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Entre poussière et ruines


Par : Spyko
Genre : Action, Horreur
Statut : C'est compliqué



Chapitre 13


Publié le 17/10/2012 à 14:31:28 par Spyko

David garda sa main encore quelques secondes sur l'interrupteur, avant de baisser légèrement la tête en soupirant profondément. Rien n'était fait pour les aider. Il faisait assez clair pour qu'ils puissent se déplacer sans trop de soucis, mais le problème du courant signifiait autre chose. Plus d'eau, par exemple, à part les fonds de robinet qui dureraient une demi-seconde, et un certain nombre de choses allaient se retrouver hors-service, ce qui constituerait un obstacle.
D'autant plus que ça ne devait pas faire très longtemps que tout était coupé.
Il croisa le regard de Laura, qui fit une moue quelque peu blasée en comprenant ce qu'il se passait. Le jeune homme décolla sa main du bouton, avant d'inviter l'adolescente à le suivre.
A droite et à gauche, les rails sur lesquels les élèves faisaient glisser leur plateaux, ainsi que les divers casiers qui accueillaient la nourriture étaient parfaitement propres, tout juste lavés. La vaste salle, en H penché, s'étendait devant eux, remplies de divers équipements pour la cuisine comme les grosses plaques de cuisson en plein milieu.
L'une des branches du fond devait être réservée au stock de nourriture, l'autre à la zone de ''préparations''. Le jeune homme conduisit Laura vers ces deux zones, espérant ne pas se tromper. Une vitre faite de carrés blancs ornait le fond, cet ornement la rendant presque opaque. Plusieurs portes s'ouvraient sur ce qu'il pensait être l'une des parties de la cour, ce qui leur permettrait de s'en aller sans revenir dans le self.

« David, ici, on devrait trouver... trouver... de quoi se défendre, acheva finalement l'adolescente avec difficulté. »

Le perspective d'utiliser un outil de cuisine pour se défendre ne l'enchantait visiblement toujours pas, et David comprenait cela. Ils ne trouveraient que des broches à viande, des couteaux de cuisine et autres hachoirs. L'étudiant avait brièvement fait un séjour à la plonge d'un restaurant alors qu'il cherchait à gagner un peu d'argent. Les avertissements qu'on lui avait fait avaient été très clair, et étaient restés gravés dans sa tête.
Ces jouets sont fait pour couper des os de b½uf, lui avait dit le cuistot, évites de passer tes doigts dessus quand tu les laveras, sauf si tu veux les perdre.
Pas de problèmes. Il avait d'abord cru qu'il exagérait, puis l'avait vu l'abattre sur une belle pièce et la couper en deux, et avait finalement révisé sa pensée. La cuisine portait des marques d'une fuite précipitée, beaucoup de casseroles et autres gisaient au sol, de même qu'un bac qui contenait auparavant une quantité impressionnante de pâtes, répandues sur le sol. Mais en-dehors de ça, il n'y avait pas grand chose d'autre.
Pas de corps, pas de sang. Et tant mieux.
Ils contournèrent soigneusement les pâtes qui décoraient le carrelage, et David se pencha vers les endroits où étaient accrochés les couteaux. Laura, elle, resta à l'écart. Alors que le jeune homme regardait lesquels ils pourraient emporter et surtout manier, elle recula finalement, et poussa involontairement le bac métallique, qui produisit un crissement en raclant sur le sol.

« Je... Je vais voir si on peut trouver à manger pendant que... que tu cherches ça... »
« Vas-y, t'en fais pas, répondit-il à mi-voix. Mais t'éloignes pas. »
« T'en fais pas, je sais à quoi m'en tenir. »

