<h1>Noelfic</h1>

Le Cycle Des Calepins Oubliés


Par : Tacitus42

Genre : Science-Fiction , Action

Status : Terminée

Note :


Chapitre 7

Sum Satis Tacito

Publié le 08/02/12 à 09:48:01 par Tacitus42

5. Sum Satis Tacito.


Comme je l’ai précisé plus haut, j’avais plus ou moins déjà vu Lilith à l’écran (à l’occasion d’une interview).
Il se trouve que l’entretien télévisé avait eut lieu à peine quelques jours plutôt (on y traitait d’ailleurs essentiellement de la victoire commune dont pouvait se venter les deux secteurs).

Par la suite, j’ai revu les vidéos de surveillance des caméras qui ont filmé le dîner. Et j’avoue que je trouve ça toujours autant fendard.
Il faut dire que l’entrevue a rapidement dégénéré en un ballet diplomatique pitoyable dont je vous passerai la plupart des détails.
Il y a eut cependant quelques échanges intéressants et d’autres qui tenaient du surréalisme (voir même de la pataphysique)…
Surtout sur la fin.

Mais il faut avouer que cette dame avait une certaine allure (une allure bizarre, mais c’était le style qui voulait ça) et même dans un certain sens, une forme de charme : même s’il faut franchement peler les couches de l’oignon pour le trouver (ce qui suppose de chialer un max au passage : rapport aux odeurs lacrymogènes notamment).

Elle avait une stature imposante pour une femme (bien qu’elle demeurât bien proportionnée selon les canons de beauté en vigueur à l’époque et qui reste dans la moyenne humaine intemporelle je pense).

Elle n’était pas particulièrement belle je dois dire. Mais il faut bien avouer qu’elle n’était pas « physiquement » moche non plus (même son visage pouvait paraître agréable)…
Malgré sa chevelure totalement hirsute, qui se subdivisait en agglomérats de mèches extrêmement crades (ce qui lui donnait un peu la dégaine d’un lion mâle adulte : surtout qu’elle avait les cheveux roux avec des reflets auburn) et son visage en partie miné par les maladies vénériennes (mais pas tant que ça en fait)…

Pour vous dire la vérité, j’ai tout de suite pensé à la description de Léonidas en la voyant (même si, elle, n’avait fatalement pas le moindre poil au menton).
Je suppose qu’elle entretenait ce look pour les mêmes raisons…
Ce qui n’aurait sans doute pas manqué de faire rire l’illustre spartiate s’il avait pu être notre contemporain ou elle le sien… (Je ne sais pas s’il aurait ri longtemps : vas savoir)
Elle avait en outre une variété d’expressions faciales impressionnante et qui dénotait vraisemblablement d’une volonté de théâtraliser chacun de ses propos.
On dit aussi qu’elle était dotée d’un sens de l’ironie et du cynisme hors du commun (plus que moi sans doute : c’est dire).
Certains ont été jusqu’à prétendre qu’elle avait fait vœu de sarcasme devant Satan en personne.
Mais ses meilleurs atouts (pour ne pas dire les seuls) étaient sans conteste son regard profond d’un marron fort sombre presque d’obsidienne à dire vrai (ou alors l’aspect obscur était simplement amplifié par l’effet de la dilatation des pupilles sous l’emprise des drogues : difficile à dire) et une denture presque « parfaite » : la base de ses crocs était sensiblement jaunie tout au plus…
Elle devait longuement ronger les os pour les entretenir au mieux bien que cela pût simplement s’apparenter à une sale habitude issue de l’enfance. En matière de dentition on aurait pu s’attendre à pire au regard de son histoire.

Détail sans importance, (et pour ce que j’ai pu en voir) elle avait aussi un nombre incalculable de tâches de rousseurs sur le visage (ce qui s’explique par la transparence de certaines parties polymériques de leur dôme bien qu’elles soient sensées s’opacifier en fonction de la luminosité : les nôtres sont simplement translucides).

Elle s’est bien évidemment présentée parée de ses plus beaux atours : une robe d’un bleu foncé (entaillée sur les côtés jusqu’aux flancs) qu’enserrait une ceinture aux plaquettes en métal blanc richement orfévrées.
Le tout dissimulait une tenue moulante noire (une protection micro perforée sans doute : je présume qu’il eut mieux valut qu’elle ne le fut pas) qui disparaissait sous ses long bas noirs eux aussi et ses gants (qui remontaient jusqu’aux dessus des coudes) de la même couleur et faits d’un matériau semblable.
Elle revêtait par ailleurs un manteau (à la mode médiévale et sans manche) d’un pourpre impérial dont les bords du col en hermine (ou simili je ne saurais dire) étaient joints par une chaîne en or (tout comme le simple demi-cercle métallique qui ornait son front en guise de couronne)…
Autant dire que la miss ne se prenait pas pour de la merde.

C’est Bramwell qui l’avait introduite dans la salle de séjour (oui : sieur Everett était caporal chez les Bloody Lions à ce moment là) et chose « rare » (à ce qu’on disait), il se trouve qu’elle s’était risquée à venir accompagnée d’un seul garde du corps (un gars taillé comme une armoire à glace cela dit : comme on pouvait s’y attendre du reste).

« Merci mon brave » avait-elle lancé du ton le plus condescendant qu’il m’ait été donné d’entendre au pauvre caporal qui se remettait toujours péniblement de sa blessure au bras droit…

Pour information, il a fallu moins de trois jours au commandeur pour se remettre de sa meurtrissure à la jambe : grâce aux miracles de la médecine moderne et parce qu’il ne s’agissait que d’une plaie somme toute superficielle (qui tenait lieu de la simple déchirure musculaire au niveau du quadriceps, bien qu’entaillé sur les trois quarts de sa largeur). Hors, il se trouve que la balle qui avait blessé Evy, avait percuté et fracturé l’os (pratiquement à bout portant) à hauteur de l’humérus dextre…
Une chance pour lui que les vaisseaux sanguins aient été épargnés.
Mais le concernant, la réhabilitation du membre allait nécessairement prendre encore un petit temps… D’autant qu’il n’était pas général, lui. Et ce débile aurait même refusé le recours à la nano technologie (qui aurait accéléré le processus) : par peur d’être « envahi » (c’est même devenu une phobie aux jours d’aujourd’hui).

