Nous sommes leur pire cauchemar
Par : Conan
Genre : Action
Status : Terminée
Note :
Chapitre 1
Bienvenue en Afrique
Publié le 06/07/11 à 19:12:49 par Conan
Suite à une suppression par erreur de la part du staff, je reposte cette fic qui vient entre "L'Homme qui valait trois cartouches" http://noelfic.fr/integrale.php?titre=7825&chap=1 et "Révolution!". Pour éviter plus de perte de temps et des tracasseries inutiles, la fic sera postée en bloc. Merci de votre compréhension.
Le soleil se couche derrière les hauts plateaux qui bordent le Soudan. Nous arrivons enfin; après 12 heures d'avion, 3 jours à voyager au péril de nos vies dans le Sahara et quatre heures à traverser le pays dans un pick-up loin d'être confortable; dans la périphérie de Khartoum, la capitale située dans le centre nord du pays.
Le contact de Ritchie se trouve dans une baraque "pas trop loin de la route mais pas trop près non plus, à une demie douzaine de kilomètres de la ville."
-J'arrive pas à croire qu'on est devenus Mercenaires! Dit Jack qui est obligé de crier à cause du bruit du moteur.
-Ouais! C'est une aubaine pour nous que Bob Denard ait recruté dans les milieux hooligans dans les années 80! Répond Ritchie.
-Explique? Demandé-je.
-Ben, mon contact, avant d'être mercenaire, était un habitué des stades de foots, section bagarre. Son passé à l'armée lui a permis de bien savoir se battre! Un jour, il est tombé sur le mythique Bob Denard qui cherchait des types pour monter une opération. Mon contact avait même pas 25 ans, tu comprends qu'à cet âge là t'as besoin d'aventure! Il s'est établi au Soudan, ancienne colonie Anglaise où les Français ne sont pas chassés comme au Niger, et fait ses petites affaires. Maintenant il a plus de 45 balais, mais il est toujours prêt à monter au combat!
-Et c'est quoi le plan? Demande Jack.
C'est vrai ça. C'est quoi le plan? Nous nous sommes embarqués, presque sur un coup de tête, pour un safari à taille humaine en Afrique. On a tout plaqué en France, comme si l'on avait tiré un trait sur notre passé, pour aller se foutre ici et risquer d'y laisser des plumes, voir notre peau. Mais c'était ça, ou finir en taule... Même si honnêtement je pense que l'on serait mieux lotis dans une prison Française qu'Africaine.
Le plan donc, c'est de rejoindre la planque du contact de Ritchie afin qu'il nous donne des directives. Tout le continent est sous tension à présent, entre les prises d'otages au Sahel, les émeutes au Maghreb, les crises diplomatiques en Côte d'Ivoire ou au Soudan, les tension ethniques qui menacent encore aux quatre coins du continent...
Jack arrête le véhicule au beau milieu de la route, provocant un nuage de poussière. Une fois celui-ci dissipé, il nous désigne une sorte de hutte à 20 mètres de nous, au beau milieu de la savane.
-Ça serait pas cette bicoque par hasard?
-Je pense que si. Vas-y. Répond Ritchie.
Jack sort de la route et roule vers la baraque isolée. Il tire le frein à main et nous descendons tous les trois, la main posée sur nos poignards en cas d'ennui.
Ritchie tape à la porte :
-Jo?
-Qui est là?!
-C'est moi, Ritchie, je suis avec mes amis!
-Ah, Ritchie...
La porte en bois s'ouvre. Un type orné d'une barbe grise qui rejoint une longue chevelure poivre et sel se trouve derrière, une Kalachnikov dans la main. Son look ressemble à celui d'un chasseur.
-Je ne vous attendais plus. Dit-il en retournant s'assoir sur sa chaise en bois siroter sa bière.
-C'est qu'on a eu pas mal de problèmes pour entrer dans le pays depuis que le président a un mandat d'arrêt international sur le cul.
-Haha. Ouais, il ne fait pas bon d'être blanc dans le coin en ce moment. Allez y, asseyez vous. Voulez une binouze?
Nous nous installons sur un lit de camp posé dans un coin et nos gosiers secs acceptent très volontiers une bière bien fraiche. En ouvrant ma canette, j'observe le coin. La hutte doit faire 20 mètres carrés à tout péter. Une pièce unique, un lit de camp, un coffre métallique qui doit receler d'armes, une cible fixée au mur martyrisée par des couteaux de lancers et une petite glacière sont les uniques meubles de l'espace confiné.
-Alors les gars, on a eu des problèmes judiciaires en France?
-A vrai dire, nous sommes partis avant d'arriver à la case Justice.
-Haha, je comprends, on a pas mal de gars dans ce cas. Comment tu t'appelles?
-Conan.
-Et toi?
-Jack.
-Jacques comment?
-Jack O'Reilly.
-Ho! Irlandais?
-Exact.
-Bon. Ritchie, Conan, Jack, on va pas passer la journée à se renifler le trou du cul. Passons directement au briefing.
Il se lève et déploie sur la table une grande carte de l'Afrique autours de laquelle nous nous agglutinons.
-Vous êtes arrivés d'où?
-Égypte. On a acheté un pick-up sur place pour pouvoir voyager, il est presque à sec.
-Tu m'étonnes, c'est pas les bédouins qui vont vous filer de l'essence. Pas d'inquiétude pour ça, j'ai quelques jerrycans en réserve. Bon, le truc c'est que vous êtes ici, et que vous devez aller jusqu'à là.
Avec son doigt, il trace lentement une ligne qui semble interminable du Soudan jusqu'au... Niger.
-On va devoir se taper l'Afrique d'Est en Ouest. Dit Jack.
-Comme vous avez dû le remarquer, ça chie pas mal dans ce coin en ce moment. L'ordre établi par l'Union Ouest Africaine s'effrite peu à peu à cause de la débâcle de la politique Française en Afrique. Et ouais, finie la Françafrique, bonjour les Chinois et les Ricains! Nos deux Empires fétiches n'iraient pas se foutre dans ce genre de bourbier pour l'instant, c'est beaucoup trop le bordel. Et ça, ça laisse la place aux mercenaires indépendants comme vous et moi.
-Quelle sera notre mission exacte?
-Le pays regorge de mines d'Uranium, et peut être d'un important gisement de pétrole. Les multinationales le savent, mais depuis que leurs employés se font enlever par les rebelles et autres islamistes, ils évitent d'y foutre trop le pif. Ne parlons pas du tourisme proche du niveau zéro et des trafics en tout genre. Votre boulot sera de prendre contact avec mon gars sur la zone. Il a pu rassembler un petit groupe de mercenaires locaux, mais pas assez fiables ni organisés. Vous devrez être sur zone dans moins de cinq jours. Le gars en question est officiellement patron d'une station service à l'entrée de la ville. Je suppose que vous n'avez pas d'arme.
-Non, on a déjà eu du mal à faire passer nos poignards dans nos bagages.
-Mieux vaut ne pas se balader dans cette zone sans rien sur soi.
Jo se dirige vers le coffre et en sort trois Thompson usées jusqu'à la moelle.
-On va pas aller bien loin avec ça. Dit Ritchie.
-Ça c'est juste pour le voyage, mon gars sur place aura du meilleur matos pour vous. Le mot de passe est "Comment va le court du pétrole?" si il répond que c'est en hausse, c'est bon. Si il dit que c'est en baisse, c'est qu'il n'a rien pour vous, que la situation est intenable, que c'est trop chaud ou autre chose de pas bon, et là vous seriez dans la merde. Bon! Pas de question? Tant mieux. Le soir va tomber, je serais vous je voyagerais dès cette nuit.
Voilà trois bonnes heures que nous sommes partis. Jack commence à fatiguer, c'est lui qui s'est tapé tout le trajet pour aller du Caire à Khartoum. Je lui propose de le remplacer.
-Dis, t'as l'air crevé. Tu veux que je prenne le volant?
-C'est pas de refus, j'ai plus de bras... Hé Ritchie, on en est où?
Ritchie, toujours debout dans la benne du pick-up, observe l'infinie étendue de la savane plongée dans la nuit. Quand Jack l'interpelle, il s'assoit et prends en main la carte et la boussole.
-Normalement on est à un peu peu plus de dix kilomètres du Tchad.
-Bien. Conan, quand on aura passé la frontière je te laisse conduire.
-Dites les gars, vous avez pas remarqué que depuis cinq minutes y'a un véhicule derrière nous? S'inquiète Ritchie.
Je me retourne pour voir la route. En effet, à quelques centaines de mètres un 4x4 suit le même trajet que nous.
-T'as pas tord.
-Arrêtez de faire vos peureuses, vous savez combien y'a de routes dans ce foutu pays? C'est sûrement des types lambdas qui vont dans le même sens que nous.
-Des mecs qui roulent dans un pick-up tous feux éteints?
Jack regarde dans le rétroviseur et ralenti.
-Je vais les laisser passer.
Il agrippe le pistolet mitrailleur à ses pieds. Ritchie et moi nous préparons nous aussi à sortir nos Thompson des sacs de riz qui les abritent.
Le véhicule arrive, lentement, et s'arrête quelques mètres seulement derrière nous. Impossible de voir combien de types il y a dedans, il fait bien trop sombre. Nous passons quelques secondes à observer le tout-terrains. Lentement, nous armons nos PM, lentement, nous les mettons en joue.
Tout à coup, le conducteur allume les pleins phares dans notre gueule. Ça se met à gueuler dans tous les sens une sorte de mélange de dialecte Africain et d'Arabe. Une rafale part, je ne saurais dire qui a tiré. Il n'en faut pas plus pour que nous lâchions la sauce sur le véhicule considéré à présent comme ennemi. En à peine trois secondes, toutes les vitres et les phares du 4x4 derrière nous explosent. Les types à l'intérieur sont criblés de balles, et ceux au sol sont descendus comme des lapins.
-Les enflures, ils avaient des AK! Dit Ritchie.
Je me retourne. Merde! Un autre véhicule approche, cette fois très rapidement et les phares allumés. J'arrive à voir les miliciens armés dépasser de la benne derrière.
-Jack! Démarre vite, y'en a d'autres qui se ramènent!
