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Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 10


Publié le 09/11/2012 à 17:28:11 par Conan

Trois heures de l'après-midi. Je suis assis dans le couloir des locaux de l'IGS depuis près de cinq heures maintenant, attendant mon tour pour passer à la casserole.

Comme un vulgaire délinquant, je vois passer devant moi toute une clique de bœufs-carottes qui me matent d'un air réprobateur, les bras remplis de dossiers. Autant de feuilles que de vies de flics brisés entre leurs mains.

Greg est enfermé dans le bureau du commissaire Fabres depuis deux plombes. Vinny est dans un autre service, et Mélinda est toujours aux urgences. Aucune nouvelle d'eux.

La porte du bureau s'ouvre enfin. Greg en sort dépité, las. Je me lève de mon banc et lui fait un signe de tête.
-Coriace. Qu'il me murmure en passant devant moi.

Je me présente à l'entrée du bureau.
-Monsieur, brigadier-chef...
-C'est bon, c'est bon. Entrez. Me dit le petit mec dégarni qui ne prend pas la peine de relever ses lunettes vers moi pour me regarder.
-Fermez la porte.

Je m’exécute.
-Asseyez-vous. Brennan. C'est ça ?
-Oui monsieur.

Il se prélasse confortablement dans son fauteuil en poussant un petit gémissement de satisfaction, comme pour se préparer à regarder un long film qui promet d'être passionnant.
-Je vous écoute.

Putain. Je déteste ça. Il m'écoute. M'écoute pour que je dise quoi, ce trou du cul ?
-Mon rapport n'est pas parvenu sur votre bureau, monsieur ?
-Oh si. Je l'ai lu. La copie conforme du compte-rendu du brigadier-chef Grégoire Roland. Je suppose que ceux monsieur Marvin Vinyard et mademoiselle Winzeck seront identiques eux-aussi.

Il réfléchit quelques instants puis reprend :
-Quoique pour Winzeck j'ai des doutes.
Je lève un sourcil interrogateur :
-Des doutes ?
-Des doutes. Mais revenons-en à nos moutons.
-Je vous écoute.
Il sourit amèrement :
-Ce serait plutôt mon rôle.

Ça me gonfle.
-Bon, arrêtons de tourner autours du pot. Dites-moi ce que vous voulez savoir. Qu'on en finisse.

Son visage déjà peu aimable se ferme.
-Je voudrais savoir comment ce matin ce qui devait être une interpellation réglée au millimètre à fini en scène de guérilla urbaine. Comment une agent de police s'est retrouvée à l'hôpital et trois malfrats à la morgue.
-Nous avons tenté de les interpeller en flagrant-délit au terme d'une filature. L'intervention a mal tourné, ils ont ouvert le feu sur nos véhicules alors que nous tentions de les arrêter. Nous nous sommes vus dans l'obligation de riposter.
-C'est pour ça que Jimmy Vincent, le chauffeur, qui n'était pas armé, s'est vidé de son sang après avoir reçu un projectile de 9 millimètres dans la carotide, que Rocky Hoffman a pris onze balles, dont trois dans la tête, et que Eddy Hoffman en a pris trois, dont une en pleine tête, et de votre main ?
-Rocky Hoffman était armé d'un colt 45. Eddy d'un fusil de calibre douze dont des plombs ont blessé ma coéquipière.
-Et Vincent ?
-Vincent a tenté de foncer sur mes collègues, les brigadiers-chef Roland et Vinyard, à l'aide de son véhicule.
-Oui, c'est ce qu'affirme Grégoire Roland. Pourtant la voiture que conduisait le brigadier-chef Vinyard bloquait celui des braqueurs.
-Quand Grégoire est sorti, il s'est retrouvé entre les deux véhicules. Il a dû vider son chargeur.
-Vous vous en êtes donnés à cœur joie. Rocky a reçu des balles de trois armes différentes. L'un de vos projectiles l'a d'ailleurs touché à la nuque. Vous étiez derrière lui donc ?
-Oui. Comme il est dit dans mon rapport, il a sorti son arme pour nous tirer dessus. J'ai riposté. Je n'ai pas eu le choix.
-Et pour Eddy ?
-Eddy avait déjà fait usage de son arme deux fois dans notre direction. Il a blessé la gardien Winzeck.
-Une balle dans le foie, l'autre dans le poumon, et une entre les deux yeux. Un peu radical, non ?
-J'ai restitué ce que l'on m'a appris. Les deux projectiles tirés dans le corps ne l'ont pas stoppé. Il m'a fallu l'arrêter net dans son élan.

