Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Layla Wa Jeïel


Par : Warser
Genre : Action, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 8


Publié le 29/07/2012 à 07:19:36 par Warser

La jeune femme clignait des yeux. De grands yeux noisettes, qui exprimaient la surprise et la peur.
- Qui êtes vous? Pourquoi vous a-t-on capturé?
Eagal parlait d'une voix dure, qui camouflait mal sa fatigue.
- Je... je ne me souviens plus... Juste une lumière blanche, et puis.. plus rien, balbutia-t-elle.
Avec un mouvement de rage, Eagal marcha vers la porte de la salle.
- Une amnésique, maintenant... Tsvao est lié à une amnésique, bougonna-t-il. Gwaar ? Gwaar !
la voix du mage s'éloignait alors qu'il s'enfonçait dans les couloirs du donjon. Apeurée, la jeune fille se tourna vers Tsvao, qui lui sourit.
- On ne vous veut aucun mal.
Avec sa cicatrice sur la joue, et le long sabre ostensiblement à son coté, le jeune homme n'était pas particulièrement rassurant. Toutefois, ses cheveux blonds bouclés mal arrangés, alliés à sa voix toujours ensommeillée, lui donnaient un air innocent et doux. Drôle de contraste, se dit la jeune fille avec un demi sourire pour son hôte, qui la regardait avec bienveillance.
- Vous ne vous souvenez vraiment de rien? Pas même de votre nom?
Elle nia de la tête, le regard baissé.
- Eh bien, nous nous contenterons du mien, alors, lança le jeune homme en riant, voulant détendre l'atmosphère. Tsvao. Tsvao Blinnc. Mon ami, qui vient de sortir de la pièce, s'appelle Eagal. Il faut l'excuser pour son humeur, il a eu une nuit mouvementée... je vous raconterai, pour le moment ça n'a pas d'importance.
Il fut interrompu par Erena, qui s'était approchée d'eux, son éternel sourire aux lèvres.
- Et moi, tu ne me présentes pas?
Tsvao regarda Erena, se demandant comment il pourrait bien introduire la succube sans effrayer sa jeune invitée.
- Eh bien, voici Erena... Compagne d'Eagal ? On peut dire ça comme ça, non?
L'intéressée fut prise d'un fou rire, alors que Tsvao, dépité, la fusillait du regard.
- Admettons ! répondit Erena d'un ton enjoué. Je ne vous serre pas la main, mais l'âme y est, ajouta-t-elle à l'adresse de la jeune fille avec un sourire radieux.
Lui rendant son sourire, l'ancienne captive considéra la femme qui la regardait avec curiosité. elle était magnifiquement belle. Peut être même un peu trop. Sa personne irradiait d'une étrange puissance qu'elle n'arrivait pas à déterminer. Étranges hôtes, pensa-t-elle. Sans réellement savoir pourquoi, elle se savait en sécurité. Une sensation de douceur l'avait enveloppée depuis son réveil, et la peur la quittait peu à peu.
Le cours de ses pensées fut interrompu par le retour d'Eagal, accompagné de la silhouette effacée de Gwaar.
- Désolé d'interrompre les présentations, mais il va falloir préparer le départ. On s'occupera des petits problèmes de mémoire plus tard. Gwaar? Accompagne la jeune fille dans une chambre.
Gwaar s'inclina, et avec un regard pour son hôte, il parla de sa voix la plus avenante.
- Si mademoiselle veut bien me suivre ?
- Vous avez besoin de repos, ajouta Tsvao à l'adresse de la jeune fille, posant une main réconfortante sur son épaule. Peut être vos souvenirs vont-ils vous revenir...
Elle acquiesça, souriant nerveusement, et suivit Gwaar en dehors de la pièce.
- Attendez ! les interrompit Eagal, qui avait retrouvé son calme. J'oubliais.
Ramassant avec précaution le Layla wa Layla, qui était tombé à terre, il le tendit à son invitée.
- Vous comprenez cette langue?
La jeune fille se saisit du livre jauni et racorni. Malgré sa taille, il n'était pas lourd. Surprise par la douceur du contact du papier de la couverture, elle admira un moment les deux dragons dessinés d'un seul trait qui illustraient la reliure, et l'ouvrit à une page au hasard. De petits caractères, écrits à l'encre rouge, d'une écriture fine. Lentement, elle parvenait à distinguer des lettres et des mots, étranges et parfois incompréhensibles, mais familiers.
- Oui... je crois...
