<h1>Noelfic</h1>

Nous sommes leur pire cauchemar


Par : Conan

Genre : Action

Status : Terminée

Note :


Chapitre 2

Infiltration

Publié le 06/07/11 à 19:19:22 par Conan

Les lourdes pales de l'hélico fouettent l'air et font un bourdonnement assourdissant.
-C'est le petit dernier? Le Caracal? Demande Jack à Flaubert. Ce dernier se contente de hausser les épaules.

Ritchie regarde mélancoliquement le désert défiler, huit cent mètres plus bas. Après que je lui aie demandé ce qu'il avait il me répond :
-On n'aura même pas eu le temps de saluer Noodles. L'un des derniers à s'être sorti vivant de ce foutu merdier.
-Tu sais, vu son pedigree, m'étonnerait pas qu'il soit aussi extradé vers je ne sais quelle prison. Hé, Flaubert, on pourrait aller à Fleury-Mérogis? C'est là bas que j'ai purgé toutes mes peines, j'dois sûrement y avoir des potes!

Mis à part un des commandos qui nous surveillent, personne ne sourit.
Après un voyage de dix heures, nous atterrissons à l'aéroport de Marignane. Un comité d'accueil d'une quinzaine de membres du GIGN nous attachent les mains dans le dos et nous jettent dans trois fourgons avant que nous n'ayons eu le temps de dire "ouf". Et c'est reparti pour dix autres heures de voyage, pendant lesquelles je n'ai pas le droit d'aller pisser.

Paris, enfin je retrouve ce squat à ciel ouvert qui me manquait tant. Nous sommes au beau milieu du mois de septembre, et l'air paraît extrêmement frais. Surtout quand on a passé l'été en zone tropicale et qu'on est encore vêtu que d'un t-shirt; orné d'une belle tête de mort avec un béret rouge sur la tête et un poignard entre les dents, il faut le dire.

Un des super flics me met un gilet pare-balles et une cagoule. Quoi, quelqu'un veut me descendre? Nous descendons du fourgon et je reconnais la place Beauveau.

Ahhh, la Place Beauveau... Ses grands bâtiments Haussmaniens, ses dorures, ses jolies filles de la haute, son Ministère de l'Intérieur dont je viens justement de passer les grilles, toujours escorté par les gendarmes de choc.

Nous pénétrons rapidement dans le Ministère. Au fil des mètres parcourus, le groupe s'effrite et peu à peu des membres du GIGN se séparent pour établir un périmètre défensif, si bien qu'en haut de l'escalier principal il n'y a plus que moi, le type qui me tient et le chef de groupe. Nous arrivons devant un des multiples bureaux du bâtiment. Le chef toque.
-Entrez!

Le chef ouvre la porte et nous rentrons dans une grande pièce tapissée de velours pourpre et vert foncé. Un homme assez classe d'une cinquantaine d'années est assis derrière son bureau Louis Philippe, engouffré dans un fauteuil en cuir. Il tient un stylo plume et me regarde derrière ses petites lunettes rondes. Son costard gris est aussi impeccable que sa chevelure grisonnante tirée en arrière. Il hoche la tête et les deux gendarmes me détachent puis sortent du bureau en refermant la porte.

-Conan Sauvant... Ça n'a pas été facile de vous retrouver.
-Je sais. C'était le but il faut dire. Vous êtes qui au juste?
-Excusez ma maladresse. Jean Letour, attaché du Ministère de l'Intérieur.
-Pourrais-je savoir ce qu'est votre domaine de prédilection?
-Disons que c'est tout ce dont les journalistes ne devraient pas entendre parler.
-Sinon vos petites combines pourraient faire tout un foin c'est ça? Comme chopper un mec en Afrique et l'exécuter sans bruit pour ne pas risquer un procès où des membres du gouvernement pourraient y laisser des plumes.
-Pas exactement. Le fait est qu'un jugement pourrait vous nuire à vous particulièrement. Comprenez qu'être l'ancien homme de main de Scorni, puis devenir mercenaire en Afrique ne vous aidera pas dans votre procès, si procès il y a.
-Arrêtez de tourner autours du pot, Letour.
-Les hommes comme vous ne sont pas fait pour être emprisonnés.
-Je suis d'accord avec vous, laissons tous les psychopathes et tous les pires tueurs dehors... Ah mais suis-je bête, c'est déjà le cas.
-Je voulais dire "Les hommes aussi habiles que vous dans le maniement des armes, les techniques de combat et d'intimidation ne sont pas à enfermer alors qu'ils pourraient servir sur le terrain pour le compte de l'État". C'est plus clair?
-Oui, bien sur, c'est très clair. Je suis un consommable en gros. Quelqu'un, si l'on peut dire quelqu'un, sans contrat, sans identité, parqué dans un bâtiment administratif. J'aurais un nouveau nom, je ne pourrais plus voir ma famille, mes amis, je ne sortirais que pour faire votre sale besogne et en retour je n'aurais que la satisfaction de ne pas être jeté en taule. C'est bien ça?

Letour soupire, pose ses lunettes sur son bureau et se passe la main sur le visage. Il se retourne et ouvre un petit frigo.
-Vous voulez quelque chose?
-Ça fait deux jours que j'ai envie de chier, j'ai le cigare au bord des lèvres. Si vous voyez ce que je veux dire.
-Kaplan!
Un garde aussi grand que large entre.
-Accompagnez Monsieur aux toilettes.

Je marche derrière ce Kaplan. Solide baraque, si je veux le foutre par terre va falloir cogner fort. Il ouvre la porte des toilettes et inspecte minutieusement chaque recoin de la cuvette, allant jusqu'à ouvrir la chasse d'eau pour vérifier qu'il n'y a rien qui pourrait me servir d'arme. Comme si depuis ma rapide extraction j'aurais eu le temps de contacter une des rares personnes du milieu qui ne se soit pas faite arrêter pour la prévenir que j'arrivais à tel endroit à telle heure.

Kaplan sort de la cabine. "Deux minutes, pas plus".
Et maintenant je fais quoi? J'ai pas envie de chier mais il n'y a aucune fenêtre aucune sortie. Je pourrais défoncer la porte en placo et prendre le pétard de Kaplan... Non, ça ne servirait à rien, je serais abattu dans la minute par tous les superflics du bâtiment. Je pisse un coup puis tire la chasse. Pas le temps de me laver les mains et d'espérer voir si il y avait des grilles à la fenêtre, le gorille me ramène aussitôt dans le bureau de Letour. A peine installé il demande ma réponse.
-Mes amis. Où sont mes amis?
-Plus tard vos amis. Oui ou non?
-Je veux voir mes amis, tout de suite.
-Répondez favorablement à ma demande, et vous pourrez espérer les revoir prochainement.
-Allez vous faire mettre. Où sont-ils?
-En sécurité. Mes collègues leurs formulent actuellement la même requête que celle que je vous fait.
-Vous êtes pas gonflés aux Services Secrets.
-Nous savons ce que nous voulons. Vous voyez, dans la vie il y a les fort et les faibles. Je vous offre inopportunité d'être un fort, un gagnant. Mais il semblerait que vous préfériez la voie de la faiblesse.
-Comment pouvez vous offrir ce que vous n'avez pas? Vous êtes beau, là, bien planqué derrière votre bureau, à jouer les petits chefs d'administration, à vous sentir fort parce que vous êtes bien ancré dans le système. Un uniforme vide dont la mission est de bouffer le midi avec le Ministre, voilà ce que j'ai en face de moi.
-Votre réponse?