Nota bene : je me rappelle qu’à une époque, « on » - ma femme - utilisait des asticots pour exécuter le même travail…
(Enfin presque)…

Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris ce qu’il foutait-là. Mais le sous-off avait fortement insisté auprès de Victor même pour être présent (je crois qu’il ne voulait simplement pas rester seul avec ses tourments).

Quoiqu’il en soit et pour en revenir à elle, Lilith s’est aussitôt tournée vers notre général avec le sourire le plus aimable qu’elle ait pu simuler.
Je crois que c’est à ses lunettes qu’elle l’a reconnu : il était le seul de la pièce à en porter…
(Le seul de tout le secteur je pense, voir du monde).

« Alors, c’est vous ? » a-t-elle demandé en tendant une main à l’adresse de Gretchencko…

Je crois que le commandeur ne savait simplement pas qu’il fallait l’effleurer du bout des lèvres quand il l’a empoignée de manière franche (mais je n’en suis pas plus sûr étant donné que je le voyais mal s’exécuter devant sa femme : même s’il avait eu connaissance de l’us).

Elle n’a pas sourcillé (je suppose qu’elle avait, elle aussi, d’avantage l’habitude de ce genre de manière virile).

« Qui ça ? » demanda naïvement Victor.

Comme si elle ne le savait pas. Comme si, lui, ne savait pas où elle voulait en venir…
La diplomatie, j’te jure !

« Morgenstern... » Dit-elle avec emphase (je suppose que l’évocation de ce type de masse hérissée de pointes en fer était pour elle une métaphore phallique du pouvoir et de la domination assez forte pour lui procurer un certain plaisir).

« Sudden Death ! » continua-t-elle sur le ton de l’ironie.
Elle ponctuait chacun de ses mots en écarquillant bien grands ses yeux pratiquement noirs.

Il faut vous imaginer la scène…

A ma gauche : un homme d’une trentaine d’année bien tassée, un mètre soixante-sept à tout cassé, cinquante-cinq kilos à la pesée (il avait pas de bide : c’était déjà ça), avec le dos voûté d’un vieillard, une fâcheuse tendance à regarder systématiquement ses godasses, myope comme une taupe pardi et résolument incapable de faire du mal à une mouche sans son fusil (à condition bien sûr qu’il ait ses binocles sur le pif auquel cas, il est vrai, la pauvre bête n’avait aucune chance, quelque soit la distance)…

Et à ma droite : une femme-lion, d’environ vingt-sept ans, d’un bon mètre quatre-vingt deux (je la dépassais d’un centimètre à peine), septante trois kilos (ce qui est parfaitement acceptable pour sa taille), résolument athlétique (sans être nullement disgracieuse) avec ses allures de reine décadente qui avait non seulement survécu à son père, mais torturé (ou fait torturé : c’est kif-kif et bourricot) l’ensemble de ses concitoyens (mais bon, ça : on ne le savait pas encore)…

Et cet abruti qui baisse à nouveau les yeux quand elle se fout ouvertement de sa gueule.

Je ne le connaissais pour ainsi dire pas vraiment et je me suis toujours fié à mon intuition. Mais je dois avouer que j’ai bien cru qu’il allait chialer quand il a porté ses mains à ses yeux.

« A en juger par votre renom, je vous imaginais plus fort » surenchérit-elle avec un air vaguement ingénu : « plus grand aussi (surtout pour quelqu’un capable de tuer trente hommes en dix minutes) » conclut-elle finalement.

Enfin de compte, il a juste retiré ses lunettes de la main gauche et massé l’arête de son nez à hauteur de ses yeux à l’aide de la droite.
Il avait juste l’air extrêmement las, simplement fatigué d’entendre encore et encore les mêmes conneries de la part de gens qu’il ne connaissait généralement pas…
Après tout ce qu’il avait enduré.
Je crois juste qu’il aspirait à la paix : mais la paix en l’occurrence devait pour lors passer nécessairement par cette confrontation.
(Peut-être avait-il vraiment envie de pleurer après tout).
Mais il a simplement réprimé sans difficulté une sorte d’embryon de rire (rien de plus qu’une devanture à sa lassitude).

Et nous l’avons soudain vu comme aucun de ses ennemis n’avait pu le voir (puisqu’il les tuait bien avant qu’ils aient une chance de l’approcher)…

Ils étaient tous deux de profils ou presque (en contrebas par rapport à la caméra principal en tout cas) quand il se déploya soudain, redressant une par une ses vertèbres dans un geste cohérent et pas si lent, ramenant sensiblement une omoplate en arrière et s’assurant bien que son bras gauche bringuebalait ses lunettes sur son flanc légèrement devant lui.

A présent, il se tenait droit.
Il releva à peine le menton pour décharger toute l’intensité du regard d’un tueur implacable dont la réputation morbide lui causait tant de tracas.
Il l’a regardait d’en bas, les sourcils légèrement froncés, son nez pointant pratiquement les seins de sa vis-à-vis.
Il n’avait pas l’air particulièrement menaçant, mais déterminé.

« Pour tuer un homme, il faut moins de force que force faiblesses ! » lâcha-t-il finalement…
(Il aurait tout aussi bien pu cracher ces paroles avec mépris, mais il s’en abstint).

Cette phrase était une provocation délibérée (même si c’était une riposte, même si elle était masquée).
Mais si cette pute avait été un mec, elle aurait eu la trique à coup sûr !
Et je ne préfère pas savoir ce qui l’a émoustillée : le fait qu’il ait flatté son ego démesuré en employant ses propres mots, ou celui qu’il ait ouvertement osé la défiée avec.

Les yeux de Lilith se sont alors mis à briller d’une lueur presque sadique tandis que ses dents se laissaient voir peu à peu sous son sourire qui trahissait l’envie de chair fraîche.

Ce con venait juste d’attiser l’appétit sexuel de la pire menthe religieuse que le monde ait connu : mais je suppose qu’il était assez débile pour s’en douter (même à l’époque).

De toute façon, elle n’aurait pas pu prendre la mouche à mon sens étant donné qu’il avait juste cité une phrase à laquelle elle avait elle-même eut recours pour répondre à une simple question au cours de l’interview mentionnée plus tôt.
La question avait attrait aux crimes de sangs (sans préciser comment ils étaient punis).
Et lorsqu’elle a dit cette phrase, elle devait la penser vraisemblablement.
Mais elle estimait aussi que la loi du talion n’était pas suffisante pour punir ce genre de crime...
Ou simplement pour le prévenir.
Dans son esprit embrouillé par les raccourcis dangereux dont ont avait parsemé les sentiers de sa conscience étriquée et totalement malsaine, elle pensait de bonne foi qu’il valait mieux punir que guérir.