- Lisez le. Peut être que ça vous rappellera quelque chose. Prenez du repos, mais préparez vous à partir. On vous expliquera.
Elle approuva d'un signe de tête, et quitta la pièce, guidée le majordome. Sans même savoir réellement qui ils étaient, elle leur avait accordé sa confiance. Enfin, elle n'avait pas d'autre choix...
Alors que la porte se refermait, Tsvao jeta à Eagal un regard interrogateur.
- Pourquoi ce livre ?
- Parce que je pense que c'est une A'me Nive'hare, répondit le mage. C'est la seule explication , pour le Sanctuaire. Et ce livre, Tsvao, est le livre saint de la douzieme tribu des Niveha're, les gardiens du temple. Maintenant, je dois préparer le départ...
Tsvao regardait son ami, dont le visage exprimait une extrême lassitude. Tout s'était enchaîné si vite... En une nuit, leur vie, à tous les deux, avait été chamboulée.Une suite d'incroyables coïncidences.. Ou le destin, peut être. Qu'importe. Depuis qu'il avait touché pour la première fois la jeune fille, alors qu'elle reposait sur le sable de la crique, ses cheveux roux éparpillés au sol, il ne voulait plus s'en séparer. Le Sanctuaire, allié à une certaine vulnérabilité aux charmes féminins, disait Eagal. Peut être que c'était vrai...
- Où allons nous? Tu n'es pas obligé de nous accompagner. C'est moi que le sanctuaire a envoûté... je comprendrais très bien que tu ne me suives pas, cette fois, vieil ami.

Eagal soupira. Non, il n'était pas forcé de suivre Tsvao et la jeune fille, menacés par les troupes de l'homme qui la désirait tellement, dans les forêts et les montagnes, la nuit étoilée pour couverture et le sol comme oreiller. Il pouvait s'installer dans une île perdue de l'archipel tezgane, et y couler des jours tranquilles, loin de tout danger.
- Nous partons pour la péninsule d'Eisral. Ce morceau de désert est le seul endroit sur Isgaar ou l'on peut encore rencontrer des communautés A'me Niveh'are, à ma conaissance. Je nourris toujours l'espoir de la rendre aux siens. Et, Tsvao, je ne vais pas te laisser tomber sur ce coup là.... Que serait la vie sans un peu de piment, de toute façon? Et puis, je ne contiendrai jamais Erena tout seul, ajouta-t-il avec un clin d'oeil

- Même à deux, vous avez du mal ! Remarqua la succube, nonchalamment étendue sur le fauteuil de cuir noir. Oh, vous êtes jeunes... Mais je ne peux prendre que votre énergie. Pas vos âmes.
Une pointe de regret perçait dans sa voix, alors qu'elle lançait à Tsvao un regard emprunt de gourmandise.
Eagal sourit doucement. Erena s'ennuyait dans la grotte de la crique, et les gardes qu'elle avait massacrés la nuit précédente avaient du la mettre en appétit. Une succube insatisfaite pouvait devenir aussi dangereuse qu'un homme affamé. D'autant que le contrôle du mage sur son serviteur n'était pas total... Lui offrir de nouvelles âmes à dévorer serait à la fois une récompense pour de bons et loyaux service, et une assurance de bien conserver la sienne.
- Bien, voilà qui conclut cette conversation, alors, constata le mage avec une joie forcée. Nous partons demain pour Eisral. Je ne pense pas m'avancer de trop en te promettant des escouades de soldats rien que pour toi, Erena !
La succube prit un air radieux, et Eagal disparut en claquant des doigts. Alors que Tsvao cherchait une manière de remercier son ami, il sentit le souffle léger du démon dans sa nuque. Une baïonette fusa dans sa main, et il se retourna avec rapidité, l'appuyant sous la gorge d'Erena, qui recula immédiatement. Si elle était invulnérable à la plupart des armes, les dagues de lancer de Tsvao, forgées en vrai-argent, bénies par un prêtre Wei, pouvaient la blesser gravement.
Plus étonnée qu'effrayée, la succube regarda Tsvao avec un demi sourire.
- Alors, qu'est ce qui t'arrive? Nerveux?
- Oui. Et puis, pour être honnête, tu me fais un peu peur depuis la nuit dernière...
Il rengaina tout de même son arme lorsque la succube lui décocha un sourire enjôleur.
- Allons, Tsvao, tu sais très bien que le pentacle d'Eagal m'empêche de faire des bêtises quand il s'agit de toi... Et puis... ça met un peu de piment, après tout ! ajouta-t-elle avec un clin d'œil. Tu ne trouves pas?