Le jeune homme décrocha tout ce qui pourrait leur servir des différents râteliers, et les aligna sur le comptoir, devant lui. Il n'était pas certain de la résistance de certaines lames. Si elles venaient à se briser alors qu'il tentait de l'arracher au corps d'un de ces cinglés, il aurait l'air fin.
Une trop longue serait sans doute trop fragile, et même trop dangereuse à manier. Il écarta les plus longs couteaux, y compris les broches à viande, qui n'étaient pas des plus pratiques, en particulier à transporter. Il restait les couteaux les plus courts et les hachoirs. Il referma les doigts sur le manche en bois de l'une des ''armes'', et le leva devant ses yeux.
David regarda dans son dos.
Laura fouillait un peu partout, une expression figé sur le visage. Elle ouvrit un placard, et fit cascader des paquets de chips par dizaines. Probablement en cas de coupure de courant imprévu, s'ils ne pouvaient pas faire cuire de repas. Ça s'était déjà produit lors de sa propre scolarité. Elle trouverait sûrement des tranches de jambons par centaines et des bocaux de cornichons pour les entrées.
Il mania le couteau lentement, faisant tourner son poignet. La perspective d'en enfoncer la lame dans les entrailles chaudes de l'un de ces cinglés le fit frissonner, et il faillit lâcher l'arme. Son bras était encore un peu douloureux, mais sans plus.
Il fit un grand moulinet, même s'il n'affronterait jamais qui que ce soit de cette manière, et estima qu'il pourrait la manier sans trop de difficulté. Et Laura aussi.

« Si tu trouves des boîtes, tu me le dis ? Demanda l'intéressée depuis l'autre côté. »
« Pourquoi ? »
« Y a des pâtes déjà cuites, et les distributeurs de mayonnaise et de ketchup sont encore dans le frigo. Y a moyen de faire quelque chose, non ? »
« Tu veux nous préparer une salade de pâtes ? Fit le jeune homme en se retournant avec un sourire. »
« Pourquoi pas ? Ce sera mieux que des chips avec des cornichons. »
« Fais toi plaisir alors, répondit-il en ricanant légèrement. »

Après quoi il se reconcentra vers les couteaux. Il en fit glisser trois sur le côté, dont celui qu'il tenait à pleine main, et y ajouta un hachoir. Et lui, c'est moi qui m'en servirait je crois, m'étonnerait qu'elle accepte ça. Un couteau ça va déjà être dur, alors un hachoir... Mais lui non plus ne souhaitait pas vraiment l'utiliser. Sentir l'os se fendre sous sa lame, le sang couler le long de son poignet...
Les larmes lui montèrent aux yeux, et il chassa ces pensées avant qu'elles ne prennent plus de place. Le jeune homme décrocha son sac, l'ouvrit et y rangea deux des couteaux, au cas où les autres casseraient. Il aurait préféré avoir des étuis pour les deux armes qu'ils garderaient en main, mais il n'y en avait pas.
Il pivota, et se rapprocha de la jeune fille qui mélangeait les pâtes prises dans l'un des bacs avec divers ingrédients qu'elle avait trouvé. Puis, sans oser la regarder, déposa le couteau sur le plan de travail, à côté d'elle.
Laura se figea, et ses yeux tombèrent sur la lame. Elle déglutit, de façon à peine perceptible, puis ramena à nouveau son regard sur sa préparation.

« Désolé, souffla le jeune homme, mais c'est pas comme si on avait le choix. »
« Je sais... C'est juste que.... je me sens pas de le faire.... »
« Je ferais ce que je peux pour que t'en ai pas besoin, murmura t-il en l'embrassant sur la tempe. »