La punition impose l’obéissance et l’obéissance aveugle par nature mène au respect des lois : pour elle, la vie pouvait se résumer à cette simple règle.
Mais elle estimait aussi que l’épreuve forge l’humanité : c’est pourquoi elle préconisait moins le meurtre - elle prétendait ne pas aimer en arriver à cette extrémité - que la torture comme châtiment légal (croyant aussi une forme perverse de rédemption par attrition).
Son utopie (parce qu’aussi bizarre que cela puisse paraître, elle rêvait aussi) était, par ce biais d’endurcir artificiellement ses pairs afin qu’ils évoluent de l’état de victime dans le but, et à terme, de devenir tortionnaire (pensant naïvement que l’un excluait forcément l’autre : qu’on était automatiquement à l’abri quand on savait se placer du bon côté)…
C’était quelque chose qui, en tant qu’ancien souffre-douleur reconnu de son père, lui tenait particulièrement à cœur.

La plupart de ceux qui survivaient à la longue, croyaient en retirer un certain bénéfice et même du prestige. Mais certaines plaies ne se referment jamais et finissent tôt ou tard par suppurer : c’est inévitable.
Avec ce genre de méthode, au plus tôt on s’y prend, au plus vite les dommages sont irréversibles.
Et si quelques rares individus parviennent à se maintenir, ils ne le font qu’au prix d’efforts monstrueux (quand ils ne sont pas inutiles : on arrive à des résultats bien meilleurs et a des réussites beaucoup plus gratifiantes sans toutes ces conneries).
Mais il faut avouer que Lilith était plutôt de la trempe des teignes.

En tout les cas, diplomatiquement parlant toutefois, la manœuvre de Victor était plutôt bien faite (enfin, pour ce que je sais de la diplomatie).

Sans perdre l’air qu’il avait su amener à grand coup d’esbroufe, il a ensuite indiqué les caméras du pouce de la main droite :

« Ca ne vous dérange pas j’espère ? »
« Nous avons quelques impératifs en matière de sécurité » affirma-t-il « mais je peux toujours les couper si la chose vous importune : je suppose que nos hommes feront parfaitement l’affaire ! »

- « Cela ne sera pas nécessaire mon bon ami » assura-t-elle : « j’ai moi-même l’habitude d’employer ce genre de mesures pour mon propre compte : c’est après tout la marque de gens civilisés je présume ».

Cette pétasse se permettait déjà de nous prendre pour des buses : combien de gens avait-elle piégé de la sorte ?

Mais nous ne savions encore rien…

Cette femme n’a vraisemblablement pas fait attention à l’inconnu au regard couleur de sang, tapi dans l’ombre d’un coin de la pièce (dans l’angle mort qui se trouvait derrière la porte quand elle l’a ouverte), ni même à sa main posée sur le pommeau de l’épée bâtarde…

Furius Domakhol, qui avait lui aussi rejoint les Bloody Lions, était resté attentif à toute la scène peut-être déjà dans l’espoir secret d’intervenir (je ne peux pourtant pas le gager : comme tous les hommes du bataillon, il portait un masque qui ne laissait voir que ses yeux : et son regard perpétuellement froid ne dénotait rien en particulier).

Les détails quant au reste du dîner sont triviaux. Des mondanités auxquels les gardes se devaient de ne pas prendre part.

A un moment, on a tout de même frôlé l’incident diplomatique quand la petite Katja, fille du commandeur, après avoir terminé de manger a voulu aller aux toilettes pour se débarbouiller et que Lilith s’est gentiment proposé d’aller l’aider.

Je crois juste que c’était une manière de renvoyer la balle à Victor…

Mais d’un autre côté, je dois dire que Katja lui a sans doute rappelé tout ce qu’elle-même aurait pu être (avec l’amour d’un vrai père).

Il n’y avait pas la moindre jalousie pourtant (d’une certaine manière, Lilith savait se réjouir de la chance d’autrui)…
Pas même quand Katja riait de bon cœur avec son paternel lors du dîner proprement dit suite aux vannes pourries qu’il lui avait servie et que seule une gamine peut trouver drôle (je gage d’ailleurs que Lilith a du croire dans un premier temps que la petite se forçait à rire pour ne pas en subir les conséquences : mais elle a dû se rendre à l’évidence).

Je suis certain que la reine Lilith est immédiatement tombée amoureuse de la fillette habillée d’une robe rouge à petits pois et au col blanc avec ses manières de princesses.
Mais dans le même temps, je peux affirmer sans me tromper que même malgré son ravissement apparent, quand la frêle demoiselle lui apprenait naïvement à jouer sur le sofa à ces jeux stupides (vous savez : ceux où les enfants frappent dans leurs mains en rythme en déclamant des poèmes débiles), l’idée de la protéger s’imposait déjà peu à peu dans l’esprit de la souveraine du Treizième.
Et en l’occurrence, la protéger c’était l’endurcir : en lui apprenant à être forte par elle-même, sans se reposer sur qui que ce soit…
Ce qui ne signifiait qu’une chose : un endoctrinement total.
Selon elle, Katja était nécessairement faible parce qu’elle demeurait dans une ignorance bénie (qui dans ce monde ne demandait jamais qu’à s’effacer devant une réalité cruelle : il paraît que tout tend naturellement au chaos).

Lilith était capable de comprendre qu’un enfant était vulnérable par nature mais arguait aussi que les bienfaits d’une éducation sévère se manifestaient d’avantage au plus tôt elle était prodiguée (au lieu de profiter du temps bref de son innocence pour lui enseigner des valeurs autrement plus importantes et qui, bien qu’il le laisserait en partie démuni face à certaines attaques perverses, lui donnaient au moins une chance de trouver le bonheur).
Mais qu’est-ce que le bonheur après tout ? (Surtout si rien n’empêche de le perdre).

Ce coup-ci, c’est la mère Gretchencko qui s’est sobrement offusquée.