Je pousse un soupir... J'ai tout perdu, sauf ma liberté. Autant la garder.
-C'est bon, j'accepte.




Après avoir accepté la proposition de Letour, j'ai pu me doucher et troquer mon t-shirt "Mercenaries", mon treillis et mes Pataugas pour une chemise, un pantalon à pinces et une veste de costume.

Letour a tenu à me conduire dans sa voiture professionnelle, une C6 pas dégueulasse, avec chauffeur et tout le tintouin. Nous sommes tous deux assis à l'arrière. Je regarde mélancoliquement Paris. Comment cette ville que je déteste en temps normal, que j'ai vomi tant de fois, pouvait-elle me manquer. Je serais presque heureux de rentrer en France. J'en avais marre de jouer les aventuriers en Afrique.

-Vous ne voulez pas savoir où l'on va? Me demande Letour, ce qui me tire de mes pensées.
-Si, bien sur.
Il ricane :
-Justement, c'est top secret.
Sur le coup j'ai eu envie de lui claquer le beignet dans la vitre.

Le chauffeur se gare devant une sorte de bâtiment d'aspect assez moderne quand une pluie fine commence à tomber. Où peut-on bien être? Je suis Letour dans l'immeuble. Il sonne à un interphone et s'annonce. La porte d'entrée en verre blindé s'ouvre automatiquement et nous arrivons au beau milieu d'un grand hall blanc. Je lève les yeux vers le plafond en partie fait de verre qui doit se trouver à au moins vingt mètres au dessus de nos têtes. Les étages sont accessibles par deux ascenseurs situés au milieu de la grande surface d'entrée et par des escaliers sur les cotés qui desservent les plateformes qui font office d'étages.

Letour avance vers l'un des ascenseurs et passe une carte dans une borne située à coté. La porte s'ouvre automatiquement. Nous entrons dans la cabine et Letour introduit une clé dans le tableau de sélection des étages avant d'appuyer sur le bouton menant au troisième sous-sol.
La descente est rapide. Les murs de verre laissent place à de lourds blocs de béton armé et de métal. Arrivé à notre sous-sol, nous sortons de l'ascenseur et traversons un long et étroit couloir éclairé par des néons blancs. Le bruit de nos chaussures sur le sol ainsi que le système d'aération sont les uniques sons qui viennent troubler le silence ambiant.

Letour ouvre une porte sur la droite, toujours avec sa clé. Nous voilà dans une petite pièce ressemblant à une salle de garde, avec une table sur laquelle sont posées une cafetière et plusieurs tasses. Trois types semblent nous attendre dans cette salle, dont l'un d'eux porte un casque, relié à une radio posée sur un plan de travail. Le plus âgé des gars, le plus petit aussi, s'avance vers nous et serre la main de Letour.

-Monsieur, nous vous attendions. C'est le nouvel élément?
-Bonjour, monsieur Ciskovitch. Effectivement, je vous présente Conan Sauvant.
Ciskovitch me dévisage longuement. Je croise les bras et le regarde droit dans les yeux. Qu'est ce qu'ils me veulent cette bande d'enfoirés?
-T'es un dur toi, hein? Sourit Ciskovitch.
-Toi t'as surtout l'ai mou, puis tes cheveux dégarnis là, autant faire comme moi et les raser, parce que t'as franchement l'air con.
Son sourire s'efface.
-Qui t'a permis de me tutoyer?
-Ai-je des ordres à recevoir de quiconque se trouve dans cette pièce?

Ciskovitch me tord le poignet et, avant que je n'aie le temps de faire quoi que ce soit, me plaque contre la table.
-Sombre petite merde, c'est pas parce que t'es allé faire la chasse aux singes en Afrique que je dois te respecter. T'es rien ici, tu comprends? Que dalle! T'es même plus un être humain, tu es ma chose, tu es la chose de l'État, tu appartient au gouvernement, et si t'es pas content je me ferais un plaisir de t'expédier moi même en enfer. Alors maintenant, tu fermes ta grande gueule, tu t'assoies, et tu écoutes! C'est clair?
Je tente de me débattre mais il ne fait que serrer un peu plus sa clé. Rien à faire.
-Ok, c'est bon. Lâche moi.
-Tu n'a aucun ordre à me donner. Demande, implore, supplie.
-Tu peux me lâcher?
-Et le vouvoiement?
-Hmmpf... Pouvez vous cesser de triturer mon poignet, monsieur Ciskovitch?
-Hé ben voilà.

Il lâche sa prise. Je me frotte l'avant bras en m'asseyant sur une chaise.
-Sauvant... C'est pas génial comme nom ça. A partir de maintenant, tu t'appelleras Francis Mermont.
-Pourquoi?
-Parce que JE l'ai décidé, et parce que TU es officiellement mort en Afrique ce matin à 9 heures, heure locale, et parce que TU as tout intérêt à collaborer si tu ne veux pas que la version officielle ne devienne réalité. Voilà pourquoi. Je te présente Vernon et Bertrand.
Les deux types, jusqu'à présent en retrait, viennent me serrer la main comme si de rien était. Vernon est grand, mince, la petite trentaine et des cheveux bruns frisés. Bertrand doit avoir 40 ans, peut-être plus. Des cheveux blonds dégarnis et une grosse moustache.
-Vernon était en train d'écouter ce qu'il se passait chez Samy Benaïfa grâce aux micros que Bertrand à posés chez lui il y a deux semaines. Tu tombes à pic pour le grand jour.
-Quoi, on va le serrer?

Les trois hommes retiennent un rire.
-T'as pas très bien compris je crois. Ici, dans le 3ème putain de sous-sol, t'es dans les locaux de la SOSC, la Section des Opérations Secrètes et Confidentielles, dont Letour est le grand manitou, et moi le salopard qui gère les opérations sur le terrain. Et la particularité du SOSC, c'est qu'il est pas là pour faire des prisonniers. Tu t'attendais à quoi? Défiler pour le 14 juillet aussi? Bertrand, explique lui la situation.