Jack enclenche la première mais rien n'y fait, la tire ne veut pas démarrer. Pendant ce temps, les rebelles se rapprochent dangereusement. Le pick-up démarre enfin. Jack accélère comme un dingue et part à toute allure sur la route, ne laissant qu'une trainée de poussière derrière nous. Mais les assaillants nous rattrapent tout de même. Ils commencent à tirer au coup par coup. Ritchie et moi répliquons, mais il est impossible d'être précis à cette vitesse là et en étant remué dans tous les sens. Je ne sais pas combien de chevaux à leur véhicule sous son capot, mais ils arrivent à se mette côte à côte avec nous. Nous tirons quelques cartouches, faisant tomber l'un des deux types à l'arrière du pick-up sur la route à plus de 120 kilomètres/heure. Jack donne des coups de volant afin de faire sortir leur 4x4 de la route pour finalement les coller de si près que l'on pourrait tendre nos bras pour taper sur le chauffeur. Mais nous n'aurons pas le temps de le faire. Aucun de nous n'avait vu ce virage en épingle, et c'est la sortie de route, tout le monde part en couille.
Jack freine très violemment pour éviter de se prendre un rocher tandis que le conducteur rebelle fait des virages à 360 degrés à droite à gauche pour finalement arriver à immobiliser son véhicule à 20 mètres du notre. Nous descendons alors que notre tête tourne encore et, faute de munitions, nous ruons sur les ennemis. Ritchie attrape le tireur restant dans la benne à l'arrière du pick-up et le jette par terre avant de se mettre sur lui pour le rouer de coups. Jack tape la tête du chauffeur contre son volant, quant à moi je m'attèle au passager. A peine ai-je ouvert la portière que le type brandit un 9mm. Je lui saisis le bras et me pousse sur le coté pour éviter de me prendre les trois balle qu'il a eu le temps de tirer avant que je ne lui casse le poignet. Je profite de sa douleur soudaine pour le sortir du véhicule, saisir son arme et l'abattre. Je me retourne et vois Jack, qui me tourne le dos, se battre à coups de poings avec son milicien.
-Jack, baisse toi.
Il s'exécute. Je tire une balle qui frôle les courts cheveux de mon ami pour aller se loger dans la tête du rebelle. Ritchie est à présent en train d'étouffer le mitrailleur en lui enfonçant la tête dans le sable. Je lui demande de se pousser, et lorsqu'il le fait, tire une balle dans le visage enseveli du type. Mon coup de feu fait de l'écho dans cette vaste zone désertique. Un nuage de fumée et de poussière s'élève au dessus du cadavre et se dissipe lentement, et d'un coup tout redevient calme.
Nous n'avons même pas repris notre souffle que Jack se remet au volant et tente de redémarrer le pick-up qui a deux impacts dans le capot.
-J'espère que le moteur n'est pas mort, sinon on est dans la merde.
-Surtout que les gardes frontière ont dû entendre le grabuge. Dit Ritchie.
Après trois tours de clé, la caisse démarre enfin. Ritchie et moi y remontons. Je décide de prendre le volant pour passer la frontière car ce combat a fini d'épuiser Jack qui s'endort presque aussitôt après m'avoir laissé conduire, malgré l'adrénaline qui venait tout juste de retomber.
Nous arrivons à la frontière du Tchad à peine deux minutes après être repartis. Les quelques soldats qui y sont postés sont soit sourds, soit couards car ils semblent ne rien avoir entendu et font comme si de rien était alors que nous avons trois pistolets mitrailleurs à peine planqués sous une couverture à l'arrière et le visage et les mains pleins de poudre. Ils deviennent définitivement des alliés lorsque que je leur agite 100$ sous le nez. Je donne la liasse au chef qui nous laisse passer comme on le désire, avec ou sans armes, avec ou sans poudre sur la gueule. Le voyage jusqu'au Niger qui se déroule en deux jours tout de même est très tranquille avec seulement des routes désertiques. Nous ne marquons que trois arrêts pour manger, mettre de l'essence et chier.
Arrivés à la frontière Nigérienne, rebelote, nous achetons les gardes comme on achèterait une baguette de pain.
Plus que 900 kilomètres avant d'atteindre Niamey.
***
Niamey. Ses souks, sa foule, ses odeurs, sa route défoncée, ses bâtiments à la croisée entre le néo-crasseux et la tradition Africaine. Il nous aura fallu deux bons jours pour arriver jusqu'ici. Et ces deux jours n'étaient pas de tout repos. Par deux fois nous avons failli faire usage de nos armes. Une fois parce que nous étions suivis par des sortes de bédouins en 4x4 qui nous collaient depuis plus de trois heures, la deuxième parce qu'une bande d'excités, surement des voleurs des grands chemins, ont voulu une nuit nous faire tâter de la machette et déposer nos macchabées dans les fourrées au bord de la route après nous avoir plumés. Il va sans dire qu'une fois nos pistolets mitrailleurs sous le pif ils se sont sentis pousser des ailes.
Bref, je ne suis pas mécontent d'être enfin arrivé. Nous sommes aussi crades que notre pick-up qui a perdu sa couleur blanche au profit de celle de la terre rouge de ce pays.
-Ton pote nous a bien dit que le contact était dans une station-service? Demande Jack assis à la place du passager tandis que Ritchie essaye de rouler dans ce bordel infernal qu'est la périphérie de Niamey.
-Ouais.
-Y'avait pas un mot de passe? Demandai-je, debout dans la benne en train de dominer du regard la circulation anarchique.
-Comment va le court du pétrole. Si le type dit que c'est en hausse c'est bon. Sinon on se casse. Répond Ritchie.
-Hé, ça serait pas cette station-essence-ci? Demande Jack en désignant un petit bâtiment carré avec deux pompes à essence d'un autre siècle.
-On va vite le savoir. De toutes manière je suis sur la réserve.
Ritchie gare le pick-up devant une des pompes à essences. Nous avons la chance d'être seuls à attendre qu'un employé sorte.
Un type pousse la porte du bâtiment et se dirige vers nous. Blanc, la trentaine, des cheveux bruns en brosse. Il porte une chemise ouverte sur un torse orné de pendentifs en tous genres. Je remarque qu'il a aux pieds une paire de rangers.
-J'vous fait le plein? Demande-t-il d'une voix rauque.
-S'il vous plait. Répond Ritchie.
Le type ouvre le réservoir et y insère le bout de la pompe. Cinq secondes de silence lourd. Je me décide finalement à lâcher :
-Au fait... Comment est le court du pétrole?
Le type s'arrête et lève les yeux vers moi :
-Il semblerait qu'il soit en hausse.
-On peut discuter à l'intérieur?
-Allez-y. Laissez vot'bagnole ici.
Nous descendons tous du 4x4 et le suivons jusqu'à sa boutique.
-Qu'est ce que vous branliez? Ça va faire cinq jours que je fais le con à aller voir tous les mecs qui veulent faire le plein!
-On a eu pas mal de problèmes en venant. Répond Jack.
-Hm hm...
La fraicheur de la boutique donne un sentiment de paradis. Voilà quatre jours que nous passons notre temps dehors, sous un soleil écrasant, à transpirer comme des porcs, obligés de nous rationner en flotte.
-Vous avez soif?
-Ouais...
-Ben démerdez vous, j'ai plus rien ici. Personne n'a plus rien dans ce putain de pays, tout part en couille. J'espère qu'on m'a pas raconté de conneries à votre propos. Regardez moi ce bordel sur la route. Des mecs qui fuient vers la capitale à cause des groupes de rebelles, des mecs qui fuient de la ville parce qu'on y trouve plus rien à bouffer et qu'on peut plus sortir sans risquer d'être pris dans une émeute. Putain de foutoir. Bon, on va pas se branler toute la journée. Montez dans ma caisse, c'est la Nevada garée dans la ruelle derrière. Je vous rejoint.
Nous sortons par la porte de secours et marchons dans la ruelle pleine de détritus. Le soleil tape sur les ordures et l'odeur est insupportable. C'est presque aussi gerbant quand nous entrons dans le break, apparemment garé ici depuis un bon bout de temps. Un vrai four, irrespirable, et je ne parle pas de l'odeur de sueur collée aux sièges.
Le gars arrive nonchalamment et démarre la vieille caisse.
-C'est quoi vos blasons?
-Eux c'est Ritchie et Jack et moi c'est Conan.
-M'avez l'air d'une belle triplette de bras cassés, j'donne pas cher de votre peau ici.
-Et toi, ton nom c'est quoi? Demande Jack qui commence à s'énerver.
-Vous n'avez pas à savoir mon nom.
-Si on bosse ensemble ça serait plus pratique. Ironise Ritchie.
-Qui vous à dit que j'étais un de ces mercenaires? Je suis juste le messager, je touche ma com', point barre.
-C'est pour ça que derrière ton comptoir t'as un canon scié et à ta cheville un poignard? Dit-je.
Le type se range sur le coté de la route et se tourne vers nous :
-Écoutez, bande de branleurs que vous êtes, ici c'est moi qui pose les questions, pour l'instant vous n'êtes rien sans moi, que des chiures de fourmi. Tout ce qui a de la valeur chez vous, c'est vos putains de burnes de blancs qui feraient un tabac au marché noir! Alors maintenant tout le monde ferme sa gueule et le voyage se passera bien, c'est bien compris?!
On ferme nos gueules. Après un long trajet nous arrivons enfin au centre ville bondé. Nous continuons à pied tant il y a de foutoir et suivons notre guide jusqu'à un bâtiment colonial blanc et empoussiéré. Deux types, un blanc et un noir, montent la garde devant la porte d'entrée. Pas besoin d'être observateur pour remarquer la forme de la grosse de leurs pistolets qui se dessine sous leur t-shirt. Les types stoppent le gars et nous désignent d'un signe de tête.
-Ça va, ils viennent pour du boulot.
L'un des gars nous ouvre la porte. Nous pénétrons à l'intérieur de la grande maison qui semble déserte si ce n'est les meubles luxueux mais pleins de crasse et le tapis de fourrure au sol.
-Ils doivent être à l'étage, amenez-vous.
Nous montons des escaliers en bois et faisons face à une porte. Derrière nous une autre claque. Un type en arme sort de la pièce. Il parle un dialecte Africain, ce à quoi répond notre guide, dans la même langue.
Le garde va finalement taper à la porte qui nous fait face, l'ouvre et dit en très mauvais Français que Noodles veut le voir avec trois hommes. Jack réfrène un rire :
-Noodles. Un surnom aussi merdique, je comprends qu'il veuille pas nous le donner.
