tour et rejoignis Maman, toujours dans les vapes. Je m’étais bien amusé à la pourchasser dans la maison. Même en faisant exprès de la rater et de ne pas la blesser mortellement, j’avais bien savouré cette petite poursuite sanglante. A présent, il ne me restait plus que les ultimes détails à régler pour le bouquet final.

Les tremblements de ses paupières s’accélérèrent d’abord, puis elle ouvrit définitivement ses yeux, encore rougis par les larmes de l’heure précédente. On dit souvent que ce sont les organes de l’âme, qu’ils sont une vitrine directe sur notre propre intérieur. Je pense être de cet avis, car ce que je contemplais dans ces pupilles dilatées était un immense chagrin, saupoudré d’une vive colère et d’une amère culpabilité. Elle avait dû espérer dans son inconscience que tout ce qu’il venait de se passer n’avait été rien de plus qu’un odieux cauchemar, qu’une cruelle crainte refoulée, enfouie au plus profond des synapses de son esprit tourmenté… que ce n’était juste qu’une illusion malsaine issue de cette période sombre de son existence. Et cette larme… Et ce hoquet soudain, dès le réveil… Ces battements de cœur frénétiques… C’était la déception… Le retour à la réalité. Le retour à la maison. Le retour à moi.
Même dans les ténèbres de la pièce, je compris que sa vision était encore trouble, car elle fronça les sourcils avec agacement et tenta de se frotter les yeux. Ce fut là qu’elle remarqua qu’elle était attachée. Elle commença par tirer sur ses membres, mais ses poignets étaient liés au dessus de son lit par de solides cordages. Elle tenta de remuer ses jambes et découvrit qu’il en était de même avec ses chevilles. Scotchées au bas. Elle voulut crier mais je lui enfonçai aussitôt un gant de toilette dans la bouche pour taire les hurlements. Je ne lâchai pas son regard du mien. C’était fascinant. Je savais tout de ses pensées, je n’avais jamais expérimenté un tel pouvoir… La panique, la furie, la pitié, la détresse… Et là, ce fut le clou du spectacle. Tel un coup de brise qui dissipe une brume épaisse, je vis dans son œil qu’elle me voyait également. Que ses pensées s’étaient organisées dans sa tête, que sa vue était revenue à la normale, que la douleur de son nez cassé et ensanglanté et de toutes ses autres blessures revenait à la surface. Car dans le noir de sa pupille, mon reflet rasé baignait dans un sentiment de terreur. En elle.
-Mmmtmmm….
Je tendis ma main vers son visage et saisis mon bâillon de fortune. L’heure était au jugement.
-Ça sera peut-être plus pratique sans ceci, n’est-ce pas ? dis-je en le posant à ma droite.
J’étais assis à sa gauche, sur le côté du lit. Comme un parent qui veille sur un proche malade. Ce qui en soi était plus proche de la vérité qu’il n’y paraissait.
-M… Matthieu, balbutia Maman au bord de l’infarctus. Qu’est-ce… Qu’est-ce qu’il se passe ? Où je suis… ?
-Tu es dans ta chambre, Maman, tu ne la reconnais pas ?
Elle avala sa salive en tournant sa tête autour d’elle.
-Je… je n’y vois rien…
-C’est normal, j’ai éteint toutes les lumières, tes yeux sont en train de s’habituer à l’obscurité. Les volets sont ouverts, la lune éclaire quelque peu, tu ne devrais pas avoir trop de difficultés.
-Je… Oh mon dieu… Je ne reconnais rien… Je ne reconnais pas les meubles, je ne reconnais pas ta voix, je… je ne te reconnais plus…
-La boule à zéro, ça change tout, pas vrai ?
-Matthieu…
-Je reconnais n’avoir jamais eu autant froid à cet endroit.
-Mon fils…
-Oui ?
