Les trucs et astuces de RDA
Par : Roi_des_aulnes
Genre : Nawak
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 4
Personnages: Nuances et Ambiguïtés
Publié le 05/11/12 à 13:33:36 par Roi_des_aulnes
Parlons un peu des personnages. Comme vous le savez sans doute, un bon personnage peut être agréable à suivre pour globalement trois raisons :
-Premièrement, le personnage est idéal. Il est très simple. Il représente le bien ou le mal, la coolitude ou la loositude. On adore l'adorer, on adore le détester. C'est le cas pour beaucoup de personnages pour enfant (je veux dire, je tuerais pour pouvoir créer un personnage aussi ignoble qu'un méchant de Disney), mais aussi dans la littérature dite « sérieuse ». Ceux qui ont lu une fois Victor Hugo, ou Dumas, par exemple, savent à quel point der personnages aussi niais que Jean Valjean ou les Thénardiers sont jouissifs à voir bouger. Dans ce cas, le lien entre le personnage et le lecteur est tissé par l'émotion directe. C'était pendant longtemps le modèle idéal classique du héros et... c'est pas de ça dont on va parler aujourd'hui.
-Deuxièmement, on s'identifie au personnage. De la même façon que le personnage précédent, il n'est pas spécialement complexe. Mais plutôt que de représenter un archétype ou un idéal, il représente d'avantage un état émotionnel ou un type de vie plutôt banal. De fait, il devient une sorte de réincarnation du lecteur dans une nouvelle forme. On se sent proche de lui parce qu'il nous ressemble, ou parce qu'il ressemble à ce qu'on a pu être à telle ou telle étape de notre vie. Les plus célèbres et les plus touchants pour nous, pauvres geeks, sont par exemples les incarnations de la misère amoureuse, du narrateur de Premier Amour de Tourgueniev au pauvre jeune Werther de Goethe. Là, on est plus proche du type romantique du héros, et comme tout à l'heure, on s'en fout complétement.
-Le troisième est intéressant. Intéressant dans le sens le plus pur, parce qu'il ne s'identifie pas totalement aux catégories morales, parce qu'il échappe aux cases traditionnelles et aux archétypes, et parce que néanmoins, il s'y rattache sans y appartenir. C'est de lui dont on cause.
On aime bien parler à ce propos de « personnage complexe ». On entend par là souvent des psychologies, ou des background très fouillés, des personnages faits de doutes, de dilemmes, de contradictions. Plus encore, on vante leur non-manichéisme : contrairement au premier type de personnages, ils ne sont pas facilement classables dans une catégorie morale, ou du moins, leur catégorie morale est nuancée ou ambiguë. On ne sait pas trop si on aime ou pas ce personnage, si on est fasciné, si on le vomit.
Pour encore cibler ce dont je parle, je préciserais ici que la nuance et l?ambiguïté sont généralement fait à posteriori sur un personnage qui a d'abord été défini par sa fonction narrative. Pour parler en exemple : Vous avez besoin d'un ennemi, auquel votre personnage s'oppose. Puisque nous sommes dans un contexte guerrier, l'ennemi en question est sans aucun doute un général du camp adverse. La méthode habituelle serait d'en faire un salopard pur souche, seulement, vous avez peur du cliché, donc vous décidez de « l'habiller » un peu, de rendre les choses moins simples. C'est dans ce domaine que la nuance et l?ambiguïté sont importantes.
Prenons votre général. Il s?appellera maintenant Victor. Victor, donc, est théoriquement un salopard, et de sa mort dépend la réussite de votre héros. Victor est passé maître dans l'art du camp de rééducation, de la torture et de l'emploi d'armes non conventionnelles. Il est abandonné par ses propres supérieurs, qui le craignent et le détestent pour ses méthodes. Victor utilise tous les moyens possible pour parvenir à la victoire -d'ou son nom. Victor est même, et selon vos affinités idéologiques, nazi, islamiste radical ou communiste. - Herr Victor, Ahmed Victor, ou Igor Vissarionovtich Victor.. Bref, il est fade comme de l'eau plate.