Une voix masculine nous disant d'entrer provient du bureau face à nous. Nous pénétrons donc dans la petite pièce décorée de bustes d'animaux sauvages et de lances aux mur. Derrière un bureau d'ébène, un gros type fait glisser un stylo en ivoire entre ses doigts boudinés. Sur le coup j'ai l'impression de voir Youssouf, en moins grand. Le type, dont la gorge semble obstruée par un amas de graisse et de glaire, nous dit d'une voix puissante :
-Alors comme ça c'est vous les nouveau blancs qu'on attendait? Appelez moi Monsieur Diakité. Je suis celui qui vous couvrira d'argent si vous en êtes dignes, mais je peux être celui qui vous décapite avec votre propre machette si vous essayez de me niquer. Revenez me voir cet après-midi, vers 5 heures. En attendant, Noodles vous fera visiter la ville.
Nous sortons tous les quatre. Qui est ce gros tas? Quel boulot devra-t-on faire à cinq heures du soir? Combien seront-nous payés? Trop de question, d'une trop grande importance, qui restent sans réponse... Et ça, ça me casse les couilles.
Noodles n'est finalement pas si détestable que ça. Nous marchons tout le début d'après midi dans les rues animées de Niamey. D'après notre guide, ici, on peut rire ensemble et deux minutes plus tard s'entretuer à coups de machette. Alors nous ne rigolerons avec personne.
-Qui c'est ce Diakité? Demande Ritchie au détour d'une rue polluée comme pas possible.
-L'un de mes "employeurs". C'est le chef de la plus importante faction du pays, le PLN, le Parti pour la Libération du Niger.
-Libération de quoi? Il a l'air plutôt riche pour se dire libérateur de quelque chose d'autre qu'un paquet d'oseille. Demande Jack.
-De rien du tout, c'est comme toutes les milices armées sur ce continent, c'est toujours le parti de machin truc, le front de quelque chose, le bidule pour l'indépendance de ceci, l'union de cela pour libérer telle ou telle région. Juste des noms pompeux qui rendent les massacres de villages entiers un peu plus nobles. Mais nous on s'en branle, n'oubliez pas : pas d'accroche. Ici, on est free-lance, on ne porte allégeance à rien ni à personne. D'une parce que trop s'impliquer, ça implique justement trop de problèmes, et de deux parce qu'on se fait beaucoup plus de blé.
-En gros, aujourd'hui on se bat pour eux et demain on peut se battre contre leurs pires ennemis?
-On ne se bat pour rien d'autre que l'argent, n'oublie jamais ça l'Irlandais. Certains se battent pour une cause, d'autre parce qu'ils s'emmerdent, mais au final on se fait un sacré paquet.
-Et leurs ennemis justement, qui c'est? Demandé-je.
-La deuxième plus grosse faction, le Front de Lutte Populaire. Populaire pour qui, j'peux pas vous le dire, c'est simplement l'alliance des plus gros trafiquants du coin qui se sont mis en tête de faire un coup d'état. Il ne faut pas oublier que le PLN et le gouvernement, c'est kif-kif. D'ailleurs l'armée, très bien payée et corrompue jusqu'à la moelle, ferme les yeux sur nombre d'exactions de la part des hommes du PLN. Et enfin, il y a l'Union du Peuple. Eux, ce ne sont rien qu'une bande de pauvre bougres qui se sont alliés avec le peu de matériel qu'ils ont pour tenter de protéger leurs terres et leurs villages des pillages et des expéditions d'un camp ou de l'autre. Même si ça ne me surprendrais pas qu'ils soient eux aussi dirigés par un chefaillon narcissique et bling-bling.
PLN, FLP, UP, armée, gouvernement, trafiquants, pirates, rebelles. Un bon gros bordel face à nous. Et encore, nous serons sûrement amenés tantôt à combattre contre les uns pour le compte des autres, puis demain de se battre aux cotés des uns pour foutre sur la gueule des autres. Sacré foutoir.
Quatre heures moins dix. Nous retournons au QG. Les deux gardes endormis à la porte ne nous reconnaissent même pas, Jack, Ritchie et moi. Après que Noodles leur ait gueulé dessus ils nous laissent passer. Nous allons voir Diakité debout devant sa fenêtre, en tenue militaire.
-Allez voir mes hommes en bas. Ils sont derrière la maison.
Sans dire mot, nous descendons et allons derrière la grande bâtisse tandis que Noodles et Diakité s'assoient au bureau prendre un verre sous l'air frais du ventilo.
Une demi douzaine de types en tenue paramilitaire, tous des autochtones, sont accoudés contre un vieux camion de l'armée. L'un d'entre eux, béret rouge sur la tête, lunettes noires sur le nez et rangers cradingues s'approche de nous.
-Vous les blancs, vous savez vous battre?
-J'espère que c'est de la rhétorique. Si on savait pas se battre on serait pas ici pour le tourisme et la faune locale. S'énerve Ritchie.
Je reprends :
-Bien sur qu'on sait se battre. La question est : est-ce que vous avez des armes, et est-ce qu'un jour quelqu'un va se décider à nous dire quel est le boulot?
-Tenez, prenez ça. Nous dit le petit chef en nous tendant trois fusils d'assaut usés jusqu'à la moelle. Alors que mes deux amis ont des AK-47, je me retrouve avec le long, lourd et massif HK G3.
-On va détruire un village de FLP. Il faut faire un exemple!
Les types derrière lui se mettent à beugler en levant leurs armes.
-On va détruire le FLP, aujourd'hui!
Mêmes beuglements.
-Allez, on y va!
Tous les types s'empressent de monter dans les GMC. Nous faisons de même, sans grand enthousiasme.
Le camion démarre et se met en route pour l'extérieur de la ville. Le chauffeur est un vrai danger public, et dans les bouchons les tarés qui sont avec nous n'hésitent pas à foutre de grands coups de lattes dans les voitures qui nous collent de trop près. Alors que c'est l'euphorie chez les troufions, Ritchie, Jack et moi commençons à désespérer.
-On va y rester. On va y rester bordel. Dit Ritchie en prenant sa tête dans les mains.
-J'ai déjà vu des abrutis dans ma vie de shit, mais alors là je dois avouer que c'est le bouquet.
-Reprenez-vous les mecs. On n'en à rien à foutre d'eux. N'oubliez pas ce qu'a dit Noodles, on ne porte allégeance à personne, on est ici pour nos intérêts. Ce type n'est pas notre chef, il a ses propres hommes et on les emmerde, ils font comme ils veulent pour se battre. Nous on se connait, on bosse ensemble, point barre.
Je jette un coup d'½il à ma pétoire. Ce qu'elle est en mauvais état. Et un chargeur pour déloger des miliciens d'un village entier, ça va pas le faire.
Après une petite heure de trajet sur une route déserte de savane, nous arrivons au village sous un ciel orangé.
Le camion s'arrête à cinq cent mètres de la première maison en torchis. Je crois que si il avait fait ne serait-ce qu'un mètre de plus j'aurais sauté en marche. Nous devons avoir été repéré par tous les gardes du coin, et le plus chiant c'est que de nous au village, il n'y a qu'une étendue d'herbe sèche, sans aucun abris mis à part quelques arbres. Bravo les commandos du PLN.
-Bon, combien de types on a en face? Demande Ritchie en armant sa Kalach.
-Je ne sais pas, mais on va les buter! Tous les buter! Répond l'autre hystérique à béret.
-Super programme, et combien de civils?
-Apparemment y'a pas de civils, tous les rebelles les ont chassés.
C'est au moins une info...
Alors que Jack s'apprête à demander qui est le mitrailleur pour le tir de couverture, les miliciens se mettent à hurler en courant vers le village, fusil d'assaut à la hanche. Un type posté à une fenêtre armé d'un PKM se met à joyeusement nous arroser et deux gougnafiers se retrouvent la gueule dans l'herbe avant de comprendre quoi que ce soit. Il faut être fou, ou défoncé, ou les deux pour courir à cette mort certaine comme ça.
-Venez voir! Dit Ritchie après avoir rampé un peu plus à l'écart. Nous le rejoignons tête baissée tandis que les balles nous sifflent aux oreilles. Notre ami est baigné dans une petite rigole d'eau creusée à même la terre, et juste assez profonde pour nous permettre d'avancer à plat ventre jusqu'à l'est du village sans se faire remarquer.
Nous rampons, à l'abri derrière un petit talus dans notre gouttière paysanne, les avant bras et les jambes plongés dans la flotte.
Nous arrivons enfin au petit village. Quelques huttes et chaumières en terre cuite, une place centrale, des sacs de riz, des cadavres pourrissants...
Je passe devant et m'adosse à une petite case. Je jette un coup d'½il au village : il y a sept petites habitations qu'il nous faudra fouiller une à une. Cinq miliciens armés sont à l'extérieur. En train d'arroser nos "alliés" qui sont surement bloqués par le tir de barrage, ils nous tournent le dos et ne prêtent pas attention aux éventuels dangers qui pourraient les surprendre. Je fais signe à Jack et Ritchie de me rejoindre.
-Choisissez vos cibles.
Je mets l'un des types en joue. Mes deux amis choisissent les types à droite et à gauche de ma future victime.
Je tire une balle. Dieu, cette arme est lourde et chiante à manier, mais elle tape fort. Le garde s'écroule en avant comme si il avait reçu un violent coup dans le dos. Les AK de Jack et Ritchie se mettent à crépiter des deux cotés, si bien que je suis assourdi. Les deux autre gars se retournent et se mettent à courir dans tous les sens. J'en déglingue un autre de deux balles et Jack s'occupe du dernier pendant que Ritchie investit la première baraque. Quelques tirs, un cri, puis Ritch ressort.
Une à une, nous fouillons toutes les maisons, pour la plupart vides, tandis que le type à la PKM continue de s'en donner à c½ur joie sur les autres gougnafiers.
Étant donné que nous butons chaque ennemi que nous trouvons, je me retrouve à court de munitions. Je récupère un 45 sur la dépouille d'un mort et me dirige vers la dernière chaumière que nous n'ayons fouillée, celle du mitrailleur.
Je passe en premier, suivi de Jack puis de Ritchie. Arme au poing, j'avance lentement et passe le petit rideau qui sépare l'entrée de la pièce principale. A quelques mètres de moi le type est la, à tirer en hurlant avec sa machine enfumée. Les douilles recouvrent le sol de la pièce et continuent de tomber les unes sur les autres, de rouler, de virevolter, de rebondir.
