Les Fantômes Peuvent Mourir
Par : BaliBalo
Genre : Polar , Réaliste
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 11
Marché
Publié le 23/02/13 à 11:40:50 par BaliBalo
Line était seule dans cette salle aux murs gris, insonorisée et faiblement éclairée par une unique ampoule. Seule face à cette table de métal poli et froid, contrastant avec la chaleur que dégageait le gobelet rempli de café brûlant dans sa main gauche. On lui avait ôté sa montre et la salle était dépourvue de toute ouverture sur l’extérieur, Line n’avait plus aucun repère temporel excepté la chaleur du café, tentative de paniquer le suspect et de rendre l’attente interminable, mais elle avait l’habitude. Depuis combien de temps attendait-elle enfermée entre ces quatre murs lui rappelant les longues nuits au poste de sa jeunesse ? Pas très longtemps, le café était encore tiède. Heureusement, cette attente lui permettait de réfléchir à sa défense. Malgré les apparences, Line était inquiète : elle allait devoir jouer serré pour sauver sa peau cette fois-ci. Cette preuve inopinée précipitait les choses, elle n’avait pas eu le temps de réunir énormément d’informations, convaincre les policiers serait plus ardu. Elle misait sur la présence du lieutenant Barrais, lui, elle pourrait le convaincre, mais sa présence pourrait s’avérer déstabilisante d’autant plus que c’était probablement lui qui détenait la preuve de la présence de Line sur les lieux. Barrais était à la fois son atout et sa faille, voilà qui l’angoissait. Cependant, elle s’efforçait de rester calme, montrer son inquiétude aux policiers ne l’arrangerait pas car ceux-ci, en la voyant imperturbable, seraient d’autant plus intimidés une fois face à elle. Elle savait ça, ménager son effet était important, c’est pourquoi Line continuait de penser, poupée silencieuse et immobile.
Le métal de la poignée grinça et la porte s’ouvrit alors que Line se redressait et le commissaire Planchet suivit du lieutenant Barrais firent leur entrée. Le commissaire serra la main de la jeune PDG tandis que Barrais se contentait d’un bref hochement de la tête. Line évita soigneusement ses yeux. C’est en échangeant quelques politesses avec la captive que Planchet s’installa face à elle sur une chaise en plastique blanc qui n’avait pas l’air très solide, le lieutenant se plaça à sa droite, légèrement en retrait, bien campé sur ses deux jambes. Un bref silence s’ensuivit avant que ne commence la joute. Line inspira. Le café était froid.
« Mademoiselle Bertau, commença le commissaire, vous avez certifié ne pas avoir revue votre mère depuis sa disparition en 2013 ?
— C’est exact. Mais j’ai cru comprendre que vous déteniez la preuve du contraire.
— En effet, intervint Barrais en fouillant ses poches avant d’en extraire le collier qu’il laissa osciller devant les yeux de Line, reconnaissez-vous ceci ?
— Non, tenta la jeune femme, ça ne m’appartient pas.
Le lieutenant posa délicatement l’objet sur la table et se redressa, pour se placer de profil comme s’il cherchait ses mots dans les murs uniformes de la petite pièce tandis que Planchet observait attentivement Line. Barrais poursuivit, sans se retourner :
— En êtes-vous bien certaine ? Pourtant je me rappelle parfaitement de cet objet. Je l’ai acheté le 8 juin 2015 en Indes sur un marché. Un bijou en toc destiné à calmer votre rancœur à mon égard. Une de ces babioles pour lesquelles vous viviez. Ce collier je vous l’ai offert il y a des années et je le retrouve chez votre mère, sur les lieux du crime, il marqua une pause et se retourna vivement, tentant de percer la carapace de Line d’un échange de regard, mais celle-ci admirait obstinément la table, il reprit : Comment expliquez-vous cela ?
— Je me doutais que nier ne servirait à rien, soupira Line, en effet je suis allée chez ma mère ce jour-là, et bien entendu je n’y suis pas allée seule : les trois autres étaient là eux aussi. Ce sont d’ailleurs eux qui ont insisté pour que nous y allions le jour même. Mais ce collier n’a rien à voir avec ça, je l’ai perdu il y a plusieurs mois et comme c’était une babiole sans valeur, je n’y ai guère prêté attention, ajouta-t-elle dans l’espoir de piquer la fierté du lieutenant, elle poursuivit : De plus je ne portais aucun bijou le jour où je me suis rendue chez ma mère car j’ai pour habitude de ne pas me montrer coquette au travail et ce jour-là ne devait être qu’une journée de boulot comme une autre. Ma famille et mes collègues pourront confirmer cette dernière affirmation.
