Le Cycle Des Calepins Oubliés
Par : Tacitus42
Genre : Science-Fiction , Action
Status : Terminée
Note :
Chapitre 2
Cynique Chronique
Publié le 06/02/12 à 15:39:44 par Tacitus42
Livre 111.
I. Mémoires d’un toquard.
1. Cynique chronique.
Victor Gretchencko disait souvent : « on aura de la chance si la Guerre se pointe une seule fois sur un de nos champs de bataille. »
Cela, il est vrai, n’a jamais été dans la coutume de cette traînée de se trouver là où on l’attendait.
Le champ d’honneur est finalement très loin d’être son terrain de prédilection en matière de chasse (contrairement à ce que beaucoup ont pu croire au cours des âges).
Ma femme prétendait que Discorde était sa favorite, que Solitude et Douleur, comptaient parmi ses enfants (et nul n’aurait su en trouver le père).
Dans les trois quarts des cas, (quand elle est par exemple une réaction de peur face à l’inconnu), la chienne d’Arès se réfugie et grossit au sein même de foyers soi-disant bien pensant (out tout du moins d’apparence sans histoire), bien a l’abri de toute menace, n’attendant que l’heure de refaire surface.
Pour bien comprendre à quel point les choses ont pu merder sur ce dossier, je vais essayer de vous dresser le topo…
Et il est loin d’être bref.
Imaginez-vous simplement une voix lente et monotone que ce soit pour débiter les pires insanités ou des vannes foireuses (quand ce n’est pas les deux à la fois) et vous vous rapprocherez assez de ce que devrait être théoriquement le ton de ma narration de ces lignes…
Bien qu’il ne s’agisse en réalité que d’une « traduction » (si traduire, c’est trahir).
Mes archaïsmes chroniques passent à la trappe au profit d’erreurs volontaires (ça l’amuse je crois) et d’un langage un poil trop fleuri (bien que j’assume la longueur démesurée de certaines phrases) : le tribut à payer pour ma paresse je présume.
Mais je ne vois même pas pourquoi je précise ce genre de choses.
Oui : à défaut d’être réellement volubile, j’ai la plume plutôt prolixe (pour un amateur) et quand bien même je n’écris plus à proprement parler.
Aussi, j’ose espérer que vous pardonnerez mon verbiage pompeux, surtout qu’il est vraisemblablement inutile…
Puisqu’à dire vrai, je dépose cette part de ma conscience pour moi-même, par sécurité donc : au cas où je viendrais à perdre la mémoire (ou la vie), étant entendu que je perds déjà la raison.
Mais n’étant pas à l’abri d’une mauvaise surprise, je relaterai ce récit pour le premier quidam qui pourrait (même hypothétiquement) me relire (moi compris de toute façon).
Je dois donc ici vous mettre en garde : si la plume est plus puissante que l’épée, je doute que vous puissiez parcourir ces lignes sans qu’elles ne vous portent atteintes.
Il vous faudra donc entrer à vos risques et périls dans le dédalle de couloirs faits de la brique en désagrégation des souvenirs (bons ou mauvais) qui composent ma mémoire…
(Pour autant que vous ayez un minimum de tripes bien sûr).
J’essayerai cependant de faire passer la pilule en agrémentant mon discours de mon cynisme et de mes sarcasmes légendaires (qui n’ont jamais été qu’un épais blindage en somme).
Mais je gage qu’ils ne suffiront pas à vous éviter le désagrément d’une rencontre avec un quelconque minotaure (d’autant que mon humour est loin d’avoir jamais fait l’unanimité).
Je tiens à préciser que moi-même, je refoule fréquemment la bête au sein des entrelacs erratiques de ces galeries obscures…
Pour le reste, sachez seulement qu’étant un narrateur distrait, je m’y égare souvent, (désolé d’avance).
Bon…
Puisqu’il faut que je me lance et comme à l’époque actuelle il est impossible de parler d’emmerdes sans mentionner la Grande Conjurée, il va bien falloir que je vous entretienne au sujet de Lilith.
Cela dit, je ne comprends toujours pas pourquoi on l’appelait la Grande Conjurée.
Après tout, elle n’a jamais fait partie du système à l’instar d’un Catilina (à qui on faisait référence en la mentionnant ainsi) qui siégeait au sénat romain avant de se faire lourder par lui suite à son complot (enfin si je ne me trompe pas).
Encore aujourd’hui, j’estime cette appellation trompeuse en plus d’être extrêmement dangereuse.
Mais dans l’esprit de beaucoup, étant l’une des premières à avoir pacifié entièrement un secteur (les premiers étant les membres de la citée 42, mais ils n’ont jamais connus la crise à ce que j’en sais), elle a pu passer pour précurseur de ce qui allait devenir la corporation des secteurs autonomes (à laquelle elle n’aurait jamais pu adhérer).
Il paraît qu’on a entendu parler d’elle pour la première fois dans le courant des guerres institutionnelles.
L’histoire raconte que son existence a été révélée par un homme de Khor (ce dernier demeurant l’un des plus puissants seigneurs de guerre du Primus Sector)…
Paraît qu’elle était la cousine germaine de l’influant chef de clan.
Le genre d’information franchement dénuée de tout intérêt donc (vu qu’en plus elle créchait dans le treizième secteur à perpète les zouaves de notre belle et accueillante bourgade).
Pour ma part, j’ai toujours soutenu que c’était téléphoné niveau embrouille avec un numéro pareil : le Treizième (tu penses). Manquait plus que le chat noir en guise d’emblème pour lui faire directement son affaire.
Mais tout le monde me prend pour un cave quand je dis ça…
Paraît que les superstitions sont mortes en 2166 (encore un chiffre qui fleurait bon les emmerdes : comprends pas qu’on puisse douter des méfaits de dame La guigne quand on relève facilement les preuves de son passage).
Pour en revenir à Lilith, en fait, on n’en avait tellement rien à secouer que c’est elle qui a fini par contacter les hommes des sept brigades (la première entité militaire dite régulière qu’ait connu le premier secteur depuis cent ans), lesquels tentaient tant bien que mal d’instaurer un appareil étatique et un semblant de paix dans cette citée après un siècle de marasme…
(Mais ça n’intéresse plus personne aux jours d’aujourd’hui).
Faut croire que la dame était en froid avec son cousin.
Selon ses propres termes, elle était toute disposée à fournir une aide substantielle (quelque soit sa nature) dans nos efforts pour amener notre démocratie à voir le jour…
Je crois qu’il y en a plus d’un qui ont du pisser de rire à cette annonce : comme si on avait besoin d’une foutue gonzesse - ce sont leur termes, pas les miens - pour faire sa fête à Khor.