Au final, la gamine a fort diplomatiquement remercié la dame qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam et l’a assurée, quand bien même elle appréciait son geste à sa juste valeur, du fait qu’elle n’avait besoin d’aucune aide pour laver deux mains (et ce, même si elle devait monter sur une chaise pour atteindre l’évier).
Elle n’a pas employé ces termes (forcément), mais la teneur de ses propos s’en rapproche assez bien : comme je l’ai déjà dit, cette petite m’a toujours impressionné par sa maturité…
Et je ne sais toujours pas de quel parent elle la tient (des deux je suppose).

Enfin, mis à part ce truc mineur, il ne s’est pas passé grand-chose en fait…

Je ne vois pas trop ce qu’on espérait : il était clair que Lilith allait nous pondre des discours à double sens.
Elle nous a fait plus ou moins comprendre que son patelin était tout ce qu’il y avait de plus normal (rapport aux autres patelins « à ce qu’elle en savait » selon ses propres termes).
C'est-à-dire qu’il y avait effectivement toujours des mécontents et qu’il fallait du temps pour résorber la criminalité (sans préciser qu’elle pratiquait la torture - qui comprenait aussi le viol - et les exécutions sommaires comme châtiment légal pour des motifs dérisoires bien entendu)…
Mais que c’était là le problème commun de nombreuses citées par les temps qui couraient (ce qui n’était pas faux étant donné que le droit des corporations sectorielles était difficile à mettre en place) et que pour lors, il fallait « vivre » avec (ou survivre dans ce cas précis).

Elle comptait par ailleurs sur notre soutien pour pouvoir bâtir ensemble un monde meilleur (une sorte de monde parfait à sa sauce).

Elle ne s’est jamais éloignée de ce type de discours évasif.

Quand on lui demandait l’état de l’éducation, elle répondait quelque chose comme : « elle se porte bien ».
Quand on lui demandait quels étaient leurs méthodes d’enseignement elle disait qu’elle ne tenait pas à entrer dans le détail mais qu’elles étaient essentiellement basées sur la rigueur et la discipline.
Le genre de truc qui pouvait passer suspect, mais que la majorité de nos concitoyens estimait indispensables dans ce domaine... Et même en creusant, on n’a franchement rien pu déterrer d’intéressant.
Bref, on a rien pu en tirer.

Enfin, au moment de partir, la dame du treizième secteur a quand même du finir par se rendre compte qu’elle n’avait franchement rien glané non plus au cours de cette entrevue minable (et oui, la diplomatie, c’est bien, mais il faut généralement plus d’un contact pour obtenir ce que l’on veut).
Alors, (pour ne pas rentrer bredouille je suppose) elle s’est finalement enquis du nom des gardes (dont elle n’avait jusque-là rien à fiche) en s’excusant bêtement de son impolitesse (puisqu’à la rigueur, c’était au début de l’entretien que cette question aurait du tomber).

Le commandeur a souri d’un air innocent.
Je crois qu’il voulait la renseigner sur l’utilité de nos cagoules à la base…
Mais vas savoir pourquoi, il s’est abstenu (je trouve personnellement qu’il aurait du suivre sa première idée).

« Comprenez que je ne puis vous donner l’indicatif que d’un seul d’entre eux, ma demoiselle (et seulement parce que je ne connais pas son vrai nom) ! »

Outre les officiels (pas même un journaliste) et la gamine, il n’y avait que quatre soldats dans la pièce (dont trois du bataillon écarlate).
Le commandeur a alors pointé une direction :

« Lui, là… »

Lilith ne pouvait que comprendre que l’information ne lui servirait à rien, même si elle avait l’impression que Victor lui faisait une fleur. Mais la chose ne pouvait forcément que l’intriguer d’avantage.

Elle s’est contentée de suivre le doigt.

« Tacitus » décréta-t-il d’une voix neutre.

Sans vouloir être redondant, si elle avait pu, elle aurait bandé derechef à cette annonce.

Mais je crois qu’en l’occurrence, c’était plus le fait d’avoir été prise au sérieux (ne serait-ce qu’en tant que menace potentielle) qui l’excitait.

En quelque sorte, et dans son esprit malade, on venait de lui dérouler le tapis rouge si vous voulez.

C’est à partir de ce moment je crois qu’elle a commencé à considérer le commandeur autrement que comme un pantin à la solde des sept brigades.
Elle n’a jamais vraiment tari d’éloges envers lui par la suite, même quand il a mis à jour ses sales affaires, même quand elle a su que la guerre serait inévitable.
On m’a même dit qu’elle aurait tué un de ses propres hommes pour le simple motif qu’il aurait soi-disant osé dénigrer le commandeur devant elle (pensant sans doute remonter le moral des troupes en temps de crises) : c’était quelques jours à peine avant la destruction du treizième secteur.

« Est-il vrai qu’il ne dit jamais rien ? » s’empressa-t-elle de demander d’une voix soudainement emprunte d’une avidité non dissimulée.

- « Heu… »
« Oui : enfin, c’est ce qu’on dit en tout cas (après tout, son sobriquet signifie taciturne si je ne m’abuse) »

- « Faites-le parler ! » exigea-t-elle un peu à la manière d’une enfant gâtée (bien qu’elle ne le fut jamais), en joignant les mains comme pour une prière qui n’en était pas vraiment une.

Lilith était du genre à croire en une hiérarchie sociale nécessaire entre les individus.
Mais elle était toute disposée (voir curieuse) de temps à autre de rencontrer quelqu’un qui disposait d’un pouvoir similaire au sien (bien qu’elle finissait automatiquement par tenter de se l’arroger un jour).
Je suppose qu’elle ne se rendait pas compte que cela lui faisait simplement du bien de rencontrer quelqu’un qui lui était égal et encore moins que tout individu aurait pu correspondre à cette description…
A supposer qu’elle soit parvenue d’une manière ou d’une autre à abroger les barrières qu’elle avait elle-même établies (tout en évitant de subir toute forme de représailles : une raison parmi d’autres pour laquelle elle ne pouvait que s’enfoncer dans son erreur).

Dès lors, tout individu qui acceptait d’être assujetti de son propre chef, était un faible qui ne devait qu’obéir.
C’était qui plus est le sens qu’avait n’importe quel galon dans n’importe quelle armée.

Selon elle, « Tacitus » qui qu’il fut, faisait désormais partie de la catégorie des « soumis » qui avaient préférés se vendre plutôt que de lutter pour soumettre…
(Contrairement à Victor qui avait maintenant, plus que jamais, toute son estime).
Ne lui restait plus qu’à se plier aux désirs de son maître (et à plus forte raison, aux siens si elle parvenait à obtenir une faveur de lui).