Alors que Tsvao se demandait si le risque, quoique mince, de perdre son âme représentait réellement un facteur stimulant, la succube disparut dans un éclat de rire. Le jeune homme sourit, caressant le pommeau de son arme. Sa réaction avait été un peu excessive, mais Erena l'avait cherché, avec toutes ces allusions à son âme! Et puis, elle ne lui en voudrait pas trop.
Désœuvré, Tsvao se dirigea vers la salle d'armes. Sans doute la partie la plus ancienne du donjon de son ami, qui avait jadis été la caserne du fort d'Oïs, inutilisé depuis la conquête des iles Tezganes par l'empire d'Akhyat. Elle se trouvait dans les profondeurs de la falaise. C'était, de tout le donjon d'Eagal, l'endroit ou Tsvao préférait être. Cette immense galerie était riche en armes de toutes sortes, des cimeterres du sud aux couteaux du nord, en passant par des arbalètes, arcs, ou armes plus exotiques. Tsvao n'y avait jamais trouvé plus efficace que son sabre d'acier trempé dans l'argent, mais il s'y rendait souvent pour se distraire, y exercer ses talents de lanceur de couteaux, ou manier seul des armes qu'il n'avait jamais l'occasion de toucher en dehors de la crique.
S'enfonçant dans un couloir sombre, éclairé de rares torches, Tsvao marcha jusqu'à la petite porte de fer ornée du blason de l'empire, et s'apprêta à la pousser.
Mais alors qu'il approchait sa main de la poignée, il entendit de petits crissements venant de l'intérieur. Un rat, peut être? Il entrouvrit doucement la porte, qui grinça légèrement. Dos au mur, il jeta un regard à l'intérieur de la longue gallerie mal éclairée, dont les murs était couverts d'armes exposées sur lesquels reflétait la faible lueur des rares torches.
Plissant les yeux, Tsvao s'habituait peu à peu l'obscurité. Au fond du couloir, deux petites lumières dansaient sous ses yeux, comme deux lucioles. Des armes, des dagues, sur lesquels se reflétait une torche ou un chandelier, supposa Tsvao. Et, puis des bruits de pas légers, résonnant à peine dans le corridor voûté.
Eagal n'avait pas l'habitude de s'entraîner dans la salle d'arme. Gwaar, s'il venait parfois y effectuer des tâches ménagères, allumait toujours toutes les torches avant d'y entrer. Non, c'était quelqu'un d'autre, qui était subrepticement entré dans la galerie sombre, et qui maniait à présent deux armes courtes dans la nuit, les faisant virevolter adroitement. Impossible. Personne n'aurait pu s'infiltrer ainsi dans le donjon d'Eagal. Personne, sauf un autre mage, peut être... Mais alors, quel intérêt d'aller précisément dans la salle d'armes?
Ayant lentement dégainé son sabre, Tsvao coinça une baïonette entre ses dents. Le gout âpre du métal dur et froid se répandit rapidement dans sa bouche, et l'odeur le prit à la gorge. S'avançant lentement, sabre pointé vers le sol pour éviter qu'un reflet malheureux ne trahisse sa présence, Tsvao tenta d'apercevoir le visage de l'homme, ou de la créature qui maniait ses dagues. Un démon, peut être, qui aurait échappé au contrôle d'Eagal? C'était plausible. C'était aussi déjà arrivé. Les démons primaires se réfugiaient souvent dans les endroits sombres, s'ils échappaient au contrôle de leur maître, se cachant de sa fureur.

Tsvao caressa le manche de la lame qu’il tenait serrée dans sa mâchoire, comme pour se rassurer. Le métal béni consumait les chairs d’un démon mineur en quelques secondes, s’il frappait un point vital. Toujours dos au mur, Tsvao suspendit sa marche. Impossible de s’approcher plus tout en restant discret. Scrutant l’obscurité, le jeune homme tentait de mieux distinguer la créature qui semblait danser, deux lames brillantes à la main. Des Khopesh de diamant, petites faucilles de guerre à une main. Une arme rituelle qui n’était fabriquée et utilisée, pour ce que Tsvao en savait, que par les mages du sud. Un instant, le visage du mystérieux personnage fut éclairé d’une lueur blanche, presque surnaturelle. Sans doute l’éclat d’une torche amplifié et reflété par le prisme d’une des armes cristallines.
