<h1>Noelfic</h1>

Les trucs et astuces de RDA


Par : Roi_des_aulnes

Genre : Nawak

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 3

Les Titres

Publié le 03/11/12 à 22:26:38 par Roi_des_aulnes

Ouaip', le titre.
Le titre, c'est à la fois le passage le plus petit et le plus important de votre roman. Vous pouvez avoir écrit un excellent texte de 1500 pages, mais c'est le titre qui va pousser d'abord le lecteur, trois pauvres mots en tête d'un bouquin ou de votre nouveau topic. C'est aussi un passage particuliérement complexe, parce qu'il obéit à des lois complétement différente du reste de l'oeuvre.
Que je m'explique un peu : le titre est le seul élément d'un livre qui est en dehors de la narration, avec la préface/postface (ou le « chapitre introductif », si vous préférez: ). Le titre ne raconte pas l'histoire : il la présente. Quand on fait un titre, on ne parle pas en tant que narrateur, mais en temps qu'auteur. Ainsi -et c'est spécialement le cas dans les récits à la première personne- la hauteur de vue sur l'oeuvre est beaucoup plus élevé : dans le titre, on essaye de synthétiser la totalité de l'oeuvre en une phrase ou un mot. D'un seul coup, l'histoire terre-à-terre s'offre à une auto-analyse de l'auteur, qui peut soit coller à l'histoire, soit essayer de montrer par ce biais les enjeux réels ou cachés de son travail.
Expliquons cela par une petite anecdote : 1932, André Malraux sort un nouveau livre. L'histoire raconte dans ce style emo si cher aux années 30 la participation d'un groupe de communistes chinois à la prise de pouvoir de Tchang-Kaï Chek à Shanghaï, en 1926, et leur élimination suite à la trahison de ce dernier. Mais l'histoire s'interesse surtout aux destinées et aux psychologies des personnages, chacun devant porter un fardeau particulier devant l'absurdité de leur condition, et étant jugé -parfois de façon un peu expéditive- par leurs destinées et le style de l'auteur. Malraux l'appelera donc la Condition Humaine, titre qui indique non pas l'histoire en tant que telle, mais le projet de l'auteur : Malraux ne parle pas (que) d'une histoire parmi tant d'autres, son projet est d'expliquer, de dévoiler un pan de la condition de tous les individus. Et ouais, il se prenait pas trop pour de la merde.
Here's come the fun part: En 1937, un éditeur anglophone veut traduire l'ouvrage en anglais. Mais l'Amérique est alors plongé dans des problèmes sociaux grave, et les mouvements de crise d'identité culturelle européenne -et le snobisme français- fonctionnent pas. La mode est bien sur aux fresques sociales (pensez à Steinbeck) et aux livres d'aventures et d'actions. La Condition Humaine sortira donc sous le titre de... Storm in Shanghaï. Vous comprendrez aisément que quand on veut lire un bouquin philosophique bourré de métaphores christiques et de réflexions sur l'engagement, on ne va pas achter un truc qui s'appelle Storm in Shanghaï. Ce fut un très mauvais pari pour l'éditeur : les ventes furent médiocres tant chez les amateurs d'aventures -déçus- que chez les amateurs de philo -découragés-. Je ne connais pas hélas suffisament l'histoire pour pouvoir dire si les critiques américaines ont correctement analysé l'oeuvre, mais on peut en déduire qu'il leur manquait un élément très important. (Note : cette erreur fut t corrigée, et désormais, le titre anglais de la Condition humaine est The Man's Fate)