J'approche du garde, met mon arme tout près de sa nuque et tire. Le type s'écroule sur sa machine pour au final faire décrocher le bipied posé sur le bord de la fenêtre et tout faire tomber sur sa gueule.
Je me tourne vers Jack :
-Il est raide. Tu peux dire aux autre abrutis qu'on a pris le contrôle du village.
Nous ne sommes plus que trois dans le camion : Ritchie, Jack et moi même. Tous les autres ont été massacrés avant d'avoir pu approcher à vingt mètres du camp. Le seul survivant était le petit chef gueulard, à moitié trucidé par une rafale de mitrailleuse. Nous l'avons achevé avant que ses cris ne nous rendent dingues. D'ici à la tombée de la nuit nous serons à Niamey.
Retour au QG du PLN. Diakité, qui a du entendre le moteur du GMC, se penche à son balcon. En nous voyant revenir seuls, il semble furieux. Alors que je gare le camion dans la cour à l'arrière du bâtiment, il avance vers nous, le visage rougit par le soleil couchant.
-Où sont les autres?
-Morts. Rétorque Jack du tac-au-tac en mettant sa Kalach dans le dos.
-Comment ça morts?
Je prends la parole :
-Vos gars ne sont pas des soldats, juste une bande de drogués complètement tarés qui ont failli tous nous faire tuer. On à dû reprendre le village à trois pendant que vos gars se faisaient massacrer. Si vous n'êtes pas contents on peut louer nos services au mecs d'en face.
-Non, non. Vous avez donc repris le village?
-Dans le cas contraire nous ne serions pas là.
-Alors vous serez récompensés. Suivez moi dans mon bureau.
Nous suivons Diakité dans la maison coloniale. Arrivé dans la pièce, il se dirige vers son coffre-fort, compose un code à quatre chiffres. Le lourd cube blindé s'ouvre et nous fait miroiter sous les yeux des bijoux, diamants et plusieurs centaines de billets de banque. Diakité saisit trois diamants de taille identique et nous les tends.
-Tenez, la banque au coin de la rue vous en donnera un bon prix.
-Vous pourriez racheter le pays avec tout ce que vous avez dans ce coffre. Dit Ritchie.
-Qu'est ce que tu crois que je suis en train de faire? S'exclame Diakité.
Alors que nous repartons, ils nous arrête et saisit son téléphone avant de dire quelque chose en Haoussa.
En raccrochant il nous fait :
-Je sais toujours récompenser mes soldats.
Quelques secondes plus tard un type avec une tronche de Slave entre. Il porte un costume sur-mesure impeccable et tient dans sa main une épaisse mallette qu'il pose sur le bureau. Ritchie l'ouvre. La mallette nous dévoile 3 AK 74 semblant tout droit sorties d'usine, ainsi que plusieurs chargeurs disposés autours des armes.
-Tâchez de bien les entretenir. Nous dit le marchant d'armes avec un fort accent Russe.
Nous sortons du bâtiment, fusil d'assaut sur l'épaule. Il semble qu'ici ce soit une chose normale que d'être armé jusqu'aux dents. Jack entre dans la banque avec les diamants pour ressortir quelques minutes plus tard les mains pleines de billets. Cent mille dollars en tout. Après avoir procédé au partage, nous marchons dans la ville jusqu'à tomber sur Noodles au volant de son break.
-Je vous dépose quelque part les bleus-bite?
-Si tu connais un endroit où on peut manger et dormir on est preneurs. Dit Jack.
-Et boire un coup, c'est possible dans ce pays? Sourit Ritchie.
-Montez, je connais le coin parfait.
Huit mois. Huit longs mois ont passé. Huit mois que nous sommes en Afrique. Huit mois que nous combattons presque quotidiennement. Huit mois que nous nous enrichissons au fur et à mesure que nous tuons ceux qu'on nous ordonne de tuer. En huit mois, nous sommes devenus des soldats, que dis-je, des guerriers hors-pair, des tueurs d'exception, des combattants aguerris.
En huit mois nous avons eu de nouvelles cicatrices. De nouveaux tatouages aussi. Nous avons fait de nouvelles connaissances, nous avons perdu plusieurs personnes auxquelles nous nous étions attachées. Des autochtones, d'autres Européens, des mercenaires, des camarades. Nous avons parcouru le pays en long, en large et en travers, nous nous sommes battus dans la brousse, nous avons parcouru la jungle, nous nous sommes empêtrés dans les marécages, nous avons participé à nombre d'émeutes et de combats de rue, toujours dans un camp différent, toujours dans le camp qui nous proposait plus d'argent.
En huit mois, nous avons acquis une grande notoriété aussi. Le plus gros coup que nous ayons fait, il y à trois mois, nous à valu une réputation prédateurs qui a parcouru tout le pays comme un souffle. Pour le compte de l'Union du Peuple, qui avait réussi à amasser assez d'argent pour se payer nos services, nous avons fait sauter le QG du PLN. Diakité et toute sa clique de nerveux de la gâchette y sont restés. Bien évidemment, les représailles des quelques fanatiques survivants du PLN et des militaires corrompus se sont abattues sur les civils dès le lendemain du coup de main.
Et nous n'avons rien fait. Nous n'avons pas empêché le massacre des villageois. Il n'y avait pour nous pas d'intérêt. Souvent, en y repensant, je me dis que nous aurions dû agir, ne serait-ce que tirer quelques rafales de mitrailleuse sur le convoi de l'armée, leur lancer quelques obus de mortier. Au lieu de ça, nous sommes restés dans notre planque, le petit bar que Noodles nous avait fait découvrir peu après notre arrivée, alors que nous n'étions que des bleus, et où nous passons le plus clair de notre temps. Tous les mercenaires du coin se retrouvent là bas. Nigériens, Européens, Américains, Asiatiques. On discute, on paye un coup au pote tout en se disant que le lendemain on sera peut être face à face, arme au poing.
Je ne sais combien d'hommes j'ai flingués depuis notre arrivée en Afrique. Peut être une cinquantaine. Nous sommes certainement, Jack, Ritchie et moi, les mercenaires les plus connus actuellement dans le coin. Si Ritchie est assez content de cette notoriété, personnellement elle m'inquiète de plus en plus. Non content d'être sur le qui-vive en permanence à cause de quelques miliciens qui voudraient nous avoir, tuer le Loup Blanc, être le nouveau maitre de Niamey, je crains que cette notoriété aille jusqu'aux oreilles d'Interpol, de journalistes, ou pis encore, des services secrets étrangers.
C'est justement ce soir, alors que nous sommes tous trois assis autours de notre table fétiche, dans l'ombre, tout au fond du bar, qu'un type entre. Il porte encore sa cravate et ses manches et son col de chemise sont blancs comme neige. Le mec, âgé d'une petite trentaine d'années, n'a pas l'air dans son assiette. Il sue comme moi lorsque j'ai débarqué dans ce foutu pays. Il s'installe au comptoir et demande un grand verre d'eau. C'est pas normal.
Rapide coup d'½il à mes acolytes qui hochent la tête. Nous nous levons et nous dirigeons vers le gugusse.
Je m'installe face à lui. Semblant un peu craintif, il fixeson regard sur mes Pataugas.
-T'es perdu, étranger?
Ses yeux remontent lentement, parcourent mes bras tatoués. La flamme sur le poignet, le poignard qui prend tout l'avant bras, la toile d'araignée sur le coude, l'as de pique au triceps, la tête de mort sur l'épaule, la Croix sur le cou, mon visage dur comme un bloc de pierre et les cicatrices qui le parcourent ça et là, puis mes yeux.
-Je viens d'arriver et...
-Par l'avion? L'interromps Ritchie derrière lui.
-Non, je...
-Par le bus alors? Dit Jack qui le scrute depuis son tabouret à coté de Ritchie.
-Non, en fait...
-Ah! Bah oui c'est logique! S'exclame Ritchie, l'aéroport a été pulvérisé et les routes sont tenues par les bandits et semées de barrages du PLN et du FLP. Tu viens pour nous, hm?
-Ton hélico s'est posé où? Parce que le coin n'est pas sûr. Ajoute Jack.
-Tu viens de quel pays? Conclus-je.
Le type ferme les yeux quelques secondes, prend une profonde inspiration, puis nous déballe son sac d'une traite :
-Agent Philippe Flaubert, Direction Générale de la Sécurité Extérieure.
-Tiens un barbouze! Je l'aurais jamais cru! Ironise Jack.
-Qu'est ce que vous cherchez ici, agent Flaubert de la DGSE? Nous ne sommes que des touristes, trois amis partis faire un safari.
-Conan Sauvant, Richard Resnil, Jack O'Reilly. De drôles de touristes en effet. Des touristes qui, en Europe, on une dizaine de chefs d'inculpation sur le dos. Homicides, braquage, association de malfaiteurs, trafic d'armes, et je ne cite que les meilleurs. Vous pensiez vraiment que faire cramer tout le Niger vous foutrait à l'abri? Huit mois qu'on vous piste. Ça n'a pas été de la tarte de vous retrouver, heureusement quand mes chefs ont entendu parler d'une bande de trois fous furieux qui se frayent un chemin à coups de machette et qui rafalent la gueule à tous ceux qui se foutent en travers de leur route, il ne nous a pas fallu un millième de seconde pour faire le rapprochement.
-Et maintenant, c'est quoi le topo? On te suit gentiment, sans faire d'histoire, on retourne en France pour se prendre perpet' dans la joie et la bonne humeur?
-J'ai peur que vous n'ayez pas le choix.
Le type saisit un micro dissimulé sous sa veste et le pose sur le comptoir.
-Ça, c'est des preuves. Et c'est aussi votre dernière chance de survie. Je n'ai qu'un mot à dire pour que les plus gros salopards des forces spéciales entrent et vous criblent de balles.
Brièvement, j'ai pensé à l'éventualité de me faire flinguer ici. Ça serait une belle mort après tout. Chopper le barbouze, lui foutre mon flingue sous le pif. Une vingtaine de mecs entrent, et on crève tous dans un déluge de feu. Oui vraiment, l'espace d'une seconde j'ai pensé à cette fin, tragique mais belle. Violente mais romantique. Je pense que mes deux Camarades ont aussi eu l'esprit traversé par cette idée de baroud d'honneur, de dernier carré.
