Kaileena, l'Impératrice des Papillons
Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique , Horreur
Status : Terminée
Note :
Chapitre 41
Les Sources (première suite)
Publié le 07/11/10 à 18:47:16 par SyndroMantic
Bien vite, je repris mes esprits. Il ne me fallait pas échouer. Je ne m'étais tout de même pas rendue en cet endroit pour y succomber ! J'étais déterminée. C'était ma première épreuve. Je devais être forte. Zohak avait parlé d'un point duquel je pourrais repérer cet arbre qui, selon ses dires, me mènerait sur les traces de mes origines. L'idée me submergeait d'impatience. Tant d'ennui passé, depuis ! J'avais beau renifler les sables, visiter la végétation de nuit, inspecter ma naissance, et le reste... aucune journée n'avait été aussi extraordinaire que cette courte aventure-Là. Comment nier la nostalgie que j'en retenais, après tout ce temps... Cela avait duré si peu que l'attente qui avait suivit me semblait être une macrobie, en comparaison. A mon âge, cette constatation fait évidemment sourire. L'Immortalité a de quoi occuper. Il n'y a qu'à voir ce que je dus alors braver, pour l'obtenir. Zohak n'avait jamais imaginé vers où me mènerait la piste qu'il m'avait lancée...
Je l'espère en partie du moins, car la suite directe ne me fut guère plaisante. Je cherchais un éventuel promontoire pour mon observation, et le seul que je trouvai se situait en plein dans le petit lac, dressé à quelques mètres seulement des chutes tonitruantes. Une flèche de pierre se dressait vers le ciel, là-bas, assez haute pour me permettre une vue assez confortable du périmètre lointain. Malheureusement, je ne pouvais y accéder que par des rochers posés sur une bonne moitié du lac, à la suite les uns des autres. Ce pont fragmentaire me paraissait tout à fait impossible à outrepasser. L'eau s'émancipait devant mes yeux, autour du roc semblable à une pupille de verre. Il aurait fallut plusieurs segments supplémentaires à mes jambes pour effectuer un tel franchissement. Une grimace étrangla mon visage, comme pour éternuer. Je retins mon souffle.
Traverser : cette obligation volontaire, son refus interdit, me rapporta ces psychoses enfantines, devant les potentialités de l'existence. Une chose tellement instable que j'y voyais les vagues faire chanceler ces plates-formes miniatures. Les rives alentours bougèrent aussi. La grotte élevée, ensuite. Les arbres de la forêt, encore. Le nuage des cieux, bientôt, et ce fut enfin que je réalisai le déséquilibre fiévreux que me faisait subir ces angoisses. Je sentais mes jambes prêtes à se dérober dans la seconde, confiant mon point de chute au hasard. Je me donnai sans le vouloir au hasard ! Une femme telle que moi peut-elle seulement fermer les yeux, quand il s'agit de son sort ? J'étais à deux pas de l'Eau. Combien de mauvaises fortunes pouvaient m'y faire plonger ? Eh oui : ce n'est pas le danger qui amène la peur, mais l'exact contraire.
Je fermai les yeux. Je fermai aussi mes oreilles. De même que je fermai ma bouche. En fait, je me fermai tout court. Ce fut une absence. Il n'y avait plus de Kaileena. La jeune fille s'était perdue quelque part. Même les sables avaient disparus. Tout ce qui restait, c'était ma volonté irraisonnée de me sortir de ce danger. Une déflagration de l'instinct de survie. Il s'empara de moi aussi rapidement que jaillit la conscience, aussi vite qu'elle s'éteint. Je tombai, une jambe me rattrapa, un pas avança, quinze autres le suivirent. Chaque rocher défilant sous mon corps me soulevait des sursauts de terreur, mais celle-ci n'avait déjà plus d'emprise sur mes jambes. A peine commençai-je à crier que mes bras précédemment tendus se plaquaient contre la paroi du roc principal.
Je gardai les yeux rivés sur la pierre rugueuse. La vue de l'océan qui m'entourait m'aurait à coup sûr faite paniquée jusqu'à l'arrêt cardiaque. J'étais maintenant si proche du but... Tout en soufflant, la respiration calmée par effort, je levai un pied, agrippée des deux mains à une prise solide. Cela n'avait rien à voir avec l'escalade d?un tronc, mais ce n'était guère plus ardu. Pas une goutte de sueur ne dégringola de mes joues, pendant que je montais vers le ciel. Tant que je me hissais, plaquée contre le mur, rien ne semblait pouvoir me faire chavirer. Rester debout. Quelque fût l'heure, le lieu ou la position du chemin. Et rien ne pouvait m'arriver. Plus tard, je finis enfin par atteindre le sommet du pic. La vue y était effectivement fort belle. Je ne souffrais en effet d'aucun vertige. Cette cime minérale m'offrit ainsi une sorte de refuge psychologique, à une hauteur qu'aucune marée ne pouvait attenter. Et je riais, une fois pour toute, de regarder de haut la petitesse de la lointaine flaque sous mes pieds, tantôt si intimidante.