Mais bon, ceux qui se sont permis de rire n’ont pas du le faire longtemps.
Pour ma part, je n’ose même pas imaginer ce qu’il a bien pu lui faire ce couillon mais je crois plutôt qu’elle avait des envies de grandeurs et que notre secteur aurait été pas mal sur son tableau de chasse (après celui qu’elle s’était offerte).
Khor n’était simplement pas suffisamment armé pour l’aider efficacement dans sa tâche. Notre contingent si.
Et je crois que d’une certaine manière, elle savait qu’elle nous trouverait sur sa route tôt ou tard : il valait mieux jouer la sécurité et anticiper…
Mais l’histoire dira qu’elle ne s’y est pas prise assez tôt malgré tout.
Elle a cru qu’il suffirait de nous graisser la patte, de nous caresser dans le sens du poil pendant qu’on se taperait tout le sale boulot.
Le pire c’est que je me demande si ce n’est pas en train de marcher (bien qu’elle ne soit plus là pour le voir).
Beaucoup (même parmi ses plus fervents admirateurs) pensent que Lilith étaient la plus grande salope que cette terre aie porté (elle-même à parfois revendiquer ce titre)…
Si le mot « salope » a un sens (et je ne le crois pas), je ne pense pas qu’elle aurait pu en être une pour la simple et bonne raison qu’en ce qui me concerne j’estime qu’une vraie salope agit de manière consciente sans se soucier du tort qu’elle fait (mais cela reste sujet au type de culture dans lequel on évolue) alors qu’elle (Lilith, j’entends) ne faisait jamais que réagir même si de manière plus qu’excessive.
Je veux dire par là qu’elle n’a jamais fait que ce pour quoi elle fût durement programmée dans des situations qu’elle aurait pu/ su gérer si on lui avait permis de se constituer une vraie maturité…
Je crois que Gretchencko l’avait bien compris (malgré les différents qui les ont opposés).
Mais qu’elle ne fut pas notre surprise quand nous nous sommes aperçu que, de tous les secteurs avec lesquels nous avions réussi à reprendre contact, nous étions pratiquement les seuls à ne pas la connaître.
(Mais ils ne la connaissaient pas vraiment : ils n’auraient pas pu la connaître).
Elle se permettait même le luxe de faire du pied au Vatican.
Il faut dire qu’à la belle époque, elle avait une aura de sainte (façon Jeanne d’Arc, le côté pucelle en moins).
Je me souviens particulièrement d’une interview ou elle prétendait, experts à l’appui (et les nôtres qui plus est, pas les siens), pouvoir donner naissance sans avoir à « forniquer » (c’étaient ses paroles à elle).
Elle savait particulièrement bien jouer sur les mots pour susciter l’attention d’un maximum de gens : c’était sa force.
Surtout que les cons de chrétiens (ascendants puritains) dans mon genre ont tout de suite pensé avec enthousiasme à une forme d’immaculée conception (ou une connerie du genre).
Quelle ne fut pas ma déception quand on m’a appris qu’il s’agissait juste de conception in vitro. Paraît même qu’on avait ce genre de technologie en stock (chose que j’ignorais totalement) : la médecine a plus ou moins mis du temps à se refaire (à l’instar de la physique nucléaire qui se portait plutôt bien à l’époque).
Je dois dire que c’est à la suite de cette anecdote débile que j’ai personnellement pris conscience du danger qu’elle représentait réellement.
Bizarrement, le dôme 42 (la cité pontificale donc) n’a jamais été dupe (contrairement à ce que je me serais imaginé)…
Je suppose qu’ils étaient mieux renseignés que moi (et puis y a son nom aussi qui fait tâche pour une sainte).
Mais ce qui fait vraiment peur, c’est qu’absolument personne n’a réussi à la confronter au public pour lever ce genre de quiproquo idiot (responsable de la chute de nombreux imbéciles dont je ne pense pas toute fois que j’aurais pu faire partie).
L’appareil de propagande était déjà bien huilé…
C’était peu avant l’affaire du bastion black jack qui vit la chute de Khor dans une escarmouche stupide et dénuée du moindre intérêt stratégique autre que l’assassinat de Gretchencko.
Mais lui-même estimait qu’il était facilement remplaçable (et fut d’ailleurs promptement remplacé par la suite).
Et pendant que feu le commandeur Victor Gretchencko, blessé à la cuisse droite, jouait les appâts involontaire dans le vingt-et-unième bunker du premier district (dans le cœur même du Primus Sector), nos envoyés diplomatiques faisaient déjà des va et viens entre les deux mégapoles en jachères.
Ils revenaient toujours subjugués par ce qu’ils avaient pu voir (ça aurait du nous mettre la puce à l’oreille) et toujours avec les mêmes récits élogieux.
Paix, amour « vrai » (ça m’a bien fait rire quand j’ai su de quoi il retournait réellement) et justice (du moins pour ce qu’ils pouvaient en voir)…
Ils ne mentaient pas. Je crois qu’ils n’ont jamais menti (ils ont toujours agit de bonne foi). Ils le disaient d’ailleurs eux-mêmes : le mensonge était foncièrement interdit dans l’enceinte du treizième secteur (à quelque exception près toute fois : pour raison d’état notamment et seul les proches de Lilith étaient en droit de l’invoquer bien qu’il ait été établi de source sûre qu’ils ne l’aient jamais fait).
D’ordinaire, la propagande va de pair avec le mensonge mais on s’est vite rendu compte que ce n’est pas toujours le cas.
La désinformation marche mieux mais cette doctrine fut poussée ici à son paroxysme.
On croit communément qu’un mensonge n’est simplement qu’une vérité fausse dite à la place d’une autre alors qu’en fait, certains parviennent à trouver un moyen de ne rien dire, laissant le silence (vérité par excellence mais faussée dans ce cas précis) masquer une forme de duplicité (se jouant habilement de la stupidité humaine pour que rien de suspect ne soit jamais évoqué : pas vu, pas pris).
D’autant qu’un mensonge tient bien mieux s’il s’articule sur un maximum de vérités.
C’est entre autre ce qui nous a trompés : nous n’avions aucune culture, aucun bagage historique qui aurait pu nous aider.
Qui pouvait bien se soucier de l’Histoire à une époque où la survie était la seule priorité d’autant que la plupart des archives avaient été détruites (parce qu’elles étaient numérisées : mais j’y reviendrai).
Seul Gretchencko avait ce qu’il fallait pour comprendre (vas savoir comment).
