Elle l’avait rencontré car elle était sa bonne. Elle l’avait aimé car il était beau. Elle s’occupait du ménage chez Lui. Lui, était le fils unique d’une famille bourgeoise. N’importe quelle famille bourgeoise. Lui aussi l’aimait. Mais, bien entendu, de classes sociales différentes, le mariage était impensable. Pourquoi ? Elle était la bonne, lui le fils « à papa ». Mais çà, c’était avant.
Durant cette époque sombre, eux n’envisageaient jamais l’avenir. Ils s’évertuaient à profiter de l’instant présent, quoi qu’il en coûte. L’avenir serait forcément plus radieux, puisqu’ils étaient deux. Ils passaient le temps qu’elle avait de libre à faire des balades à bicyclette, à parcourir les champs fleuris et s’allonger sous les cerisiers, à rêver, à refaire le monde par la parole. Puis dans ces après midis de printemps naissant, ils déjeunaient au bord d’une rivière claire et fraiche. Enfin ils finissaient par regarder le coucher de soleil dans tous ses derniers rayons, du bleu pâle au rose. Puis ils se séparaient, la nuit tombée. Lui dans ses appartements, elle dans sa chambre de bonne.
Dans son lit, elle rêvait de ses journées paisibles car le lendemain elle devait retourner nettoyer la maison. Mais cela n’avait aucune importance, elle avait eu un superbe souvenir qui, elle en était certaine, ne s’effacera jamais. Bien sur elle espérait que ce bonheur dure toujours mais elle ne se faisait pas d’illusion ; elle se doutait que tôt ou tard, il devrait se marier avec une fille « de son rang » et elle serait seule... Mais il n’était pas temps encore à songer au malheur qui arriverait, inexorablement.
Le lendemain, comme d’habitude, elle se leva aux aurores, et admira le lever de soleil, différent du coucher de la veille. Elle s’affaira à nettoyer le carrelage de la cuisine, puis celui de la salle de séjour, la salle de billard, le salon et enfin la salle à manger. Puis elle remarqua à travers les fenêtres que le soleil était haut dans le ciel. Son appétit lui confirma cette impression, il était temps qu’elle mange. En arpentant les couloirs elle passa devant son bureau. Il était en train d’étudier, elle le regarda travailler et sourit, « il est tellement intelligent » songeât-elle. Il était en train d’étudier, ses études de médecine lui prenaient presque tout son temps libre. Il deviendrait un excellent médecin, elle n’en doutait pas. Elle continua son chemin, lui, ne l’ayant pas remarqué. Elle eu une dernière pensée pour lui puis retourna finir son ménage de la journée. De toute façon leur prochaine sortie sera dans trois semaines quand l’un et l’autre seront libres. Cette pensé l’enchanta.