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Entre poussière et ruines


Par : Spyko
Genre : Action, Horreur
Statut : C'est compliqué



Chapitre 19


Publié le 28/11/2012 à 13:34:02 par Spyko

Le reste du trajet se fit dans un silence total. Aucun sanglot ne le brisa. Il y avait bien longtemps que les morts n'étaient plus vraiment pleurés. Une victime de plus, c'était toujours un choc, mais, à part pour les personnes proches, ce n'était qu'une victime de plus, justement. Un rescapé de moins, éventuellement un infecté de plus.
Pour certains, c'était même une bouche en moins à nourrir.
Les six camions cahotaient sur la route en sale état, et leurs conducteurs essayaient de les garder sur le chemin. Si jamais un véhicule faisait un écart, pour une raison quelconque, et se retrouvait dans la végétation épaisse qui bordait la voie, il y avait peu de chances qu'il en ressorte. Et pas seulement à cause des infectés.
Après quinze ans sans avoir eu à craindre l'Homme, la majorité des bêtes sauvages, qu'il s'agisse de simples renards ou de sangliers, étaient devenus nettement plus agressifs. Leur éloignement de toute civilisation les avait protégé des diverses mutations du virus. Évidemment, les hasards de la génétique avaient fait en sorte que certains de ces animaux avaient les bonnes cellules avec les bons gènes aux bons endroits, si bien qu'il arrivait que des bandits préviennent les rescapés qu'un sanglier nettement plus imposant que d'habitude traînait dans les bois.
Les animaux de compagnie, plus ''ouverts'' aux mutations de la bactérie en raison de leur proximité, en revanche, n'avaient pas eu cette chance, et l'infection semblait avoir rallongé considérablement leur durée de vie. Si tomber sur un lapin nain infecté ne posait pas réellement de soucis, se retrouver nez-à-nez avec un doberman était déjà nettement moins agréable.
Quand le convoi arriva en vue de l'amas rouillé formé par la statue d'avion, Christophe rompit finalement le silence.

« Qui s'en occupe ? »

Tous les regards se tournèrent vers lui, chacun comprenant parfaitement de quoi il parlait. Laurent décocha un coup d’œil à Melinda avant de se reconcentrer sur la route, veillant à ne pas s'écarter de la ligne formée par les camions. La jeune femme soupira.

« J'imagine que la question se pose pas, souffla t-elle. Il faut prévenir qui ? »
« Sa mère et son frère, répondit finalement David après un court instant. Ses amis l'apprendront bien assez vite. Tu veux que je vienne avec toi ? »

La jeune femme le regarda, les yeux légèrement humides. Prévenir la famille d'un mort était l'une des deux pires corvées qu'on puisse imposer à l'un des membres du camp, mais elle était nécessaire. Finalement, elle hocha doucement la tête, un léger sourire de gratitude apparaissant sur son visage.

« Ce serait sympa, merci, murmura t-elle, si bas que les autres l'entendirent à peine à travers les grondements du camion. »

Le jeune homme lui répondit par un sourire, avant de se tourner à nouveau vers le pare-brise. Le véhicule s'était immobilisé, puisque le tout premier membre du convoi s'était arrêté devant le portail du camp. De là, ils pouvaient voir les tours de garde installées au fil des années, tous les vingt mètres. Au vu du nombre de maisons abandonnées, les matériaux n'étaient pas la chose la plus dure à obtenir. Juste dangereux à récupérer.
Finalement, les camions se remirent en marche, entrant lentement dans l'enceinte du camp. Deux hommes, armés de FAMAS, s'étaient postés de chaque côté, scrutant les environs. Ils étaient parmi les seuls autorisés à manier cette arme dont les munitions commençaient cruellement à manquer.
Le camion de David passa au pas devant l'une des nombreuses tâches marrons qui recouvraient le mur en béton, devant le portail. Un long frisson monta le long du dos du jeune homme en voyant ces sinistres nuances de couleur.
Trois d'entre elles lui étaient imputables. La première provenait d'un bandit qui avait tenté de les escroquer au cours d'une période difficile, après qu'une épidémie de grippe ait décimé plusieurs enfants en bas âge du camp. Cet écart de conduite avait été très mal accueillit, et le jugement de la population, particulièrement à cran, avait été sans appel. Les deux autres étaient des rescapés à un stade terminal de l'infection, qui avait tenté d'entrer dans la base.
Le bandit avait été exécuté par un pur accès de colère, partagé par l'intégralité des survivants. Il ne s'en souvenait presque plus. Mais les regards à la fois suppliants et résignés des deux hommes froidement abattus à l'entrée du camp, eux, continuaient de le hanter. Il n'y avait pas de remède quand l'infection était aussi prononcée.
Si l'annonce d'un décès était la deuxième corvée la plus désagréable pour un rescapé, la ''décontamination'' était la première.
Mais ces cas de figures étaient assez rares. A l'exception des bandits, il n'y avait plus grand monde hors des bases improvisées dans tout le pays. Il arrivait parfois qu'un groupe de hères en sous-nutrition et mutilés débarquent après que leur campement de fortune ait fini par être submergé, mais ils étaient toujours acceptés.
Non, c'était surtout les bandits qui posaient problème. Plus le temps passait, et plus certains devenaient entreprenants. Ainsi, il n'était pas particulièrement rare qu'une équipe découvre, en revenant des cultures, que ''le mur de devant était redevenu rouge'', selon l'expression qu'ils employaient.
Le camion s'immobilisa finalement, et David se leva.