Tsvao eut le temps d’apercevoir deux yeux. Deux grands yeux noisette. Soulagé, il s’apprêta à baisser son sabre et à venir à la rencontre de la jeune fille qui s’était sans doute perdue dans le donjon. Mais alors que sa mâchoire se desserrait, manquant de laisser tomber au sol la baïonnette d’argent, il se ravisa. Après tout, que savait-il de cette jeune fille ? Était-elle vraiment amnésique ? Et puis, surtout, qui, après un traumatisme de cette envergure, viendrait manier deux armes rituelles oubliées dans une salle d’arme ?
Certains démons pouvaient prendre des apparences diverses. Erena en était l’exemple le plus frappant.
Une tentatrice aux formes attirantes, une nymphe charmante, une jeune noble innocente… Ou d’autres formes, tout aussi belles que démoniaques et infernales, comportant son apparence véritable, qu’elle n’employait que pour combattre.
Mais la succube était particulièrement puissante et raffinée. La plupart des démons se contentaient de copier grossièrement les traits d’un humain. Dans le noir, éclairée promptement par le reflet d’une torche, l’illusion pouvait parfaitement fonctionner…
Tsvao fit lentement glisser la baïonnette hors de ses dents. S’il s’agissait réellement de la jeune fille, il préférait éviter de l’effrayer, après ce qu’elle avait déjà subi. Approchant délicatement sa main du mur, il se saisit d’une longue épée d’entraînement en bois durci. La dague bénie dépassait toujours de sa manche, prête à jaillir entre ses doigts.
Discrètement, il s’approcha de la jeune fille qui dansait, épée vers le sol. Un spectacle à la fois effrayant et enchanteur. Les reflets des torches sur sa tunique blanche, l’éclat laiteux des Khopeshs cristallins qui virevoltaient, s’évanouissant parfois dans les ténèbres… Tsvao, envoûté, céda un moment à la contemplation de ces mouvements emprunts de grâce et de souplesse, magnifiques et menaçants. La baïonnette qui se trouvait dans sa manche glissait lentement, menaçant de heurter le sol.
Tsvao récupéra son arme entre le pouce et l’index, et se blâma d’avoir ainsi baissé sa garde, même pour un instant.
Alors que la jeune fille effectuait un mouvement complexe, l’épée de Tsvao. siffla, déviant le Khopesh de diamant. Une lueur d’effroi dans le regard, elle recula de quelques pas avant de distinguer les traits du jeune homme qui la regardait avec bienveillance.
- Tu t’en sors bien, avec ça, remarqua-t-il sur le ton de la conversation, les doigts toujours crispés sur la baïonnette d’argent.
La jeune fille lui rendit un demi-sourire, baissant les yeux.
- Je m’étais perdue… je suis tombée ici.
Une expression incrédule et amusée sur le visage, Tsvao maintint sa garde.
- Et donc, tu as commencé à manier des Khopesh de diamant, c’est-à-dire une arme des plus rares en Isgaar, comme si tu l’avais fait toute ta vie ?
La jeune fille eut un petit rire doux. Elle évitait toujours le regard de Tsvao, jouant machinalement avec les faucilles brillantes.
- Je ne sais pas. Elles me rappelaient quelque chose. J’en ai juste touché la poignée, c’était familier.
Levant pour la première fois les yeux vers le jeune homme, un sourire provocateur et amusé sur le visage, elle fit tournoyer les deux croissants de cristal entre ses mains.
- En garde !
Pris au jeu, Tsvao avança son épée d’entraînement, à la manière des nobles du nord. Il n’était pas habitué au de combat à l’épée lourde, qu’il méprisait autant que les chevaliers qui la maniaient, mais il avait tout de même appris à s’en servir, dans sa jeunesse. Un style tout en puissance, demandant une endurance et une fore hors norme. Il raffermit sa prise sur la garde de l’épée, et salua la jeune fille d’une courbette.
- Mademoiselle, ce sera un honneur, ajouta-t-il avec une pointe d’ironie dans la voix, montrant tout le respect qu’il avait pour les conventions des duellistes du nord.
L’épée pointée vers le haut, Tsvao se demanda s’il devait ou non porter le premier coup. Il ne voulait pas la blesser, et même une arme de bois pouvait être dangereuse entre des mains expérimentées. Le jeune homme n’eut pourtant pas le temps d’achever ces considérations. : Dans un prompt éclat de lumière blanche, l’une des faucilles frôla sa tête, coupant l’une de ses mèches blondes. Surpris, Tsvao constata que la jeune fille l’avait approché avec une impressionnante célérité. D’un large mouvement d’épée, plus menaçant qu’agressif, il la força à faire un pas de côté.