En fin de compte, le seul à avoir réussi à apporter le « mensonge » (dans sa plus noble expression) au sein du treizième secteur fut Furius (anagramme de Rufius) D. Domakhol (lequel en mourut d’ailleurs : mais d’une certaine manière il a eu la mort qu’il souhaitait je présume).
Peu sont ceux qui l’ont connu. Peu sont ceux qui se souviendront de son nom (puisqu’en fin de compte il n’avait pas d’importance).
J’ai l’immense honneur d’en faire partie.
Que ce soit clair, je vais paraître vieux jeu mais je ne crois pas une seule seconde au mensonge (même nécessaire) : il est trop dangereux pour qu’on s’octroie le droit de l’employer…
Mais j’ai fini par apprendre (en voyant l’entreprise de Furius) qu’il y avait pourtant de rares occasions qui justifient un mensonge conséquent.
Mais il doit nécessairement y avoir des conditions à son emploi (et Domakhol les a scrupuleusement respectées) : il faut qu’il soit absolument nécessaire, que l’on en paye spontanément le prix (et il ne nous appartient pas de le fixer), qu’il soit une riposte à un autre mensonge et que la lumière soit faite sur les deux mensonges dès que cela est possible (dans les plus brefs délais en tout les cas)…
Un mensonge qui traîne est un mensonge d’intérêt…
Le hic dans ce cas, c’est qu’il faut souvent en rajouter des tonnes pour protéger un simple secret ce qui oblige finalement un vrai menteur impénitent à combattre sur trop de front à la fois pour un profit qui n’est jamais que relativement immédiat à la base.
Et le problème des gens de Lilith résidait en cela.
Pour autant, ils se contentaient, eux, (pour ne pas avoir à mentir : pensant que ce simple fait était forcément synonyme de vérité absolue), de mettre la vérité en strates de sorte qu’il était impossible de connaître la réalité sur le treizième secteur sans accepter de passer par chacune des couches de cette sorte de toile d’araignée titanesque.
Et dans ce cas, qui disait acceptation, disait compromission.
Même si Lilith avait une vision erronée de la « vérité » (qui ne souffrait par ailleurs aucune autre théorie qui aurait pu lui être contraire), elle a toujours réussi par ce biais à imposer la sienne à force de temps.
Rien de neuf sous le soleil donc : cela a toujours été la manière la plus commune d’agir dans les régimes dictatoriaux, mais en ce qui concerne le treizième secteur, le concept a été repoussé bien au-delà de ce que l’on pensait imaginable (notamment comme je l’ai dit, parce que personne n’y a jamais menti).
Mais il ne me faut pas réfléchir longtemps pour dire que le monde n’était pas si différent de l’enfer de Lilith durant ma jeunesse (même si ma femme et moi avons échappé à ses affres).
Il y avait des choses qu’on ne disait pas et d’autres qu’on affichait clairement.
Tout ce qui était réprouvé par la loi était souvent puni de manière bien pire (prétendument pour montrer l’exemple).
En somme, on laissait libre cours aux pulsions les plus noires de l’humanité sous le couvert de lois hypocrites (souvent dictées par des religions aux concepts dénaturés par les hommes au fil des siècles).
Les sanctions étaient par ailleurs bien trop inégales selon le rang qu’on occupait (mais ça, ça m’arrangeait plutôt en fait, alors on ne va pas trop se plaindre non plus).
Et, seul, on ne peut souvent que constater son impuissance face à ce genre de système.
Ce n’est pourtant pas ça qui a tué ma femme puisque comme je l’ai dit, nous jouissions de nombreux privilèges (qui nous ont prémuni au moins un temps).
Autant vous le dire tout de suite, quand j’ai su pour le Treize, ça ne m’a fait ni chaud, ni froid : c’est juste dans la nature humaine (exactement comme les rats en milieu confiné) de s’agresser les uns les autres pour des questions de bouffes et de baise (les besoins de base quoi).
On pourrait penser que je suis plutôt blasé…
Et on aura franchement raison.
Dans les niveaux les plus bas de la hiérarchie sociale du treizième secteur, tout semblait idyllique. Il y en avait pour tous les goûts en quelque sorte (pour autant que l’ont se situe dans les limites de la morale).
Mais je ne vais pas vous faire un dessin. Les techniques employées sont vieilles de plus de deux mille ans et ont fait leurs preuves (même si la mise en œuvre à plus ou moins grande échelle peut faire peur).
Tout est basé sur le degré d’ignorance. Ca commence par des fêtes relativement innocentes et petit à petit, à force de cette forme naïve de duplicité et de manipulation diverses (alcool, drogues, chantage et j’en passe : les enfants était un moyen de pression infaillible paraît il), ça finit par des orgies d’esclavagistes.
Et encore je mâche mes mots parce que ce traitement en douceur n’était réservé qu’aux étrangers qui avait le malheur de vouloir s’installer, pensant naïvement échapper à une vie de souffrance à une époque où l’affliction était partout (ou parce qu’un abruti les avaient renseigné sur la cité sans y avoir forcément jamais mis les pieds).
Les immigrés n’étaient pas nombreux à l’époque : il y aurait eu des fuites sinon.
Leur accès était par conséquent limité, mais strictement définitif quoique l’on fasse (à l’exception des diplomates que l’on prenait un soin particulier à maintenir dans l’ignorance).
Le sort dévolu aux natifs du treizième secteur était, lui, bien pire.
Disons pour faire simple que l’on sautait pas mal d’étapes avec eux (quoique je me demande parfois tout compte fait si cette forme d’habitude à la souffrance n’est pas plutôt enviable que la destruction soudaine et irrémédiable de toute espérance).
C’est une des raisons qui explique le mieux leur violente xénophobie (quand ils avaient autorité pour la manifester).
Et pour faciliter le contrôle, le cœur de la citée, les trois tours piliers qui soutiennent le dôme (semblables en tout point à celles du premier secteur) étaient en grande partie dédiées à la natalité (en plus d’être les quartiers principaux de l’état, et donc de Lilith).
La crèche, située dans les étages inférieurs et les sous-sols des trois tours, était le centre névralgique de toute la structure du pouvoir de la Grande Conjurée.
On y pratiquait la torture, les exécutions (pour bien montrer aux enfants ce qui les attendaient en cas de désobéissance) ainsi que l’eugénisme (accouplement sélectifs : un peu comme les chiens quoi) dans le but d’obtenir une race supérieure (une idée fixe dont la plupart des despotes de toutes les époques ont toujours été friands).