Barrais médita un instant les paroles de Line qui avait su, habilement, démonter le raisonnement du lieutenant sans démentir son lien avec le bijou. Planchet, qui jusqu’ici était resté silencieux, simple spectateur d’un combat de coq, intervint alors :
— Mademoiselle Bertau, si la preuve présentée par le lieutenant n’a effectivement rien à voir avec vous, pourquoi avouer être effectivement allée sur les lieux du crime ?
— Parce que j’ai besoin de ceci pour vous exposer où en est arrivé ma propre enquête.
Planchet haussa un sourcil et incita la jeune femme à poursuivre son exposé.
— J’étais bouleversée suite à la visite à ma mère, du coup, en rentrant chez moi, j’ai appelé mon père pour décharger ce que j’avais sur le cœur. Lorsque j’ai parlé de cet élément à mes frères et sœur, ils ont soulevé l’hypothèse que j’avais pu fournir l’adresse de ma mère à mon père par mégarde. Or, celui-ci la hait puisqu’elle a littéralement détruit sa vie. Nous en sommes donc arrivés à la conclusion qu’il pouvait potentiellement être le tueur.
Une lueur s’alluma dans les yeux du commissaire, une lueur qui assura Line de l’avoir conquis. Elle retint un sourire victorieux alors que le lieutenant demandait :
— Et où habite votre père ?
— A Fontainebleau.
— En ce cas il est impossible qu’il ait effectivement commis le crime, affirma le lieutenant, en effet, vous avez déclaré il y a quelques semaines avoir quitté votre travail à vingt heures, vous confirmez ?
— Tout à fait.
— Considérant la distance entre votre lieu de résidence et votre bureau, il vous faut un peu plus d’une demi-heure de trajet pour vous rendre de l’un à l’autre, environ vingt heures trente donc. En supposant que vous avez appelé votre père immédiatement et que la conversation a duré moins d’une heure, votre père a pu partir en direction de Paris vers vingt et une heures quinze. Or il faut environ une heure et demie pour faire le trajet, votre père serait donc arrivé à vingt-deux heures quarante-cinq chez votre mère et à cette heure-là, elle était déjà morte.
Line fronça les sourcils, signe d’une intense contrariété. Barrais savourait sa victoire, narguant la jeune femme de son regard azuré, œillade qu’elle ne soutint pas. Planchet adressa un sourire au lieutenant. Le vieux commissaire ne regrettait pas de s’être laissé convaincre par la mystérieuse preuve du collier que Barrais lui avait délibérément cachée en premier lieu. Lorsque le jeune policier avait surgit sans préambule dans le bureau du commissaire et qu’il s’était mis à déblatérer sur l’affaire Bertau-Jeannet, Planchet avait bien cru qu’il allait lui mettre une trempe. D’autant plus que Barrais s’était montré orgueilleux et fruste au sujet de Line Bertau quelques jours auparavant, ce que Planchet considérait comme une insulte à la discipline policière, surtout que Barrais venait de l’Armée de Terre, il était censé savoir comment s’adresser à la hiérarchie. Ainsi, voir le lieutenant réitérer sa faute avait particulièrement agacé le vieux commissaire. Cependant, il avait cédé et accepté d’écouter ce que le lieutenant avait à dire. Au début, la colère du commissaire avait redoublée en apprenant que son protégé avait dissimulé une preuve et lorsqu’il avait questionné Barrais à ce sujet, celui-ci avait répondu comme à son habitude « Il ne servait à rien de vous en faire part mon commissaire. ». Bizarrement, cette phrase l’avait apaisé : le vieux policier avait soupiré, s’était enfoncé un peu plus dans son fauteuil et avait admis que cette pièce à conviction pourrait faire avancer l’enquête à nouveau. A contrecœur, il avait laissé le jeune lieutenant revenir à son niveau et finalement, il ne le regrettait pas. La seule chose qui l’inquiétait à présent, c’était la véritable nature de la relation entre Arthur Barrais et Line Bertau. La jeune femme avait du pouvoir sur le lieutenant, mais le vieux Planchet veillait, attentif aux stratégies de Line. C’est pourquoi il lui avait demandé d’où provenaient ses aveux si prompte quant à sa présence sur les lieux du crime dans la journée, et il avait été surpris de constater que Line trahissait sans vergogne sa famille qui semblait si soudée il y a quelques semaines. Cela conforta le commissaire dans l’idée qu’elle était dangereuse, il ne l’écarterait pas de l’enquête. D’autant plus qu’en l’observant rapidement, il constata que la contrariété avait disparue sur le visage de la suspecte, laissant place à l’impassibilité, légèrement trahie par une ombre de sourire.