Nous sommes le 13 septembre, il est huit heures du soir et je suis en planque dans une voiture avec deux types que je connais à peine, devant un bâtiment assez guindé du 16ème arrondissement de Paris.
Le plan est simple, nous devons attendre un certain Samy Benaïfa, dealer de son état, qui est parti voir son grossiste il y à un peu plus d'une heure. A son retour, Vernon et moi avons la mission pure et simple de l'abattre. Bernard restera dans le véhicule, en contact radio permanent avec Ciskovitch.

Tout en me servant un gobelet de café, je demande qui est Ciskovitch.
-Haha, rit Bernard, Cisko c'est le plus gros enfoiré qu'il m'ait été donné de voir. Un foutu salopard formé par le Mossad en Israël. Entrainé à torturer n'importe qui, n'importe comment, n'importe où avec n'importe quoi. Moi, je me suis retrouvé au SOSC suite à une sanction disciplinaire, pour lui, prendre la tête d'un bureau de cette saloperie, c'était une promotion, un honneur.
-T'étais où avant de te retrouver ici?
-CRS. Mais il y à dix ans j'ai été pris en photo en train de taper trop fort sur un étudiant, et j'ai bouffé pour toutes les bavures policières pour au final être même lâché par la hiérarchie. Un beau jour ils m'ont donné le choix : Classer des archives ou intégrer le SOSC. Et me voilà aujourd'hui.
-La Section des Opérations Secrètes et Confidentielles existe depuis quand?

Vernon, à la place du passager, se retourne vers moi :
-On n'a jamais eu aucune info sur le SOSC. Ni sa date de création, ni le nombre des opérations, ni le nombre de ses membres tués en opération, parfois on ne connait même pas l'identité des types qu'on va dessouder.
-Et toi, t'as atterri ici comment?
-C'est une longue histoire.

La BMW de Benaïfa se gare devant l'immeuble. Le dealer en sort, escorté par son chauffeur qui fait apparemment aussi office de garde du corps. Bernard saisit la radio :
-Milan à Pacha, Milan à Pacha, le colis est de retour je répète : le colis est de retour, à vous Pacha.
Voix de Ciskovitch :
-Ici Pacha, intervention immédiate. Terminé.

Je sors le Glock à silencieux qui m'a été remis avant de partir et met une balle dans la chambre. Vernon dissimule son arme, elle aussi avec silencieux, derrière sa ceinture et sort du véhicule.
Nous marchons d'un pas rapide vers notre cible. Espérons que le garde du corps n'oppose pas de résistance. Vernon sort son arme et tire le premier, touchant Benaïfa au niveau de la poitrine. Ce dernier se planque derrière une voiture.
Le gorille dégaine en même temps que moi, mais je tire le premier. Il s'écroule sur le trottoir, à coté de son patron blessé qui lève les mains.

-Les mecs, je sais pas qui vous êtes, mais si vous me laissez en vie, je vous jure que je vous donne ce que vous voulez.
Vernon lui flanque une balle entre les yeux et Benaïfa s'écroule sur le capot de sa voiture. Nous remontons avec Bernard et quittons les lieux au plus vite.

Retour au quartier général du SOSC. Bernard passe sa clé dans la borne de l'ascenseur et nous revoilà au foutu troisième sous-sol où Cisko nous attend pour le débriefing.
-Vernon et Mermont sont descendus de la voiture. Vernon a été le premier à faire feu sur Samy, à deux reprises. Francis a ensuite neutralisé le garde du corps de Benaïfa, puis Vernon a achevé ce dernier.
-Temps de l'opération?
-Dix secondes.
-Des témoins?
-Aucun témoin oculaire dans la rue, et mes hommes avaient des silencieux. En face ils n'ont pas eu le temps de riposter.
-Hé bien, voilà une affaire rondement menée. Clair, net et précis. Vous pouvez disposer.

Nous nous apprêtons tous trois à sortir mais Cisko m'interpelle au moment de franchir la porte.
-Francis, attendez.
Je me retourne.
-Comment trouvez vous vos deux coéquipiers?
-Je n'ai aucun avis à avoir sur eux. Nous avons un boulot nous le faisons, point à la ligne.
-Quelle attitude martiale, caporal-chef Sauvant du 11ème choc. C'est tout de même triste qu'un bon élément comme vous, dans un régiment si prestigieux, ait dû mettre un terme à sa carrière militaire pour un stupide incident, après six ans de bons et loyaux services. Après avoir quitté l'armée à 24 ans, vous êtes totalement perdu. Complètement dégouté. Ruiné moralement et psychologiquement, vous passez votre temps et dépensez votre solde à boire tout en conspuant l'armée et le système, qui vous ont trahi et mis à la porte comme un clébard, dans un vieux rade tenu par un ami d'enfance qui a plus ou moins sombré dans la criminalité. A 25 ans vous avez cramé toute votre solde, et les maigres allocations chômage que vous touchez ne vous suffisent pas pour vivre décemment. Vous zonez pendant quelques temps, presque un an. Ne pouvant pas dormir la nuit à cause de mauvais rêves ayant trait à des choses que vous avez vues ou faites durant des opérations extérieures du temps où vous étiez à l'armée, vous devenez chauffeur de taxi de nuit. Vous quittez ce boulot un an plus tard pour devenir barman au bar ou vous aviez l'habitude de vous souler. Il y a neuf mois, vous croisez le chemin d'Issamou, gros caïd Parisien. Le bar où vous bossez est détruit et vous perdez votre emploi. Quelques semaines plus tard, alors qu'un truand proche d'Issamou a été découvert raide mort dans votre appartement, vous restez introuvable. Jusqu'à ce que des agents en planque devant le cabaret Le Dandy, tenu par Jean Scorni, autre grande figure de la pègre aujourd'hui en prison, vous repèrent en compagnie de Jack O'Reilly, recherché par Interpol pour terrorisme, et Richard Resnil, votre voisin, et chef de file d'une bande de hooligans ultra violents. A peine quelques jours plus tard, Issamou et la moitié de sa bande sont supprimés et Paris s'enflamme. Une guerre des gangs qui coûtera la vie à une trentaine de truands et enverra tous les gros bonnets en cage. Vous êtes aperçu avec Resnil et O'Reilly devant le Dandy à peine quelques minutes avant l'intervention du GIGN devant mettre définitivement un terme à tous ces clans. Une brève fusillade s'ensuit, et après une longue course-poursuite la police perd votre trace. Et là, c'est le stand-by total pendant des mois et des mois. En août, un membre de la DGSE en mission de renseignement au Niger vous repère, vous et vos trois convives, arme au poing. Hier, le 12 septembre 2014, la DGSE vous capture dans un bar fréquenté par toutes les pires pourritures du pays. Aujourd'hui, vous êtes membre de la SOSC et tuez des personnes qui dérangent l'État ou ses intérêts.