Je me penchai vers elle, et dans un rayon de l’Astre Pâle, je sus aussitôt que me voir d’aussi près la terrorisait comme jamais.
-Je t’écoute.
Elle respira fortement quelques instants avant de parler.
-Qu’est-ce que tu vas faire ? Qu’est-ce que tu vas faire de moi, maintenant ?
-Je vais faire ce qui aurait dû être organisé il y a plusieurs semaines de cela…
-Mais je comprends pa-a-a-s…
Elle se mit à pleurer et son bégaiement s’assimila à une sorte de rire. Elle tenta à nouveau de se défaire de ses liens, mais en vain ; je l’avais trop solidement attachée.
-Je veux… Je veux qu’on reprenne notre vie d’avant…, murmura-t-elle. Je veux qu’on forme une famille, normale…
-Ce n’est plus possible, Maman, et tu le sais, mieux que quiconque…
-Si, on peut ! Même si certaines choses changent, les sentiments à la base de tout… eux, ils restent au moins… On peut faire ça… Tu peux le faire, Matthieu ! A nous deux, nous pouvons y arriver.
-Mais ne vois-tu donc rien ?! m’emportai-je. Ce que tu appelles base est détruit, il n’y a plus d’amour dans cette maison !
-Moi je vous aime !
-Et pourrait-il en être autrement ?
-Non…
-Tu nous aimes parce que tu dois nous aimer, parce que c’est comme ça que les choses doivent être. Si tu ne nous aimais pas, tu saurais que tu n’es pas une bonne mère ; sans Sylvie et moi, tu pourrais tout reprendre à zéro, créer une nouvelle base et être heureuse à nouveau. Mais tu ne peux pas faire sans nous. C’est pour ça que notre maison est malsaine : tu es condamnée à nous aimer. Et au fond de toi, au plus profond de ton cœur, tu sais que tu voudrais qu’il en soit autrement.
-Non, c’est faux, Matthieu, tu te trompes, tu as faux sur tout !
-Ah vraiment ?
-Je vous aime depuis la seconde où je vous ai mis au monde… et je vous aimerais jusqu’à ma mort… Matthieu… Je t’aime tellement…
Pourquoi mon sang circulait-il plus lentement alors que tout allait parfaitement bien quelques minutes plus tôt ? Pourquoi je sentais cette main froide, étrangère à mon corps, s’enfoncer dans ma poitrine et me comprimer le cœur ?
-Il y a des choses que je voudrais corriger, mon fils… Plein de choses que j’aimerais réparer… Je n’ai pas toujours été franche avec vous… mais c’était pour vous protéger !
-Tu l’as déjà dit, ça !
-Mais tu n’as apparemment toujours pas compris…
-C’est toi qui ne comprends pas ! Regarde-moi ! Regarde mon visage ! Regarde-toi à cet instant ! Tu trouves que c’est normal ?
-Mais pourquoi ?
-Pourquoi quoi ?
-Pourquoi tant de noirceur en toi… ?
Ma main se mit à trembler. Mes pieds remuaient nerveusement au sol, et firent bouger le couteau à pain que j’avais préparé sous le lit.
-C’est ce que tu as créé, répondis-je. Par tes mensonges. Par ta lâcheté. Par ta trahison.
-Je…
-Je me suis longuement interrogé sur la notion de bonheur. Et tu sais ce que j’en ai déduis ?
J’enfonçai mon poing dans le matelas.
-Il est inexistant. Car trop éphémère, trop fragile, trop dépendant. Ce que l’on appelle bonheur, c’est juste de la jouissance passagère, une vaguelette de plaisir en prémisse de la lame de fond qui attend patiemment de nous foncer dessus, et de nous noyer. Tu m’as appris ça, Maman. Notre cadre familial était si beau, si parfait. Je n’y ai vu que du feu. J’étais trop jeune, tu me diras, mais je pense que ce n’est pas une question d’âge. C’est l’empirisme. C’est lui qui t’inculque les lois de la Vie, aussi abstraites soit-elles. Oh, je les entends les sceptiques, qui se targuent de tout connaître, ou juste de prétendre savoir gérer leur existence. Quand le moment viendra, ils sauront, mais ce sera trop tard.