La porte du bar s'ouvre, un groupe de militaires suréquipés pénètre dans la salle et nous encercle. Une quinzaine de points rouges s'accrochent à nos têtes et nos c½urs, et il ne faudrait même pas une fraction de seconde pour que ces lasers se transforment en cartouches de 5.56. T'as gagné Flaubert.
Le soleil se couche derrière les hauts plateaux qui bordent le Soudan. Nous arrivons enfin; après 12 heures d'avion, 3 jours à voyager au péril de nos vies dans le Sahara et quatre heures à traverser le pays dans un pick-up loin d'être confortable; dans la périphérie de Khartoum, la capitale située dans le centre nord du pays.
Le contact de Ritchie se trouve dans une baraque "pas trop loin de la route mais pas trop près non plus, à une demie douzaine de kilomètres de la ville."
-J'arrive pas à croire qu'on est devenus Mercenaires! Dit Jack qui est obligé de crier à cause du bruit du moteur.
-Ouais! C'est une aubaine pour nous que Bob Denard ait recruté dans les milieux hooligans dans les années 80! Répond Ritchie.
-Explique? Demandé-je.
-Ben, mon contact, avant d'être mercenaire, était un habitué des stades de foots, section bagarre. Son passé à l'armée lui a permis de bien savoir se battre! Un jour, il est tombé sur le mythique Bob Denard qui cherchait des types pour monter une opération. Mon contact avait même pas 25 ans, tu comprends qu'à cet âge là t'as besoin d'aventure! Il s'est établi au Soudan, ancienne colonie Anglaise où les Français ne sont pas chassés comme au Niger, et fait ses petites affaires. Maintenant il a plus de 45 balais, mais il est toujours prêt à monter au combat!
-Et c'est quoi le plan? Demande Jack.
C'est vrai ça. C'est quoi le plan? Nous nous sommes embarqués, presque sur un coup de tête, pour un safari à taille humaine en Afrique. On a tout plaqué en France, comme si l'on avait tiré un trait sur notre passé, pour aller se foutre ici et risquer d'y laisser des plumes, voir notre peau. Mais c'était ça, ou finir en taule... Même si honnêtement je pense que l'on serait mieux lotis dans une prison Française qu'Africaine.
Le plan donc, c'est de rejoindre la planque du contact de Ritchie afin qu'il nous donne des directives. Tout le continent est sous tension à présent, entre les prises d'otages au Sahel, les émeutes au Maghreb, les crises diplomatiques en Côte d'Ivoire ou au Soudan, les tension ethniques qui menacent encore aux quatre coins du continent...
Jack arrête le véhicule au beau milieu de la route, provocant un nuage de poussière. Une fois celui-ci dissipé, il nous désigne une sorte de hutte à 20 mètres de nous, au beau milieu de la savane.
-Ça serait pas cette bicoque par hasard?
-Je pense que si. Vas-y. Répond Ritchie.
Jack sort de la route et roule vers la baraque isolée. Il tire le frein à main et nous descendons tous les trois, la main posée sur nos poignards en cas d'ennui.
Ritchie tape à la porte :
-Jo?
-Qui est là?!
-C'est moi, Ritchie, je suis avec mes amis!
-Ah, Ritchie...
La porte en bois s'ouvre. Un type orné d'une barbe grise qui rejoint une longue chevelure poivre et sel se trouve derrière, une Kalachnikov dans la main. Son look ressemble à celui d'un chasseur.
-Je ne vous attendais plus. Dit-il en retournant s'assoir sur sa chaise en bois siroter sa bière.
-C'est qu'on a eu pas mal de problèmes pour entrer dans le pays depuis que le président a un mandat d'arrêt international sur le cul.
-Haha. Ouais, il ne fait pas bon d'être blanc dans le coin en ce moment. Allez y, asseyez vous. Voulez une binouze?
Nous nous installons sur un lit de camp posé dans un coin et nos gosiers secs acceptent très volontiers une bière bien fraiche. En ouvrant ma canette, j'observe le coin. La hutte doit faire 20 mètres carrés à tout péter. Une pièce unique, un lit de camp, un coffre métallique qui doit receler d'armes, une cible fixée au mur martyrisée par des couteaux de lancers et une petite glacière sont les uniques meubles de l'espace confiné.
-Alors les gars, on a eu des problèmes judiciaires en France?
-A vrai dire, nous sommes partis avant d'arriver à la case Justice.
-Haha, je comprends, on a pas mal de gars dans ce cas. Comment tu t'appelles?
-Conan.
-Et toi?
-Jack.
-Jacques comment?
-Jack O'Reilly.
-Ho! Irlandais?
-Exact.
-Bon. Ritchie, Conan, Jack, on va pas passer la journée à se renifler le trou du cul. Passons directement au briefing.
Il se lève et déploie sur la table une grande carte de l'Afrique autours de laquelle nous nous agglutinons.
-Vous êtes arrivés d'où?
-Égypte. On a acheté un pick-up sur place pour pouvoir voyager, il est presque à sec.
-Tu m'étonnes, c'est pas les bédouins qui vont vous filer de l'essence. Pas d'inquiétude pour ça, j'ai quelques jerrycans en réserve. Bon, le truc c'est que vous êtes ici, et que vous devez aller jusqu'à là.
Avec son doigt, il trace lentement une ligne qui semble interminable du Soudan jusqu'au... Niger.
-On va devoir se taper l'Afrique d'Est en Ouest. Dit Jack.
-Comme vous avez dû le remarquer, ça chie pas mal dans ce coin en ce moment. L'ordre établi par l'Union Ouest Africaine s'effrite peu à peu à cause de la débâcle de la politique Française en Afrique. Et ouais, finie la Françafrique, bonjour les Chinois et les Ricains! Nos deux Empires fétiches n'iraient pas se foutre dans ce genre de bourbier pour l'instant, c'est beaucoup trop le bordel. Et ça, ça laisse la place aux mercenaires indépendants comme vous et moi.
-Quelle sera notre mission exacte?
-Le pays regorge de mines d'Uranium, et peut être d'un important gisement de pétrole. Les multinationales le savent, mais depuis que leurs employés se font enlever par les rebelles et autres islamistes, ils évitent d'y foutre trop le pif. Ne parlons pas du tourisme proche du niveau zéro et des trafics en tout genre. Votre boulot sera de prendre contact avec mon gars sur la zone. Il a pu rassembler un petit groupe de mercenaires locaux, mais pas assez fiables ni organisés. Vous devrez être sur zone dans moins de cinq jours. Le gars en question est officiellement patron d'une station service à l'entrée de la ville. Je suppose que vous n'avez pas d'arme.
-Non, on a déjà eu du mal à faire passer nos poignards dans nos bagages.
-Mieux vaut ne pas se balader dans cette zone sans rien sur soi.
Jo se dirige vers le coffre et en sort trois Thompson usées jusqu'à la moelle.
-On va pas aller bien loin avec ça. Dit Ritchie.
-Ça c'est juste pour le voyage, mon gars sur place aura du meilleur matos pour vous. Le mot de passe est "Comment va le court du pétrole?" si il répond que c'est en hausse, c'est bon. Si il dit que c'est en baisse, c'est qu'il n'a rien pour vous, que la situation est intenable, que c'est trop chaud ou autre chose de pas bon, et là vous seriez dans la merde. Bon! Pas de question? Tant mieux. Le soir va tomber, je serais vous je voyagerais dès cette nuit.
Voilà trois bonnes heures que nous sommes partis. Jack commence à fatiguer, c'est lui qui s'est tapé tout le trajet pour aller du Caire à Khartoum. Je lui propose de le remplacer.
-Dis, t'as l'air crevé. Tu veux que je prenne le volant?
-C'est pas de refus, j'ai plus de bras... Hé Ritchie, on en est où?
Ritchie, toujours debout dans la benne du pick-up, observe l'infinie étendue de la savane plongée dans la nuit. Quand Jack l'interpelle, il s'assoit et prends en main la carte et la boussole.
-Normalement on est à un peu peu plus de dix kilomètres du Tchad.
-Bien. Conan, quand on aura passé la frontière je te laisse conduire.
-Dites les gars, vous avez pas remarqué que depuis cinq minutes y'a un véhicule derrière nous? S'inquiète Ritchie.
Je me retourne pour voir la route. En effet, à quelques centaines de mètres un 4x4 suit le même trajet que nous.
-T'as pas tord.
-Arrêtez de faire vos peureuses, vous savez combien y'a de routes dans ce foutu pays? C'est sûrement des types lambdas qui vont dans le même sens que nous.
-Des mecs qui roulent dans un pick-up tous feux éteints?
Jack regarde dans le rétroviseur et ralenti.
-Je vais les laisser passer.
Il agrippe le pistolet mitrailleur à ses pieds. Ritchie et moi nous préparons nous aussi à sortir nos Thompson des sacs de riz qui les abritent.
Le véhicule arrive, lentement, et s'arrête quelques mètres seulement derrière nous. Impossible de voir combien de types il y a dedans, il fait bien trop sombre. Nous passons quelques secondes à observer le tout-terrains. Lentement, nous armons nos PM, lentement, nous les mettons en joue.
Tout à coup, le conducteur allume les pleins phares dans notre gueule. Ça se met à gueuler dans tous les sens une sorte de mélange de dialecte Africain et d'Arabe. Une rafale part, je ne saurais dire qui a tiré. Il n'en faut pas plus pour que nous lâchions la sauce sur le véhicule considéré à présent comme ennemi. En à peine trois secondes, toutes les vitres et les phares du 4x4 derrière nous explosent. Les types à l'intérieur sont criblés de balles, et ceux au sol sont descendus comme des lapins.
-Les enflures, ils avaient des AK! Dit Ritchie.
Je me retourne. Merde! Un autre véhicule approche, cette fois très rapidement et les phares allumés. J'arrive à voir les miliciens armés dépasser de la benne derrière.
-Jack! Démarre vite, y'en a d'autres qui se ramènent!