— Les dirigeants de Bertau restent donc les principaux suspects dans cette affaire, constata-t-elle, bien. Messieurs, je vous avoue que l’idée que mon père soit le tueur me rassurait un peu car je n’apprécie pas de travailler de concert avec un assassin. De plus, cette affaire rend le climat quelque peu électrique ce qui est regrettable pour les affaires de l’entreprise. J’aimerais que vous régliez ceci le plus vite possible, autant pour ma sécurité que pour l’entreprise, donc je vais vous aider.
— Vous êtes suspect dans cette affaire, fit remarquer le lieutenant, votre aide quelle qu’elle soit sera considérée suspecte. Vous pouvez couvrir votre entreprise ou l’un de vos frères et sœur et vous couvrir vous-même.
— Je n’ai pas hésité à les trahir en avouant m’être rendu sur les lieux du crime en leur compagnie, ils auraient fait de même. Bien sûr je souhaite me protéger et protéger ma boîte car, comme je vous l’ai dit, je n’aime pas l’idée de travailler avec un meurtrier, je veux que tout ça se termine vite. C’est un risque à prendre, je serais votre agent infiltré. Réfléchissez, de nous quatre, je suis la mieux placée pour cette chasse aux informations : je suis la petite dernière, celle qu’on protège, l’innocente et le trésor familial avec ses idées de génie. A vrai dire j’ai même légèrement anticipé : dans mon sac à main se trouve une clé USB détenant les emplois du temps précis de mes frères et sœur, après la visite à notre mère. J’y ai même détaillé la visite en elle-même et je pense que cela pourrait beaucoup vous aiguiller dans vos recherches.
— Nous pourrions simplement vous interroger pour obtenir ces informations.
— Pour ce qui est de la visite, oui, affirma Line, considérez que ce que je vous propose est un témoignage écrit. Mais au sujet des emplois du temps, cela m’étonnerait que mes frères et ma sœur vous donnent autant de détails, ça vous donnera une longueur d’avance.
Aucun des deux hommes ne répondit. Barrais considérait que c’était le devoir de Planchet d’accepter ou non de marcher avec Line. Cependant cette association comprenait plusieurs risques, non seulement la jeune femme se mettait totalement à l’abri car elle pourrait désormais influencer la direction de l’enquête et garder les soupçons loin d’elle, mais elle pourrait aussi brouiller les pistes et mener les policiers en bateau. Cela dit, elle-même prenait des risques en proposant cette alliance : si elle était effectivement innocente et que le meurtrier découvrait son manège, elle était morte. Certes chacun des partis prenait des risques mais en contrepartie l’enquête gagnerait du temps, d’autant plus qu’elle était presqu’au point mort. Cet interrogatoire avait relancé la machine mais d’autres suivraient, interminables. Utiliser les informations de Line permettrait au commissaire d’aller à l’essentiel lors des interrogatoires, il pourrait coincer les suspects, sachant à l’avance ce qu’ils devaient, en principe, avouer. Malgré les risques que comportait leur association, Barrais pensait qu’il fallait accepter et il espérait que Planchet l’approuverait.