Je déglutis.
-Mais ça, tu devrais pourtant l’avoir compris, non ?! Alors, pourquoi est-ce que tu as fait ça ? Pourquoi faire ces cachotteries dans notre dos alors que tu es censée savoir pertinemment que ce que tu envisages est voué à l’échec ?!
Maman me fixait sans dire un mot.
-La voilà, la vraie raison ! achevai-je. La raison pour laquelle tu es officiellement une mauvaise mère ! Et pourquoi tu es ici !
Ma cible ferma les yeux et inspira profondément.
-Je m’en veux tellement. J’aurais dû t’en informer. J’aurais dû te dire, il y a bien plusieurs mois déjà, que je voyais cet homme. Je ne sais pas comment tu l’as su… Je ne tiens même pas à le savoir. Ça a dû être affreux pour toi. Découvrir ce secret, que j’ai pensé enfoui pour je ne sais combien de temps… Me voir jouer la comédie. Si seulement je pouvais revenir en arrière, crois-moi, je ne ferai pas la même erreur…
-En es-tu si sûre ?
-Matthieu. Il a été là dans les moments les plus noirs. Il a été là quand j’en avais le plus besoin. Je n’avais pas la moindre idée de la façon dont vous réagiriez… De ce que tu penserais ?
-Les garçons allaitent plus longtemps que les filles, d’où une sensibilité plus accrue. C’est ce que disent certains biologistes. Mais je n’en ferai pas une raison suffisante pour justifier mon comportement.
-Mais jusqu’où iras-tu, Matthieu ? Ne peux-tu pas comprendre ou… pardonner ?
-Pardonner ?
Un rire nerveux m’échappa.
-Je pense que le pardon n’est plus d’actualité. Depuis plusieurs semaines, la seule et unique chose qui m’a maintenue en vie, mon Etoile, ça a été… d’élaborer toutes les stratégies possibles pour te tuer.
J’entendais le pouls de ma mère, et celui-ci se mariait curieusement au mien.
-Matthieu…
Une larme s’échappa de chacun de ses yeux et perla sur ses joues.
-Matthieu, tu as réussi… Sache-le… Parce que… ce que t-tu viens de d-dire… me… me tue…
Ma gorge se noua alors et j’eus du mal à respirer. Une bulle d’air s’éleva dans mes fosses nasales et mes yeux s’humidifièrent simultanément.
-Maman…
Je m’approchai d’elle et caressai ses cheveux. Des gouttes chaudes tombèrent de mes paupières sur elle.
-Ce n’est pas toi que je voulais tuer…
Je reniflai en fixant son visage meurtri.
-… mais le bébé que tu portes…
Elle resta immobile, telle une statue l’espace de quelques secondes qui me parurent une décennie et ouvrit sa bouche de stupeur. Je ne parvenais plus à lire dans son esprit.
-Qu… Que dis-tu ?
-Oui, Maman, pleurai-je, je suis au courant…
Je tenais ses cheveux noirs dans ma main et les passais entre mes doigts. C’était la première fois de ma vie que je parlais de cela ouvertement, à voix haute. Et cela fit l’effet d’un déluge.
-Depuis… Depuis quand… ?
-Je l’ai d’abord deviné, en t’espionnant… Et puis chaque action de ta vie quotidienne est venue renforcer ma théorie…
« C’est très difficile, je ne sais pas comment faire. Tu te rends compte ? À mon âge ? Dans cette situation ?
« -Au final, la voilà, la vraie interrogation. Qu’est-ce que je souhaite ? Et il est beaucoup plus dur de répondre à cette simple question qu’à n’importe quelle colle, aussi complexe soit-elle…
« -Tu te la poses toi ?