Bref : le titre n'est pas qu'une façon de vendre le livre. Il est une façon de l'analyser. C'est pour cela que généralement, je conseillerais aux gens d'avoir une idée en tête bien précise de la totalité de l'histoire, avant de tenter de nommer leurs fictions. Quand c'est pas le cas, on tombe dans deux travers : soit une description de la situation initiale, ou une description ultra-plate du fil rouge (voir les « Moi, treize ans super-héros » ou les « Je suis devenu une fille ! »), soit pire encore, une sorte de phrase alambiquée qui veut tout dire et rien dire (« Chaos et Pertes », « Dans l'ombre du froid », « Entre cendres et ténébres »). Je n'ose pas citer des textes en particulier, mais matez un peu la timeline de Noelfic, vous verrez parfaitement ce que je veux dire.
En fait, entre l'obscurité absolue et la description terre-à-terre de l'ouvrage, je pense qu'il existe des tas de juste milieux, qui permettent, comme je l'ai déjà dit, de donner le ton. Je vais prendre encore deux exemples, pour montrer que le titre peut donner encore bien des indications, même de façon indirecte : l'une de mes nouvelles, Petsuchos (parce que j'aime beaucoup le titre et qu'on analyse jamais mieux que ce qu'on a fait) A Song of Ice and Fire : A game of thrones,

Bon, d'abord Petsuchos. Un de mes potes avait bien analysé l'idée. Petsuchos, c'est, dans la mythologie égyptienne, l'incarnation matérielle de Sobek, un crocodile sacré cajolé dans les temples et momifiés à grand frais par les hommes. Pour ceux qui ont lu l'histoire, la référence est assez évidente. Mais personne ne sait ce que c'est qu'un Petsuchos, c'est donc pas vraiment pour le sens que je l'ai choisi -même si ça fait partie de l'ensemble. C'est avant tout pour ses sonorités. Quand vous le lisez à voix haute, y a trois trucs qui sont contradictoires : D'abord, c'est un mot inconnu, un concept d'une vieille civilisation -même si vous êtes pas au courant de la signification. On range donc le titre dans « truc obscur et prétentieux qui veut pas qu'on sache l'histoire », comme par exemple pour les titres en latin. Sauf que, deuxièmement, c'est pas du latin, c'est du grec, mais avec des consonances du sud, le « os », etc... donc ça paraît d'un seul coup non seulement lointain, mais aussi étranger, avec une touche d'exotisme. Troisièmement, les sonorités ne sont pas vraiment pompeuses en elle-même : « Petsuchos », pardon, mais ça sonne pas classe. Ca ressemble un peu à un nom qu'on donnerait à un pokemon inventé, quand on est gosse, avec une prononciation approximative -je suis sur que la moitié d'entre vous le dit « Petsuchausse ». Donc on a, dans un seul mot : 1. Une signification en rapport avec l'histoire 2. Une touche de prétention et de snobisme 3. Une touche d'exotisme 4. Une sorte de rêve d'enfant. Bref, un peu tous les éléments esthétiques intéressants. Petsuchos n'indique rien de l'histoire, n'indique rien sur le projet en lui-même : mais il ouvre sur la question esthétique.

A song of Ice and Fire, maintenant, traduit en France par « le Trône de fer », ce qui n'est pas, à mon sens, une trahison. Déjà, première remarque, le titre est très flou sur ce qui se passe. Il faut attendre le tome 2 pour comprendre que la glace fait références aux White Walkers et que le feu représente les dragons. En revanche, le titre est très genré, et c'est sa valeur première : song, fire, ice, ça pue la Fantasy tradi à des centaines de kilomètres. Il est aussi intéressant de voir ce que le titre n'indique pas : pas de noms de héros, pas de personnages désignés. A game of thrones, le titre du premier livre, en rajoute dessus, indiquant que le point de focalisation du roman ne sera pas tant un personnage en particulier, mais une intrigue générale à propos de complots politiques. La référence au jeu fait référence à une sorte de partie immense, complexe et foisonnante. Bref, le titre indique en un mot le « genre » du texte : de la high fantasy basé sur une série de complots politiques, genre dont Martin n'est ni le créateur, ni l'apanage.
Une autre remarque, un peu en dehors de mon discours général : le fait de mettre un pronom indéfini avant un titre, comme « un chant de feu et de glace » est justement une présentation directe du texte, un moyen de mettre encore de la distance entre le titre et son contenu (ça marche aussi, globalement, pour le mot « chronique de », plus particulier à la langue française, mais qui contient le même sens). En racontant « Chronique d'une sorciére », vous vous inscrivez dans un héritage, comme si vous n'avez été qu'un parmis d'autres.

