Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Survie


Par : Arod
Genre : Horreur, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3 : 18 août 2013 Première Partie


Publié le 13/02/2011 à 22:37:35 par Arod

18 août 2013 Première partie

Je crois que je vais mieux. Enfin, disons que je ne panique plus comme hier, et j'ai pas l'impression de faire un arrêt cardiaque à tout instant. J'arrive même plus à pleurer, je crois que j'ai plus de larmes. Je me sens vide et affreusement seul. Je crois que j'écris des phrases les unes à la suite des autres sans liens entre elles. C'est sûrement parce que plus rien n'a d'importance. Je n'arrive pas à me concentrer sur une seule action sans me demander : « À quoi bon ? » J'ai l'impression d'être ivre, mais de savoir au fond de moi que je vais bientôt me ressaisir, cuver et arrêter de faire de la merde. Mais pas maintenant. Il est quatre heure du matin, et même enfermé dans ma chambre, je sens l'odeur de la mort. Je vais essayer de dormir.

Peine perdue, sept heures trente. Mais je vais bien mieux, j'en suis sûr. Ce journal a maintenant toute mon attention. J'écris des trucs en sachant que personne ne lira... Mais je ne me résous pas à parler à voix haute. Faut que j'écrive, ça me permet de penser, en fait. Tiens, je vais écrire ce que j'ai fait depuis hier. Je m'étais arrêté à mes envies suicidaires. En fait, ce qui m'a interrompu, c'est une montée de bile que je suis allé élégamment déverser dans mes toilettes. Après ça, je suis resté fébrile, accroupi dans les chiottes, en pleurant comme un nouveau né. Quand je me suis finalement relevé, le reflet que m'a renvoyé le miroir m'a foutu les jetons. En à peine une heure, j'étais totalement transformé. Livide, le visage inondé de larmes, j'étais pas beau à voir. Je vais me décrire, pendant qu'on y est. Un visage assez fin, sans boutons, mais pas super beau. Un nez un peu retroussé, des yeux noirs et des sourcils plutôt marqués. Je crois que c'est tout pour le visage. Ah, et des cheveux assez courts et bruns. Un peu ébouriffés, à ce moment là. Je crois que j'ai essayé de m'en arracher. Sinon, je suis grand, et je me porte assez bien.

Ah oui, j'étais dans mes toilettes. Je suis resté comme ça dix minutes à me regarder droit dans les yeux, et à pleurer de plus belle. Qu'est-ce que j'en avais à foutre, de pleurer comme une fillette ? Plus rien ne comptait. J'ai trouvé le courage de me détourner de la glace, et j'ai descendu les escaliers sans me presser, en me tenant à la rambarde. Ça m'a fait mal, de les revoir. À intervalles de temps réguliers, une petite voix dans ma tête me disait : « Thésée, tu les reverras jamais, ils sont morts... » Je prenais conscience, petit à petit, qu'ils n'étaient plus. Je me suis lourdement laissé tomber près du corps d'Alice, et j'ai caressé ses cheveux.

Ma sœurette. Elle avait treize ans. C'était ma sœur, bordel ! Une emmerdeuse. On passait notre temps à nous engueuler, tous les trois. Comme beaucoup de frères et sœurs, je crois. En fait je m'aperçois que c'est une relation étrange. Aucun mot doux, peu de politesse, toujours des engueulades, et pourtant, énormément d'amour. Je me suis rendu compte qu'elle comptait énormément à mes yeux, et il a fallu pour cela que je la perde. Sinon, pourquoi suis-je allé m'asseoir près d'elle, cette petite idiote qui croyait tout savoir ? Mes larmes ont redoublé, et je me suis excusé tout haut. La douleur dans ma poitrine devenait familière, mais toujours insupportable. Je me balançais d'avant en arrière en sanglotant, et je caressais les mèches blondes de ma raison de vivre.

Elle paraissait sereine pourtant, malgré sa mort fulgurante. Est-elle partie avant de s'écrouler ? J'espère qu'elle n'a pas souffert. Que c'est arrivé d'un coup. Sur le moment, j'ai voulu que ça m'arrive... Mais non, le temps est passé et j'étais toujours bien vivant, avec elle, et je touchais sa main tiède qui se refroidissait lentement.

Puis j'ai serré mon frère dans mes bras. Je ne l'avait jamais fait, à mon souvenir. Ça m'a fait bizarre. Il avait quatorze ans, et me ressemblait beaucoup. J'ai eu l'impression de me serrer moi même dans mes bras, et lorsque j'ai reposé sa tête sur le carrelage froid, je savais qu'il était une partie de mon âme, perdue à jamais.
J'ai finalement dit adieu à mes parents, mais je ne veux pas m'attarder. Je veux oublier ce moment de mon existence.

Il est déjà quinze heures. Ça fait un bon moment que je médite, assis au milieu des ruines de ma vie. Je ne parlerai plus d'eux. De toute façon, si vous n'avez pas déjà une idée de ce que j'ai ressenti, je ne parviendrai pas à mieux vous le montrer par écrit. En tout cas, c'est super dur. Vous vous en doutez. Pourquoi « vous » ? Si ça se trouve, je suis le seul survivant sur cette planète, ce qui diminue grandement les chances qu'on me lise... Bah.

Je me suis finalement relevé, péniblement. Et je suis sorti. J'habite dans une petite maison en bordure d'un lotissement, et la nationale passe à deux pas. Quand j'ai poussé la porte, j'ai compris qu'un truc n'allait pas. Il n'y avait pas un bruit dehors. Pas un oiseau, pas une voiture. Rien. J'ai fait quelque pas et me suis senti intimidé par le silence surnaturel de ce monde gigantesque. J'ai continué de marcher, jusqu'à arriver en vue de la route. Le spectacle qui s'est offert à moi m'a donné le vertige. Sept voitures étaient arrêtées au milieu de la route, contact éteint. Et leurs occupants... Ils étaient étendus sur le sol, à quelques mètres. Morts.