Jack enclenche la première mais rien n'y fait, la tire ne veut pas démarrer. Pendant ce temps, les rebelles se rapprochent dangereusement. Le pick-up démarre enfin. Jack accélère comme un dingue et part à toute allure sur la route, ne laissant qu'une trainée de poussière derrière nous. Mais les assaillants nous rattrapent tout de même. Ils commencent à tirer au coup par coup. Ritchie et moi répliquons, mais il est impossible d'être précis à cette vitesse là et en étant remué dans tous les sens. Je ne sais pas combien de chevaux à leur véhicule sous son capot, mais ils arrivent à se mette côte à côte avec nous. Nous tirons quelques cartouches, faisant tomber l'un des deux types à l'arrière du pick-up sur la route à plus de 120 kilomètres/heure. Jack donne des coups de volant afin de faire sortir leur 4x4 de la route pour finalement les coller de si près que l'on pourrait tendre nos bras pour taper sur le chauffeur. Mais nous n'aurons pas le temps de le faire. Aucun de nous n'avait vu ce virage en épingle, et c'est la sortie de route, tout le monde part en couille.
Jack freine très violemment pour éviter de se prendre un rocher tandis que le conducteur rebelle fait des virages à 360 degrés à droite à gauche pour finalement arriver à immobiliser son véhicule à 20 mètres du notre. Nous descendons alors que notre tête tourne encore et, faute de munitions, nous ruons sur les ennemis. Ritchie attrape le tireur restant dans la benne à l'arrière du pick-up et le jette par terre avant de se mettre sur lui pour le rouer de coups. Jack tape la tête du chauffeur contre son volant, quant à moi je m'attèle au passager. A peine ai-je ouvert la portière que le type brandit un 9mm. Je lui saisis le bras et me pousse sur le coté pour éviter de me prendre les trois balle qu'il a eu le temps de tirer avant que je ne lui casse le poignet. Je profite de sa douleur soudaine pour le sortir du véhicule, saisir son arme et l'abattre. Je me retourne et vois Jack, qui me tourne le dos, se battre à coups de poings avec son milicien.
-Jack, baisse toi.
Il s'exécute. Je tire une balle qui frôle les courts cheveux de mon ami pour aller se loger dans la tête du rebelle. Ritchie est à présent en train d'étouffer le mitrailleur en lui enfonçant la tête dans le sable. Je lui demande de se pousser, et lorsqu'il le fait, tire une balle dans le visage enseveli du type. Mon coup de feu fait de l'écho dans cette vaste zone désertique. Un nuage de fumée et de poussière s'élève au dessus du cadavre et se dissipe lentement, et d'un coup tout redevient calme.
Nous n'avons même pas repris notre souffle que Jack se remet au volant et tente de redémarrer le pick-up qui a deux impacts dans le capot.
-J'espère que le moteur n'est pas mort, sinon on est dans la merde.
-Surtout que les gardes frontière ont dû entendre le grabuge. Dit Ritchie.
Après trois tours de clé, la caisse démarre enfin. Ritchie et moi y remontons. Je décide de prendre le volant pour passer la frontière car ce combat a fini d'épuiser Jack qui s'endort presque aussitôt après m'avoir laissé conduire, malgré l'adrénaline qui venait tout juste de retomber.
Nous arrivons à la frontière du Tchad à peine deux minutes après être repartis. Les quelques soldats qui y sont postés sont soit sourds, soit couards car ils semblent ne rien avoir entendu et font comme si de rien était alors que nous avons trois pistolets mitrailleurs à peine planqués sous une couverture à l'arrière et le visage et les mains pleins de poudre. Ils deviennent définitivement des alliés lorsque que je leur agite 100$ sous le nez. Je donne la liasse au chef qui nous laisse passer comme on le désire, avec ou sans armes, avec ou sans poudre sur la gueule. Le voyage jusqu'au Niger qui se déroule en deux jours tout de même est très tranquille avec seulement des routes désertiques. Nous ne marquons que trois arrêts pour manger, mettre de l'essence et chier.
Arrivés à la frontière Nigérienne, rebelote, nous achetons les gardes comme on achèterait une baguette de pain.
Plus que 900 kilomètres avant d'atteindre Niamey.
***
Niamey. Ses souks, sa foule, ses odeurs, sa route défoncée, ses bâtiments à la croisée entre le néo-crasseux et la tradition Africaine. Il nous aura fallu deux bons jours pour arriver jusqu'ici. Et ces deux jours n'étaient pas de tout repos. Par deux fois nous avons failli faire usage de nos armes. Une fois parce que nous étions suivis par des sortes de bédouins en 4x4 qui nous collaient depuis plus de trois heures, la deuxième parce qu'une bande d'excités, surement des voleurs des grands chemins, ont voulu une nuit nous faire tâter de la machette et déposer nos macchabées dans les fourrées au bord de la route après nous avoir plumés. Il va sans dire qu'une fois nos pistolets mitrailleurs sous le pif ils se sont sentis pousser des ailes.
Bref, je ne suis pas mécontent d'être enfin arrivé. Nous sommes aussi crades que notre pick-up qui a perdu sa couleur blanche au profit de celle de la terre rouge de ce pays.
-Ton pote nous a bien dit que le contact était dans une station-service? Demande Jack assis à la place du passager tandis que Ritchie essaye de rouler dans ce bordel infernal qu'est la périphérie de Niamey.
-Ouais.
-Y'avait pas un mot de passe? Demandai-je, debout dans la benne en train de dominer du regard la circulation anarchique.
-Comment va le court du pétrole. Si le type dit que c'est en hausse c'est bon. Sinon on se casse. Répond Ritchie.
-Hé, ça serait pas cette station-essence-ci? Demande Jack en désignant un petit bâtiment carré avec deux pompes à essence d'un autre siècle.
-On va vite le savoir. De toutes manière je suis sur la réserve.
Ritchie gare le pick-up devant une des pompes à essences. Nous avons la chance d'être seuls à attendre qu'un employé sorte.
Un type pousse la porte du bâtiment et se dirige vers nous. Blanc, la trentaine, des cheveux bruns en brosse. Il porte une chemise ouverte sur un torse orné de pendentifs en tous genres. Je remarque qu'il a aux pieds une paire de rangers.
-J'vous fait le plein? Demande-t-il d'une voix rauque.
-S'il vous plait. Répond Ritchie.
Le type ouvre le réservoir et y insère le bout de la pompe. Cinq secondes de silence lourd. Je me décide finalement à lâcher :
-Au fait... Comment est le court du pétrole?
Le type s'arrête et lève les yeux vers moi :
-Il semblerait qu'il soit en hausse.
-On peut discuter à l'intérieur?
-Allez-y. Laissez vot'bagnole ici.
Nous descendons tous du 4x4 et le suivons jusqu'à sa boutique.
-Qu'est ce que vous branliez? Ça va faire cinq jours que je fais le con à aller voir tous les mecs qui veulent faire le plein!
-On a eu pas mal de problèmes en venant. Répond Jack.
-Hm hm...
La fraicheur de la boutique donne un sentiment de paradis. Voilà quatre jours que nous passons notre temps dehors, sous un soleil écrasant, à transpirer comme des porcs, obligés de nous rationner en flotte.
-Vous avez soif?
-Ouais...
-Ben démerdez vous, j'ai plus rien ici. Personne n'a plus rien dans ce putain de pays, tout part en couille. J'espère qu'on m'a pas raconté de conneries à votre propos. Regardez moi ce bordel sur la route. Des mecs qui fuient vers la capitale à cause des groupes de rebelles, des mecs qui fuient de la ville parce qu'on y trouve plus rien à bouffer et qu'on peut plus sortir sans risquer d'être pris dans une émeute. Putain de foutoir. Bon, on va pas se branler toute la journée. Montez dans ma caisse, c'est la Nevada garée dans la ruelle derrière. Je vous rejoint.
Nous sortons par la porte de secours et marchons dans la ruelle pleine de détritus. Le soleil tape sur les ordures et l'odeur est insupportable. C'est presque aussi gerbant quand nous entrons dans le break, apparemment garé ici depuis un bon bout de temps. Un vrai four, irrespirable, et je ne parle pas de l'odeur de sueur collée aux sièges.
Le gars arrive nonchalamment et démarre la vieille caisse.
-C'est quoi vos blasons?
-Eux c'est Ritchie et Jack et moi c'est Conan.
-M'avez l'air d'une belle triplette de bras cassés, j'donne pas cher de votre peau ici.
-Et toi, ton nom c'est quoi? Demande Jack qui commence à s'énerver.
-Vous n'avez pas à savoir mon nom.
-Si on bosse ensemble ça serait plus pratique. Ironise Ritchie.
-Qui vous à dit que j'étais un de ces mercenaires? Je suis juste le messager, je touche ma com', point barre.
-C'est pour ça que derrière ton comptoir t'as un canon scié et à ta cheville un poignard? Dit-je.
Le type se range sur le coté de la route et se tourne vers nous :
-Écoutez, bande de branleurs que vous êtes, ici c'est moi qui pose les questions, pour l'instant vous n'êtes rien sans moi, que des chiures de fourmi. Tout ce qui a de la valeur chez vous, c'est vos putains de burnes de blancs qui feraient un tabac au marché noir! Alors maintenant tout le monde ferme sa gueule et le voyage se passera bien, c'est bien compris?!
On ferme nos gueules. Après un long trajet nous arrivons enfin au centre ville bondé. Nous continuons à pied tant il y a de foutoir et suivons notre guide jusqu'à un bâtiment colonial blanc et empoussiéré. Deux types, un blanc et un noir, montent la garde devant la porte d'entrée. Pas besoin d'être observateur pour remarquer la forme de la grosse de leurs pistolets qui se dessine sous leur t-shirt. Les types stoppent le gars et nous désignent d'un signe de tête.
-Ça va, ils viennent pour du boulot.
L'un des gars nous ouvre la porte. Nous pénétrons à l'intérieur de la grande maison qui semble déserte si ce n'est les meubles luxueux mais pleins de crasse et le tapis de fourrure au sol.
-Ils doivent être à l'étage, amenez-vous.
Nous montons des escaliers en bois et faisons face à une porte. Derrière nous une autre claque. Un type en arme sort de la pièce. Il parle un dialecte Africain, ce à quoi répond notre guide, dans la même langue.
Le garde va finalement taper à la porte qui nous fait face, l'ouvre et dit en très mauvais Français que Noodles veut le voir avec trois hommes. Jack réfrène un rire :
-Noodles. Un surnom aussi merdique, je comprends qu'il veuille pas nous le donner.