Je l'observe pendant quelques secondes avant de répondre :
-Je vois que vous avez bien appris mon C.V. Vous voyez aussi l'avenir?
-C'est très précisément ça, mon cher. Demain, 14 septembre, votre nom passera aux infos : l'homme recherché depuis des mois a été tué en Afrique par des membres d'une milice islamiste. Après demain, 15 septembre, vous serez en infiltration dans un des nombreux gangs émergents depuis la chute des grands de la main noire.
-Je ne suis pas sûr de vous suivre.
-C'est pourtant simple : l'ordre établi par les truands a été bouleversé, retour à la case départ, tous ces caïds, tous ces chefs envoyés en taule pour 20 ans, ils ont une relève dans la rue. Tous ces gros durs, ces hommes de main en herbe ont besoin d'un chef. Mais les chefs ne sont plus là, les chefs croupissent en prison ou sont au cimetière. Et comme messieurs les gros durs sont trop cons pour être des patrons, ils passent le temps. Comme des chiens errants sans maitre pour leur serrer la vis. Ils se rassemblent en bandes, ils conquissent et défendent des "territoires" un peu partout à Paris, ils se font la gueguerre pour un oui ou pour un non. Envoyer des compagnies d'intervention me direz-vous? Et l'opinion publique? Que va t-elle dire en pleine période de crise où le gouvernement et la police sont conspués à gauche comme à droite? Je vous le demande. Et les victimes? Tonfa contre couteau, molotov contre lacrymo, bouclier contre bar de fer, casque contre batte de baseball. Le dernier moyen qu'il nous reste, c'est d'envoyer des taupes, des torpilles dans ces bandes pour mieux les exploser de l'intérieur et nous débarrasser de ses meneurs. Voilà tout.
-C'est trop fort. Vous n'avez vraiment peur de rien vous, hein.
-Qu'est ce qu'on y risque? Votre mort? Peu importe, si vous refusez on vous fait une injection qui vous fera dormir une bonne fois pour toutes.
-Et mes amis?
-Officiellement ils sont morts avec vous. Actuellement ils sont sûrement en opération.
-Alors... C'est quoi le plan?



Une carte de Paris, poinçonnée et gribouillée ça et là, est accrochée sur le mur du bureau. Ciskovitch et moi sommes seuls dans la pièce. Il m'explique le déroulement des opérations:
-On va commencer par le nord de Paris. Les 18, 19 et 20èmes arrondissement sont sous la coupe de bandes ethniques, composées majoritairement de Maghrébins et de Sahéliens. Certains se font la guerre pour la drogue, d'autres pour des territoires, ou encore pour les deux, ou pour rien. Les raclures, contrairement au même genre de bandes que l'on trouvera à Châtelet, habitent presque tous dans les quartiers où ils sévissent. Dans le Sud de Paris, on trouvera plutôt des Européens. Là, les bandes sont extrêmement différentes et les motifs pour se foutre sur la gueule sont nombreux. Ça va de la bagarre de rue entre zonards et petits loubards jusqu'au combat politique et idéologique. Skinheads, punks, hooligans et compagnie...

Je l'arrête :
-Attendez, je ne saisis pas. Vous voulez que j'infiltre une bande de gamins qui se foutent sur la gueule pour passer le temps?
Cisko sourit avant de me tendre une enveloppe :
-Des gamins? Regardez ça.
J'en sors des photos. Des cadavres, des défigurations, des cicatrices.
-Je ne vous demande pas d'infiltrer une banale petite bande de quartier. Je vous demande d'infiltrer un des gangs qui fout le plus la merde dans le Sud Parisien : les Bastille Smash. Eux, c'est des punks. Cinquante membres permanents et une centaine qui tourne autours. Bastille, c'est leur territoire. Leurs ennemis, c'est les Cranes de Fer, l'autre plus grosse bande du sud Parisien. Des skins tendance nazi. Une quarantaine de membres actifs et tous les paramilitaires et autres types d'extrême droite derrière eux. Le point commun, tous des prolos. La lutte politique n'est qu'un bon prétexte pour se bastonner. Les Smash se disent antifascistes mais sont exclusivement blancs, quand aux Cranes de Fer, ils peuvent manifester en faveur de la Palestine puis le lendemain faire des ratonnades avec le Bétar, les extrémistes Juifs. Toutes ces bandes nous causent un sérieux problème depuis maintenant deux ans. Il est grand temps d'y mettre un terme.
-Et c'est quoi mon boulot. Taper à la porte de vos keupons en leur demandant de faire partie du club?
-Non. Chaque nouveau membre doit faire ses preuves. On vous a choisi parce que vous savez vous battre. Il faut absolument que vous deveniez le plus rapidement possible l'un de leurs meilleurs membres pour pouvoir approcher le grand manitou du clan.
-Et si les cranes rasés d'en face me gaulent et me sautent dessus à pieds joins?
-Les risques du métier. Mais vous vous étiez bien débrouillé avec Abdoulaye Issamou.
-Je vois que même pour ça vous êtes au courant.
-Vu le sang que vous aviez laissé sur place, ça n'a pas été trop dur de vous identifier.