« -En ce moment, plus que jamais, oui…
« -Et alors ?
« -Je ne sais pas encore…
« -Est-ce que tu es heureuse, Maman ?
« -Je ne sais pas. Je suis heureuse de vous avoir, ta sœur et toi, mais je ne sais pas si je peux en dire de même en général…
« -Ça fait longtemps que je t’ai pas vu fumer. Tu arrêtes ?
« -Oui, je n’ai pas le droit… d’empoisonner les autres avec ces conneries…
« -Tu veux un cachet ?
« -Non merci, je préfère pas prendre de médicaments.
« -Comme tu veux…
« -TU VEUX VRAIMENT NOUS POURRIR LA VIE, TOI !!! EN PLUS MAINTENANT, ALORS QUE C’EST DEJA ASSEZ DIFFICILE !!!! TU ES MALADE !! MALAAAADE !!!!
« -Oui… Je sais… En fait, c’est de plus en plus compliqué à gérer, tu vois… Bientôt, il faudra bien que je fasse le grand pas… J’ai peur, tu sais… Hum… Oui, oui, bien-sûr… Non, mais ça ne peut pas rester comme ça éternellement, c’est déjà assez malsain… J’en suis toujours au même point, et un jour ou l’autre, ça se saura…
« -Je crois que ça devient vraiment ingérable… Il… Oui… Je sais… Je le pense aussi… Bon sang, si tu savais ce que ça me fait… Comment le prendraient-ils… ? Je crois que je n’aurais jamais la force de… Oui… ?
« -Oui, je pense que ça m’aiderait beaucoup… On… On va fixer une date… Et on leur annoncera pour nous… Ensemble… »
Maman était pétrifiée, mais ses larmes continuaient de couler autant que les miennes.
-Comment as-tu pu ? accusai-je. Comment pouvais-tu imaginer que j’allais tolérer ça ? Que tu intègres un autre homme chez nous, de la pire des manières ?!!
-Matthieu… Oh mon dieu, Matthieu…
-Tu vois, pleurai-je, tu n’arrêtes pas de mentir ! Tu disais que si tu pouvais revenir en arrière, tu ne ferais plus les mêmes erreurs, tu ne nous cacherais plus rien ! Mais tu n’as quand même pas mentionné ce petit détail, pas vrai Maman ? Tu ne l’as pas mentionné parce que tu pensais que je ne le savais pas !
Elle essaya de se défaire et de me prendre dans ses bras, mais elle abandonna en voyant qu’elle était toujours à ma merci.
-Matthieu !
-N’essaie pas de m’amadouer ! crachai-je. Ce n’est pas le fait de concevoir un chiard à ton âge qui me révolte, non. Après tout, dans les saintes écritures, Sarah avait quatre-vingt-dix ans quand elle a eu Isaac, ta vertu chrétienne est préservée.
Je serrai les dents.
-Tu as osé intégrer un inconnu chez nous ! Un être qui n’est ni mon frère, ni ma sœur ! Il n’est rien pour moi ! Il en va de même pour Sylvie ! Et il en sera toujours ainsi !
Nos sanglots se mélangèrent.
-Je ne peux pas le laisser détruire ce qu’il reste de nous.
-Matthieu…
-Tu le sais aussi bien que moi ! Tu refuses de l’admettre, mais tu le sais, c’est pour ça que tu nous l’as caché !
-Matthieu, je t’en prie !
Un bruit grave se fit entendre au loin. Puis des lumières bleues et rouges clignotèrent de plus en plus intensément à la fenêtre.
-Je crois que le temps des supplications est révolu.
-MATTHIEU !!!
Je me penchai sous le lit et saisis le couteau à pain.
-Matthieu !! Oh mon dieu !!!