Il soupire en se réajustant dans son siège.

-Tout ceci ressemblerait presque à un règlement de comptes.
Je réponds pas, me contentant de le dévisager. Il continue.
-Vous voulez que j'aille au fond de mes pensées, monsieur Brennan ?
-Je vous en prie.
-Je pense que vous êtes dangereux. Dangereux avec une arme, et encore plus dangereux avec un insigne de police. Pour moi des gens tels que vous, Roland ou Vinyard, n'ont rien à faire dans l'institution.
Pas de réponse.
-Je connais votre passé, Brennan. Où du moins la partie accessible. Ça fait longtemps que vous vous connaissez, tous les trois.
-Vingt ans, monsieur.
-Vingt ans. L'armée. La guerre. Puis, le mercenariat.
-On appelle ça des conseillers militaires, monsieur.
-Oui oui, je connais la musique. Conseillers, contractors. Des mots diplomates et nuancés pour désigner ce que vous étiez. Des chiens de guerre. Des pros de la guérilla. D'anciens du renseignement comme vous, qui vous êtes engagés, lorsque la révolution a éclatée, dans les Escadrons de la Morts de Jack O'Reilly. Puis vous êtes venus échouer dans la police. Sauf que vous, vos méthodes, vos mentalités, ont un siècle de retard.

Je me baisse vers son bureau, approche mon visage au plus près du sien pour parler plus doucement, en plongeant mes yeux dans son regard inquisiteur.
-Nous, monsieur, nous sommes votre main gauche. Celle que la main droite ne veut pas voir, la main qui nettoie la merde, et qu'on porte à la potence quand on n'a plus besoin d'elle. Et sa main gauche, monsieur le commissaire, on en aura toujours besoin, quelle que soit l'époque.
Puis j'ajoute :
-Vous n'êtes pas le seul à être bien renseigné, monsieur le commissaire Fabre. Vous faites toujours des parties fines avec vos amis sénateurs et députés dans le Xvème arrondissement ?

Il blêmit, mais son visage ne trahit pas la moindre angoisse.
-C'est une menace, brigadier-chef ?
-Non. Une question, monsieur. Une question toute simple.
-Nous allons en rester là pour le moment. Je vous recontacterai, brigadier-chef Brennan.
-Je suis à votre entière disposition.
-Vous pouvez disposer.

Je me lève et, sans dire un mot, sort du bureau, en refermant derrière moi.

Les autres sont déjà partis. Je retourne au boulot en bagnole.

Arrivé là-bas, je les cherche sans les trouver. Ya quasiment personne. Quelques collègues me demandent des nouvelles, des détails. J'évite de m'épancher et me rend aux toilettes me passer un coup de flotte sur la tronche.

Penché au dessus du robinet, je passe ma tête sous l'eau. Quand je me redresse, je vois Mélinda dans le reflet du miroir. J'me tourne vers elle.
-T'es sortie de l'hosto ?
-Comme tu vois. J'ai reçu quelques éclats de verre, mais rien de bien méchant.
-T'es passée devant les bœufs ?
-Oui. Fabre. Je lui ai dit que je n'avais rien eu le temps de voir.
-Qu'est-ce qu'il t'a dit d'autre ?
-Pas grand chose. Il avait l'air assez contrarié. Il m'a parlé de toi.
-Il t'a dit quoi ? Que j'étais dangereux avec un flingue, et encore plus avec une carte de flic ?

Elle rit.
-Entre-autres, ouais.

Elle s'approche de moi.
-Red. Je... Je sais pas ce qu'il me serait arrivée si t'avais pas été là. J'voudrais te remercier.

Elle plonge ses yeux tristes dans les mien. On se rapproche. Je l'enlace. Nous nous embrassons. Passionnément. Viscéralement. Je la plaque contre un casier. Elle est mienne, elle se donne toute entière à moi. Son corps est à ma merci. Si jeune, si fragile.

Je finis par me séparer de son étreinte.
-Non. J'peux pas. J'peux pas te faire ça.
-Pourquoi ?
-J'ai pas envie de te rendre malheureuse. Je te ferai du mal, Mélinda. Désolé.

J'me barre honteux. Comme un voleur. J'ai envide de disparaître. Me terrer au fond d'un trou. Et dégoupiller une grenade.


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