Après cette entrevue, Cisko a appelé Vernon qui m'a emmené dans les étages supérieurs me refaire une beauté. D'abord, déshabillage total. Mes cheveux, déjà assez courts, ont été rasés à l'iroquoise. Tout le contour de mon oreille gauche a été percé, piercé et cloué. Après m'être vu remettre un caleçon aux couleurs de l'Union Jack et des chaussettes montantes noires, j'ai du enfiler un jean troué et rapiécé, un t-shirt dégueulasse et une paire de para boots montant jusqu'aux mollets. Vernon a ensuite sorti d'un placard une veste en cuir défraichie, affublée de tout un tas de pin's allant de "Anarchy" à "The Exploited". Derniers accessoires, des bagues à tous les doigts, un ceinturon gros comme une plaque d'immatriculation et un paquet de clopes.
-T'es con, Vern. J'avais pas fumé depuis mon départ en Afrique.
-Hé ben il va falloir t'y remettre. Bon, te voilà plus convainquant comme ça.
-Qu'est ce que tu vas faire de mes fringues?
-On va les laver et les remettre dans la collection. Tous les vêtements et les accessoires que tu as ici sont à la disposition des équipes avant leur infiltration dans diverses organisations.
-Tu ne trouves pas que c'est un peu précipité? Il y a 20 minutes je ne savais même pas que j'allais faire ce genre de boulot.
-Hé, mec, il n'y a rien à étudier, rien à planifier. N'oublie pas, tu es punk. Tu es désorganisé, tu erres, tu zones, tu te bats et tu picole. Si t'es assez convainquant, les Smash te remarqueront et là tu pourras apprendre réellement en quelques heures ce qui t'aurait mis des jours à connaître théoriquement. Tu es punk, tu penses punk, tu vis punk, tu bouffes punk, tu bois punk, tu chies punk, tu baises punk.
-Putain, je le sens pas ce plan bordel. On pourrait pas monter une opération avec tous les plus gros furieux du SOSC et détruire leur local?
-Non, ça les rendrait plus agressifs.
-Et si je me fais arrêter par les flics, ce qui est plus que probable si je réussis ma mission.
-Pas d'inquiétude, dans leur base de données Francis Mermont est un agent de la DST en infiltration dans les organisations criminelles sur le territoire Français. T'auras qu'a gentiment te laisser conduire au commissariat pour en ressortir à peine une heure plus tard. D'autres questions? Non, alors tant mieux, maintenant, c'est à toi de jouer mec.
-Je prends quoi comme véhicule?
-Le métro.
-Putain, Section des Opérations Spéciales et Confidentielles mon cul, je suis qu'un putain de consommable. Ça vous gène pas de m'envoyer au tas bande d'enflures, après tout je suis qu'un repris de justice mort en Afrique.
-Hé, ho, c'est bon, t'as fini tes jérémiades? Moi aussi j'ai connu ça, tu crois que je suis ici par gaieté de cœur?
-Cet empaffé de Ciskovitch, foutue ordure, ça doit bien le faire jubiler de m'avoir sous sa coupe...
-Allez mec, tiens le coup. Cette opération va te permettre de retrouver un peu d'autonomie, de liberté. Bien entendu tu ne devras nous contacter que pour des rapports hebdomadaires, ou pour nous communiquer des informations importantes ou urgentes. Maintenant vas-y, Franckie le keupon!



J'suis mal à l'aise, les gens me regardent comme un putain de paria, et moi je baisse les yeux, au lieu de me la jouer punk tendance connard. Au lieu d'étendre mes jambes et de m'allumer une clope en plein wagon je suis assis sur mon strapontin et je regarde la ville défiler sous la pluie. Fait chier ces missions à la con, j'espère qu'après celle là ils vont me lâcher la grappe... Pff, qu'est-ce que je raconte, ils ne me lâcheront jamais, je suis mort bordel, Conan Sauvant est mort!

Et si je me foutais en l'air, si je sautais d'un toit? Avant j'écrirais une lettre où je déballe tout, je l'enverrais à toutes les agences de presse du coin, ça les foutra bien dans la merde, les Letour, les Ciskovitch, les Ministres... N'importe quoi, avec la censure jamais ça ne sera diffusé. Quel État de merde, quel pays dégénéré, quelle République dégueulasse. Ha, elle est belle leur putain de République, elle est belle leur putain de liberté. Si ça se trouve cette bande de dingues m'ont foutu une puce derrière l'oreille pour me pister par GPS, ils m'ont peut-être filé des medocs pour me faire crever à petit feu, ou pour me maintenir sous leur coupe.

Tiens, Bastille, je suis arrivé. Je descends en m'allumant une clope. Je marche en regardant tout le monde haineusement. Pour ça j'ai pas besoin d'entrainement. Regardez moi cette bande de lopettes qui baissent les yeux, qui passent en regardant mes godasses. Si je passais par là je me serais foutu une bonne paire de pains dans la gueule.

Dans les longs couloir de la station de métro, je croise un groupe de trois skins, l'un d'entre eux à "Iron Skull" tatoué sur le front. Ils me dévisagent salement. Je marche vers eux. Le plus grand, qui me dépasse d'une tête, se met face à moi.

-Alors le keupon, on cherche les embrouilles? Tu veux peut être connaître le goût de mes rangers?
Je lui mets un coup de poing dans le ventre. Il recule et ses deux amis viennent pour me taper dessus. J'en esquive un que je jette contre un mur puis me retourne pour emmancher l'autre mais il cogne en premier et me voilà par terre. J'ai à peine le temps de me relever que le mastard me soulève pour me lancer quelques mètres plus loin. Les trois se mettent à me tabasser. Je me mets en boule et attends en espérant qu'ils ne tapent pas trop longtemps.

Soudain, un cri. Cinq punks arrivent en courant derrière les skins et une baston générale commence en plein milieu des autres usagers outrés. Malgré leur nombre, les skins arrivent à tenir face aux crêtus. J'agrippe la grande perche et le met au sol avec un étouffement. Les autres, après s'être pris quelques coups, se retournent contre moi et me jettent au sol. Ils récupèrent leur ami et partent en courant sous les jets de bouteille et de canettes des mes "sauveurs". Il m'aident à me relever alors que je suis encore dans les vapes.
-Hé mec, tu vas bien? T'es malade de t'être pris à ces mecs tout seul! Me crie un sac d'os dont je n'arrive pas à bien distinguer le visage tant il a de piercings.


Une gonzesse maquillée outrageusement et teinte en rose se retourne vers les trois autres punks :
-Hé vous avez vu? Il a foutu Pitbull par terre!
-Pitbull? C'est qui lui? Demandé-je candidement en m'essuyant les lèvres.
-C'est le chef des Cranes de Fer mec! 2 mètres 10 pour 115 kilos! Et tu l'a foutu à terre! Tu débarques où quoi?

Il me faut vite trouver un prétexte. Je réponds avec un accent guttural et une voix cassée :
-Bah euh ouais, j'arrive euuuh du train. Je suis pas de euuh Paris.
-Mais qu'est ce que tu viens faire à Paris? Me demande un gros chauve avec une veste en jean sans manches.
-Bah j'habitais à la campagne et euuuh je voulais m'installer euuuh à Paris parce que les flics ont serré tous mes potes et je sais plus quoi faire maintenant que j'ai plus d'endroit où pioncer.
-T'es venu à Paris pour ça?! Me demande le maigre piercé.
-Ben ouais, je suis tricard chez moi.
-Tu sais où dormir c'te nuit? Me demande la gonzesse.
-Bah non.
Un type, jusqu'à présent resté à l'écart, s'approche de moi. Je lis dans son regard plus d'intelligence que dans celui des veaux qui me questionnent et m'épient comme une bête sauvage. Une grande crête rouge surplombe sa tête meurtrie et pansée.
-Comment tu t'appelles?
-Franckie.
-Moi c'est Doc. Viens squatter avec nous si tu veux.
-Mais on le connait pas, on sait pas qui s'est! S'exclame un ahuri d'un mètre soixante.
-La Gerbe, ferme ta gueule. T'as jamais été foutu de mettre un coup de poing une fois dans ta vie et lui il a couché Pitbull. Viens Franckie, j'te paye une mousse.