Sur quoi il la laissa à ses préparatifs, faisant tourner le manche du hachoir entre ses doigts.
David se colla contre la vitre recouvertes de carrés blancs, essayant de voir à travers par les interstices. S'il n'y avait pas de cinglés dehors, il serait plus prudent de partir par là. D'ici, ils pouvaient rejoindre le gymnase, mais aussi un couloir vitré menant à l'étage, ou encore l'un des bâtiments réservés aux filières techniques.
Il la longea jusqu'à atteindre l'une des portes, qu'il poussa prudemment. La vaste allée en béton, de quatre mètres de largeur, était vide. Le jeune homme continua à ouvrir le panneau vitré, jusqu'à se risquer à poser les pieds à l'extérieur.
Le son d'éclaboussure qui s'en suivit refroidit instantanément son audace.
Le béton était imbibé de sang, qui formait une vaste flaque sur le sol. Le fluide se fondait en une longue traînée qui disparaissait en face, derrière une autre porte qui menait au bâtiment technique. En temps normal, son étage servait également de salles de devoir, mais elles ne risquaient plus d'avoir ce rôle de si tôt. On va plutôt pencher pour le couloir vitré alors, pensa l'étudiant en refermant la porte.
Il se retourna, et étouffa un cri de frayeur.
Laura se tenait debout derrière lui, le couteau à la lame d'une quinzaine de centimètres étroitement serré dans sa main droite. Son portable allumé se trouvait dans la gauche.

« Putain, siffla David, évites de faire ça s'il te plaît, je te servirais à rien si je fais une attaque. »
« Désolé, je pensais pas te faire peur » Elle parlait d'une voix tellement plate et dénuée de toute vitalité qu'elle en était effrayante. « J'ai reçu un message... »

Le jeune homme, qui s'apprêtait à lui dire que ce n'était pas grave, que ça pouvait arriver, perdit ses mots. Pour toute réponse, elle lui tendit le téléphone. Un message haché, écrit en SMS, bourré de fautes de frappe et sans ponctuation, vraisemblablement en toute hâte, lui apparut sous les yeux. La traduction était malheureusement très claire.
Ma chérie, ai vu que tu m'avais appelée, pouvais pas te répondre. Sont devenus fous, m'ont coincé dans un bureau. Désolée.
David parcourut plusieurs fois les lignes, sentant une vaste entaille s'ouvrir dans sa poitrine. Elle était bloquée, et venait sans doute de passer les derniers instants de sa vie à envoyer ce message. Il tendit le portable à l'adolescente, qui referma ses doigts dessus et le glissa dans sa poche.
Après quoi la digue glaciale qui avait momentanément stoppé ses émotions céda.
Voyant que le message avait été le coup de grâce, David choisit de prendre les choses en main. Il posa le hachoir en vitesse sur un comptoir proche, détourna la lame du couteau de la jeune fille pour ne pas s'embrocher dessus et lui prit la tête entre les mains.

« Oublie ce qu'il vient de se passer Laura. Je sais que c'est dur, je sais ce que tu dois ressentir, mais je t'en supplie, te laisse pas abattre. » Les larmes jaillirent de ses yeux, se mettant à couler abondamment, et elle commença à trembler de plus en plus violemment. « Il faut que tu passes à autre chose, la supplia le jeune homme, qui voyait qu'elle était en train de s'effondrer totalement, il faut absolument que tu oublies cette partie de ta vie ! Souviens-toi de ce qu'ils ont été, souviens toi de ton passé, mais par pitié, ne te laisse pas emporter! »

Elle secoua la tête, puis essaya de se soustraire à sa prise. Il y répondit en la serrant dans ses bras, plus précisément en l'emprisonnant. Le couteau alla tinter sur le carrelage. Il avait l'impression de participer lui aussi à la joute mentale à laquelle elle se livrait.
Ses sanglots se répercutèrent dans la pièce, mais elle ne tenta ni de se dégager, ni de se mettre à hurler pour qu'il la lâche. Elle se contenta de le laisser l'étreindre, malgré qu'elle ait envie de s'enfuir en hurlant. David aussi pleurait.