Le commissaire était toujours assis sur sa chaise, l’air profondément inspiré par ses réflexions. C’était plus difficile de réfléchir ici, sur cette chaise en plastique bancale, son confortable fauteuil de cuir, compagnon indispensable à chaque enquête lui manquait. Nuls doutes qu’il aurait déjà pesé le pour et le contre et donné sa réponse s’il se trouvait dans son fauteuil, mais la situation l’obligeait à prendre la décision ici, sur cette chaise en plastique. Il jeta un œil au lieutenant, se tenant debout bien droit à ses côtés. Oui, le commissaire n’avait pas fait d’erreur en lui faisant confiance. Planchet se tourna alors vers la suspecte : elle était calme, absorbée dans la contemplation de son café qu’elle faisait tourner tranquillement dans le gobelet. Imperturbable, elle avait du tempérament cette femme, le commissaire ne pouvait s’empêcher de ressentir du respect et une certaine timidité face à elle. C’était peut-être cette sensation qui lui fournit la réponse : prenant appui sur la table en acier, il se souleva, maudissant la chaise en plastique pour avoir endolori son dos, et tendit la main gauche à Line Bertau en disant :
« Nous acceptons votre aide. »
Line sourit et lâcha son gobelet de café froid, elle se leva gracieusement et serra la main du vieux commissaire : ainsi, leur accord fut scellé.
Le métal de la poignée grinça et la porte s’ouvrit alors que Line se redressait et le commissaire Planchet suivit du lieutenant Barrais firent leur entrée. Le commissaire serra la main de la jeune PDG tandis que Barrais se contentait d’un bref hochement de la tête. Line évita soigneusement ses yeux. C’est en échangeant quelques politesses avec la captive que Planchet s’installa face à elle sur une chaise en plastique blanc qui n’avait pas l’air très solide, le lieutenant se plaça à sa droite, légèrement en retrait, bien campé sur ses deux jambes. Un bref silence s’ensuivit avant que ne commence la joute. Line inspira. Le café était froid.
« Mademoiselle Bertau, commença le commissaire, vous avez certifié ne pas avoir revue votre mère depuis sa disparition en 2013 ?
— C’est exact. Mais j’ai cru comprendre que vous déteniez la preuve du contraire.
— En effet, intervint Barrais en fouillant ses poches avant d’en extraire le collier qu’il laissa osciller devant les yeux de Line, reconnaissez-vous ceci ?
— Non, tenta la jeune femme, ça ne m’appartient pas.
Le lieutenant posa délicatement l’objet sur la table et se redressa, pour se placer de profil comme s’il cherchait ses mots dans les murs uniformes de la petite pièce tandis que Planchet observait attentivement Line. Barrais poursuivit, sans se retourner :
— En êtes-vous bien certaine ? Pourtant je me rappelle parfaitement de cet objet. Je l’ai acheté le 8 juin 2015 en Indes sur un marché. Un bijou en toc destiné à calmer votre rancœur à mon égard. Une de ces babioles pour lesquelles vous viviez. Ce collier je vous l’ai offert il y a des années et je le retrouve chez votre mère, sur les lieux du crime, il marqua une pause et se retourna vivement, tentant de percer la carapace de Line d’un échange de regard, mais celle-ci admirait obstinément la table, il reprit : Comment expliquez-vous cela ?
— Je me doutais que nier ne servirait à rien, soupira Line, en effet je suis allée chez ma mère ce jour-là, et bien entendu je n’y suis pas allée seule : les trois autres étaient là eux aussi. Ce sont d’ailleurs eux qui ont insisté pour que nous y allions le jour même. Mais ce collier n’a rien à voir avec ça, je l’ai perdu il y a plusieurs mois et comme c’était une babiole sans valeur, je n’y ai guère prêté attention, ajouta-t-elle dans l’espoir de piquer la fierté du lieutenant, elle poursuivit : De plus je ne portais aucun bijou le jour où je me suis rendue chez ma mère car j’ai pour habitude de ne pas me montrer coquette au travail et ce jour-là ne devait être qu’une journée de boulot comme une autre. Ma famille et mes collègues pourront confirmer cette dernière affirmation.
Barrais médita un instant les paroles de Line qui avait su, habilement, démonter le raisonnement du lieutenant sans démentir son lien avec le bijou. Planchet, qui jusqu’ici était resté silencieux, simple spectateur d’un combat de coq, intervint alors :
— Mademoiselle Bertau, si la preuve présentée par le lieutenant n’a effectivement rien à voir avec vous, pourquoi avouer être effectivement allée sur les lieux du crime ?
— Parce que j’ai besoin de ceci pour vous exposer où en est arrivé ma propre enquête.
Planchet haussa un sourcil et incita la jeune femme à poursuivre son exposé.