Mettons un peu de nuance :
Victor a une femme dont il est follement amoureux, qui est resté à l'intérieur des terres, et deux fils. Tout les matins, en se levant, il se dit qu'il se bat pour eux. Il a eu une enfance difficile -même si il n'ose jamais dire ce que son père a vraiment fait. Il fait partie d'une minorité ethnique, brune, copte ou ukrainienne, vient d'une famille populaire, et s'est battu toute sa vie pour qu'on reconnaisse son talent. C'est un tacticien de génie, mais surtout un besogneux, un homme cultivé qui lit le soir des poèmes de Rimbaud et le Figaro Magazine, dont il fait toutes les semaines les mots fléchés. Il aime et admire énormément ses propres hommes. Il joue aux cartes avec eux, les défend envers ses supérieurs, les couvre, parfois au risque de sa propre carrière. Il a un mot particulier pour chacun d'eux. Il a aussi une chienne, qu'on appellera Blondie, Laïka ou Sloughi, avec qui il fait de longues balades sur le front.
Ca, c'est de la nuance. De façon technique, disons que vous prenez des éléments qui sont d'habitude rattaché à un archétype A (là, un type vraiment cool) pour le coller au bonhomme qui appartient à un archétype B (un type vraiment pas cool). Le mal et le bien coexistent dans le même personnage, on ne peut pas les séparer : éliminer le général qui torture ses adversaires revient à éliminer le pauvre homme qui fait de longues balades avec sa chienne et qui joue aux cartes avec les soldats. D'un seul coup, les catégories de lectures du lecteur lambda ne fonctionnent plus : vous avez crée un personnage nuancé.
Kilgore, dans Apocalypse Now (puisqu'on parle de généraux) peut en être un exemple type : un mec qui va bombarder sans aucune pitié des camps de soldats, mais agréable et bon envers ses propres troupes (voir à partir de quatre minutes et 45 secondes: )
L?ambiguïté correspond à un autre niveau d'écriture, qui n'est pas tant sur les faits qui accompagnent le personnage que sur la lecture de ses mêmes faits. Reprenons le général, et utilisons l'un des types d?ambiguïté les plus répandus, qui correspond en gros à la fin justifie les moyens.
Durant l'histoire, les hommes de votre héros vont capturer un des soldats de Victor. Celui-ci révèle que leur camp va très, très mal. Abandonnés par leurs supérieurs, ils doivent financer par eux-mêmes leurs nourritures : c'est à cela que servent les camps de rééducations. Par ailleurs, la capitulation reste impossible, car une défait sur ce point-là signifierait la fin de la guerre, la fin de la nation toute entière. Si Victor utilise des méthodes aussi cruelles, c'est qu'il n'a pas le choix, il doit tenir ce point aussi longtemps que possible, sinon, toute sa troupe sera tué, leurs femmes, violées, leurs enfants, égorgés.
L?ambiguïté, c'est quand, avec les mêmes éléments en main, deux interprétations, deux lectures (ou plus) complétement différentes peuvent être utilisées. C'est le cas pour à peu près tous les actes de l'humanité entière : l'enfer est pavé de bonnes intentions, comme on dit. Seulement, si on ne laisse jamais la possibilité pour une autre lecture de s'exprimer, le lecteur ne l'entendra pas. Ici, on se retrouve dans une situation différente de celle de la nuance. Avec la nuance, le lecteur n'a pas vraiment le choix : il doit prendre tout Victor, le Victor des camps et celui du Figaro Magazine. Avec l?ambiguïté, le lecteur doit choisir par lui-même ce qu'il a envie de croire : si il pense que Victor est un salopard, ou qu'il n'a simplement pas le choix. Il peut prendre la cause de Laurenzaccio, cet homme qui a profité d'une dictature pendant des années, et qui finit à la fin par racheter son salut en tuant son maître, en prétendant que tout n'était qu'une conspiration. Il peut refuser les excuses de Frollo, cet homme bloqué dans son amour par la prêtrise, et qui n'a d'autre choix que de tuer ce qu'il aime.
Toujours dans Apocalypse Now, le personnage de Kurtz, de façon un poil plus complexe que celui que j'ai fait ici, est ambigu : malade obsessionnel, ou au contraire visionnaire du monde qui est en train de se construire au Vietnam ? (là, la vidéo contient des spoilers)
Bien entendu, les deux ne sont pas excludables : la vérité est qu'un personnage intéressant est souvent à la fois ambigu et nuancé. Mais j'aurais tendance à préférer, de mon coté, l?ambiguïté à la nuance. Parce que la nuance ne fait qu'établir des faits, des faits qui resteront permanent dans l'oeuvre : la définition du personnage, malgré tout, restera stable tout le long du texte. A l'inverse, avec un personnage ambigu, vous avez en face de vous un lecteur hésitant, avide que vous lui donniez des éléments de réponses : la définition du personnage n'est jamais fixe, elle est toujours flou, et vous pouvez jouer à donner des arguments d'un coté ou de l'autre, à augmenter cette tension, et cette indétermination du personnage.