On se servait de ces trois gratte-ciels pour l’endoctrinement des générations futures bien sûr, mais aussi comme moyen de pression sur tout parent puisque chaque victime de cette satanée citée devait y séjourner jusqu’à ses treize ans (âge légal de la maturité sexuelle).
Il faut savoir que les étrangers ayant déjà une progéniture n’étaient autorisés à s’installer dans la ville que si la famille venait dans son entièreté (preuve à l’appui) : il ne fallait pas qu’un proche parent puisse signaler une quelconque disparition en dehors (suite à une rupture brutale de contact par exemple).
La machine se voulait infaillible : le contrôle devait être total, simple et sans le moindre risque pour ceux qui l’exerçaient.
Et lorsque le premier enfant était enlevé dans l’enceinte, il était évidemment trop tard.
Il est d’ailleurs arrivé à des parents de devoir convaincre (sous la contrainte évidemment) des amis extérieurs un peu trop prévenant (et qui risquaient donc de se rendre compte de quelque chose à la longue ou simplement de donner un signalement) de leur rendre visite : les autorités payaient même le déplacement en guise de courtoisie (mais un allé simple uniquement).
Le jeu était cruel : seuls ceux qui étaient prêts à abandonner un enfant, une femme, un mari à une fin bien pis que la mort pouvaient espérer s’enfuir de cet enfer, mais c’étaient aussi ceux-là qui étaient les plus dignes de rester.
On le sait grâce à Domakhol mais « personne » n’a voulu le croire…
Jusqu’à ce qu’il rapporte des documents vidéos (qui servaient tant de moyens de pression que d’outils de promotion social en temps normal) : on en a retrouvé pas mal d’autres dans les décombres de la cité après son annihilation et les rescapés - essentiellement des enfants en dessous de treize ans -ont « tous » confirmés ce que nous avions toujours autant de mal à admettre.
Il faut comprendre que le moindre individu de cette citée finissait obligatoirement lié à ses concitoyens par la honte et la souffrance.
Mais ce n’était pas suffisant pour expliquer le silence des autochtones.
La peur de la mort se dilue forcément dans la récurrence des souffrances.
A ce stade, beaucoup des résidents de cette ville maudite se seraient battus à mort ou auraient accepté le pire des châtiments dans le seul espoir que cela cesse.
Mais il existait essentiellement deux castes : les dominants et les dominés.
Ceux qui s’extirpaient de leur statut de victimes en rendant coup pour coup (ce qui les conduisaient à aimer dispenser la souffrance sans quoi le désespoir les faisaient rechuter dans l’autre catégorie) et ceux qui ne parvenaient à lui échapper que dans la mort.
Les maîtres tiraient tous les profits de la situation et n’auraient jamais permis qu’un seul dominé vende leur citée.
Les tortionnaires étaient d’ailleurs en majorité.
Même si l’on a pu croire que le treizième secteur fut une oligarchie, nous savons à présent que le moindre habitant (pour autant qu’il appartint à la première caste et ce, bien que celle-ci aie une hiérarchie complexe) avait la possibilité de pouvoir parler à Lilith (même si l’entrevue devait être programmée longtemps à l’avance et que c’était souvent aux risques et périls du dit sujet).
L’entretien qui se déroulait rarement en tête à tête (jamais sans d’importantes mesures de sécurité en tout cas) pouvait faire évoluer un citoyen dans les deux sens de l’échelle sociale.
Il est même fréquemment arrivé que la dame Lilith s’offre en personne à de parfaits inconnus (jamais seuls à seuls forcément : comme tous les tyrans, elle ne faisait absolument confiance à personne).
La raison de leur surnombre était simple. Un individu qui refusait de se conformer à la norme (c'est-à-dire, entretenir le régime en place : survivre coûte que coûte) finissait inévitablement par être détruit mentalement (cela montrait l’exemple en quelque sorte) avant de se faire détruire physiquement (pour parachever la démonstration).
Dans le treizième secteur, s’il y avait deux catégories d’individus, il n’y avait jamais qu’une seule profession (ou la mort par défaut).
Et ce bien qu’il comptât néanmoins des gardes spéciaux habilités à des tâches annexes (lesquelles auraient vaguement pu s’apparenter à une sorte de travail mais jamais que secondaire).
Oui, je sais : ça peut paraître bizarre (pour les outsiders notamment : moi-même, j’ai tiqué quand on me l’a expliqué la première fois).
Si l’on prend le simple exemple des Spartiates, le besoin d’hilotes était essentiel pour leur survie puisque les guerriers ne travaillaient absolument pas (ce qui les obligeaient à lutter sans cesse pour assurer le contrôle des esclaves et les empêchaient de s’étendre contrairement à d’autres citées grecques).
Mais il faut savoir qu’il y a très peu de professions légales quelque soit le secteur (puisqu’ils étaient entièrement automatisés à l’origine pour la satisfaction de tout besoin primaire et même d’avantage).
Toutefois, ceux qui croyaient trouver le paradis en entrant dans ce genre de structure se fourvoyaient lourdement.
A une époque, les accès aux rares fermes automatiques encore en états étaient le théâtre de combats violents (que ce soit pour le besoin direct de nourriture ou pour asseoir sa suprématie sur un domaine).
Pour le reste, si la domination était une règle obligatoire de survie, la loyauté était largement récompensée (esclaves, prestige et j’en passe)…
Mais quelque fut sa caste, personne de ceux qui ont su l’entière vérité sur le treizième n’a pu en témoigner sans en mourir tôt ou tard (on peut dire que c’était peut-être le dernier niveau de la vérité de Lilith à laquelle elle a fini par accéder bien après la plupart de ses concitoyens).
Même Furius a fini par y succomber…
(Paix à son âme).
On n’a jamais pu que rassembler à la longue les bribes de témoignages comme l’ensemble des pièces d’un horrible puzzle.
Et cette vérité prend racine dans l’enfance maudite de Lilith.
I. Mémoires d’un toquard.
1. Cynique chronique.
Victor Gretchencko disait souvent : « on aura de la chance si la Guerre se pointe une seule fois sur un de nos champs de bataille. »
Cela, il est vrai, n’a jamais été dans la coutume de cette traînée de se trouver là où on l’attendait.
Le champ d’honneur est finalement très loin d’être son terrain de prédilection en matière de chasse (contrairement à ce que beaucoup ont pu croire au cours des âges).
Ma femme prétendait que Discorde était sa favorite, que Solitude et Douleur, comptaient parmi ses enfants (et nul n’aurait su en trouver le père).
Dans les trois quarts des cas, (quand elle est par exemple une réaction de peur face à l’inconnu), la chienne d’Arès se réfugie et grossit au sein même de foyers soi-disant bien pensant (out tout du moins d’apparence sans histoire), bien a l’abri de toute menace, n’attendant que l’heure de refaire surface.