« Vous devriez aller aider les autres à décharger, fit-il en désignant les deux premiers véhicules, on a pas récolté grand chose, mais bon... »
« T'en fais pas, répondit Emeric en jetant un regard inquiet à Melinda. Et... on va leur expliquer pourquoi on s'est arrêté. »
« D'accord. Bon courage, grogna l'ancien étudiant en soulevant la trappe arrière. »
« A vous, surtout, renchérit Christophe. »

David descendit d'un bond léger, ses bottes heurtant la terre humide du parking des camions, avant de se tourner pour remercier le jeune homme d'un signe de tête. Laura se pencha et l'embrassa, avant de le repousser doucement. Elle affichait ce sourire tendu qu'elle n'arrivait toujours pas à dissimuler malgré toutes ces années.

« T'inquiètes pas, souffla t-il brièvement avant de contourner le véhicule. »

Il longea le flanc métallique, et s'arrêta devant le trou où s'était jadis trouvé une portière en parfait état. Melinda tortillait nerveusement l'une des mèches de ses cheveux blonds, fixant d'un air hagard les rescapés qui sortaient du camion en face d'eux. Elle avait quelques années de plus que le jeune homme, mais n'avait visiblement jamais eu à s'occuper de ce genre d'incidents. D'après ce qu'il savait d'elle, elle était caissière au moment du drame, et elle avait du forcer les portes du centre commercial pour aller se cacher sous sa caisse, poursuivie par quelques cinglés, quand tout avait commencé à partir en vrille.
Il lui posa gentiment une main sur l'épaule, la faisant sursauter.

« Aller, on va y aller. Plus vite ce sera fait, mieux ce sera, dit-il avec un sourire qui se voulait encourageant. »

Elle se tourna vers lui, les yeux embués, puis hocha la tête et descendit. Ce n'était pas tant le fait d'aller présenter la mort de Cedric qui la dérangeait, mais les circonstances dans lesquelles elle avait eu lieu. David jeta un œil sur le siège, et s'aperçut qu'elle avait oublié son arme sur le siège. Le sourire encourageant se mua en une moue inquiète figée.
Il attrapa le Beretta et lui attrapa doucement le bras, avant de lui tendre.

« Ah, oui, fit-elle d'une voix hésitante, j'avais pas remarqué... »
« Essaie de te reconcentrer un peu, poursuivit-il d'une voix douce, je sais que c'est dur, mais tu peux pas te laisser abattre comme ça. »
« Je sais... C'est juste... ces gens, c'est à cause de moi qu'ils ont.... qu'il l'ont perdu... »
« C'est pas comme si tu l'avais exécuté. Ils comprendront. Et.... je m'occupe de tout, acheva t-il avec un clin d'oeil. »

Elle y répondit par un faible sourire. Ils avaient dépassé le parking où les camions se déchargeaient de leurs membres et du peu qu'ils avaient ramené des cultures. Du coin de l'oeil, David vit qu'Emeric et Christophe s'étaient rapprochés des autres rescapés. Laura, elle, restait en retrait, tandis que Laurent s'occupait de refermer la trappe. L'information risquait de commencer à circuler.
Ils rejoignirent la zone bétonnée qui faisait office de ''route'' dans le camp, reliant les diverses installations. Ils avaient fait de leur mieux pour entretenir les vestiges de cette base, afin de leur faciliter la vie. Et retirer tout le goudron aurait été un travail parfaitement inutile et épuisant.
Plusieurs rescapés les interpellèrent, sachant qu'ils revenaient des cultures, mais le duo se contenta de répondre avec des signes de mains.
En revanche, lorsqu'ils passèrent devant un bâtiment étroit et bas de plafond, aux portes grandes ouvertes malgré la température qui commençait sérieusement à baisser, un homme trapu, vêtu d'un épais manteau gris, et aux cheveux qui en prenait la même couleur, leur fit signe d'approcher.