C’est pourquoi, elle s’adressa naïvement « au maître » plutôt qu’au « serviteur ».

Elle fut un peu désappointée et résolument déçue quand le commandeur lui répondit qu’il n’avait pas ce pouvoir.

Et devant l’insistance de son invité il se sentit obligé d’ajouter un peu gêné et sensiblement interloqué : « Et bien c’est un ami : du moins, il m’a sauvé la vie ! »
« Je lui suis donc redevable : je ne peux décemment pas lui demander quelque chose qui risquerait de l’embarrasser. »

Bien qu’elle fut capable de comprendre le concept de gratitude, celui d’amitié était pour elle beaucoup trop vague (surtout s’il s’agissait de camaraderie avec un être inférieur).
Jusque-là, elle avait plus ou moins réussi tous les tests que Victor lui avait soumis. Mais le doute qui s’était plus ou moins estompé est revenu assez vite.

En entendant la tirade grotesque de Victor, le garde de Lilith a carrément du étouffer un rire nerveux…
Surtout quand il a vu le regard outré de sa suzeraine se braquer sur lui.

Et son expression est passée en un instant de l’amusement innocent à la terreur primale : si les hommes de Gretchencko avaient l’outrecuidance de manquer de respect à leur maître devant témoins, il était clair, qu’elle, ne permettrait aucun écart de conduite dans ses rangs.

Je suppose qu’elle avait à nouveau l’impression de parler à un vulgaire sous-fifre des sept brigades. Elle ne faisait même pas d’efforts pour cacher son profond dégoût.
S’être laissé impressionner devant un de ses hommes par un bouffon la rendait visiblement malade.

Elle était en train de se griller elle-même et elle était suffisamment intelligente pour s’en rendre compte, mais elle avait trop d’orgueil pour ne jamais s’en excuser (ce qui, diplomatiquement était la seule chose à faire) ce qui la plongeait dans une rage plus grande encore et la mettait d’avantage à nu.

Je dois dire que jusque-là, l’ambiance était encore plus ou moins supportable (et même bon enfant à certains moments) : je crois que c’est là que d’une certaine manière nous avons compris tout ce qu’il y avait à savoir.

Elle n’a plus dit un mot…
Et au bout d’un moment qui parut durer une éternité, elle s’est levée dans un violent accès de rage, pour prendre finalement la direction de la porte.

En revoyant les vidéos et le visage blême du garde qui la suivait à contrecoeur, je pense pouvoir dire sans me tromper que les quelques misérables paroles qui vont suivre ont sans doute contribué à préserver sa vie (quelques temps seulement tout du moins : et puis je suppose qu’il fallait bien que quelqu’un ferme son clapet à cette mégère) :


J’ai vu le feu,
J’ai vu la flamme,
Embraser les cieux,
Consumer les âmes.

J’ai vu le feu,
J’ai vu le sang,
Souiller les dieux,
Versé à torrent.

J’ai vu le feu,
J’ai vu la dame,
User de ses charmes
Plus durement que d’une lame.

J’ai vu le feu,
Et j’ai vu le temps,
Egrainé un peu
Puis soudain défilant…

Ombre ma mie…Etend ta forme sur tout le cadran…
Et fasse, ce séant, que la lueur du jour ennemi plus jamais n’advienne.

Ombre ma mie…Forme ton empire au-delà du levant…
Et fasse que l’huile et la mèche du char d’Apollon, plus jamais ne prennent…


Bon, je vous épargne la suite (vu que ce petit échantillon n’est déjà pas génial). Ca n’a pas grand intérêt de toute façon… (Même si ça m’amuse en fait).

Ils sont tous restés sur le cul je dois dire. Il fallait voir la tronche de la maîtresse du treizième secteur.
Après un long silence, elle a quand même réussi à balbutier quelque chose du genre « encore » au prix d’un effort surhumain de volonté…

Mais la mort n’offre jamais qu’une danse.
En l’occurrence c’était même une sorte de requiem.

On aurait pu entendre les mouches voler après ça.
Je suppose que ces paroles avaient vachement de sens pour le commandeur ou même Lilith qui était tacitement visée (même si c’était nécessairement une coïncidence, puisque nous ne l’a connaissions pas encore).
La ritournelle parlait juste d’un abruti (guerrier de son état) qui en a tellement marre de se battre qu’il se demande s’il ne ferait pas mieux de mourir (mais qui n’a pas les couilles pour mettre fin lui-même à ses jours : je suppose qu’on se ressemble tous en fait).

Bande de brêles…

Même Bramwell (qui n’était pas réputé pour être une lumière) avait pourtant compris que cette musique ne valait pas un pet de chameau…
Vu que je l’ai plus ou moins entendu pouffer de rire et maquiller ça en un raclement de gorge (très peu convaincant d’ailleurs).
Mais les autres sont bien restés deux minutes plantés comme des géraniums (et sérieux comme des papes avec ça).

Fallait pourtant pas être particulièrement futé pour se rendre compte qu’il s’agissait d’une vanne (d’autant que les paroles étaient franchement nases et que le ton de la chanson était particulièrement vieillot).
On m’a dit un jour que cette chanson s’appelait la « complainte du condottiere solitaire » (c’est vous dire à quel point c’était à chier).

Evy est sergent- major aux Doomed Lords maintenant (vu qu’il ne reste plus qu’une escouade de Bloody Lions et qu’elle a été refondue dans la compagnie D)…
C’est un collègue en quelque sorte (même si je ne lui ai pas parlé depuis des plombes) et avec le recul, il en rit toujours autant je pense (d’autant que ce n’est pas tout).



Au bout du compte, elle s’est effondrée…

(Et je dois dire que la scène avait quelque chose de touchant).

La légende veut que depuis l’âge de sept ans elle n’ait jamais plus versé la moindre larme (même sous la torture)…

Jusqu’à ce jour tout du moins.

Je crois simplement qu’elle n’avait jamais entendu chanter de sa vie.
La gamine lui avait bien récité en rythme des phrases sans significations réelles (ce qui a sans doute contribué à cette réaction), mais elle n’avait visiblement jamais écouté un vrai chant.
Elle ne devait pas savoir qu’il était possible de moduler un son de sorte qu’il soit (même vaguement) plaisant. Des cris, des ordres et quand elle avait de la chance, simplement le silence : voilà tout ce qu’elle avait eu le droit d’entendre.