Son arme brandie, le jeune homme s’avança, et porta un nouveau coup écrasant, qu’elle esquiva avec un rire fin et joyeux. Se glissant sur le côté avec une agilité féline, elle écorcha le cuir de la tunique de Tsvao. Alors que celui-ci se retournait, sa claymore en avant, elle avait déjà reculé de quelques mètres Le jeune homme était à la fois agacé et piqué dans son honneur, et pris dans l’ardeur du combat, il oublia un moment que son adversaire était la jeune fille qu’il avait sauvé quelques heures auparavant. Il brandit son arme et la chargea, le bruit de ses pas lourds résonnant dans la galerie. Ses deux faucilles brillantes croisées devant elle, elle l’attendait avec un sourire calme. Alors qu’il s’apprêtait à porter une puissante estocade, elle se glissa derrière lui, profitant de son élan. Le croissant du Kopesh fusa vers la gorge de Tsvao qui réagit immédiatement, parant avec force du tranchant émoussé de sa lame. Surprise par la violence du choc, la jeune fille faillit perdre l’équilibre. Tenant sa claymore d’une seule main, Tsvao profita de cet instant de faiblesse pour s’emparer de son poignet, lui faisant lâcher l’arme sous la pression.
Elle lui échappa rapidement, fluide et souple, et, lui attrapant les jambes, le fit tomber à terre. En lutte au sol, la célérité et l'agilité avaient au moins autant d’importance que la force. Alors que Tsvao lâchait son épée, inutile dans cette situation, il réfléchit rapidement. S’il parvenait à la saisir, et à lui retirer sa deuxième arme, le combat serait terminé. Il lui porta un coup à l’épaule, d’une puissance calculée. Alors que son système nerveux réagissait, le bras de la jeune fille perdit toute force pendant un instant, et le Kopesh glissa au sol. Roulant sur le côté, elle évita à nouveau le mouvement de saisie de Tsvao, et d’un geste rapide, elle récupéra l’une de ses armes.
Ramassée sur elle-même, elle frappa à nouveau avec la rapidité d’un serpent, alors qu’il tentait de se relever. Tsvao, renversé sur le dos, sentit le contact froid du diamant sous sa glotte. La jeune fille était sur lui, son poids léger appuyé sur son ventre, son visage finement dessiné resplendissant d'une étrange violence. Ses yeux brillant d’une lueur enjouée et menaçante narguaient son adversaire, ajoutant encore à l’humiliation.
- Je te trouve bien confiant, pour un guerrier, lança-t-elle d’un ton allègre et provocateur.
Tsvao sourit nerveusement. Il avait peut être fait une imprudence de trop. Plongeant son regard dans les grands yeux noisette de son élégante adversaire, il y chercha la flamme rouge caractéristique d’une magie démoniaque. Sans succès. Il s’agissait bien de la jeune fille. Ce qui ne rendait pas la situation forcément plus confortable.
Avec douceur, La baïonnette argentée de Tsvao glissa discrètement dans sa main, et il dévia le Kopesh d’un geste rapide, dans un tintement sonore. Se dégageant, il pointa son arme vers le cœur de la jeune fille, qui s’éloigna en riant.
- Tu triches ! Je pensais que tu combattais à l’épée.
Passablement rassuré, Tsvao baissa sa dague. Contemplant le visage radieux de son hôte, il n’y vit qu’une expression joyeuse, amusée par le combat. Un jeu. Il s’approcha d’elle avec une certaine prudence, alors qu’elle s’était assise sur le rebord de pierre.
- Tu te bats bien, remarqua-t-il.
Se retournant vers lui, elle lui adressa un sourire lointain.
- Merci.
Un long silence s’installa, alors que les deux jeunes gens restaient pensifs, les yeux perdus dans la contemplation des armes sur les murs, éclairées par la lumière des torches. Un spectacle impressionnant, presque envoûtant.
L’exaltation du combat avait laissé place à une douce tristesse sur les traits de la jeune fille, et Tsvao admirait à la dérobée ce visage faiblement éclairé par la lumière d’un chandelier. Ces yeux, surtout, ces magnifiques yeux bruns, exprimant vivacité et calme, gaieté et lointaine tristesse. Le jeune homme sentait peu à peu monter en lui une douce chaleur entêtante. L’envoutement du Sanctuaire, sans doute. Tant pis, c’était agréable.