Pour bien comprendre à quel point les choses ont pu merder sur ce dossier, je vais essayer de vous dresser le topo…
Et il est loin d’être bref.
Imaginez-vous simplement une voix lente et monotone que ce soit pour débiter les pires insanités ou des vannes foireuses (quand ce n’est pas les deux à la fois) et vous vous rapprocherez assez de ce que devrait être théoriquement le ton de ma narration de ces lignes…
Bien qu’il ne s’agisse en réalité que d’une « traduction » (si traduire, c’est trahir).
Mes archaïsmes chroniques passent à la trappe au profit d’erreurs volontaires (ça l’amuse je crois) et d’un langage un poil trop fleuri (bien que j’assume la longueur démesurée de certaines phrases) : le tribut à payer pour ma paresse je présume.
Mais je ne vois même pas pourquoi je précise ce genre de choses.
Oui : à défaut d’être réellement volubile, j’ai la plume plutôt prolixe (pour un amateur) et quand bien même je n’écris plus à proprement parler.
Aussi, j’ose espérer que vous pardonnerez mon verbiage pompeux, surtout qu’il est vraisemblablement inutile…
Puisqu’à dire vrai, je dépose cette part de ma conscience pour moi-même, par sécurité donc : au cas où je viendrais à perdre la mémoire (ou la vie), étant entendu que je perds déjà la raison.
Mais n’étant pas à l’abri d’une mauvaise surprise, je relaterai ce récit pour le premier quidam qui pourrait (même hypothétiquement) me relire (moi compris de toute façon).
Je dois donc ici vous mettre en garde : si la plume est plus puissante que l’épée, je doute que vous puissiez parcourir ces lignes sans qu’elles ne vous portent atteintes.
Il vous faudra donc entrer à vos risques et périls dans le dédalle de couloirs faits de la brique en désagrégation des souvenirs (bons ou mauvais) qui composent ma mémoire…
(Pour autant que vous ayez un minimum de tripes bien sûr).
J’essayerai cependant de faire passer la pilule en agrémentant mon discours de mon cynisme et de mes sarcasmes légendaires (qui n’ont jamais été qu’un épais blindage en somme).
Mais je gage qu’ils ne suffiront pas à vous éviter le désagrément d’une rencontre avec un quelconque minotaure (d’autant que mon humour est loin d’avoir jamais fait l’unanimité).
Je tiens à préciser que moi-même, je refoule fréquemment la bête au sein des entrelacs erratiques de ces galeries obscures…
Pour le reste, sachez seulement qu’étant un narrateur distrait, je m’y égare souvent, (désolé d’avance).
Bon…
Puisqu’il faut que je me lance et comme à l’époque actuelle il est impossible de parler d’emmerdes sans mentionner la Grande Conjurée, il va bien falloir que je vous entretienne au sujet de Lilith.
Cela dit, je ne comprends toujours pas pourquoi on l’appelait la Grande Conjurée.
Après tout, elle n’a jamais fait partie du système à l’instar d’un Catilina (à qui on faisait référence en la mentionnant ainsi) qui siégeait au sénat romain avant de se faire lourder par lui suite à son complot (enfin si je ne me trompe pas).
Encore aujourd’hui, j’estime cette appellation trompeuse en plus d’être extrêmement dangereuse.
Mais dans l’esprit de beaucoup, étant l’une des premières à avoir pacifié entièrement un secteur (les premiers étant les membres de la citée 42, mais ils n’ont jamais connus la crise à ce que j’en sais), elle a pu passer pour précurseur de ce qui allait devenir la corporation des secteurs autonomes (à laquelle elle n’aurait jamais pu adhérer).
Il paraît qu’on a entendu parler d’elle pour la première fois dans le courant des guerres institutionnelles.
L’histoire raconte que son existence a été révélée par un homme de Khor (ce dernier demeurant l’un des plus puissants seigneurs de guerre du Primus Sector)…
Paraît qu’elle était la cousine germaine de l’influant chef de clan.
Le genre d’information franchement dénuée de tout intérêt donc (vu qu’en plus elle créchait dans le treizième secteur à perpète les zouaves de notre belle et accueillante bourgade).
Pour ma part, j’ai toujours soutenu que c’était téléphoné niveau embrouille avec un numéro pareil : le Treizième (tu penses). Manquait plus que le chat noir en guise d’emblème pour lui faire directement son affaire.
Mais tout le monde me prend pour un cave quand je dis ça…
Paraît que les superstitions sont mortes en 2166 (encore un chiffre qui fleurait bon les emmerdes : comprends pas qu’on puisse douter des méfaits de dame La guigne quand on relève facilement les preuves de son passage).
Pour en revenir à Lilith, en fait, on n’en avait tellement rien à secouer que c’est elle qui a fini par contacter les hommes des sept brigades (la première entité militaire dite régulière qu’ait connu le premier secteur depuis cent ans), lesquels tentaient tant bien que mal d’instaurer un appareil étatique et un semblant de paix dans cette citée après un siècle de marasme…
(Mais ça n’intéresse plus personne aux jours d’aujourd’hui).
Faut croire que la dame était en froid avec son cousin.
Selon ses propres termes, elle était toute disposée à fournir une aide substantielle (quelque soit sa nature) dans nos efforts pour amener notre démocratie à voir le jour…
Je crois qu’il y en a plus d’un qui ont du pisser de rire à cette annonce : comme si on avait besoin d’une foutue gonzesse - ce sont leur termes, pas les miens - pour faire sa fête à Khor.
Mais bon, ceux qui se sont permis de rire n’ont pas du le faire longtemps.
Pour ma part, je n’ose même pas imaginer ce qu’il a bien pu lui faire ce couillon mais je crois plutôt qu’elle avait des envies de grandeurs et que notre secteur aurait été pas mal sur son tableau de chasse (après celui qu’elle s’était offerte).
Khor n’était simplement pas suffisamment armé pour l’aider efficacement dans sa tâche. Notre contingent si.
Et je crois que d’une certaine manière, elle savait qu’elle nous trouverait sur sa route tôt ou tard : il valait mieux jouer la sécurité et anticiper…
Mais l’histoire dira qu’elle ne s’y est pas prise assez tôt malgré tout.
Elle a cru qu’il suffirait de nous graisser la patte, de nous caresser dans le sens du poil pendant qu’on se taperait tout le sale boulot.
Le pire c’est que je me demande si ce n’est pas en train de marcher (bien qu’elle ne soit plus là pour le voir).
