<h1>Noelfic</h1>

Le chevalier lapin


Par : Cérate

Genre : Nawak

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 13

Publié le 03/10/10 à 18:29:36 par Cérate

La maison des drapiers était extrêmement luxueuse et elle impressionna fortement Julie à son entrée, même si elle s'efforça — avec succès — de ne rien laisser paraître.
La porte donnait sur un salon assez grand pour accueillir toute la famille de la jeune fille, plus les bêtes qui logeaient normalement dans leur cahute.
Logé sur le côté gauche de la pièce, tel un énorme serpent, un escalier en bois massif s'incurvait contre le mur, pour finir par se prolonger, au premier étage, en une mezzanine décorée de motifs sculptés – fuseaux et quenouilles, pelotes de laine délicatement taillées, tout était fait pour rappeler que la fortune de la maisonnée reposait sur le commerce des étoffes. Adossée au mur opposé se trouvait une grosse cheminée abritant un feu ronflant, aux pierres peintes alternativement de rouge et de blanc, et devant laquelle des fauteuils et une table hors de prix semblaient inviter à se faire masser les pieds. — Ce que Bertille, malgré son caractère de taureau en colère et ses mains calleuses, faisait fort bien. Le salon était presque entièrement recouvert de plusieurs tapis épais, laissant à peine deviner, entre deux, la couleur ocre de tomettes de grande qualité. L'ensemble aurait pu paraître presque oppressant dans son opulence prétentieuse si d'énormes fenêtres ne laissaient entrer une grande quantité de lumière, à peine voilée par des étoffes d'un rose satinée. Ces rideaux légers paraissaient de si grande qualité qu'on les devinait choisis par le maître des lieux en personne, parmi les plus belles pièces de son stock.
Julie sourit en les voyant : elle n'était pas venue pour rien.
- Je vous en prie, asseyez-vous, lui dit son hôte, en rapprochant un fauteuil de la cheminée. Bertille, prépare-nous à boire s'il te plaît. Que désirez-vous, Madame, du cidre, de la liqueur de prune ?
- Le cidre fera très bien l'affaire, je vous remercie.
La servante s'éclipsa, et la jeune fille entra tout de suite dans le vif du sujet, sans attendre les rafraîchissements.
- Je m'appelle Éléonore, et je suis la fille du Maitre drapier. Mon père est au marché pour la journée, à apprendre les ficelles de la vente à notre nouvel employé, mais je suis parfaitement à même de le remplacer.
Ce qui, par force de travail et d'acharnement, était tout à fait vrai. Car, vous l'aurez reconnu, Éléonore était le jeune bébé à qui les sœurs fées avaient un jour prédit un certain don pour la vente.
- Alors, quelles affaires vous amènent dans notre cité ?
- D'abord, je voudrais vous remercier de m'accorder de votre temps. Je sais qu'il est précieux, j'essayerais donc d'être aussi rapide que possible. Je m'appelle Julie, je représente le sieur Gontrand, de la ville d'Yssingeaux, comme vous l'apprendra cette lettre.
Elle déroula sur la table un rouleau frappé d'un sceau de cire rouge, qu'Éléonore ne regarda que distraitement.
- Il a reçu récemment une commande très importante de la cour du Roi Eymerich, dont le château a été dévasté par des mites sauteuses il y a quelques semaines. Celles-là ont été particulièrement voraces, une vraie plaie pour le château, et un vrai bonheur pour nous autres drapiers, dit-elle avec un léger sourire. Et donc, il n'y a maintenant plus une seule étoffe qui ne soit en lambeaux là-bas...bien évidemment le Roi Eymerich est décidé à se réapprovisionner.
En commerçante avisée, Éléonore ne répondit rien, et invita son interlocutrice à continuer d'un hochement de tête.
- C'est mon tuteur qui a remporté le marché. Mais notre stock n'est pas assez important pour fournir une forteresse de cette taille, avec tous les vêtements ruinés, les rideaux déchirés et les draps lacérés que ces bestioles ont laissés. C'est pourquoi Monsieur Gontrand m'a chargé de faire la tournée des négociants afin de rassembler assez de tissus de qualité pour fournir Sa Majesté.
La discussion fut interrompue par un claquement de porte, suivi du bruit léger de chaussures cloutées sur le sol : pas de doute, Bertille, dont le pas évoquait la grâce et la discrétion d'un sanglier boiteux traversant un buisson de ronces, arrivait déjà avec les boissons. Julie se força à se redresser dans le fauteuil moelleux, tandis qu'on la servait, car son maintien comme son éducation devaient paraître parfaits pendant cet entretien.
Puis elle reprit, avec ce sourire charmeur que les commerçants acquièrent après des années d'expérience, et que les serpents ont d'instinct :
- Nous aimerions acheter environ quatre mille aunes de tissus à usage vestimentaire, et pour mille aunes de rideaux. Nous avons déjà eu des offres de plusieurs autres marchands, mais je pense que votre père et vous pourrez proposer un prix nettement plus bas, n'est-ce pas ?
- J'ai effectivement entendu parler des déboires du Roi Eymerich. C'est à croire que les mites sauteuses ont été inventées par Dieu pour faciliter nos affaires !
Ce qui n'était pas si loin de la vérité, même si la responsabilité était plutôt à chercher du côté d'un obscur alchimiste, qui, une centaine d'années plus tôt, avait décidé d'abandonner son rêve insensé de création de mouches ailées pour se tourner vers le commerce florissant du drap. Malheureusement, son talent pour les affaires était bien plus mauvais que ses capacités à faire sauter son laboratoire. Il décida finalement d'utiliser ses connaissances en bio-ingénierie pour, patiemment, croisements après croisements, créer cet insecte glouton, à même de ruiner tous ses concurrents. Ce fut sa plus brillante invention, qu'il alla même jusqu'à tester – quel professionnalisme ! — sur sa propre réserve de laine. Ruiné, il se pendit quelques jours plus tard.
- Quatre mille aunes ? Cela représente une grosse quantité, même pour nous, dit Éléonore. J'ai bien peur que nos réserves soient trop faibles pour assurer nos commandes habituelles, plus la vôtre. Vous comprenez bien qu'il n'est pas dans notre intérêt de mécontenter nos clients réguliers... Sauf si le jeu en vaut la chandelle. Quels prix vous ont proposés les autres marchands ?

La suite n'étant qu'une succession ininterrompue de discussions mesquines et d'arguments de vente plus ou moins convaincants, je préfère laisser de côté – pour l'instant — nos charmantes négociantes, et partir loin de là, très loin de là, aux confins du royaume, près de l'endroit où notre charmante et gluante princesse était enfermée.

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