Nous marchons sur la place de la Bastille, croisant plusieurs groupes de punks que nous saluons.
-Ici, c'est notre territoire, celui des Bastille Smash. Les skins comme tous les autres évitent de mettre les pieds ici.
-Et les flics?
-Les flics? Les flics ont affaire à plus d'une centaine de mecs, tu crois vraiment qu'ils veulent une guerre civile en plein Paris?

Nous arrivons devant un immeuble d'apparence ordinaire. Il s'agit en fait d'un des nombreux squats du secteur. Dans les huit étages que compte le bâtiment, personne ne fait quelque chose de sain. Ça partouze ici, ça ce pique là, ça picole ici, ça dégueule là. Le tout sur fond de punk rock fort à s'en faire exploser les tympans. Au cinquième étage, Doc me montre un matelas vide.
-Tiens, celui-là est libre, t'as qu'a pioncer ici le temps que tu voudras. Pour bouffer, trouver de la came ou autre chose tu viens me voir, si tu veux je te guiderais dans Paris le temps que tu prennes tes marques.
Je sens que cette mission va être casse couilles.



14 septembre, deux jours après l'embrouille du RER, je suis recontacté par les Bastoche's Smash. C'est la punkette de la bande de l'autre jour, et accessoirement la gonzesse de Doc, qui vient me chercher dans le squat pour aller au concert d'un groupe de punk, les Anar Troopers, dans un petit local destiné au commerce de proximité mais abandonné depuis belle lurette.

Je me me lève donc de mon matelas, faisant mine d'être content d'aller faire des pogos au milieu d'une bande de tarés aussi dégénérés que cradingues.

Après à peine deux minutes de marche, nous sommes devant le local où sont rassemblés au moins cent personnes. Tout le monde se pousse en voyant arriver Misty, ma guide. Apparemment, Doc est un mec important.
Nous entrons dans le local où sont déjà entassées près d'une cinquantaine de punks et rejoignons la petite bande de l'autre jour, au fond de la salle, près des caisses de bière.

Le bruit commence alors que je salue Doc et ses compères.
-Alors Franckie, t'es prêt pour ce soir? Me demande Piercing.
-Prêt à quoi?
-Les Cranes de Fer auraient prévu une expédition punitive après la tape de l'autre jour. Me dit Doc.
-Qu'ils viennent.

Pendant deux heures, c'est bière, pogo et beuglements. Doc à l'air complètement défoncé. C'est peut être le moment de lui soutirer quelques informations, je le suis lorsqu'il sort s'asseoir dehors et m'installe à coté de lui sur le trottoir.

-Putain d'soirée hein? Me demande-t-il avant que je ne puisse lui parler.
-Ouais, énorme. Dis moi, je voudrais...
-Hé, tu veux un truc cool?
Il sort de sa poche un petit sachet rempli de poudre blanche.
-De l'héro, je l'ai volée à un petit bourge après lui avoir fait une grosse tête. J'attendais une bonne occasion pour sniffer ce putain d'nectar.
-Non, je prends pas ce genre de trucs.
Il explose de rire.
-Un esprit saint dans un corps saint, hein? T'as bien raison, tu vivras vieux, dans la bonté, avec une famille, une bagnole et un clébard... Et ça me fera plus de came pour moi...
Il prend une espèce de petite paille et sniffe à même le sachet, et après s'être secoué la tête reprend :
-Alors, Franckie, tu voulais me dire quelque chose?
-Oui, c'est...
Il met vivement sa main sur mon bras pour m'interrompre.
-Les Skulls!
-Arrête Doc, t'es déchiré...
Il dirige son doigt vers une voiture qui passe non loin.
-Je déconne pas putain, c'est la caisse à Pitbull! Pitbull est là!
Il se lève d'un bon et hurle dans le local :
-Les skins débarquent! Ils arrivent!
Aussitôt après, la salle se vide totalement, tout le monde saisit bouteilles, matraques, battes, chaines de vélo, poings Américains et chaises. La voiture cible, suivie d'une flopée d'autres caisses, arrivent à toute allure et freinent à une centaine de mètres de nous. Toutes les portières s'ouvrent et une armée de skins, aussi bien armés que les punks, courent vers nous en poussant des hurlements.
Les Smash se mettent à leur tour à gueuler comme des veaux, et une immense charge débute aussi. Je suis pris dans le mouvement et me retrouve en première ligne, à courir face à l'énorme bloc compact juste en face de moi.

5...4...3...2...1.


L'impact est violent. Tellement violent que je me prends de plein fouet le meneur du groupe d'en face. Nous tombons tous les deux à terre tandis que tout autours plus de deux cent types se battent aussi durement que bruyamment.
Je me relève et fais face au type que j'ai bousculé. Il essaye de me mettre un coup de batte de baseball mais je me baise juste avant de me la prendre en pleine tête et fonce dans son ventre. Il tombe à terre et je lui mets quelques coups pour le sonner avant de me relever pour reculer. En effet, les Irons Heads prennent du terrain et je risque de me faire encercler et massacrer. J'en tiens quelques uns à distance avec une barre de fer et monte sur une voiture pour avoir un meilleur champ de vision et plus de marge de manœuvre. Il leur faudra que quelques coups de tatane dans la gueule pour qu'ils reculent.

Je vois au loin Doc se faire massacrer. L'héro le fait encore tenir debout, mais il est incapable de donner un seul coup. Je descends de la caisse et cours vers lui mais je suis stoppé net par un poitrail. Je lève les yeux et reconnais Pitbull, le chef des Cranes de Fer. Lui aussi semble me reconnaître, car il reste planté devant moi en souriant. Je vais pour lui mettre un coup de poing mais cette fois il me bloque et me met une droite en pleine gueule. Je tombe sur le coté. Il me soulève et me jette contre la voiture sur laquelle j'étais perché. Après ça, il m'attrape par la cheville et me traine sur le capot, puis sur le bitume quand je me suis ramassé la gueule. Il semblerait qu'il m'emmène dans ses rangs pour que ses suiveurs me massacrent. Pas question de m'en prendre plein la gueule plus longtemps. J'attrape en chemin une bouteille et je la lui lance en pleine tête. Il me lâche pour se frotter le crane. J'en profite pour me relever et lui mettre un crochet en plein menton et quand il part en arrière un coup de pied dans les burnes. Il se penche en avant. Je lui fous un coup de coude entre les omoplates et il se casse la gueule.

Je me barre en courant, poursuivi par toute une bande de skinheads, et saute les pieds en avant vers les trois types qui s'en donnent à cœur joie sur Doc. L'un d'entre eux tombe raide quand mes paraboots viennent titiller son front. Profitant de la surprise des deux autres, je leur met une flopée de châtaignes dans la tronche. Ils partent chercher du renfort. Pendant ce temps, je prends Doc par le bras. Il est dans un sale état. Je le ramène en arrière pour qu'il puisse s'allonger. La baston commence à baisser d'intensité, et je vois les skins battre en retraite en récupérant leurs blessés. Ils retournent dans leurs voitures tandis que les punks encore debout leur jettent des bouteilles.