-Premièrement, le personnage est idéal. Il est très simple. Il représente le bien ou le mal, la coolitude ou la loositude. On adore l'adorer, on adore le détester. C'est le cas pour beaucoup de personnages pour enfant (je veux dire, je tuerais pour pouvoir créer un personnage aussi ignoble qu'un méchant de Disney), mais aussi dans la littérature dite « sérieuse ». Ceux qui ont lu une fois Victor Hugo, ou Dumas, par exemple, savent à quel point der personnages aussi niais que Jean Valjean ou les Thénardiers sont jouissifs à voir bouger. Dans ce cas, le lien entre le personnage et le lecteur est tissé par l'émotion directe. C'était pendant longtemps le modèle idéal classique du héros et... c'est pas de ça dont on va parler aujourd'hui.
-Deuxièmement, on s'identifie au personnage. De la même façon que le personnage précédent, il n'est pas spécialement complexe. Mais plutôt que de représenter un archétype ou un idéal, il représente d'avantage un état émotionnel ou un type de vie plutôt banal. De fait, il devient une sorte de réincarnation du lecteur dans une nouvelle forme. On se sent proche de lui parce qu'il nous ressemble, ou parce qu'il ressemble à ce qu'on a pu être à telle ou telle étape de notre vie. Les plus célèbres et les plus touchants pour nous, pauvres geeks, sont par exemples les incarnations de la misère amoureuse, du narrateur de Premier Amour de Tourgueniev au pauvre jeune Werther de Goethe. Là, on est plus proche du type romantique du héros, et comme tout à l'heure, on s'en fout complétement.
-Le troisième est intéressant. Intéressant dans le sens le plus pur, parce qu'il ne s'identifie pas totalement aux catégories morales, parce qu'il échappe aux cases traditionnelles et aux archétypes, et parce que néanmoins, il s'y rattache sans y appartenir. C'est de lui dont on cause.
On aime bien parler à ce propos de « personnage complexe ». On entend par là souvent des psychologies, ou des background très fouillés, des personnages faits de doutes, de dilemmes, de contradictions. Plus encore, on vante leur non-manichéisme : contrairement au premier type de personnages, ils ne sont pas facilement classables dans une catégorie morale, ou du moins, leur catégorie morale est nuancée ou ambiguë. On ne sait pas trop si on aime ou pas ce personnage, si on est fasciné, si on le vomit.
Pour encore cibler ce dont je parle, je préciserais ici que la nuance et l?ambiguïté sont généralement fait à posteriori sur un personnage qui a d'abord été défini par sa fonction narrative. Pour parler en exemple : Vous avez besoin d'un ennemi, auquel votre personnage s'oppose. Puisque nous sommes dans un contexte guerrier, l'ennemi en question est sans aucun doute un général du camp adverse. La méthode habituelle serait d'en faire un salopard pur souche, seulement, vous avez peur du cliché, donc vous décidez de « l'habiller » un peu, de rendre les choses moins simples. C'est dans ce domaine que la nuance et l?ambiguïté sont importantes.
Prenons votre général. Il s?appellera maintenant Victor. Victor, donc, est théoriquement un salopard, et de sa mort dépend la réussite de votre héros. Victor est passé maître dans l'art du camp de rééducation, de la torture et de l'emploi d'armes non conventionnelles. Il est abandonné par ses propres supérieurs, qui le craignent et le détestent pour ses méthodes. Victor utilise tous les moyens possible pour parvenir à la victoire -d'ou son nom. Victor est même, et selon vos affinités idéologiques, nazi, islamiste radical ou communiste. - Herr Victor, Ahmed Victor, ou Igor Vissarionovtich Victor.. Bref, il est fade comme de l'eau plate.
Mettons un peu de nuance :
Victor a une femme dont il est follement amoureux, qui est resté à l'intérieur des terres, et deux fils. Tout les matins, en se levant, il se dit qu'il se bat pour eux. Il a eu une enfance difficile -même si il n'ose jamais dire ce que son père a vraiment fait. Il fait partie d'une minorité ethnique, brune, copte ou ukrainienne, vient d'une famille populaire, et s'est battu toute sa vie pour qu'on reconnaisse son talent. C'est un tacticien de génie, mais surtout un besogneux, un homme cultivé qui lit le soir des poèmes de Rimbaud et le Figaro Magazine, dont il fait toutes les semaines les mots fléchés. Il aime et admire énormément ses propres hommes. Il joue aux cartes avec eux, les défend envers ses supérieurs, les couvre, parfois au risque de sa propre carrière. Il a un mot particulier pour chacun d'eux. Il a aussi une chienne, qu'on appellera Blondie, Laïka ou Sloughi, avec qui il fait de longues balades sur le front.