Beaucoup (même parmi ses plus fervents admirateurs) pensent que Lilith étaient la plus grande salope que cette terre aie porté (elle-même à parfois revendiquer ce titre)…
Si le mot « salope » a un sens (et je ne le crois pas), je ne pense pas qu’elle aurait pu en être une pour la simple et bonne raison qu’en ce qui me concerne j’estime qu’une vraie salope agit de manière consciente sans se soucier du tort qu’elle fait (mais cela reste sujet au type de culture dans lequel on évolue) alors qu’elle (Lilith, j’entends) ne faisait jamais que réagir même si de manière plus qu’excessive.
Je veux dire par là qu’elle n’a jamais fait que ce pour quoi elle fût durement programmée dans des situations qu’elle aurait pu/ su gérer si on lui avait permis de se constituer une vraie maturité…
Je crois que Gretchencko l’avait bien compris (malgré les différents qui les ont opposés).
Mais qu’elle ne fut pas notre surprise quand nous nous sommes aperçu que, de tous les secteurs avec lesquels nous avions réussi à reprendre contact, nous étions pratiquement les seuls à ne pas la connaître.
(Mais ils ne la connaissaient pas vraiment : ils n’auraient pas pu la connaître).
Elle se permettait même le luxe de faire du pied au Vatican.
Il faut dire qu’à la belle époque, elle avait une aura de sainte (façon Jeanne d’Arc, le côté pucelle en moins).
Je me souviens particulièrement d’une interview ou elle prétendait, experts à l’appui (et les nôtres qui plus est, pas les siens), pouvoir donner naissance sans avoir à « forniquer » (c’étaient ses paroles à elle).
Elle savait particulièrement bien jouer sur les mots pour susciter l’attention d’un maximum de gens : c’était sa force.
Surtout que les cons de chrétiens (ascendants puritains) dans mon genre ont tout de suite pensé avec enthousiasme à une forme d’immaculée conception (ou une connerie du genre).
Quelle ne fut pas ma déception quand on m’a appris qu’il s’agissait juste de conception in vitro. Paraît même qu’on avait ce genre de technologie en stock (chose que j’ignorais totalement) : la médecine a plus ou moins mis du temps à se refaire (à l’instar de la physique nucléaire qui se portait plutôt bien à l’époque).
Je dois dire que c’est à la suite de cette anecdote débile que j’ai personnellement pris conscience du danger qu’elle représentait réellement.
Bizarrement, le dôme 42 (la cité pontificale donc) n’a jamais été dupe (contrairement à ce que je me serais imaginé)…
Je suppose qu’ils étaient mieux renseignés que moi (et puis y a son nom aussi qui fait tâche pour une sainte).
Mais ce qui fait vraiment peur, c’est qu’absolument personne n’a réussi à la confronter au public pour lever ce genre de quiproquo idiot (responsable de la chute de nombreux imbéciles dont je ne pense pas toute fois que j’aurais pu faire partie).
L’appareil de propagande était déjà bien huilé…
C’était peu avant l’affaire du bastion black jack qui vit la chute de Khor dans une escarmouche stupide et dénuée du moindre intérêt stratégique autre que l’assassinat de Gretchencko.
Mais lui-même estimait qu’il était facilement remplaçable (et fut d’ailleurs promptement remplacé par la suite).
Et pendant que feu le commandeur Victor Gretchencko, blessé à la cuisse droite, jouait les appâts involontaire dans le vingt-et-unième bunker du premier district (dans le cœur même du Primus Sector), nos envoyés diplomatiques faisaient déjà des va et viens entre les deux mégapoles en jachères.
Ils revenaient toujours subjugués par ce qu’ils avaient pu voir (ça aurait du nous mettre la puce à l’oreille) et toujours avec les mêmes récits élogieux.
Paix, amour « vrai » (ça m’a bien fait rire quand j’ai su de quoi il retournait réellement) et justice (du moins pour ce qu’ils pouvaient en voir)…
Ils ne mentaient pas. Je crois qu’ils n’ont jamais menti (ils ont toujours agit de bonne foi). Ils le disaient d’ailleurs eux-mêmes : le mensonge était foncièrement interdit dans l’enceinte du treizième secteur (à quelque exception près toute fois : pour raison d’état notamment et seul les proches de Lilith étaient en droit de l’invoquer bien qu’il ait été établi de source sûre qu’ils ne l’aient jamais fait).
D’ordinaire, la propagande va de pair avec le mensonge mais on s’est vite rendu compte que ce n’est pas toujours le cas.
La désinformation marche mieux mais cette doctrine fut poussée ici à son paroxysme.
On croit communément qu’un mensonge n’est simplement qu’une vérité fausse dite à la place d’une autre alors qu’en fait, certains parviennent à trouver un moyen de ne rien dire, laissant le silence (vérité par excellence mais faussée dans ce cas précis) masquer une forme de duplicité (se jouant habilement de la stupidité humaine pour que rien de suspect ne soit jamais évoqué : pas vu, pas pris).
D’autant qu’un mensonge tient bien mieux s’il s’articule sur un maximum de vérités.
C’est entre autre ce qui nous a trompés : nous n’avions aucune culture, aucun bagage historique qui aurait pu nous aider.
Qui pouvait bien se soucier de l’Histoire à une époque où la survie était la seule priorité d’autant que la plupart des archives avaient été détruites (parce qu’elles étaient numérisées : mais j’y reviendrai).
Seul Gretchencko avait ce qu’il fallait pour comprendre (vas savoir comment).
En fin de compte, le seul à avoir réussi à apporter le « mensonge » (dans sa plus noble expression) au sein du treizième secteur fut Furius (anagramme de Rufius) D. Domakhol (lequel en mourut d’ailleurs : mais d’une certaine manière il a eu la mort qu’il souhaitait je présume).
Peu sont ceux qui l’ont connu. Peu sont ceux qui se souviendront de son nom (puisqu’en fin de compte il n’avait pas d’importance).
J’ai l’immense honneur d’en faire partie.
Que ce soit clair, je vais paraître vieux jeu mais je ne crois pas une seule seconde au mensonge (même nécessaire) : il est trop dangereux pour qu’on s’octroie le droit de l’employer…
Mais j’ai fini par apprendre (en voyant l’entreprise de Furius) qu’il y avait pourtant de rares occasions qui justifient un mensonge conséquent.