« David, on a reçu une petite visite pendant que vous étiez parti, j'ai quelques trucs qui devraient vous intéresser ! »
« De quel genre ? »
« J'ai cru comprendre que le calibre 12 commençait à manquer, et ils ont accepter de nous en filer en échange de trois Beretta. »
« C'est vrai ? Tant mieux. Au passage, la vieille pétoire d'Emeric commence sérieusement à avoir des soucis, tu pourrais jeter un œil ? On a un truc à faire là. »
« Pas de problème, je regarderais ça. Et.... Bon courage, ajouta t-il après une courte hésitation. »

David le remercia d'un signe de tête. Comment il avait deviné ce qu'ils avaient à faire, il n'en avait aucune idée, mais Daniel avait déjà assisté à beaucoup de choses, depuis qu'il s'occupait des armes. Sans doute pouvait-il analyser les comportements sans trop de problème, et la raideur de la démarche de Melinda faisait ainsi office de panneau lumineux. Ça plus l'attroupement formé par les membres du convoi, quelques dizaines de mètres plus loin.
Un vent glacial commença à balayer la zone, obligeant les deux survivants à forcer l'allure pour lutter contre le souffle. Une fois la partie ''usuelle'' de la base franchie, là où se trouvaient les réserves, les bâtiments importants et tout ce qui touchait à la survie, ils entrèrent dans la partie centrale, entourée par quelques tours supplémentaires. C'était un agrandissement de la base, à côté de l'endroit où se trouvait la piste d'atterrissage, demeurée inutilisée.
Un terrain vague, sur lequel avaient poussé des centaines de petites cabanes collées les unes aux autres. Dressées, fixées, isolées, chauffées avec les moyens du bord. Si le temps devenait trop froid, les rescapés iraient passer la nuit dans les entrepôts inutilisés, qui seraient alors aménagés en conséquence. Mais pour l'instant, tout le monde demeurait chez soi.
Avec à peine plus de cinq cents habitants qui se fréquentaient constamment, que ce soit pour la protection, la cuisine ou le poursuite des travaux, David pouvait estimer connaître plus ou moins tout le monde. Une aussi petite communauté avait de toute façon besoin d'être soudée.
Il n'était pas l'un des proches de Cédric, mais avait déjà aidé sa mère à plusieurs reprises. Elle le connaissait sommairement, et lui savait à peu près dans quel cabanon ils habitaient. Et chaque ''famille'', tout du moins groupes d'habitants, avait pris soin de placer un signe distinctif.

« Prépares-toi, souffla t-il à la jeune femme en lui indiquant une porte en bois sur laquelle était accrochée un vieux médaillon doré orné d'une croix. C'est juste ici. »

Elle regarda dans la direction indiquée, et soupira doucement. Le jeune homme pris une grande inspiration, puis frappa. Les trois coups secs résonnèrent dans la petite pièce, derrière. Chaque cabane faisait plus ou moins une quinzaine de mètres carrés. Chacun était libre de l'agrandir comme il le souhaitait, du moment qu'il trouvait les matériaux et l'énergie nécessaire. Ce n'était pas vraiment le cas de cette famille.
Lorsqu'une vieille dame aux cheveux emmêlés et d'un gris blanchâtre ouvrit la porte, il vit qu'ils avaient au moins dressé une petite séparation entre l'entrée et le reste du ''bâtiment''. Sa main gauche était entourée d'un bandage ensanglanté, et ses vêtements ondulèrent quand le vent s'engouffra dans la cabane.

« Oh, ne vous en faites pas, fit-elle immédiatement en interceptant le regard inquiet qu'ils jetèrent à sa main, je me suis juste égratignée. Vous voulez quelque chose ? »

Le peu de bonne humeur que le jeune homme avait réussi à conserver s'envola immédiatement. Le temps passait étrangement, dans ce camp, surtout quand on ne pouvait plus faire grand chose. Cette pauvre femme ne savait probablement pas que c'était aujourd'hui que les cultures revenaient, et elle était peut-être trop préoccupée par sa plaie pour les reconnaître vraiment.
Ce changement d'humeur ne lui échappa pas, car elle eut un froncement de sourcil, ainsi qu'un très léger mouvement de recul. David tenta vainement de décrisper sa mâchoire pour ne pas l'inquiéter. D'un bref coup d'oeil, il vit que la peine et le désespoir jaillissait littéralement du regard de Melinda, et essaya de concentrer l'attention de la vieille dame sur lui.

« Est-ce que nous pouvons entrer ? Il y a... quelque chose qu'on doit vous dire. »

David regretta ses paroles dès qu'elle furent prononcées. Sa propre voix, qu'il avait tenté de rendre rassurante, s'était brisée sur les derniers mots. Les yeux d'un vert pâle s'écarquillèrent sous les mèches grises, et le jeune homme comprit que les rouages venaient de se mettre en place. Un membre des cultures qui venait vous voir à leur retour ne le faisait jamais par simple courtoisie.
Le temps qu'il rouvre la bouche pour essayer d'atténuer le choc, la porte de bois se claquait devant eux.


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