« On va s'en tirer, et ta famille continuera à vivre avec toi, mais pour ça il faut que tu te battes, pleura t-il, le son de sa voix rendu pâteux par les larmes qu'il essayait vainement de retenir. » Pourquoi tout était-il si difficile ? Tout se passait si bien, pourquoi est-ce qu'il avait fallu que la mère de l'adolescente fasse ça ? La respiration de Laura commença à ralentir, de même que ses tremblements. Le jeune homme pu reprendre le contrôle de ses nerfs. « Allez ma belle, il faut qu'on y aille. J'ai besoin de toi, acheva t-il en douceur. »

Il essuya ses joues humides d'un revers de main, se blâmant intérieurement de s'être laissé emporter, lui aussi. Il sentait la fragilité du corps de l'adolescente entre ses bras, et s'efforça de la calmer. Il la guida avec douceur vers un mur, et la força s'asseoir pendant qu'il finissait les préparatifs. Ses sanglots ponctuaient les claquements de placard et de frigo, mais au moins elle avait tenu le coup. Alors qu'il assistait à sa décomposition progressive, quelques minutes plus tôt seulement, une horrible pensée s'était glissée entre ses défenses et avait motivé son désir de la secouer un peu.
A l'heure qu'il était, de nombreux suicidés avaient sans doute rejoint la longue liste de victimes de ce drame. Des gens qui avaient eu peur de finir de façon répugnante, des gens qui n'avaient pas eu le courage d'affronter cette crise, cette ''épidémie'', des gens qui n'avaient pas tenu le coup en voyant leurs proches périr.
La mère de Laura, se sachant condamnée, avait peut-être même choisi cette voie, et l'idée que cette pensée ait aussi traversée l'esprit de l'adolescente avait horrifié le jeune homme. Alors qu'il rassemblait la salade de pâtes préparée par la jeune fille, ainsi que des paquets de chips, des tranches de jambon blanc et trois bouteilles d'eau, David tenta d'oublier la terrible scène.
Mais rien n'y fit.
Il rassembla toutes les denrées dans le sac, en veillant à ce que les boites soient bien fermées et que tout était correctement rangé, y ajouta deux fourchettes puis se rapprocha de la jeune fille. Il lui tendit la main, et l'aida à se relever. Puis il récupéra son hachoir et le couteau qui gisait toujours au sol, avant de lui tendre. Elle attrapa le manche d'une main ferme.

« Une idée de ce qu'on va faire maintenant ? Demanda t-elle d'une voix qui semblait endormie, même si son regard était tout ce qu'il y a de plus clair. »
« Pas la moindre. On devrait rejoindre une salle de classe pour y réfléchir, répondit-il, heureux de voir qu'elle ne souhaitait pas aborder ce qu'il venait de se produire. »
« Alors c'est parti. Je te suis. »

Après une vague hésitation, il décida finalement de sortir par-derrière, malgré la flaque de sang. De là, il se dirigèrent vers le couloir vitré qui reliait le bâtiment B à celui des sciences, le C, dans lequel se trouvait un escalier. Alors qu'il poussait la porte pour entrer dans ce passage, la main de l'adolescente attrapa la sienne.
Elle se mit à côté de lui, et lui jeta un regard qui, s'il était encore rougi par les larmes, débordait cette fois-ci d'une certaine malice.

«  ''Ma belle'', hein ? Fit-elle, un sourire timide s'étalant sur ses lèvres. »

Le jeune homme sentit la chaleur lui monter aux joues, et se contenta d'esquisser un sourire, tout en serrant brièvement la main de l'adolescente. Ils gravirent l'escalier l'un derrière l'autre après s'être lâchés provisoirement. Il serrait le hachoir si fort que les jointures de ses phalanges en étaient devenues blanchâtres. Mais l'étage du couloir était désert.
S'ils revenaient dans le bâtiment B, ils se retrouveraient quasiment à l'endroit où ils étaient descendus du toit. David commença donc tout naturellement à tourner vers le bâtiment C, l'ombre d'un sourire accroché sur les lèvres.
Sourire qui glissa de son visage comme une coulée d'huile lorsqu'il vit une jambe dépasser de l'encadrement. Prendre le risque de rejoindre ce bâtiment malgré la présence d'un cadavre encore frais au vu de la flaque de sang qui continuait de s'élargir ? Ou revenir dans le bâtiment B, quitte à avoir fait une simple boucle ?
Un regard à sa montre lui fit redresser les coins de la bouche dans une moue amère.
Dix heures et demi.
Le temps filait à une vitesse folle.


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