Une fois ce futile amusement passé, je m'étirai pour observer la vue que Zohak m'avait recommandée la veille. Une étendue incroyable de verdures s'agitait dans le vent, parcourue de giclements des volatiles fuyant les nuages. Le temps s'était un peu plus couvert, depuis mon départ. A la réflexion, la forêt m'était plus attrayante sous la nuit que sous le jour. Révélée à la lumière, ses jets de feuillée m'inspiraient une frénésie semblable à celle des flots tempétueux de la mer. Les tendres disputes qui animaient ses branches produisaient le même vacarme que la pluie. Heureusement, mes précédentes victoires me rendaient plus confiante, face à ce nouveau tableau, et je me concentrai une fois de plus sur mon objectif. Zohak m'avait indiqué la direction de l'ouest. Cette après-midi, le soleil se profilait devant moi à droite. Je me tournai en arrière vers la gauche. En plissant les yeux, je distinguai effectivement un arbre fin dans le lointain, comme mort, noir d'écorce et nu de feuillages. Sec comme l'être qui ne fléchit pas d'un degré face aux tourments et aux années. Sa forme ondulée laissait deviner une poussée en spirale, tel que Zohak me l'avait décrite. Telle était mon objectif.
Au moment même où j'appréhendais ma descension suivante, soudain aperçue de la difficulté de grimper à reculons, un hurlement qui n'était pas le mien perça mes tympans. Mes épaules se contractèrent, avant même d'être saisies par deux pinces crochues. Une créature m'extirpa du rocher à une brusque vitesse. J'inspirai dans toute ma frayeur. Un bruit d'ailes me fit comprendre le danger qui me guettait. La sensation de vide sous mes jambes, enfin, me fit laisser échapper des cris d'affolement. J'étais beaucoup trop haute, sans mon socle de pierre. J'espérai de tout mon coeur que cet animal extraordinaire ne fût pas assez stupide pour ne chercher que ma chute, voir mon écrasement. Non, il ne devait m'enlever que pour les becs affamés de ses descendants. Ses griffes serraient douloureusement ma chair. Du rouge coula sur ma chemise. Je pleurais de souffrance. Derrière mes larmes, je levai les yeux. Je ne pouvais faire que cela.
L'ombre du faucon recouvrit mon regard. Il mesurait plus de trois mètres. Son envergure en faisait le double. Ses ailes n'avaient qu'à légèrement osciller pour planer sur des distances, que même le tigre ne pouvait enjamber au summum de son allure. Son plumage argenté se peignait de taches brunes, sur son cou et sa queue. Ses serres étaient aussi sombres que ses yeux impénétrables. Son bec luisait d'un miroitement doré. Sa voix me semblait d'un coup plus grave, alors qu'il répétait avec insistance ses vagissements étranges.
A mesure que je reprenais mes esprits, l'odeur du sang parvenait à mes narines. Mon épée tenait toujours, à ma ceinture. La main pleine de transpiration, je la sortis de sa gaine et échangeai à mon ravisseur les blessures de ses doigts aigus contre une balafre tranchante. La bête gémit, meurtrie par l'attaque de mon glaive. La cadence de ses bras s'accéléra dans une trajectoire perturbée. L'équilibre du vol de ces animaux est toujours bien fragile. Le grand oiseau beuglait, et le sang que sa plaie relâchait semblait peser un fardeau, d'après son attitude désemparée. Les nuages s'éloignaient, sans pourtant que la bête n'acceptât de les abandonner. Elle battait l'air, comme si cela suffirait à nous maintenir. Je voulus presque agiter les jambes, convaincue que cela vaudrait bien autant. Sans doute le monstre en fut-il vexé... Je trouvais notre vitesse déjà conséquente, lorsqu'il me lâcha près des feuillages.
Mes hurlements firent peur aux perroquets situés dans les houppiers, qui s'envolèrent à mon arrivée. Une tempête électrique me fouetta la peau, en traversant les premières branches. Mon visage se griffa à plusieurs reprises. A défaut de freiner ma chute, ces douleurs, au moins, vivifièrent suffisamment mes sensations pour me donner le réflexe de saisir frénétiquement la première liane à portée de ma main. Lorsque celle-ci fut tendue, je me cramponnai du plus fort de mes doigts et bras, pour tenir le temps du balancement. Moins vite, je me dirigeais à présent à la verticale à cinq mètres du sol, entre les troncs d'acajous. Mes coudes tapèrent certaines écorces, avant que l'une d'elle ne s'interposât sur mon tracé. J'étais à la limite de remonter quand mes pieds amortirent l'impact. Il s'agissait d'une plante bancale, que je crus penché par mon poids. Sa pente m'offrit la confiance de lâcher prise et de dévaler sa charpente vers le bas, dans mon élan, pour mieux anticiper, et donc contrôler, mon retour sur la terre ferme. Je ré-atterris lourdement, affalée sur la sombre mousse du sol.