Le jour s'est levé depuis maintenant une heure, révélant un ciel gris, froid et imprégné de pollution. Doc est tombé raide hier soir, juste après que je l'ai ramené, et ce matin il n'a toujours pas émergé.

Je me rends à la pharmacie à la demande de Misty pour chercher de la morphine prescrite par un médecin véreux du quartier. La pharmacienne me tend le petit sac en me regardant avec un certain mépris, ce qui me rend assez mal à l'aise. Vu ma dégaine et la réputation que se paye le toubib, elle a compris que ce n'était pas pour calmer la douleur, mais plutôt combler le manque de came de la petite bande. J'en profite pour prendre des anti-douleurs et de l'arnica.

Hier, les flics sont intervenus plus de dix minutes après la bagarre. Trois cars entiers des compagnies de sécurisation et une demie douzaine de voitures de patrouilles sont arrivés en trombe et ont bouclé le quartier de la Bastille. J'ai juste eu le temps de porter Doc jusqu'au squat avant que la police ne prenne position. C'est à ce moment là qu'ils est tombé dans les vapes.

La voix criarde de Misty résonne dans le bâtiment.
-Doc se réveille! Doc se réveille!

J'accoure, accompagné d'une quinzaine d'autres personnes, au chevet de Doc. Je fait déguerpir tout le monde :
-Allez, reculez, reculez bordel! Laissez le respirer. Tiens Doc, j'suis passé à la pharmacie.
Je lui tends un antidouleur qu'il rejette violemment.
-J'en ai rien à branler de tes conneries. J'ai besoin de me faire un shoot.
-C'est pas bon ces saloperies, surtout après ce que tu viens de subir.
-Putain mais file lui la morphine bordel! Crie Misty.
Je leur jette le sachet à la gueule et sort du squat en grommelant sous le regard ahuri des autres personnes présentes.

Je me dirige vers la station de métro alors que tout autours subsistent les traces de la bataille d'hier. Une fois dans les tunnels froids et déjà bondés, je mets quelques pièces dans une cabine téléphonique et compose le numéro du bureau de Bernard qui est chargé de me couvrir sur cette opération

-Allô?
-Bernard, c'est moi, Conan.
-Tu veux dire Francis, alias Franckie le keupon?
-Non! Ni Francis, ni Franckie ni personne! J'en ai plein le cul de cette mission à la mord moi le nœud, cette bande de marioles ont l'air de tout sauf d'un putain de groupuscule terroriste! Je porte les mêmes fringues depuis des jours, je pue la mort, je vis dans un taudis rongé par les parasites, et encore je préfère la compagnie des rats que celle de ces putains de pue la pisse!
-Ho! Calme toi! Me dit-il fermement, mais sans crier, un peu comme le ferait un père qui tente de remettre son gosse dans le droit chemin.
-Je peux plus, Bernard, y'a rien à faire ici, c'est qu'une bande d'abrutis finis à la pisse et à la bière.
-Est-ce que tu sais qui est le chef du clan?
-Ouais, un certain Doc, un peu plus jeune que moi.
-Attends deux minutes.

Je n'attendrais qu'une courte minute.

-Ton Doc, il s'agit en réalité de Romain Fabrice, un ancien étudiant anar de Rennes. Il y a cinq ans on l'a soupçonné d'être derrière un attentat à la bombe ayant blessé huit personnes à proximité d'un laboratoire pharmaceutique. L'ordre vient de tomber, Francis : tu dois l'arrêter au plus vite.
-Comment?
-Écoute moi bien. Rends toi à la station de métro Faidherbe. Là bas, tu sortiras du coté du Faubourg Saint Antoine. Près de la bouche de métro, tu trouveras une cabine de toilettes publiques. Il y a, planqué dans un faux plafond, un revolver. Tu dois absolument nous ramener ce taré en vie, compris?
-Et après?
-Comment ça, "et après"?
-Après, je devrais infiltrer une autre bande à la con, faire le sale boulot, nettoyer des lieux où les Services Secrets ont fait du grabuge, buter des mecs qui dérangent le président? Quoi d'autres après cette merde?!

Bruit de l'autre coté du fil. Une autre voix me parle, c'est celle de Ciskovitch :
-Francis, nom de Dieu, quand-est-ce que tu vas arrêter de gémir? Tu fais ton boulot, un point c'est tout!
Il raccroche.
Je repose le combiné et m'appuie contre le mur. Je suis vidé, lessivé. Je ne sais plus où j'en suis. Je ne sais plus qui je suis. Je marche lentement vers la rame de métro qui m'amènera à Faidherbe. Une fois arrivé, je sort en trainant le pas et monte une à une les marches qui me mèneront à l'extérieur. J'entre dans la cabine des toilettes en retenant ma respiration et essayant de ne pas marcher dans la merde et les tampax un peu partout par terre. Je dois monter sur la cuvette dégueulasse pour fracasser le plafond en placo et récupérer le 357 et les cartouches qui y sont planqués. Putain, c'est un six pouces, ils avaient pas plus discret? Si ça se trouve, cette bande d'enflures de la SOSC ont récupéré ce flingue sur les lieux d'un massacre pour me foutre tout un tas de meurtres sur le dos et m'envoyer en prison pour le restant de mes jours sans être inquiétés par ce que je pourrais révéler.
Tant pis. De toutes manières, je n'ai plus rien à perdre.

En retournant dans le métro finir ma mission, je croise une petite bande de loubards en blouson de cuir. L'un d'entre eux attire mon attention. Il est retourné et je crois reconnaître la silhouette massive de Ritchie. Je m'approche un peu. Un des types me désigne d'un mouvement de tête et tous ses amis se retournent.
-Ritchie?
-Conan, c'est toi?
Il avance vite vers moi tandis que sa petite bande s'interroge.
-Qu'est ce que c'est que cette dégaine? Me demande-t-il.
-J'pourrais te retourner la question.
-Toi aussi t'es en infiltration?
-Ouais. SOSC? Ciskovitch?
-Ouais...
-Écoute. Ne me demande pas pourquoi, mais je sais qu'on va se faire niquer. Une fois le boulot terminé ils vont se débarrasser de nous. T'as un numéro de téléphone, ou une adresse sure pour que je puisse te joindre?
-Pas de téléphone, on est sûrement pisté. Je suis dans le quartier presque toute la journée. Viens ici quand tu veux.
-Ok. Fais gaffe à toi.
-T'inquiètes pas.