Parfois aussi, vous pouvez prendre un élément, un personnage de l'histoire, et le mettre brutalement en avant. Il peut ne pas s'agir du héros, ou du personnage principal, mais il vaut mieux, bien sur, qu'il soit le guide de l'histoire. Il s'agit néanmoins le plus souvent d'un lieu : Pensez à Notre Dame de Paris de Victor Hugo, La Route de Cormac McCarthy, le jardin aux sentiers qui bifurquent, de Borgés, le Rivage des Syrtes de Gracq, ou le Désert des Tartares de Buzzati. C'est le lieu où se passe l'histoire, mais aussi un lieu qui exprime souvent quelque chose de plus, qui a une importance dans l'oeuvre. Dans le cas d'un personnage, de façon générale, vous avez deux choix : il peut s'agir soit du personnage principal, soit d'un personnage qui, indirectement, est le cœur de l'action. Autant le dire tout de suite : Si vous prenez les personnags principaux en tant que « héros », ça veut dire des personnags sans trop d'ambiguités, vous risquez d'être catalogué dans les trucs jeunesses. A l'inverse, prenez le personnage moteur de l'histoire, l'antagoniste, la créature qu'il faut détruire, le danger, vous entrez dans une autre catégorie. Rappelez-vous que quand Tolkien a décidé de s'adresser aux adultes, il est passé de Bilbo le Hobbit (gentil semi-homme plein d'aventure dans la tête) au Seigneur des Anneaux (littéralement Sauron, créature qui symbolise le danger, la tentation du mal, qui est cité partout mais qui n'apparait nulle part -dans les bouquins, on ne sait jamais si il a vraiment un forme physique ou si il n'est qu'un œil, contrairement aux films). Et que, dans le même genre, la moitié des livres de Stephen King font référence au psychopathe qui finit par tuer tout le monde (Carrie, Christine, Cujo... )

Un dernier exemple, même si la liste n'est pas exhaustive : il s'agit de la présentation basique du fil rouge de l'histoire. L'exemple le plus connu, et l'un des plus drôles, est sans aucun doute celui du film Snakes on a plane. Sachez que décrire exactement le contenu de votre texte vous catégorise aussi dans un genre : celui qui ne se prend pas la tête. En un mot : Snakes on a plane vous promet des serpents dans un avion. Piranha 3D vous offre des Piranha en 3D, Dragon Boa vs Godzilla vous propose un combat entre un dragon et Godzilla. C'est très utilisé, comme vous le voyez, dans les séries B, séries Z, ou des exploitations de celles-ci. Autant le dire, avec des pitchs comme ça, généralement, il vaut mieux bien réfléchir : parce que vous écrivez, vous ne faites pas des films, donc l'intérêt du « fun pour du fun » est quand même difficile à trouver, même si vous avez une idée de génie.

Pour résumer, le titre peut expliquer beaucoup, beaucoup de choses : La condition humaine explique la symbolique du texte, Petsuchos, son esthétique, A song of Ice and Fire, son genre, Notre Dame de Paris, un lieu moteur de l'histoire, Snakes on the plane, les bases narratives. Quoi qu'il en soit, choisissez sagement : généralement, les écrivains ne trouvent leurs titres qu'après plusieurs recherches ou tentatives. Une astuce plutôt simple, serait par exemple de trouver un « nom de projet » que vous utilisez durant la phase d'écriture. Quand vous en êtes à la moitié du texte, recherchez une idée de génie. Le mieux reste quand les titres viennent comme des évidences, et un jour, vous pourrez vous lever avec l'idée qui rendra vraiment justice à votre œuvre.

Commentaires

Profiteur

16/11/12 à 00:59:51

Vraiment très bien, j'ai pris plaisir à le lire.

Que penses-tu de "Passions" pour un texte érotique :) ?

Citizen1245

05/11/12 à 11:07:47

Bravo, c'est excellent :-)

Pronche

04/11/12 à 21:25:34

J'adore, c'est vraiment une excellente idée et je plussoie Fukaï sur l'aide d'autres auteurs, ça ne pourrait qu'être utile :-)

Pseudo supprimé

03/11/12 à 23:50:55

Continue, c'est très bon.
Peut-être même l'intervention d'autres auteurs, si t'arrive à en chopper.

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