— J’étais bouleversée suite à la visite à ma mère, du coup, en rentrant chez moi, j’ai appelé mon père pour décharger ce que j’avais sur le cœur. Lorsque j’ai parlé de cet élément à mes frères et sœur, ils ont soulevé l’hypothèse que j’avais pu fournir l’adresse de ma mère à mon père par mégarde. Or, celui-ci la hait puisqu’elle a littéralement détruit sa vie. Nous en sommes donc arrivés à la conclusion qu’il pouvait potentiellement être le tueur.
Une lueur s’alluma dans les yeux du commissaire, une lueur qui assura Line de l’avoir conquis. Elle retint un sourire victorieux alors que le lieutenant demandait :
— Et où habite votre père ?
— A Fontainebleau.
— En ce cas il est impossible qu’il ait effectivement commis le crime, affirma le lieutenant, en effet, vous avez déclaré il y a quelques semaines avoir quitté votre travail à vingt heures, vous confirmez ?
— Tout à fait.
— Considérant la distance entre votre lieu de résidence et votre bureau, il vous faut un peu plus d’une demi-heure de trajet pour vous rendre de l’un à l’autre, environ vingt heures trente donc. En supposant que vous avez appelé votre père immédiatement et que la conversation a duré moins d’une heure, votre père a pu partir en direction de Paris vers vingt et une heures quinze. Or il faut environ une heure et demie pour faire le trajet, votre père serait donc arrivé à vingt-deux heures quarante-cinq chez votre mère et à cette heure-là, elle était déjà morte.
Line fronça les sourcils, signe d’une intense contrariété. Barrais savourait sa victoire, narguant la jeune femme de son regard azuré, œillade qu’elle ne soutint pas. Planchet adressa un sourire au lieutenant. Le vieux commissaire ne regrettait pas de s’être laissé convaincre par la mystérieuse preuve du collier que Barrais lui avait délibérément cachée en premier lieu. Lorsque le jeune policier avait surgit sans préambule dans le bureau du commissaire et qu’il s’était mis à déblatérer sur l’affaire Bertau-Jeannet, Planchet avait bien cru qu’il allait lui mettre une trempe. D’autant plus que Barrais s’était montré orgueilleux et fruste au sujet de Line Bertau quelques jours auparavant, ce que Planchet considérait comme une insulte à la discipline policière, surtout que Barrais venait de l’Armée de Terre, il était censé savoir comment s’adresser à la hiérarchie. Ainsi, voir le lieutenant réitérer sa faute avait particulièrement agacé le vieux commissaire. Cependant, il avait cédé et accepté d’écouter ce que le lieutenant avait à dire. Au début, la colère du commissaire avait redoublée en apprenant que son protégé avait dissimulé une preuve et lorsqu’il avait questionné Barrais à ce sujet, celui-ci avait répondu comme à son habitude « Il ne servait à rien de vous en faire part mon commissaire. ». Bizarrement, cette phrase l’avait apaisé : le vieux policier avait soupiré, s’était enfoncé un peu plus dans son fauteuil et avait admis que cette pièce à conviction pourrait faire avancer l’enquête à nouveau. A contrecœur, il avait laissé le jeune lieutenant revenir à son niveau et finalement, il ne le regrettait pas. La seule chose qui l’inquiétait à présent, c’était la véritable nature de la relation entre Arthur Barrais et Line Bertau. La jeune femme avait du pouvoir sur le lieutenant, mais le vieux Planchet veillait, attentif aux stratégies de Line. C’est pourquoi il lui avait demandé d’où provenaient ses aveux si prompte quant à sa présence sur les lieux du crime dans la journée, et il avait été surpris de constater que Line trahissait sans vergogne sa famille qui semblait si soudée il y a quelques semaines. Cela conforta le commissaire dans l’idée qu’elle était dangereuse, il ne l’écarterait pas de l’enquête. D’autant plus qu’en l’observant rapidement, il constata que la contrariété avait disparue sur le visage de la suspecte, laissant place à l’impassibilité, légèrement trahie par une ombre de sourire.