Vivante.
Mon coeur battait à toute allure. J'étais hors de souffle. Immobile, je sentis à nouveau les élancements de mes épaules, couvertes de mon sang. Et qui, alors, viendrait me les soigner ? Zohak était mort. J'étais toute seule. Les lamentations reculées de ma victime résonnaient fébrilement, plus loin - cette nuit, des oisillons allaient mourir de faim. Quant à moi, je me croyais perdue. Quel résultat ! J'avais le sentiment de m'être ruée à ma perte, et les issues en devenaient de plus en plus obscures. J'essayai de trouver où résidait l'erreur, où j'avais bien pu gâter les choses... A la première épreuve seulement qu'induisait ma quête ? Cela aurait été affligeant d'être si peu armée... J'avais suivi mot pour mot les directives de Zohak. Tous ces parcours étaient nécessaires. S'il était un responsable de mes malheurs, rien d'autre que le Destin n'en pouvait être inculpé. Sur les toits de la forêt, là où nulle verdure ne s'élevait, le hasard avait laissé mon sort me retrouver sous la forme d'un rapace. Un sacrifice inévitable que j'avais par chance bravé haut la main.
Mes veines brûlaient, de part et d'autre de ma poitrine. Une larme de douleur glissa sur ma paupière. La colère accéléra mon coeur. Mais Zohak ? N'était-il pas lui-même l'initiateur de mon aventure ? Après tout, il en était le prédicateur, c'était du pareil au même. Hormis la survenue du volatile, il avait exactement dicté ce que je ferais par la suite. Et tout cela s'était produit. Ce vieillard ne pouvait être messager de ma Destinée, c'était ridicule. Il était certes un pantin, mais pas de cette chose-là. Il n'avait pas la tête de n'importe quel oracle dont j'entends parfois parler. De toute sa vie, Zohak n'avait jamais eu l'expression que d'un pauvre hère soumis et insignifiant. Mais il avait été mon ami... Loin d'anticiper cette journée que je vivais à cet instant, il m'avait demandé de la réaliser. Et moi, grande âme naïve et miséricordieuse, je lui avais une fois de plus obéi. Contrairement à ce que je pensais en quittant le camp, il y avait encore tout à faire de mon indépendance.
Car si j'étais en ces conditions, c'était uniquement parce que je ne pouvais plus ignorer la possibilité de connaître le plus grand mystère qui ait jamais pu m'habiter. Zohak ne devait cette obéissance qu'à cela. Ceci établi, restait à se demander à quoi je devais son projet de m'envoyer en pleine jungle. Certes, c'était là un des moyens pour moi de connaître la vérité, mais la parole n'était-elle pas beaucoup plus pratique et sans danger ? Plutôt que d'économiser le peu de secondes qu'il avait encore à consommer pour m'épargner ces périls, il s'était borné à proférer ses discours insensés. Si je puis personnellement prédire l'histoire, aucun humain n'a le droit de se justifier par le Destin qui l'accompagne. Il est trop facile de refuser de s'en écarter. Une once de courage suffit à s'affirmer contre Lui ! Zohak aurait pu m'éviter tout cela, s'il avait seulement eu la volonté sincère de m'aider...
Je bouillonnais de rage. Je ne savais plus quelle chaleur m'envahissait, extérieure ou intérieure. Mes pensées se bousculaient. J'avais du mal à raisonner. La seule réflexion qui me restait, c'était la culpabilité de Zohak. C'était de Sa faute. Les erreurs ne sont pas toujours laborieuses à accepter, lorsque la responsabilité nous en incombe. Mais lorsqu'il s'agit d'une influence étrangère, une conscience que l'on ne peut comprendre, la peine se métamorphose en rancoeur excédée contre la fatalité absurde. Je me relevai, le cou dans les épaules. A une dizaine de mètre, je vis l'éclatement lumineux de la lame pourprée de ma machette. Ma nervosité avait atteint son paroxysme. Je m'y rendis d'un pas irrité, l'extirper de son bois, et guettai les lieux. C'est à ce moment que je m'aperçus de leur singularité : presque tous les arbres étaient inclinés, dans la direction qui me semblait être l'ouest. Là d'où je venais. Je me rappelai avoir entendu que le tronc enroulé que je cherchais influait sur le décor. Bien que je ne puisse le distinguer de mon niveau, je devinai sans difficulté que cette incidence était répulsive. Soit, me dis-je, mon objectif serait le point même que les ramures semblaient fuir. Je devais être proche du but. Le sourire aux lèvres, je m'avançai à nouveau.