Mais il doit nécessairement y avoir des conditions à son emploi (et Domakhol les a scrupuleusement respectées) : il faut qu’il soit absolument nécessaire, que l’on en paye spontanément le prix (et il ne nous appartient pas de le fixer), qu’il soit une riposte à un autre mensonge et que la lumière soit faite sur les deux mensonges dès que cela est possible (dans les plus brefs délais en tout les cas)…
Un mensonge qui traîne est un mensonge d’intérêt…
Le hic dans ce cas, c’est qu’il faut souvent en rajouter des tonnes pour protéger un simple secret ce qui oblige finalement un vrai menteur impénitent à combattre sur trop de front à la fois pour un profit qui n’est jamais que relativement immédiat à la base.
Et le problème des gens de Lilith résidait en cela.
Pour autant, ils se contentaient, eux, (pour ne pas avoir à mentir : pensant que ce simple fait était forcément synonyme de vérité absolue), de mettre la vérité en strates de sorte qu’il était impossible de connaître la réalité sur le treizième secteur sans accepter de passer par chacune des couches de cette sorte de toile d’araignée titanesque.
Et dans ce cas, qui disait acceptation, disait compromission.
Même si Lilith avait une vision erronée de la « vérité » (qui ne souffrait par ailleurs aucune autre théorie qui aurait pu lui être contraire), elle a toujours réussi par ce biais à imposer la sienne à force de temps.
Rien de neuf sous le soleil donc : cela a toujours été la manière la plus commune d’agir dans les régimes dictatoriaux, mais en ce qui concerne le treizième secteur, le concept a été repoussé bien au-delà de ce que l’on pensait imaginable (notamment comme je l’ai dit, parce que personne n’y a jamais menti).
Mais il ne me faut pas réfléchir longtemps pour dire que le monde n’était pas si différent de l’enfer de Lilith durant ma jeunesse (même si ma femme et moi avons échappé à ses affres).
Il y avait des choses qu’on ne disait pas et d’autres qu’on affichait clairement.
Tout ce qui était réprouvé par la loi était souvent puni de manière bien pire (prétendument pour montrer l’exemple).
En somme, on laissait libre cours aux pulsions les plus noires de l’humanité sous le couvert de lois hypocrites (souvent dictées par des religions aux concepts dénaturés par les hommes au fil des siècles).
Les sanctions étaient par ailleurs bien trop inégales selon le rang qu’on occupait (mais ça, ça m’arrangeait plutôt en fait, alors on ne va pas trop se plaindre non plus).
Et, seul, on ne peut souvent que constater son impuissance face à ce genre de système.
Ce n’est pourtant pas ça qui a tué ma femme puisque comme je l’ai dit, nous jouissions de nombreux privilèges (qui nous ont prémuni au moins un temps).
Autant vous le dire tout de suite, quand j’ai su pour le Treize, ça ne m’a fait ni chaud, ni froid : c’est juste dans la nature humaine (exactement comme les rats en milieu confiné) de s’agresser les uns les autres pour des questions de bouffes et de baise (les besoins de base quoi).
On pourrait penser que je suis plutôt blasé…
Et on aura franchement raison.
Dans les niveaux les plus bas de la hiérarchie sociale du treizième secteur, tout semblait idyllique. Il y en avait pour tous les goûts en quelque sorte (pour autant que l’ont se situe dans les limites de la morale).
Mais je ne vais pas vous faire un dessin. Les techniques employées sont vieilles de plus de deux mille ans et ont fait leurs preuves (même si la mise en œuvre à plus ou moins grande échelle peut faire peur).
Tout est basé sur le degré d’ignorance. Ca commence par des fêtes relativement innocentes et petit à petit, à force de cette forme naïve de duplicité et de manipulation diverses (alcool, drogues, chantage et j’en passe : les enfants était un moyen de pression infaillible paraît il), ça finit par des orgies d’esclavagistes.
Et encore je mâche mes mots parce que ce traitement en douceur n’était réservé qu’aux étrangers qui avait le malheur de vouloir s’installer, pensant naïvement échapper à une vie de souffrance à une époque où l’affliction était partout (ou parce qu’un abruti les avaient renseigné sur la cité sans y avoir forcément jamais mis les pieds).
Les immigrés n’étaient pas nombreux à l’époque : il y aurait eu des fuites sinon.
Leur accès était par conséquent limité, mais strictement définitif quoique l’on fasse (à l’exception des diplomates que l’on prenait un soin particulier à maintenir dans l’ignorance).
Le sort dévolu aux natifs du treizième secteur était, lui, bien pire.
Disons pour faire simple que l’on sautait pas mal d’étapes avec eux (quoique je me demande parfois tout compte fait si cette forme d’habitude à la souffrance n’est pas plutôt enviable que la destruction soudaine et irrémédiable de toute espérance).
C’est une des raisons qui explique le mieux leur violente xénophobie (quand ils avaient autorité pour la manifester).
Et pour faciliter le contrôle, le cœur de la citée, les trois tours piliers qui soutiennent le dôme (semblables en tout point à celles du premier secteur) étaient en grande partie dédiées à la natalité (en plus d’être les quartiers principaux de l’état, et donc de Lilith).
La crèche, située dans les étages inférieurs et les sous-sols des trois tours, était le centre névralgique de toute la structure du pouvoir de la Grande Conjurée.
On y pratiquait la torture, les exécutions (pour bien montrer aux enfants ce qui les attendaient en cas de désobéissance) ainsi que l’eugénisme (accouplement sélectifs : un peu comme les chiens quoi) dans le but d’obtenir une race supérieure (une idée fixe dont la plupart des despotes de toutes les époques ont toujours été friands).
On se servait de ces trois gratte-ciels pour l’endoctrinement des générations futures bien sûr, mais aussi comme moyen de pression sur tout parent puisque chaque victime de cette satanée citée devait y séjourner jusqu’à ses treize ans (âge légal de la maturité sexuelle).
Il faut savoir que les étrangers ayant déjà une progéniture n’étaient autorisés à s’installer dans la ville que si la famille venait dans son entièreté (preuve à l’appui) : il ne fallait pas qu’un proche parent puisse signaler une quelconque disparition en dehors (suite à une rupture brutale de contact par exemple).
La machine se voulait infaillible : le contrôle devait être total, simple et sans le moindre risque pour ceux qui l’exerçaient.
Et lorsque le premier enfant était enlevé dans l’enceinte, il était évidemment trop tard.
Il est d’ailleurs arrivé à des parents de devoir convaincre (sous la contrainte évidemment) des amis extérieurs un peu trop prévenant (et qui risquaient donc de se rendre compte de quelque chose à la longue ou simplement de donner un signalement) de leur rendre visite : les autorités payaient même le déplacement en guise de courtoisie (mais un allé simple uniquement).