- Tu ne m’as pas raconté ce qui s’est passé, hier soir, remarqua la jeune fille.
Tsvao hésita un moment, avant d’entamer son récit. Il raconta tout : le convoi, l’imprévu, l’attaque. Son duel avec le barbare, l’invocation de l’armée des morts, les corbeaux. Et puis, la manière dont il l’avait retrouvée, échoué sur la plage, dans cette même tunique blanche, une blessure à la tête. Enfin, le sanctuaire, et les explications d’Eagal. La jeune fille l’écoutait sans l’interrompre, souriant parfois.
- Alors, comme ça, tu serais mon gardien ? Drôle de manière de me protéger ! commenta-t-elle riant. Mais tu ne m’as toujours pas parlé de toi…
Tsvao soupira. Non seulement il n’était pas fier de sa vie d’adolescent, mais il n’avait aucune envie de se la remémorer.
- Des fois, j’aimerais bien être amnésique, aussi, éluda-t-il.
Avec un sourire, la jeune fille dévisagea Tsvao. L’idée de l’avoir en compagnon de route n’avait rien de déplaisant, au premier abord. Mais route vers où ? -
- Je vais retourner dans ma chambre. Peut-être que le livre que m’a donné ton ami me rappellera vraiment quelque chose…
- Je t’accompagne ? demanda machinalement Tsvao
Elle se leva avec un sourire amusé.
- Non, je pense que je retrouverai mon chemin seule. Et puis, même si je me perds, je tomberai peut être sur un autre vieil objet qui fera remonter des souvenirs.
Alors qu’il la regardait s’éloigner, Tsvao pensa un moment aux changements qui s’étaient opérés en lui. Pas un instant il n’avait pensé à la vendre contre rançon. Pourtant, elle devait valoir de l’or, auprès de l’homme qui la recherchait. Encore fallait-il savoir qui était cet homme. Tsvao se promit de reconsidérer sa décision : après tout, il pourrait obtenir l’argent, puis enlever à nouveau la jeune fille… Il ne voulait pas la trahir. C’était pour lui devenu inconcevable. Tsvao avait déjà exercé et subi la trahison et le mensonge. Des armes comme les autres, des moyens neutres à une fin. Inutile de s’en priver pour respecter un prétendu code de l’honneur…
Mais dans ce cas précis, l’idée lui répugnait, sans qu’il sache réellement pourquoi.
Soudain, il entendit la petite voix de la jeune fille, qui faisait écho dans la salle.
- Tsvao, tu m’accompagnes ? Le donjon de ton ami est un vrai labyrinthe…
Le jeune homme se leva en soupirant, cherchant la jeune fille du regard. Elle l’attendait, à quelque pas de la porte de la galerie ouverte. Alors qu’il s’approchait d’elle pour lui offrir son bras, vieux réflexe de son éducation, elle l’enlaça sans plus de cérémonie, posant sa tête sur le torse du jeune homme. Surpris, il se laissa aller à cette étreinte, ne cherchant pas à la repousser. La jeune fille leva lentement les yeux, son beau visage doucement éclairé par la lueur du feu crépitant d'une torche.
- Tsvao…
A la seule vue de ces traits, à la douceur de cette étreinte, le jeune homme avait perdu pied. Il voyait simplement les lèvres de la jeune fille s’approcher des siennes, se laissant aller à la douce félicité des amants.
Soudain, alors que leurs deux visages se touchaient presque, il remarqua que les paupières de la jeune fille étaient toujours ouvertes. Dans un éclair de lucidité tardive, tentant vainement de se dégager, il la vit. La flamme rouge au fond des yeux. Sa baïonnette d'argent, à terre, hors de portée, brillait doucement.

Avec effroi, il sentit les bras de la jeune fille le serrer de plus en plus fort. Ses lèvres entrouvertes laissaient apparaître deux longues canines, alors qu’elle s’approchait lentement pour le soumettre à un baiser létal. Hypnotisé et terrifié, Tsvao ne fit pas même un geste pour s’emparer d’une autre baïonnette sacrée. La force démoniaque de la créature d'apparence pourtant si fragile le maintenait impuissant, les bras le long du corps, ne pouvant que voir arriver sa fin. Derrière les pupilles noires, derrière l’illusion de ces si beaux yeux, le brasier rouge brûlait plus vivement que jamais. Sentant toute combattivité l'abandonner, il ferma les yeux.


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