Une voix masculine nous disant d'entrer provient du bureau face à nous. Nous pénétrons donc dans la petite pièce décorée de bustes d'animaux sauvages et de lances aux mur. Derrière un bureau d'ébène, un gros type fait glisser un stylo en ivoire entre ses doigts boudinés. Sur le coup j'ai l'impression de voir Youssouf, en moins grand. Le type, dont la gorge semble obstruée par un amas de graisse et de glaire, nous dit d'une voix puissante :
-Alors comme ça c'est vous les nouveau blancs qu'on attendait? Appelez moi Monsieur Diakité. Je suis celui qui vous couvrira d'argent si vous en êtes dignes, mais je peux être celui qui vous décapite avec votre propre machette si vous essayez de me niquer. Revenez me voir cet après-midi, vers 5 heures. En attendant, Noodles vous fera visiter la ville.
Nous sortons tous les quatre. Qui est ce gros tas? Quel boulot devra-t-on faire à cinq heures du soir? Combien seront-nous payés? Trop de question, d'une trop grande importance, qui restent sans réponse... Et ça, ça me casse les couilles.
Noodles n'est finalement pas si détestable que ça. Nous marchons tout le début d'après midi dans les rues animées de Niamey. D'après notre guide, ici, on peut rire ensemble et deux minutes plus tard s'entretuer à coups de machette. Alors nous ne rigolerons avec personne.
-Qui c'est ce Diakité? Demande Ritchie au détour d'une rue polluée comme pas possible.
-L'un de mes "employeurs". C'est le chef de la plus importante faction du pays, le PLN, le Parti pour la Libération du Niger.
-Libération de quoi? Il a l'air plutôt riche pour se dire libérateur de quelque chose d'autre qu'un paquet d'oseille. Demande Jack.
-De rien du tout, c'est comme toutes les milices armées sur ce continent, c'est toujours le parti de machin truc, le front de quelque chose, le bidule pour l'indépendance de ceci, l'union de cela pour libérer telle ou telle région. Juste des noms pompeux qui rendent les massacres de villages entiers un peu plus nobles. Mais nous on s'en branle, n'oubliez pas : pas d'accroche. Ici, on est free-lance, on ne porte allégeance à rien ni à personne. D'une parce que trop s'impliquer, ça implique justement trop de problèmes, et de deux parce qu'on se fait beaucoup plus de blé.
-En gros, aujourd'hui on se bat pour eux et demain on peut se battre contre leurs pires ennemis?
-On ne se bat pour rien d'autre que l'argent, n'oublie jamais ça l'Irlandais. Certains se battent pour une cause, d'autre parce qu'ils s'emmerdent, mais au final on se fait un sacré paquet.
-Et leurs ennemis justement, qui c'est? Demandé-je.
-La deuxième plus grosse faction, le Front de Lutte Populaire. Populaire pour qui, j'peux pas vous le dire, c'est simplement l'alliance des plus gros trafiquants du coin qui se sont mis en tête de faire un coup d'état. Il ne faut pas oublier que le PLN et le gouvernement, c'est kif-kif. D'ailleurs l'armée, très bien payée et corrompue jusqu'à la moelle, ferme les yeux sur nombre d'exactions de la part des hommes du PLN. Et enfin, il y a l'Union du Peuple. Eux, ce ne sont rien qu'une bande de pauvre bougres qui se sont alliés avec le peu de matériel qu'ils ont pour tenter de protéger leurs terres et leurs villages des pillages et des expéditions d'un camp ou de l'autre. Même si ça ne me surprendrais pas qu'ils soient eux aussi dirigés par un chefaillon narcissique et bling-bling.
PLN, FLP, UP, armée, gouvernement, trafiquants, pirates, rebelles. Un bon gros bordel face à nous. Et encore, nous serons sûrement amenés tantôt à combattre contre les uns pour le compte des autres, puis demain de se battre aux cotés des uns pour foutre sur la gueule des autres. Sacré foutoir.
Quatre heures moins dix. Nous retournons au QG. Les deux gardes endormis à la porte ne nous reconnaissent même pas, Jack, Ritchie et moi. Après que Noodles leur ait gueulé dessus ils nous laissent passer. Nous allons voir Diakité debout devant sa fenêtre, en tenue militaire.
-Allez voir mes hommes en bas. Ils sont derrière la maison.
Sans dire mot, nous descendons et allons derrière la grande bâtisse tandis que Noodles et Diakité s'assoient au bureau prendre un verre sous l'air frais du ventilo.
Une demi douzaine de types en tenue paramilitaire, tous des autochtones, sont accoudés contre un vieux camion de l'armée. L'un d'entre eux, béret rouge sur la tête, lunettes noires sur le nez et rangers cradingues s'approche de nous.
-Vous les blancs, vous savez vous battre?
-J'espère que c'est de la rhétorique. Si on savait pas se battre on serait pas ici pour le tourisme et la faune locale. S'énerve Ritchie.
Je reprends :
-Bien sur qu'on sait se battre. La question est : est-ce que vous avez des armes, et est-ce qu'un jour quelqu'un va se décider à nous dire quel est le boulot?
-Tenez, prenez ça. Nous dit le petit chef en nous tendant trois fusils d'assaut usés jusqu'à la moelle. Alors que mes deux amis ont des AK-47, je me retrouve avec le long, lourd et massif HK G3.
-On va détruire un village de FLP. Il faut faire un exemple!
Les types derrière lui se mettent à beugler en levant leurs armes.
-On va détruire le FLP, aujourd'hui!
Mêmes beuglements.
-Allez, on y va!
Tous les types s'empressent de monter dans les GMC. Nous faisons de même, sans grand enthousiasme.
Le camion démarre et se met en route pour l'extérieur de la ville. Le chauffeur est un vrai danger public, et dans les bouchons les tarés qui sont avec nous n'hésitent pas à foutre de grands coups de lattes dans les voitures qui nous collent de trop près. Alors que c'est l'euphorie chez les troufions, Ritchie, Jack et moi commençons à désespérer.
-On va y rester. On va y rester bordel. Dit Ritchie en prenant sa tête dans les mains.
-J'ai déjà vu des abrutis dans ma vie de shit, mais alors là je dois avouer que c'est le bouquet.
-Reprenez-vous les mecs. On n'en à rien à foutre d'eux. N'oubliez pas ce qu'a dit Noodles, on ne porte allégeance à personne, on est ici pour nos intérêts. Ce type n'est pas notre chef, il a ses propres hommes et on les emmerde, ils font comme ils veulent pour se battre. Nous on se connait, on bosse ensemble, point barre.
Je jette un coup d'½il à ma pétoire. Ce qu'elle est en mauvais état. Et un chargeur pour déloger des miliciens d'un village entier, ça va pas le faire.
Après une petite heure de trajet sur une route déserte de savane, nous arrivons au village sous un ciel orangé.
Le camion s'arrête à cinq cent mètres de la première maison en torchis. Je crois que si il avait fait ne serait-ce qu'un mètre de plus j'aurais sauté en marche. Nous devons avoir été repéré par tous les gardes du coin, et le plus chiant c'est que de nous au village, il n'y a qu'une étendue d'herbe sèche, sans aucun abris mis à part quelques arbres. Bravo les commandos du PLN.
-Bon, combien de types on a en face? Demande Ritchie en armant sa Kalach.
-Je ne sais pas, mais on va les buter! Tous les buter! Répond l'autre hystérique à béret.
-Super programme, et combien de civils?
-Apparemment y'a pas de civils, tous les rebelles les ont chassés.
C'est au moins une info...
Alors que Jack s'apprête à demander qui est le mitrailleur pour le tir de couverture, les miliciens se mettent à hurler en courant vers le village, fusil d'assaut à la hanche. Un type posté à une fenêtre armé d'un PKM se met à joyeusement nous arroser et deux gougnafiers se retrouvent la gueule dans l'herbe avant de comprendre quoi que ce soit. Il faut être fou, ou défoncé, ou les deux pour courir à cette mort certaine comme ça.
-Venez voir! Dit Ritchie après avoir rampé un peu plus à l'écart. Nous le rejoignons tête baissée tandis que les balles nous sifflent aux oreilles. Notre ami est baigné dans une petite rigole d'eau creusée à même la terre, et juste assez profonde pour nous permettre d'avancer à plat ventre jusqu'à l'est du village sans se faire remarquer.
Nous rampons, à l'abri derrière un petit talus dans notre gouttière paysanne, les avant bras et les jambes plongés dans la flotte.
Nous arrivons enfin au petit village. Quelques huttes et chaumières en terre cuite, une place centrale, des sacs de riz, des cadavres pourrissants...
Je passe devant et m'adosse à une petite case. Je jette un coup d'½il au village : il y a sept petites habitations qu'il nous faudra fouiller une à une. Cinq miliciens armés sont à l'extérieur. En train d'arroser nos "alliés" qui sont surement bloqués par le tir de barrage, ils nous tournent le dos et ne prêtent pas attention aux éventuels dangers qui pourraient les surprendre. Je fais signe à Jack et Ritchie de me rejoindre.
-Choisissez vos cibles.
Je mets l'un des types en joue. Mes deux amis choisissent les types à droite et à gauche de ma future victime.
Je tire une balle. Dieu, cette arme est lourde et chiante à manier, mais elle tape fort. Le garde s'écroule en avant comme si il avait reçu un violent coup dans le dos. Les AK de Jack et Ritchie se mettent à crépiter des deux cotés, si bien que je suis assourdi. Les deux autre gars se retournent et se mettent à courir dans tous les sens. J'en déglingue un autre de deux balles et Jack s'occupe du dernier pendant que Ritchie investit la première baraque. Quelques tirs, un cri, puis Ritch ressort.
Une à une, nous fouillons toutes les maisons, pour la plupart vides, tandis que le type à la PKM continue de s'en donner à c½ur joie sur les autres gougnafiers.
Étant donné que nous butons chaque ennemi que nous trouvons, je me retrouve à court de munitions. Je récupère un 45 sur la dépouille d'un mort et me dirige vers la dernière chaumière que nous n'ayons fouillée, celle du mitrailleur.
Je passe en premier, suivi de Jack puis de Ritchie. Arme au poing, j'avance lentement et passe le petit rideau qui sépare l'entrée de la pièce principale. A quelques mètres de moi le type est la, à tirer en hurlant avec sa machine enfumée. Les douilles recouvrent le sol de la pièce et continuent de tomber les unes sur les autres, de rouler, de virevolter, de rebondir.
J'approche du garde, met mon arme tout près de sa nuque et tire. Le type s'écroule sur sa machine pour au final faire décrocher le bipied posé sur le bord de la fenêtre et tout faire tomber sur sa gueule.