Ca, c'est de la nuance. De façon technique, disons que vous prenez des éléments qui sont d'habitude rattaché à un archétype A (là, un type vraiment cool) pour le coller au bonhomme qui appartient à un archétype B (un type vraiment pas cool). Le mal et le bien coexistent dans le même personnage, on ne peut pas les séparer : éliminer le général qui torture ses adversaires revient à éliminer le pauvre homme qui fait de longues balades avec sa chienne et qui joue aux cartes avec les soldats. D'un seul coup, les catégories de lectures du lecteur lambda ne fonctionnent plus : vous avez crée un personnage nuancé.
Kilgore, dans Apocalypse Now (puisqu'on parle de généraux) peut en être un exemple type : un mec qui va bombarder sans aucune pitié des camps de soldats, mais agréable et bon envers ses propres troupes (voir à partir de quatre minutes et 45 secondes: )
L?ambiguïté correspond à un autre niveau d'écriture, qui n'est pas tant sur les faits qui accompagnent le personnage que sur la lecture de ses mêmes faits. Reprenons le général, et utilisons l'un des types d?ambiguïté les plus répandus, qui correspond en gros à la fin justifie les moyens.
Durant l'histoire, les hommes de votre héros vont capturer un des soldats de Victor. Celui-ci révèle que leur camp va très, très mal. Abandonnés par leurs supérieurs, ils doivent financer par eux-mêmes leurs nourritures : c'est à cela que servent les camps de rééducations. Par ailleurs, la capitulation reste impossible, car une défait sur ce point-là signifierait la fin de la guerre, la fin de la nation toute entière. Si Victor utilise des méthodes aussi cruelles, c'est qu'il n'a pas le choix, il doit tenir ce point aussi longtemps que possible, sinon, toute sa troupe sera tué, leurs femmes, violées, leurs enfants, égorgés.
L?ambiguïté, c'est quand, avec les mêmes éléments en main, deux interprétations, deux lectures (ou plus) complétement différentes peuvent être utilisées. C'est le cas pour à peu près tous les actes de l'humanité entière : l'enfer est pavé de bonnes intentions, comme on dit. Seulement, si on ne laisse jamais la possibilité pour une autre lecture de s'exprimer, le lecteur ne l'entendra pas. Ici, on se retrouve dans une situation différente de celle de la nuance. Avec la nuance, le lecteur n'a pas vraiment le choix : il doit prendre tout Victor, le Victor des camps et celui du Figaro Magazine. Avec l?ambiguïté, le lecteur doit choisir par lui-même ce qu'il a envie de croire : si il pense que Victor est un salopard, ou qu'il n'a simplement pas le choix. Il peut prendre la cause de Laurenzaccio, cet homme qui a profité d'une dictature pendant des années, et qui finit à la fin par racheter son salut en tuant son maître, en prétendant que tout n'était qu'une conspiration. Il peut refuser les excuses de Frollo, cet homme bloqué dans son amour par la prêtrise, et qui n'a d'autre choix que de tuer ce qu'il aime.
Toujours dans Apocalypse Now, le personnage de Kurtz, de façon un poil plus complexe que celui que j'ai fait ici, est ambigu : malade obsessionnel, ou au contraire visionnaire du monde qui est en train de se construire au Vietnam ? (là, la vidéo contient des spoilers)
Bien entendu, les deux ne sont pas excludables : la vérité est qu'un personnage intéressant est souvent à la fois ambigu et nuancé. Mais j'aurais tendance à préférer, de mon coté, l?ambiguïté à la nuance. Parce que la nuance ne fait qu'établir des faits, des faits qui resteront permanent dans l'oeuvre : la définition du personnage, malgré tout, restera stable tout le long du texte. A l'inverse, avec un personnage ambigu, vous avez en face de vous un lecteur hésitant, avide que vous lui donniez des éléments de réponses : la définition du personnage n'est jamais fixe, elle est toujours flou, et vous pouvez jouer à donner des arguments d'un coté ou de l'autre, à augmenter cette tension, et cette indétermination du personnage.
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