Le jeu était cruel : seuls ceux qui étaient prêts à abandonner un enfant, une femme, un mari à une fin bien pis que la mort pouvaient espérer s’enfuir de cet enfer, mais c’étaient aussi ceux-là qui étaient les plus dignes de rester.
On le sait grâce à Domakhol mais « personne » n’a voulu le croire…
Jusqu’à ce qu’il rapporte des documents vidéos (qui servaient tant de moyens de pression que d’outils de promotion social en temps normal) : on en a retrouvé pas mal d’autres dans les décombres de la cité après son annihilation et les rescapés - essentiellement des enfants en dessous de treize ans -ont « tous » confirmés ce que nous avions toujours autant de mal à admettre.
Il faut comprendre que le moindre individu de cette citée finissait obligatoirement lié à ses concitoyens par la honte et la souffrance.
Mais ce n’était pas suffisant pour expliquer le silence des autochtones.
La peur de la mort se dilue forcément dans la récurrence des souffrances.
A ce stade, beaucoup des résidents de cette ville maudite se seraient battus à mort ou auraient accepté le pire des châtiments dans le seul espoir que cela cesse.
Mais il existait essentiellement deux castes : les dominants et les dominés.
Ceux qui s’extirpaient de leur statut de victimes en rendant coup pour coup (ce qui les conduisaient à aimer dispenser la souffrance sans quoi le désespoir les faisaient rechuter dans l’autre catégorie) et ceux qui ne parvenaient à lui échapper que dans la mort.
Les maîtres tiraient tous les profits de la situation et n’auraient jamais permis qu’un seul dominé vende leur citée.
Les tortionnaires étaient d’ailleurs en majorité.
Même si l’on a pu croire que le treizième secteur fut une oligarchie, nous savons à présent que le moindre habitant (pour autant qu’il appartint à la première caste et ce, bien que celle-ci aie une hiérarchie complexe) avait la possibilité de pouvoir parler à Lilith (même si l’entrevue devait être programmée longtemps à l’avance et que c’était souvent aux risques et périls du dit sujet).
L’entretien qui se déroulait rarement en tête à tête (jamais sans d’importantes mesures de sécurité en tout cas) pouvait faire évoluer un citoyen dans les deux sens de l’échelle sociale.
Il est même fréquemment arrivé que la dame Lilith s’offre en personne à de parfaits inconnus (jamais seuls à seuls forcément : comme tous les tyrans, elle ne faisait absolument confiance à personne).
La raison de leur surnombre était simple. Un individu qui refusait de se conformer à la norme (c'est-à-dire, entretenir le régime en place : survivre coûte que coûte) finissait inévitablement par être détruit mentalement (cela montrait l’exemple en quelque sorte) avant de se faire détruire physiquement (pour parachever la démonstration).
Dans le treizième secteur, s’il y avait deux catégories d’individus, il n’y avait jamais qu’une seule profession (ou la mort par défaut).
Et ce bien qu’il comptât néanmoins des gardes spéciaux habilités à des tâches annexes (lesquelles auraient vaguement pu s’apparenter à une sorte de travail mais jamais que secondaire).
Oui, je sais : ça peut paraître bizarre (pour les outsiders notamment : moi-même, j’ai tiqué quand on me l’a expliqué la première fois).
Si l’on prend le simple exemple des Spartiates, le besoin d’hilotes était essentiel pour leur survie puisque les guerriers ne travaillaient absolument pas (ce qui les obligeaient à lutter sans cesse pour assurer le contrôle des esclaves et les empêchaient de s’étendre contrairement à d’autres citées grecques).
Mais il faut savoir qu’il y a très peu de professions légales quelque soit le secteur (puisqu’ils étaient entièrement automatisés à l’origine pour la satisfaction de tout besoin primaire et même d’avantage).
Toutefois, ceux qui croyaient trouver le paradis en entrant dans ce genre de structure se fourvoyaient lourdement.
A une époque, les accès aux rares fermes automatiques encore en états étaient le théâtre de combats violents (que ce soit pour le besoin direct de nourriture ou pour asseoir sa suprématie sur un domaine).
Pour le reste, si la domination était une règle obligatoire de survie, la loyauté était largement récompensée (esclaves, prestige et j’en passe)…
Mais quelque fut sa caste, personne de ceux qui ont su l’entière vérité sur le treizième n’a pu en témoigner sans en mourir tôt ou tard (on peut dire que c’était peut-être le dernier niveau de la vérité de Lilith à laquelle elle a fini par accéder bien après la plupart de ses concitoyens).
Même Furius a fini par y succomber…
(Paix à son âme).
On n’a jamais pu que rassembler à la longue les bribes de témoignages comme l’ensemble des pièces d’un horrible puzzle.
Et cette vérité prend racine dans l’enfance maudite de Lilith.
07/02/12 à 12:43:43
Voilà, ajouté
07/02/12 à 11:42:16
Je t'ai rajouté sur msn Gregor mais j'avoue que je n'y suis jamais (sinon tu peux me rajouter sur facebook : Andy Pecoraro => mon avatar est le même que celui plus haut)
Amicalement,
Andy
07/02/12 à 10:36:58
Tacitus, j'aimerais beaucoup discuter avec toi. Je cherche aussi à me faire éditer (dans la SF en prime ), et je pense que ton expérience est des plus précieuses.
Tu peux m'ajouter sur msn si tu veux : funkadeejay@hotmail.fr
07/02/12 à 10:33:32
Fin les deux prochains chapitres surtout sinon ça passe après (je laisse au soin des modos de me censurer si nécessaire) :)
07/02/12 à 10:32:44
Roh merci ^^ Vous aurez droit au roman entier :) je vais essayer de poster tous les deux jours pour pas vous dégoûter :D Mais la suite est un peu hardcore :s
07/02/12 à 02:29:27
Surpris, je l'ai été autant que Gregor. Ton texte donne vraiment envie d'écrire !
J'aime beaucoup, et j'espère lire la suite ^^
D'ailleurs, aura-t-on droit au roman dans son entier ?
06/02/12 à 23:40:59
OH
MY
GOD
Il a fallu que j'attende longtemps pour me prendre une grande claque littéraire dans la tronche. T'as croisé Céline et Lovecraft avec une touche de Orwell, le tout servi juste à point sur une syntaxe impeccable, un style tailladé à la tronçonneuse et des protagonistes (enfin un héros pour le moment) bien piquant et cynique.
Je sais, je suis dithyrambique. Mais je ne peux qu'applaudir des dix doigts parce que ça m'a plus qu'agréablement surpris, et que c'est avant tout ce que je cherche dans un texte.
Merci.
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