Après avoir passé toute la journée à boire, à fumer, à errer dans les rues de la capitale, à réfléchir, j'en était revenu à cette triste conclusions : j'étais seul. Complètement seul. Ritchie se fait des idées. On ne s'en sortira pas, pas cette fois. On a trop joué avec le feu.

Je retourne dans le quartier de la Bastille. Il faut en finir. Je vais faire gentiment mon boulot, puis j'attendrais qu'on vienne me flinguer. C'est comme ça.

J'arrive dans le squat, arme derrière la ceinture. Je croise Misty et lui demande où est Doc. "J'crois qu'il est à la cave".

C'est vrai, Doc a fait de la cave de l'immeuble une sorte de bureau/bar/quartier général. Il l'a aménagée à son goût avec des objets disparates trouvés ça et là dans des décharges.

Je descends lentement, tout en sortant mon revolver et en mettant une à une les six cartouches dans le barillet.

J'ouvre la lourde porte en métal. L'entrée est sans lumière, je me retrouve dans le noir complet, c'est vraiment glauque. Une fois dans le long couloir, des ampoules jaunâtres et grésillantes m'ouvrent la voie vers le local tout au fond. Là ou se trouve le bureau de Doc.

J'entre sans frapper. Il est là, retourné, penché devant la table, à sniffer une autre saloperie. Il sent que c'est moi, et que je suis là pour quelque chose d'important.
-Alors, Franckie... Qu'est ce que tu veux.

Je lève lentement le revolver dans sa direction.
-C'est fini, Romain. Ne bouge plus.

Il se retourne, toujours très lentement, l'air nonchalant, en ricanant.
-T'es un sale flic... J'aurais dû m'en douter, t'avais une ligne de conduite trop droite pour être un pur et dur. Tu n'avais pas cet esprit d'autodestruction que nous avons tous ici. Et surtout moi.
Merde, qu'est ce qu'il veut dire?
-Si tu crois que je vais me laisser avoir comme ça, tu te fous le doigts dans l'œil. Mon projet est presque fini, je peux pas échouer si près du but.
Projet? Bordel de merde qu'est-ce que c'est que ce délire. Dans quelle sordide histoire suis-je encore tombé?

Il se décale sur la droite et me laisse admirer son œuvre. Une vraie petite bombe. Au sens propre du terme. Une masse d'une dizaine de kilos de semtex, reliée à un réveil par plusieurs fils multicolores.
-J'avais l'intention de la foutre devant l'Élysée. Imagines un peu l'explosion de ce truc.

Il est pris d'un rire démentiel. Comme possédé. J'avais jamais flippé comme ça avant.
-Fais pas le con, mets les mains en l'air, maintenant!
-Qui es-tu pour penser oser me donner ne serait-ce qu'un seul petit ordre?
Il s'approche de moi, cigarette au bout des lèvres, en sortant un couteau à cran d'arrêt.
-Doc, je veux pas te buter, arrête de faire le con immédiatement!
-Hm hm... Hmhmhmhahahahaha.

Le coup part. Puissant. Fulgurant. Je n'avais jamais senti autant de sensations en appuyant sur une détente. Un grand frisson parcourt mon épine dorsale. Tous mes poils se hérissent.
Romain marque l'arrêt. Il a un grand trou dans son blouson de cuir. Juste au cœur. Il crache un liquide visqueux qu'on croirait presque noir tant la lumière est sombre puis s'écroule en avant, étalant tout son corps sur le sol froid et humide de la cave.

Je remonte dans le squat, le canon de mon arme encore fumant. Tous ces zombies m'épient avec leurs yeux vitreux mais aucun ne réagit, même si ils ont tous compris. Misty court vers moi et me frappe avec son sac en m'insultant et en pleurnichant.

Dehors, un type gare sa Ford Mondéo juste devant moi et ouvre la portière. Je crois l'avoir déjà vu. En montant dans la voiture, je le reconnais enfin : C'est Kaplan le garde du corps de Letour.
-Alors, vous allez vous débarrasser de moi maintenant? Vous savez que je suis armé n'est-ce pas?
-Monsieur Ciskovitch veut vous voir, Sauvant.
-Sauvant? Je ne suis plus Mermont, ou Keupon?
-Votre mission est terminée. Monsieur Ciskovitch veut vous briefer sur la suite des opérations.

Il roule, nous sortons de Paris. Il roule. Il roule. La nuit est maintenant totale. Il roule. Nous traversons des quartiers dortoirs. Il roule. Il roule. Il roule. Nous voilà à la campagne.
-C'est du travail bien propre. Deux balles dans la tête dans un bois. Merci de me faire cet honneur.

Nous arrivons finalement dans une cité HLM. Elle semble déserte. Je crois avoir vu un article sur cette cité, dont les barres inhabitées allaient être rasés. Kaplan se gare devant un vieux bâtiment industriel en métal. Une chaufferie apparemment. Nous descendons. Un type armé d'un fusil à pompe sort du bâtiment.
-Kaplan, Cisko est déjà à l'intérieur. Ils vous attend. Sauvant, je vais vous demander de me remettre votre arme.
Je m'exécute et nous rentrons tous les trois dans la chaufferie, l'homme au fusil à pompe en tête. J'entends derrière moi Kaplan sortir son 9mm.

L'intérieur est très sombre, et hormis la lumière de quelques étoiles et lampadaires encore en état de fonctionnement qui filtre par les fenêtres grillagées du lieu, il n'y a aucun éclairage.

Nous arrivons dans une grande pièce toute taguée. Cisko se tient au milieu de cette pièce, et je devine un sourire sournois et satisfait sur son visage ingrat. Son crane dégarni est luisant même sans lumière.
-Conan Sauvant... Vous saviez que vous auriez pu être un très bon élément au 11ème Choc.
-Je l'étais.
-Cette malheureuse histoire politique vous a hélas ôté tout espoir de faire une longue et glorieuse carrière dans l'armée.
-Mon honneur est sauf. C'est le principal. Si je dois mourir ce soir, je peux le faire la tête haute.
-Si, il y a six ans, vous n'aviez pas refusé de couvrir le député dont vous aviez pourtant la garde, si vous n'aviez pas tenté de prévenir les médias pour faire éclater ce que vous avez déclaré être un "scandale" au grand jour, rien de tout ce qu'il s'est passé ensuite ne serait arrivé.
-Ce dépravé était dans une chambre d'hôtel, avec deux gamins d'à peine dix ans qui débarquaient d'Urkaine.
-Mais là, vous avez été doublement baisé. D'un coté vous perdez votre boulot, nous faisons de votre vie un enfer, et de l'autre, tous les médias ont soit reçu des pressions, soit été généreusement indemnisés pour ne pas faire une seule ligne à propos de cette sordide histoire.
-Finissons-en.
Kaplan prends mon 357 et le braque contre ma nuque. Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration.

Adieu bande d'enflures.

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