Et rebelote : voir chialer un crocodile, ça leur a de nouveau cloué le bec (même à ce con de Bramwell en fait : bien qu’il ait toujours prétendu le contraire).
Je crois qu’il n’y avait que deux personnes dans la salle à se garder d’étaler tout émoi à ce moment là.

A mon sens, elle a réalisé au moment où elle a éclaté qu’il y avait beaucoup trop de choses belles (bien qu’insignifiantes) qu’elle ne connaissait pas : le rire d’un enfant, une chanson triste et même le dîner préparé avec amour par la femme de Victor…
(Bien qu’il ait failli s’étrangler deux fois avec les arêtes du poisson et qu’il ait du se forcer à sourire quand sa dame lui a demandé si c’était bon : la petite a été nettement moins diplomate sur ce coup-là).
La mère Gretchencko était bien belle (pour sûr) mais pas franchement douée aux fourneaux.
(Bah, c’est l’intention qui compte après tout).

Il est triste de se dire que Lilith en avait vraisemblablement appris plus sur la joie de vivre durant cette brève entrevue que sur l’ensemble de son existence : elle n’aurait pas été si loin sinon (dans la vie ou dans son erreur : et dans son cas, c’était les deux ou aucun).

Dès que le commandeur a vu se décomposer le visage de la « belle » si on peut dire (mais à contrario, j’irais jusqu’à avouer qu’elle paraissait mignonne quand elle se laissait aller), il s’est empressé de se porter à son chevet d’un air vivement alarmé.
La demoiselle ne s’est pas fait prier pour se blottir dans ses bras.

Je vous passe les détails sur le ridicule de l’image que j’en garde en mémoire : une grande perche aux muscles noueux cherchant le réconfort dans les bras d’un petit mais brave gars à la chair flasque (et doté d’autant de force qu’une crevette asthmatique).
Sa femme n’était pas du genre à objecter surtout que son mari agissait toujours pour la bonne cause mais Victor, par acquis de conscience sans doute, lui a quand même signifiée d’une grimace navrée qu’il fallait qu’il s’y colle.
Il frottait gentiment le dos de la demoiselle en agrémentant son geste de quelques mots d’apaisement.
Mais il n’était vraiment pas à l’aise.
Enfin, Lilith ne semblait pas s’en soucier. Elle a du décharger tout ce qu’elle avait accumulé en dix-sept ans d’émotions refoulées je crois.

Ca a donc pris quinze bonnes minutes avant qu’elle se calme (vaguement), encore une demi-heure avant qu’elle s’arrête définitivement (entrecoupés de pas mal de crises et de périodes d’accalmies) et finalement une dizaine de minutes avant qu’elle ne se reprenne…
Il va s’en dire que tout ce beau monde n’est pas resté en faction tout ce temps : vous pensez bien qu’ils n’avaient pas que ça à foutre.

La première à rompre les rangs fut la petite (qui a quand même du supplier plusieurs fois à voix basse sa maman pour le droit de satisfaire un besoin pressant).
Bramwell s’est mis à chialer aussi (mais lui, c’est la mort de son sergent qu’il pleurait) puis entre deux sanglots, il s’est forcé à aller se servir un café à la cuisine pour se reprendre.
Mais il a du demandé son concours à Furius (vu que la cafetière était vide et qu’il avait un bras plâtré et en écharpe) lequel a répondu par la négative (il ne fallait pas non plus risquer de laisser le commandeur en sous-effectif).
Le commandeur quant à lui constatant qu’elle ne se calmait pas au bout de cinq minutes, avait réussi à entraîner Lilith sur le divan…
Et il voyait défiler un par un ces crétins avec un regard sombre d’homme envieux (il devait en avoir franchement ras-le-bol de caresser le dos de la dame ou de répéter les mêmes répliques à la con).
Il fallait voir sa trogne, surtout qu’il faisait des efforts évidents pour garder sa tête à bonne distance de celle de Lilith (comme s’ils n’étaient pas assez ridicules comme ça).
Je crains aujourd’hui, à voir son air rebuté (pour ne pas dire à sa gerbe naissante), qu’il n’ait vu quelque chose dans sa chevelure qui l’encouragea à se tenir le plus loin possible…
Des insectes morts (mais ce comportement serait quand même étonnant de la part de quelqu’un qui prétendait pouvoir manger des blattes à tire-larigot)… Ou des poux peut-être (et ils devaient être gros comme mon pouce pour qu’un myope puisse les voir : mais il avait ses lunettes sur le pif après tout), vas savoir.

Et je ne pense pas que ce fut son odeur puisqu’à défaut de se laver fréquemment (si, si : ça se voyait), elle avait - disait-on - mis deux tonnes de parfums pour la circonstance : je suppose simplement que le mélange d’effluves ne peut pas plaire à tout le monde…

L’attitude de Victor a même failli arracher un sourire à sa femme (j’en ai bien peur).

Pauvre Lilith…



Nan, j’déconne : ça devait être son haleine de poney bien sûr !
Vu qu’un chagrin de la sorte oblige nécessairement tout individu à s’époumoner en grande partie par la bouche (et sachant qu’elle ne s’était vraisemblablement jamais brossée les dents de sa vie, c’était l’hypothèse la plus probable au dégoût de notre estimé commandeur).
Pourtant, les gars du Treizième assuraient qu’elle avait changé ses mœurs en matière d’hygiène au contact de nos gens.
Mais comme je l’ai dit, vu que son corps n’avait visiblement pas connu l’eau depuis un an minimum, je suppose donc qu’ils voulaient parler de l’utilisation récente des douces fragrances en provenance de notre belle bourgade.
Je présume qu’elle pensait (tout comme beaucoup de nos contemporains : je le précise) qu’une fine pellicule de saleté protège mieux des microbes : une idée préconçue qui a fini par traverser les siècles (malheureusement)…
Elle préférait donc le parfum aux bonnes frictions à l’aide d’un simple savon…
Mais « Thaïs sent toujours Thaïs » comme disait martial (même si je doute fortement de l’orthographe du nom de la dame en question ou de l’exactitude de la chute du poème satirique) : sous-entendu qu’elle puait quoiqu’elle fasse.

