<h1>Noelfic</h1>

Les trucs et astuces de RDA


Par : Roi_des_aulnes

Genre : Nawak

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 6

Personnages: Nature et Fonction

Publié le 13/11/12 à 18:27:33 par Roi_des_aulnes

Revenons soixante-dix ans en arrière.
Vous voici dans la peau d'un professeur de linguistique d'Oxford. C'est la guerre: les bombardements vous empêchant de faire votre boulot correctement, vous vous mettez à écrire un nouveau roman. Vous ne le savez pas encore, mais ce roman bouleversera une partie du monde: il mettra en avant un genre naissant. A Woodstock, dans trente ans, ce seront vos personnages qui, sous la forme d'hippie brumeux sous des chapeaux gris, inventeront le cosplay. Dans quarante ans, à l'aube de votre mort, vous serez adulé comme Tolstoï, sauf que les acolytes de votre sectes porteront de grosses lunettes d'écailles, des jeans salopés, et augmenteront leurs scores sur Donkey Kong en pensant à quel point vous avez inspiré leurs vies. Vos descendants, comme Abraham, seront innombrables, et comme Abraham, beaucoup d'entre eux craigneront beaucoup. Mais vous n'en savez rien, aussi, vous continuez à écrire sans penser aux conséquences.
Or, vous avez l'idée d'un personnage, qui vous vient à l'esprit. Une sorte de nostalgie de ce que pouvait être les forêts d'Angleterre avant qu'Hitler décide de tout cramer. Un personnage bonhomme, avec une barbe, cela va de soit, qui parle en rimes, en poêmes, et en énigmes. Il a une femme, une belle et magnifique femme avec laquelle vous pourrez faire pleins de métaphores. Il parle aux arbres, aussi, mais pas parce qu'il est boum boum, parce que les arbres, et notamment ce vieux con de saule, et ben ils écoutent. Il représenterait le bien, le bien pur. Et dans soixante-dix ans, des tas d'experts s'arracheront les cheveux pour savoir qui est exactement cet homme mystérieux, immortel, et bon à en mourrir dans un monde de gris et de noir. Non, c'est vraiment une excellente idée.
Sauf qu'une bombe explose à coté de votre cave, et que soudain, une question aiguillonne votre esprit:
"Tout ça c'est très bien, se dit J.R.R. Tolkien, mais je le fous où, Tom Bombadil ?"

Grande question, John, et ça tombe bien, ça rejoint mon idée. Tom Bombadil, dans la version que je viens de vous présenter, est l'incarnation du personnage avec une très bonne nature, mais sans réelle fonction. Il n'est donc, dans ce sens, qu'un demi-personnage.
Heureusement, Le Seigneur des Anneaux et surtout son premier tome est un récit de voyage. il n'obéit donc pas tout à fait à la même structure que les romans habituels, parce qu'il peut se permettre, justement, d'avoir des personnages qui apparaissent dans l'histoire mais qui n'interviennent pas dans l'histoire. Pour comparer, imaginez Tom Bombadil apparaître au troisième tome à coté d'Aragorn, de Gimli et de Legolas: ça n'a aucun sens.
Comme les mots, les personnages ont une fonction et une nature. La nature d'un personnage, c'est tout simplement ce qu'il est: un hobbit jardinier, un nain grognon, mais aussi un libraire perdu, ou un général des armées. Bref, en un mot, ce qu'il est.
La fonction, c'est le rôle qu'il joue dans l'histoire. Cela peut être grossièrement un archétype: le grand méchant, le héros, la fille, le duo comique. Mais c'est de façon plus précise, ce qu'il apporte à l'histoire en général, ses actions et leurs influences; celui qui porte l'anneau, celui qui guide Sam et Frodon au Mordor et qui finit par sauver involontairement l'histoire, celui qui dirige les armées du monde libre... Bref, en un mot, à quoi il sert.
Un personnage a toujours une nature et une fonction, et les deux doivent être d'une part solidement liés et d'autre part également développés.
Autrement dit: quand vous créez un personnage, ou quand vous avez une idée de personnage, vérifiez bien qu'il puisse participer activement à l'histoire. Si la narration se porte sur une guerre gigantesque entre magiciens superpuissants, et que vous venez d'inventer Sophia, la jeune fille de fermière qui aime lire dans sa chambre, arrangez-vous pour que son histoire ne soit pas déconnectée de la narration, qu'elle ait une raison plausible de se mêler à tout ça, et qu'elle puisse avoir une influence, aussi petite soit-elle, dans votre oeuvre. Ce n'est pas forcément dans le déroulement de l'histoire en général -même si il faut qu'elle soit liée, elle peut ne pas avoir vraiment d'importance dans le déroulement global- mais dans le propos, dans l'ambiance, il faut qu'elle rajoute quelque chose. Si vous pouviez réecrire votre histoire sans elle, et que rien, absolument rien ne change à l'exception des passages où elle apparait, dégagez-là. C'est un problème qu'on voit souvent chez les écrivains qui ont beaucoup d'idées, mais qui manquent de structure narrative, et qui du coup, enfile les personnages comme des perles alors qu'ils sont parfaitement inutiles.
De l'autre coté, il est plutôt rare de voir une fonction "sans" nature. Il est beaucoup plus commun que la nature découle directement de la fonction. Vous avez besoin d'un antagoniste ? Créons un salopard. Vous avez besoin d'un héros ? Puisez dans les clichés, et faites nous un idéaliste. Ca rejoint un conseil très commun, mais développez votre personnage. Sachez que si vous modifiez ce qu'il est, sa fonction aussi changera.
Ce qui articule fonction et nature est généralement un objectif: Pourquoi un personnage tel que le jeune fermier rêveur va entrer en guerre ? Pourquoi d'un seul coup, la jeune fille timide va entrer dans le monde perdu de la capitale ? Pourquoi s'intéresser à Mike, le meilleur ami de votre héros Gustave, 16 ans, amoureux de Mathilde ? Parce que leur nature, ce qu'ils sont, vont souvent leur faire formuler des objectifs, qui peuvent être très simple (Le jeune fermier est enfermé dans un piège tendu par les orcs, et il va s'évader pour survivre/ Mike aime bien Gustave et c'est un mec cool, il va lui arranger le coup), ou très complexes (la jeune fille qui aime lire est touché par les écrits d'un vieux moines ancien qui promet la paix dans le monde à condition de suivre une idéologie bien précise, idéologie guerrière que la jeune fille va essayer de suivre malgré sa faible constitution et ses nibards). Ils vont donc ensuite accomplir des actions, actions qui vont, naturellement, influencer l'histoire. Donc, pour faire simple: Nature -> Objectifs -> Actions -> Fonction.
Ce petit passage théorique est fait pour mieux expliquer la dualité d'un personnage, et sans doute la principale différence avec une personne: une personne a une nature, elle n'a pas de fonction, puisqu'il n'y a pas d'histoire à raconter. Dans une fiction, au contraire, la fonction doit exister pour qu'une nature puisse se dévelloper, et donc, pour paraphraser Jean Paul, l'essence précède l'existence. Avant donc de faire intervenir un personnage quelconque dans votre fiction, demandez-vous d'abord si vous pouvez répondre précisément à la question de qui il est, et d'à quoi il sert.

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