Je me tourne vers Jack :
-Il est raide. Tu peux dire aux autre abrutis qu'on a pris le contrôle du village.
Nous ne sommes plus que trois dans le camion : Ritchie, Jack et moi même. Tous les autres ont été massacrés avant d'avoir pu approcher à vingt mètres du camp. Le seul survivant était le petit chef gueulard, à moitié trucidé par une rafale de mitrailleuse. Nous l'avons achevé avant que ses cris ne nous rendent dingues. D'ici à la tombée de la nuit nous serons à Niamey.
Retour au QG du PLN. Diakité, qui a du entendre le moteur du GMC, se penche à son balcon. En nous voyant revenir seuls, il semble furieux. Alors que je gare le camion dans la cour à l'arrière du bâtiment, il avance vers nous, le visage rougit par le soleil couchant.
-Où sont les autres?
-Morts. Rétorque Jack du tac-au-tac en mettant sa Kalach dans le dos.
-Comment ça morts?
Je prends la parole :
-Vos gars ne sont pas des soldats, juste une bande de drogués complètement tarés qui ont failli tous nous faire tuer. On à dû reprendre le village à trois pendant que vos gars se faisaient massacrer. Si vous n'êtes pas contents on peut louer nos services au mecs d'en face.
-Non, non. Vous avez donc repris le village?
-Dans le cas contraire nous ne serions pas là.
-Alors vous serez récompensés. Suivez moi dans mon bureau.
Nous suivons Diakité dans la maison coloniale. Arrivé dans la pièce, il se dirige vers son coffre-fort, compose un code à quatre chiffres. Le lourd cube blindé s'ouvre et nous fait miroiter sous les yeux des bijoux, diamants et plusieurs centaines de billets de banque. Diakité saisit trois diamants de taille identique et nous les tends.
-Tenez, la banque au coin de la rue vous en donnera un bon prix.
-Vous pourriez racheter le pays avec tout ce que vous avez dans ce coffre. Dit Ritchie.
-Qu'est ce que tu crois que je suis en train de faire? S'exclame Diakité.
Alors que nous repartons, ils nous arrête et saisit son téléphone avant de dire quelque chose en Haoussa.
En raccrochant il nous fait :
-Je sais toujours récompenser mes soldats.
Quelques secondes plus tard un type avec une tronche de Slave entre. Il porte un costume sur-mesure impeccable et tient dans sa main une épaisse mallette qu'il pose sur le bureau. Ritchie l'ouvre. La mallette nous dévoile 3 AK 74 semblant tout droit sorties d'usine, ainsi que plusieurs chargeurs disposés autours des armes.
-Tâchez de bien les entretenir. Nous dit le marchant d'armes avec un fort accent Russe.
Nous sortons du bâtiment, fusil d'assaut sur l'épaule. Il semble qu'ici ce soit une chose normale que d'être armé jusqu'aux dents. Jack entre dans la banque avec les diamants pour ressortir quelques minutes plus tard les mains pleines de billets. Cent mille dollars en tout. Après avoir procédé au partage, nous marchons dans la ville jusqu'à tomber sur Noodles au volant de son break.
-Je vous dépose quelque part les bleus-bite?
-Si tu connais un endroit où on peut manger et dormir on est preneurs. Dit Jack.
-Et boire un coup, c'est possible dans ce pays? Sourit Ritchie.
-Montez, je connais le coin parfait.
Huit mois. Huit longs mois ont passé. Huit mois que nous sommes en Afrique. Huit mois que nous combattons presque quotidiennement. Huit mois que nous nous enrichissons au fur et à mesure que nous tuons ceux qu'on nous ordonne de tuer. En huit mois, nous sommes devenus des soldats, que dis-je, des guerriers hors-pair, des tueurs d'exception, des combattants aguerris.
En huit mois nous avons eu de nouvelles cicatrices. De nouveaux tatouages aussi. Nous avons fait de nouvelles connaissances, nous avons perdu plusieurs personnes auxquelles nous nous étions attachées. Des autochtones, d'autres Européens, des mercenaires, des camarades. Nous avons parcouru le pays en long, en large et en travers, nous nous sommes battus dans la brousse, nous avons parcouru la jungle, nous nous sommes empêtrés dans les marécages, nous avons participé à nombre d'émeutes et de combats de rue, toujours dans un camp différent, toujours dans le camp qui nous proposait plus d'argent.
En huit mois, nous avons acquis une grande notoriété aussi. Le plus gros coup que nous ayons fait, il y à trois mois, nous à valu une réputation prédateurs qui a parcouru tout le pays comme un souffle. Pour le compte de l'Union du Peuple, qui avait réussi à amasser assez d'argent pour se payer nos services, nous avons fait sauter le QG du PLN. Diakité et toute sa clique de nerveux de la gâchette y sont restés. Bien évidemment, les représailles des quelques fanatiques survivants du PLN et des militaires corrompus se sont abattues sur les civils dès le lendemain du coup de main.
Et nous n'avons rien fait. Nous n'avons pas empêché le massacre des villageois. Il n'y avait pour nous pas d'intérêt. Souvent, en y repensant, je me dis que nous aurions dû agir, ne serait-ce que tirer quelques rafales de mitrailleuse sur le convoi de l'armée, leur lancer quelques obus de mortier. Au lieu de ça, nous sommes restés dans notre planque, le petit bar que Noodles nous avait fait découvrir peu après notre arrivée, alors que nous n'étions que des bleus, et où nous passons le plus clair de notre temps. Tous les mercenaires du coin se retrouvent là bas. Nigériens, Européens, Américains, Asiatiques. On discute, on paye un coup au pote tout en se disant que le lendemain on sera peut être face à face, arme au poing.
Je ne sais combien d'hommes j'ai flingués depuis notre arrivée en Afrique. Peut être une cinquantaine. Nous sommes certainement, Jack, Ritchie et moi, les mercenaires les plus connus actuellement dans le coin. Si Ritchie est assez content de cette notoriété, personnellement elle m'inquiète de plus en plus. Non content d'être sur le qui-vive en permanence à cause de quelques miliciens qui voudraient nous avoir, tuer le Loup Blanc, être le nouveau maitre de Niamey, je crains que cette notoriété aille jusqu'aux oreilles d'Interpol, de journalistes, ou pis encore, des services secrets étrangers.
C'est justement ce soir, alors que nous sommes tous trois assis autours de notre table fétiche, dans l'ombre, tout au fond du bar, qu'un type entre. Il porte encore sa cravate et ses manches et son col de chemise sont blancs comme neige. Le mec, âgé d'une petite trentaine d'années, n'a pas l'air dans son assiette. Il sue comme moi lorsque j'ai débarqué dans ce foutu pays. Il s'installe au comptoir et demande un grand verre d'eau. C'est pas normal.
Rapide coup d'½il à mes acolytes qui hochent la tête. Nous nous levons et nous dirigeons vers le gugusse.
Je m'installe face à lui. Semblant un peu craintif, il fixeson regard sur mes Pataugas.
-T'es perdu, étranger?
Ses yeux remontent lentement, parcourent mes bras tatoués. La flamme sur le poignet, le poignard qui prend tout l'avant bras, la toile d'araignée sur le coude, l'as de pique au triceps, la tête de mort sur l'épaule, la Croix sur le cou, mon visage dur comme un bloc de pierre et les cicatrices qui le parcourent ça et là, puis mes yeux.
-Je viens d'arriver et...
-Par l'avion? L'interromps Ritchie derrière lui.
-Non, je...
-Par le bus alors? Dit Jack qui le scrute depuis son tabouret à coté de Ritchie.
-Non, en fait...
-Ah! Bah oui c'est logique! S'exclame Ritchie, l'aéroport a été pulvérisé et les routes sont tenues par les bandits et semées de barrages du PLN et du FLP. Tu viens pour nous, hm?
-Ton hélico s'est posé où? Parce que le coin n'est pas sûr. Ajoute Jack.
-Tu viens de quel pays? Conclus-je.
Le type ferme les yeux quelques secondes, prend une profonde inspiration, puis nous déballe son sac d'une traite :
-Agent Philippe Flaubert, Direction Générale de la Sécurité Extérieure.
-Tiens un barbouze! Je l'aurais jamais cru! Ironise Jack.
-Qu'est ce que vous cherchez ici, agent Flaubert de la DGSE? Nous ne sommes que des touristes, trois amis partis faire un safari.
-Conan Sauvant, Richard Resnil, Jack O'Reilly. De drôles de touristes en effet. Des touristes qui, en Europe, on une dizaine de chefs d'inculpation sur le dos. Homicides, braquage, association de malfaiteurs, trafic d'armes, et je ne cite que les meilleurs. Vous pensiez vraiment que faire cramer tout le Niger vous foutrait à l'abri? Huit mois qu'on vous piste. Ça n'a pas été de la tarte de vous retrouver, heureusement quand mes chefs ont entendu parler d'une bande de trois fous furieux qui se frayent un chemin à coups de machette et qui rafalent la gueule à tous ceux qui se foutent en travers de leur route, il ne nous a pas fallu un millième de seconde pour faire le rapprochement.
-Et maintenant, c'est quoi le topo? On te suit gentiment, sans faire d'histoire, on retourne en France pour se prendre perpet' dans la joie et la bonne humeur?
-J'ai peur que vous n'ayez pas le choix.
Le type saisit un micro dissimulé sous sa veste et le pose sur le comptoir.
-Ça, c'est des preuves. Et c'est aussi votre dernière chance de survie. Je n'ai qu'un mot à dire pour que les plus gros salopards des forces spéciales entrent et vous criblent de balles.
Brièvement, j'ai pensé à l'éventualité de me faire flinguer ici. Ça serait une belle mort après tout. Chopper le barbouze, lui foutre mon flingue sous le pif. Une vingtaine de mecs entrent, et on crève tous dans un déluge de feu. Oui vraiment, l'espace d'une seconde j'ai pensé à cette fin, tragique mais belle. Violente mais romantique. Je pense que mes deux Camarades ont aussi eu l'esprit traversé par cette idée de baroud d'honneur, de dernier carré.
La porte du bar s'ouvre, un groupe de militaires suréquipés pénètre dans la salle et nous encercle. Une quinzaine de points rouges s'accrochent à nos têtes et nos c½urs, et il ne faudrait même pas une fraction de seconde pour que ces lasers se transforment en cartouches de 5.56. T'as gagné Flaubert.
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