Des crissements de pneus. Des claquements de portières. Les lumières pénétraient dans la chambre comme des unités d’assaut. Nous étions tous les deux colorés par cet arc-en-ciel tournoyant et clignotant. Mais mes gestes demeuraient lents et précis.
-Matthieu, pour tout ce que je t’ai fait subir, pour toute la souffrance que tu as endurée par ma faute, je te demande mille fois pardon… Mais par pitié…
-Maman…
Et puis je me tus. Ce fut le dernier mot que je lui dirais jamais. Je révélai mon arme devant ses yeux qui s’ouvrirent avec effroi. L’entrée du rez-de-chaussée fut défoncée. J’avançai la lame vers le ventre de ma maternelle. Son hurlement était sourd. Les pas se précipitaient vers l’escalier et commençaient à grimper. Je visais le nombril. Je le supposais sous un certain pli du vêtement que portait Maman. On frappa derrière moi. Je restai immobile. La lame tendue. Ma mère qui fondait en larmes.
Un « BOOM » m’indiqua qu’on avait enfoncé la porte à moitié détruite dans mon dos. Je sentis un bras puissant me saisir par le torse et me tirer en arrière alors qu’un autre s’attelait à m’arracher le poignard que je cédai sans résistance aucune. Je fus soulevé et éloigné du lit sur lequel Maman ne cessait de pousser des cris. Je vis des hommes en tenue sombre l’entourer et commencer à la détacher, mais celui qui me transportait sortit de la pièce et je ne pus observer ce qui allait suivre. Je restai sans mot, sans ouvrir la bouche, comme un pantin souple que l’on manipule avec aisance.
L’individu me déposa devant l’escalier et me demanda de descendre. Je levai mes yeux vers lui. Il était très grand, brun, les iris noirs et avait une barbe de quelques jours. Il insista et je détachai ma vue de cet inconnu pour descendre dans l’obscurité. J’avais cassé toutes les lumières de ma maison. Mais mes pupilles accoutumées au noir me permirent de dire adieu à ces meubles, à ces pièces que je connaissais par cœur. Un des officiers monta en hâte et passa à côté de moi. Nos regards se croisèrent l’espace d’une seconde, mais nous savions tous deux à qui nous avions affaire. Je venais de menacer la vie de son bébé.
J’atteignis le rez-de-chaussée et me dirigeai vers la sortie, d’où les lumières des phares de plusieurs voitures de police illuminaient les murs. On aurait juré un feu d’artifice. C’était ainsi que je voyais les choses.
Trois hommes étaient dans le salon et me regardèrent passer en silence. J’enjambai un morceau de la chaîne hi-fi au sol et aperçus Sylvie dans l’angle de l’entrée, dans sa jolie robe de soirée, les bras croisés et les larmes aux yeux. Elle avait donc bien lu le message que j’avais laissé dans son sac avant qu’elle ne parte à sa fête. J’étais très content de la voir. Je voulus lui faire comprendre en lui souriant tendrement, mais son visage resta figé sur un sentiment de peur. Je passai outre et sortis à l’air libre.
Le géant derrière moi posa une main sur mon épaule et me guida. Heureusement, car j’étais ébloui par les flashs lumineux clignotants. Je distinguai des gens qui tentaient de voir ce qu’il se tramait ; probablement les voisins.
On m’emmena devant une voiture et on m’ouvrit la porte arrière. Je pénétrai dans le véhicule et m’assis sur le siège. Un autre homme était au volant ; il n’était pas de la police. Il devait venir d’un institut, mais je ne savais pas trop de quoi il s’agissait.
Il avait allumé la radio. On passait Free to change your Mind, de Regency Buck. J’aimais bien cet air. Je fermai les yeux et avalai ma salive. Les lumières de dehors parvenaient toutefois à traverser la fine peau de mes paupières.
Je m’imaginais ce qu’il était en train d’advenir à l’extérieur de ce véhicule. Tout ce que j’avais planifié. Ce qu’il devait arriver. Car cette fois-ci, pas d’erreur possible. Tout était parfait. Je voyais d’ici les évènements.