Nota bene : si le nom Thays (ou Thaïs : je ne sais plus) fait référence à une dame, c’est surtout un jeu de mot à l’origine puisqu’il signifie « mauvais » en grec (ou quelque chose dans le genre)…
Enfin si je me rappelle bien : je tiens ça d’un certain Marcus si vous voulez tout savoir.

Je sais, je sais : je suis un sale mufle…

Mais c’est « parce qu’elle le vaut bien. »

Nota bene : ça par contre, c’es tiré d’une gamme de pubs médiocres de la fin du décadent vingtième siècle (voir, du début du vingt-et-unième)…
Pour ceux qui en douteraient, je suis aussi à mes heures perdues une sorte d’archéologue qui se consacre à la redécouverte des moeurs stupides de l’Homme à travers les âges…

Ceci dit, je dois avouer que je garde malgré tout une certaine affection pour Lilith : je pars facilement du principe que « qui aime bien, châtie bien » (même si ma femme fait exception à cette règle en ce qui me concerne : c’était plutôt elle qui était vache avec moi, que moi avec elle).
Et puis (il faut le dire) Lilith était une femme nature comme on n’en voit de moins en moins (certains diront « tant mieux » et ils n’ont pas tout à fait raison)…
On en aperçoit encore, je vous rassure (les mesures d’hygiène ont périclité à peu près partout en plus de cent cinquante ans).
Mais d’une certaine manière elle me rappelle surtout la jeune nourrisse qui me lavait tous les jours durant ma tendre enfance, bien que la demoiselle ne se lava jamais elle-même : puisque rien ne l’y obligeait du reste…
D’autant qu’elle n’agissait que conformément aux souhaits de mes parents…
Enfin, de ma mère plus précisément (mon père jugeant cette habitude indigne d’un homme en devenir).

Pour le reste, je ne vois pas non plus pourquoi je me priverais d’enfoncer un monstre (même un monstre à visage humain : puisque les anges ou les démons appartiennent à ce monde).

J’ai dit qu’elle n’avait jamais vraiment eu le choix ce qui ne la plaçait pas vraiment dans la catégorie humaine malgré son origine évidente : l’humanité serait-elle par conséquent un titre plus qu’une nature et un devoir plus qu’un droit ?
Le sens d’être humain a trop souvent été bafoué pour qu’on puisse se l’approprier comme un privilège du simple fait de sa naissance comme l’attribut d’une noblesse qu’il vaut mieux conquérir que de croire la souffrir…
Mais je suis très, très mal placé pour l’ouvrir (même si je ne suis plus à ça près).

Nota Bene : par le verbe souffrir, j’entends moins le diagnostique d’une douleur qu’un simple état de fait (j’aurais pu employer le verbe « être » quoi : je précise parce qu’on ne me comprend pas toujours même si j’ai fait d’énormes progrès à ce niveau-là).

Si la nature humaine est sous-jacente, elle n’est que le pendant animal de l’Humanité qui n’est rien sans une conscience morale.
Et je me rends compte que cette manière de penser est dangereuse à bien des égards.
D’abords parce que j’ai le tort de croire que je m’adresse plutôt à des humains.

Pour autant, j’admets volontiers que l’Homme doit nécessairement naître avec un certain nombre de droits (sans quoi, une conscience ne peut pas toujours s’affirmer : cf. Lilith).

Cela n’empêche pas l’animal humain de les confondre trop souvent avec le pouvoir et/ ou de les restreindre à une partie d’entre les siens pour des motifs futiles (quand ce n’est pas par peur), créant à son bon gré des castes ou des ordres.
Je n’en dénombre que deux moi-même : les humains et tout guerrier (ces derniers n’étant jamais que des ersatz d’humains tentant perpétuellement d’imposer leur nature viciée à la place de l’originelle)…
Mais bien malin qui trouverait la barrière séparant les deux. Moi, je me fie au simple port d’une arme : une façon hypocrite pour limiter la casse… Puisque la lame la plus effilée naît d’abords dans l’esprit : des poings suffisent pour tuer après tout (les dents aussi).

Nota Bene : les exécuteurs distinguent deux classes eux aussi, même s’ils préfèrent considérer tout individu comme guerrier « de base » : ils se subdivisent dès lors entre ceux qui cherchent la « rédemption » et ceux qui s’en fichent. Les exécuteurs n’appartiennent pas tous à la première catégorie…

Je suis le premier à déplorer les souffrances de Lilith (bien que le verbe « déplorer » soit loin d’être assez fort), mais j’estime que la vraie nature du danger réside dans le fait d’accorder sa pitié à ce genre d’individu formé (ou même à nous en général)…

Nous sommes nés pour tuer : nés damnés, nés guerriers.
Forgés dans le sang et affûtés par le temps…

Voilà tout ce que nous sommes : des armes qu’il vaudrait mieux jeter aux oubliettes (ou à la rigueur remanier en outil de jardinage si la grandeur d’âme d’un humain véritable lui laisse quelques scrupules à s’en défaire : étant entendu qu’il ne gaspille généralement rien, même s’il n’en a pas l’usage).

Mais là encore (et non sans une bonne raison, puisque j’appartiens à ce genre après tout), je suis clairement de mauvaise foi puisque la pitié, en l’occurrence, est la seule chose qui permette de comprendre (si on ne veut pas voir l’humanité réitérer).

Et ce qui est fait n’est peut-être pas impossible à défaire après tout (contrairement à ce que je crois : mais ma tendre épouse le pensait, elle).

Je dis tout cela, parce que je ne me considère pas comme « humain » à proprement parler moi non plus (et je ne l’ai probablement jamais été).
Je suppose en outre qu’un jour je payerai aussi le tribut qu’impose ma charge : une mort vraisemblablement violente (comme Gretchencko et bien d’autres l’ont payé auparavant)…
Sinon pire au regard de ce en quoi je crois.

Quand elles ne servent pas à s’imposer, les armes peuvent toutefois donner un sursis temporaire, elles peuvent même protéger une vie durant…
Individuellement, égoïstement : mais les vies que nous avons mis tant d’efforts à défendre n’auront servi à rien cependant quand on se remet en balance.
En somme, nous perdons notre temps.

Nos efforts sont vains et inutiles dans la plupart des cas : justes bons à défendre une parcelle variable d’intimité, d’individualité trop vague pour être quantifiée (quand ce n’est pas pour imposer l’inverse).