-Y a quelqu'un ? ai-je lancé-je, au hasard.
J'ai eu l'impression d'entendre l'écho de ma voix. Ça m'a foutu les boules, sérieusement. Je me suis senti comme un grain de sable isolé, perdu au milieu de nulle part. Je crois que n'importe qui ressentirait ça. C'est un peu le contraire de la claustrophobie, je connais pas le terme exact. Toujours est-il que personne ne m'a répondu, et que je suis vite retourné chez moi. Je préférais encore rester avec mes parents morts que d'affronter cette immensité vide et silencieuse. Quel bordel. À ce moment-là, j'ai pensé à Will Smith dans « Je suis une légende ». Puis j'ai pensé à Will Smith tout court, et me suis demandé s'il était allongé quelque part, lui aussi. Je dois commencer à perdre la tête. Une fois chez moi, je me suis effondré une nouvelle fois en les voyant. Puis j'ai eu l'idée de les enterrer. Je leur devais bien ça.

Comme une âme en peine, je suis allé dans le garage, j'ai contourné la voiture et j'ai attrapé une pelle. Ça s'est passé hier, et pourtant ça me paraît lointain. Sûrement le choc... En fait j'ai encore l'impression d'être dans un rêve. Et en relisant ce que j'écris, je vois que j'ai beaucoup d'impressions. Normal en même temps, vu l'expérience que je vis...
Mon jardin était silencieux, lui aussi. Il n'y avait pas une miette de vent, l'air était lourd. J'ai commencé à frapper le sol avec ma pelle. Sans succès. Je ne sais pas si c'est à cause de la dureté de la terre ou si mes forces m'avaient abandonné, toujours est-il que je me suis épuisé au soleil pendant une bonne demi heure, sans parvenir à quelque chose de concluant. C'est si difficile de faire son deuil ? À chaque coup de pelle, mon corps entier tremblait, et la sueur commençait à perler sur mon front. Il devait faire quarante degrés. J'ai renoncé. Je sais ce que vous pensez de moi. Même pas capable d'aller au bout. Mais j'étais épuisé. Physiquement, psychologiquement. J'avais faim et soif, et en même temps la simple idée de manger me donnait la nausée. Je suis finalement rentré, et sans un regard pour eux, je suis allé m'allonger sur mon lit. J'ai fermé les yeux, en repensant calmement à ce que je venais de vivre. Contre toute attente, je me suis endormi.

C'est l'odeur qui m'a réveillé, aux alentours de quatre heures du matin. J'ai émergé, sans savoir où j'étais, comme chaque matin depuis dix-sept ans environ. Puis je me suis souvenu, mon cœur a bondi dans ma poitrine, la douleur sourde est revenue de plus belle. Et cette odeur... Bien qu'encore à moitié endormi, je me savais plus alerte que la veille. J'étais plus lucide, je ne saurais dire pourquoi. Le choc post-traumatique, encore celui-là... Il avait dû passer.
La situation dans laquelle j'étais a commencé à me faire flipper. Seul dans une maison en pleine nuit, avec quatre cadavres. Même si c'est ma famille, c'est quand même macabre. Puis j'ai repensé à Will Smith, et ça m'a pas plu. C'est con quand même... Mais qui sait comment vous auriez réagi ?

Je me suis levé, et j'ai tout allumé. L'odeur m'a rappelé à son bon souvenir. Elle n'était pas encore insoutenable, mais le simple fait de connaître son origine me tournait l'estomac. Elle a gagné en intensité lorsque j'ai descendu les marches. Ils étaient restés sagement à leurs places, maintenant exsangues. J'ai fait l'erreur de respirer par la bouche, et les miasmes propres à la décomposition se sont engouffrés dans ma gorge. J'ai eu un haut le cœur, et j'ai décidé de retenir ma respiration. Je n'avais plus du tout envie de les tenir dans mes bras, à présent. Je suis allé à la cuisine, et en passant près d'eux, un bourdonnement horrible m'a fait sursauter. Je n'ai pas regardé, mais je sais ce que c'était.

Des mouches. Horrifié, je me suis enfermé dans la cuisine, et j'ai sorti tout ce que j'ai pu du frigo et des placards. Les larmes aux yeux, je suis retourné dans ma chambre à toute vitesse, perdant en chemin des gâteaux au citron et un bocal de ratatouille. Je me suis efforcé de ne pas penser aux insectes qui festoyaient dans le salon, aux mandibules qui découpaient les organes de mes parents, aux dizaines d'œufs qui devaient actuellement être pondus dans leurs yeux... Mais vous vous en doutez, j'y ai pensé. J'ai fermé la porte de ma chambre en haletant, et j'ai laissé tomber toute la nourriture à mes pieds. Toute faim m'avait quitté, mais j'ai quand même ouvert un paquet de cookies. J'ai grignoté un biscuit, et ça m'a fait du bien. Debout dans l'encadrement de la porte, j'ai regardé dans le vague sans penser à rien. Puis j'ai vu ce papier trônant sur mon bureau. Et j'ai repris l'écriture.
Je ne sais pas si c'est une impression, mais je sens encore l'odeur, malgré la porte fermée. J'ai l'impression qu'elle devient plus forte, et je sais qu'elle va vite devenir insupportable. Je l'ai vu dans des films. Je dois retourner dans le jardin, et finir de creuser la tombe, pendant que la terre est froide.

Je reviens.


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