L’amant secret de Maman qui fonce dans la chambre de l’horreur. Il bouscule quelques collègues au passage, mais ne prend pas le temps de s’excuser. Tout ce qu’il veut, c’est une confirmation visuelle que son aimée, ma mère, est toujours en vie. Il rentre dans la pièce. Il voit ses partenaires l’aider à se relever, masser les membres qui avaient été liés et la rassurer en lui assurant qu’elle est désormais en sécurité. L’amant se précipite vers elle, la prend dans ses bras, la serre fort, lui demande ce qu’il s’est passé. Elle le regarde, les yeux rougis par le chagrin. Elle lui avoue que la soirée qu’elle vient de vivre a été bien éprouvante. Il la console comme il peut à force de caresses, de promesses et de mots doux.
L’homme au volant de la voiture m’observa dans son rétro central. Je n’en eus cure. Je regardai à travers la vitre derrière moi et cherchai mon géant. Il était en train de commander des ordres à ses subordonnés. D’autres officiers sortirent de la maison avec ma sœur. Je sus ce qu’il se passait.
L’amant demande à ses collègues de sortir des lieux, afin de le laisser seul avec ma maternelle. Ses camarades, sûrement des amis, acceptent et compatissent devant la rudesse de l’instant. L’amant embrasse Maman, et attend d’être sûr que ses partenaires quittent tous la maison pour lui demander si le bébé va bien. Elle le soulage tout en demandant pressement ce qu’il va se passer pour moi.
Sylvie rentra dans un véhicule de police et un agent discuta avec elle. Probablement un bon père de famille compréhensif.
Ma mère pleure dans les bras de l’amant.
Ma sœur sanglotait en se cachant le visage avec ses mains.
Voici ce que je causais.
Voici ce que je cause.
Le géant rentra dans son véhicule personnel et contacta quelqu’un avec son cellulaire. Les autres en firent de même. Ils attendaient leur confrère.
Ce dernier serre fort Maman contre sa poitrine. Puis un craquement se fait entendre. Il tend l’oreille et vérifie par la fenêtre. Tous ses partenaires sont dehors. Mais le bruit suspect se manifeste à nouveau. Il demande à ma mère de l’attendre. Ça vient du salon. Il sort son arme de fonction. Maman demande ce qu’il se passe. Il lui demande de faire silence et sort de la salle. Il s’approche de l’escalier. L’étrange grincement continue. Il descend les marches avec circonspection, son revolver pointé vers l’avant. Les lumières dansent sur les murs. Il arrive au rez-de-chaussée et cherche la source du son. Celui-ci est plus distinct. Il pense le localiser. Dans le placard à côté de la cuisine.
Je fis claquer mes doigts et remuai vigoureusement mes jambes.
L’amant s’approche lentement de l’armoire et demande qui est là. Bien-entendu, comme il s’y attend, il n’obtient aucune réponse. L’obscurité ne permet aucune vision claire de surcroît. Toutefois, le crissement sourd s’arrête. Subitement. Un silence de mort tombe autour de l’amant. Il serre fort son arme. Il inspire. Il s’inquiète. Une goutte de sueur le démange le long de son échine.
Je me grattai le menton.
L’amant ouvre le placard. Il fait trop sombre, il ne voit rien. Des vêtements semblent là, mais rien de particulier ne l’interpelle. Pourtant, le bruit reprend. Juste devant lui. Il approche lentement.
Je toussai.
L’amant plisse les yeux.
La radio changea de chanson.
Maman se rassoit sur le lit.

Forever, d’As I Lay Dying. L’activation du piège à pies du magasin de jardinage non loin de chez moi, caché dans le placard, la fuite de gaz orchestrée par mes soins, le coup de feu de panique de l’amant.
Et enfin, l’explosion de la maison.



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