« Nulle gloire, nul honneur à pourvoir »… Ainsi parlait l’Homme-Armada.

Une danse macabre tout au plus : l’éternel cycle des vanités.

Ma femme en est morte (puisqu’un homme et son arme ne peuvent défendre éternellement sur tous les fronts) : advient nécessairement le temps d’une amère défaite, sinon la mort (et j’eusse préféré qu’elle m’emporta moi)… Ce n’est pas même « une arme » qui la tua.
Maintenant qu’elle n’est plus, que m’importe de céder ou non à la facilité…
Mais j’ai encore une vie à défendre (conformément au serment que je lui ai fait de son vivant).

Pour le reste, n’est humain que celui qui exerce sa nature pour la paix, par la paix…

Et ça les fait tous marrer quand je dis ça (il n’y a que Victor qui fut pleinement d’accord).

« De biens belles paroles, pour sûr » me dit-on souvent en réponse, d’autant que la paix est facilement prétexte à bien d’autres choses qui finissent tôt ou tard par faciliter l’avènement de la Grande Putain (la guerre donc)…
Des idées se commuant en idéologies (qui virent souvent en violentes révolutions que certains jugent nécessaires), des religions qui se rigidifient par dogmes (bien qu’il faille au préalable que la secte sous-jacente se fut légalisée longtemps à l’avance)…
Bref : des concepts qui renferment l’Homme (à la manière de T.O.C. si vous voulez), l’empêchant outrageusement de forniquer de telle ou telle manière (voir l’inverse), en toute impunité (contrairement à ce qu’ils semblaient pourtant sous-tendre à leur origine)…

Soit !

Je passerai même sur le fait que les êtres humains sont seuls responsables des conneries qu’ils profèrent (et je suis bien placé pour le savoir) : si la Guerre est une catin qui fait chèrement payer ses faveurs, je suppose que dame Vérité est fort arrangeante concernant les siennes… Et si Victor est parti sur une ébauche d’utopie, il sera mort bien naïf.

D’autant que le tort d’abandonner l’humanité pour prendre les armes ne découle jamais que de la simple pensée naturelle en réaction aux niaiseries que je viens d’émettre (surtout en ce qui concerne la nature véritable d’un être humain)…
Ça paraît débile tout ce que je dis : surtout que la meilleur méthode pour être humain, c’est bizarrement de savoir tout ce qu’il faut faire pour ne pas l’être (ce qui impliquerait stupidement de se salir les mains tôt ou tard).

C’est un peu comme déterminer l’espace autours d’une forme pour faire apparaître un dessin, plutôt que de s’attaquer directement à la forme elle-même comme on est tenté de le faire quand on est enfant (enfin, pour ceux qui savent croquer tout du moins) ou dégager d’un bloc de marbre, une sculpture : on est obligé de s’attaquer aux contours d’abord, la sculpture n’apparaît pas directement…

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais » en somme (je suppose que c’est encore plus facile comme baratin).

Mais il faut dire les choses comme elles sont : ou nous acceptons l’idée d’évoluer vers un monde peuplé de sortes de moutons paisibles et inoffensifs, ou nous nous entredéchirons entre loups ad vitam (et notre extinction est dans ce cas programmée bien avant la fin des temps).
J’ai pris la métaphore du mouton parce que je sais d’avance que personne n’aime l’idée de devoir s’identifier à une proie potentielle.
Pourtant, un monde parfait serait fait de cela (ou alors dans l’acceptation d’une solitude éternelle inévitable).
J’aurais pu faire un parallèle avec de plus gros herbivores (hippopotames, « rhinocéros », buffles etc.) qui savaient mieux se défendre : mais parce qu’ils étaient justement bien fournis aux niveaux défenses, ils ne se privaient pas à l’occasion de piétiner d’autres espèces. Oui : on voit ça dans la rediffusion fréquente d’antiques et rares reportages (datant du temps où ces bestiaux existaient encore en somme : mais il doit bien en rester quelques uns dans les zoos automatisés)…
Les chaînes de télévision de l’état se permettent de passer ce genre de trucs innocents (à défaut d’instruire correctement la populace) : par nostalgie plus que pour raison de propagande d’ailleurs.

Nota bene : j’ai été déçu quand j’ai vu à quoi ressemblait une « vraie licorne ».

Le genre de placide mastodonte évoqué plus haut n’est pourtant pas ce vers quoi nous tendons (à mon sens).

(Vous verrez peut-être bien, incessamment, sous peu, où je veux en venir).

Pour ma part, je m’efforce entre temps de servir servilement et dans l’ombre une humanité bâtarde…
Bien que ce soit de mon propre chef ou sous toute autorité capable de s’offrir mes services (et que je puis encore renier si nécessaire) en espérant ne pas commettre une lourde erreur : j’en ai déjà fait plusieurs.

Mais j’ai bon espoir de voir disparaître ma caste un jour (d’une manière ou d’une autre, fut-ce avec l’humanité toute entière, dans le déferlement de folie autodestructrice caractéristiques de nos modestes corporations d’honnêtes assassins).

Et puis j’ai le tort de croire que tous les chemins mènent à Rome…
Enfin, à la citée 42 quoi (même si je n’aime pas le pape). C’est seulement pour l’image en somme : tout tend naturellement au chaos si vous préférez (et comme je l’ai déjà dit du reste)…

Ma femme me ferait probablement la gueule si elle m’entendait.
Je crois même que j’aurais du faire abstinence pour un moi minimum avec les débilités que je viens de débiter… (Bien qu’à la vérité, elle souffrait ce genre de mesure bien plus que moi : c’était toujours elle qui y mettait un terme d’ailleurs)…
Mais bon : je présume qu’elle écoute en douce quelque part.

Pour en revenir à mon récit, le commandeur quant à lui, enserrait toujours son sac à chagrin.

Il n’aurait jamais osé s’offusquer de l’agitation régnant autours de la pleureuse (parce qu’il n’avait pas de raisons valables diplomatiquement parlant, mais pas seulement).

Il n’y a qu’un homme qui demeurait debout, impassible et bras croisés pendant l’heure qui venait de s’écouler : le garde de Lilith le dévisageait d’ailleurs avec une expression d’effroi mêlée d’admiration.
Il aurait payé cher pour savoir quel visage se cachait sous ce masque.

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