— Les dirigeants de Bertau restent donc les principaux suspects dans cette affaire, constata-t-elle, bien. Messieurs, je vous avoue que l’idée que mon père soit le tueur me rassurait un peu car je n’apprécie pas de travailler de concert avec un assassin. De plus, cette affaire rend le climat quelque peu électrique ce qui est regrettable pour les affaires de l’entreprise. J’aimerais que vous régliez ceci le plus vite possible, autant pour ma sécurité que pour l’entreprise, donc je vais vous aider.
— Vous êtes suspect dans cette affaire, fit remarquer le lieutenant, votre aide quelle qu’elle soit sera considérée suspecte. Vous pouvez couvrir votre entreprise ou l’un de vos frères et sœur et vous couvrir vous-même.
— Je n’ai pas hésité à les trahir en avouant m’être rendu sur les lieux du crime en leur compagnie, ils auraient fait de même. Bien sûr je souhaite me protéger et protéger ma boîte car, comme je vous l’ai dit, je n’aime pas l’idée de travailler avec un meurtrier, je veux que tout ça se termine vite. C’est un risque à prendre, je serais votre agent infiltré. Réfléchissez, de nous quatre, je suis la mieux placée pour cette chasse aux informations : je suis la petite dernière, celle qu’on protège, l’innocente et le trésor familial avec ses idées de génie. A vrai dire j’ai même légèrement anticipé : dans mon sac à main se trouve une clé USB détenant les emplois du temps précis de mes frères et sœur, après la visite à notre mère. J’y ai même détaillé la visite en elle-même et je pense que cela pourrait beaucoup vous aiguiller dans vos recherches.
— Nous pourrions simplement vous interroger pour obtenir ces informations.
— Pour ce qui est de la visite, oui, affirma Line, considérez que ce que je vous propose est un témoignage écrit. Mais au sujet des emplois du temps, cela m’étonnerait que mes frères et ma sœur vous donnent autant de détails, ça vous donnera une longueur d’avance.
Aucun des deux hommes ne répondit. Barrais considérait que c’était le devoir de Planchet d’accepter ou non de marcher avec Line. Cependant cette association comprenait plusieurs risques, non seulement la jeune femme se mettait totalement à l’abri car elle pourrait désormais influencer la direction de l’enquête et garder les soupçons loin d’elle, mais elle pourrait aussi brouiller les pistes et mener les policiers en bateau. Cela dit, elle-même prenait des risques en proposant cette alliance : si elle était effectivement innocente et que le meurtrier découvrait son manège, elle était morte. Certes chacun des partis prenait des risques mais en contrepartie l’enquête gagnerait du temps, d’autant plus qu’elle était presqu’au point mort. Cet interrogatoire avait relancé la machine mais d’autres suivraient, interminables. Utiliser les informations de Line permettrait au commissaire d’aller à l’essentiel lors des interrogatoires, il pourrait coincer les suspects, sachant à l’avance ce qu’ils devaient, en principe, avouer. Malgré les risques que comportait leur association, Barrais pensait qu’il fallait accepter et il espérait que Planchet l’approuverait.
Le commissaire était toujours assis sur sa chaise, l’air profondément inspiré par ses réflexions. C’était plus difficile de réfléchir ici, sur cette chaise en plastique bancale, son confortable fauteuil de cuir, compagnon indispensable à chaque enquête lui manquait. Nuls doutes qu’il aurait déjà pesé le pour et le contre et donné sa réponse s’il se trouvait dans son fauteuil, mais la situation l’obligeait à prendre la décision ici, sur cette chaise en plastique. Il jeta un œil au lieutenant, se tenant debout bien droit à ses côtés. Oui, le commissaire n’avait pas fait d’erreur en lui faisant confiance. Planchet se tourna alors vers la suspecte : elle était calme, absorbée dans la contemplation de son café qu’elle faisait tourner tranquillement dans le gobelet. Imperturbable, elle avait du tempérament cette femme, le commissaire ne pouvait s’empêcher de ressentir du respect et une certaine timidité face à elle. C’était peut-être cette sensation qui lui fournit la réponse : prenant appui sur la table en acier, il se souleva, maudissant la chaise en plastique pour avoir endolori son dos, et tendit la main gauche à Line Bertau en disant :
« Nous acceptons votre aide. »
Line sourit et lâcha son gobelet de café froid, elle se leva gracieusement et serra la main du vieux commissaire : ainsi, leur accord fut scellé.
23/02/13 à 13:35:17
Ca prend une tournure vraiment innatendue, j'adore
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