Je l'espère en partie du moins, car la suite directe ne me fut guère plaisante. Je cherchais un éventuel promontoire pour mon observation, et le seul que je trouvai se situait en plein dans le petit lac, dressé à quelques mètres seulement des chutes tonitruantes. Une flèche de pierre se dressait vers le ciel, là-bas, assez haute pour me permettre une vue assez confortable du périmètre lointain. Malheureusement, je ne pouvais y accéder que par des rochers posés sur une bonne moitié du lac, à la suite les uns des autres. Ce pont fragmentaire me paraissait tout à fait impossible à outrepasser. L'eau s'émancipait devant mes yeux, autour du roc semblable à une pupille de verre. Il aurait fallut plusieurs segments supplémentaires à mes jambes pour effectuer un tel franchissement. Une grimace étrangla mon visage, comme pour éternuer. Je retins mon souffle.
Traverser : cette obligation volontaire, son refus interdit, me rapporta ces psychoses enfantines, devant les potentialités de l'existence. Une chose tellement instable que j'y voyais les vagues faire chanceler ces plates-formes miniatures. Les rives alentours bougèrent aussi. La grotte élevée, ensuite. Les arbres de la forêt, encore. Le nuage des cieux, bientôt, et ce fut enfin que je réalisai le déséquilibre fiévreux que me faisait subir ces angoisses. Je sentais mes jambes prêtes à se dérober dans la seconde, confiant mon point de chute au hasard. Je me donnai sans le vouloir au hasard ! Une femme telle que moi peut-elle seulement fermer les yeux, quand il s'agit de son sort ? J'étais à deux pas de l'Eau. Combien de mauvaises fortunes pouvaient m'y faire plonger ? Eh oui : ce n'est pas le danger qui amène la peur, mais l'exact contraire.
Je fermai les yeux. Je fermai aussi mes oreilles. De même que je fermai ma bouche. En fait, je me fermai tout court. Ce fut une absence. Il n'y avait plus de Kaileena. La jeune fille s'était perdue quelque part. Même les sables avaient disparus. Tout ce qui restait, c'était ma volonté irraisonnée de me sortir de ce danger. Une déflagration de l'instinct de survie. Il s'empara de moi aussi rapidement que jaillit la conscience, aussi vite qu'elle s'éteint. Je tombai, une jambe me rattrapa, un pas avança, quinze autres le suivirent. Chaque rocher défilant sous mon corps me soulevait des sursauts de terreur, mais celle-ci n'avait déjà plus d'emprise sur mes jambes. A peine commençai-je à crier que mes bras précédemment tendus se plaquaient contre la paroi du roc principal.
Je gardai les yeux rivés sur la pierre rugueuse. La vue de l'océan qui m'entourait m'aurait à coup sûr faite paniquée jusqu'à l'arrêt cardiaque. J'étais maintenant si proche du but... Tout en soufflant, la respiration calmée par effort, je levai un pied, agrippée des deux mains à une prise solide. Cela n'avait rien à voir avec l'escalade d?un tronc, mais ce n'était guère plus ardu. Pas une goutte de sueur ne dégringola de mes joues, pendant que je montais vers le ciel. Tant que je me hissais, plaquée contre le mur, rien ne semblait pouvoir me faire chavirer. Rester debout. Quelque fût l'heure, le lieu ou la position du chemin. Et rien ne pouvait m'arriver. Plus tard, je finis enfin par atteindre le sommet du pic. La vue y était effectivement fort belle. Je ne souffrais en effet d'aucun vertige. Cette cime minérale m'offrit ainsi une sorte de refuge psychologique, à une hauteur qu'aucune marée ne pouvait attenter. Et je riais, une fois pour toute, de regarder de haut la petitesse de la lointaine flaque sous mes pieds, tantôt si intimidante.
Une fois ce futile amusement passé, je m'étirai pour observer la vue que Zohak m'avait recommandée la veille. Une étendue incroyable de verdures s'agitait dans le vent, parcourue de giclements des volatiles fuyant les nuages. Le temps s'était un peu plus couvert, depuis mon départ. A la réflexion, la forêt m'était plus attrayante sous la nuit que sous le jour. Révélée à la lumière, ses jets de feuillée m'inspiraient une frénésie semblable à celle des flots tempétueux de la mer. Les tendres disputes qui animaient ses branches produisaient le même vacarme que la pluie. Heureusement, mes précédentes victoires me rendaient plus confiante, face à ce nouveau tableau, et je me concentrai une fois de plus sur mon objectif. Zohak m'avait indiqué la direction de l'ouest. Cette après-midi, le soleil se profilait devant moi à droite. Je me tournai en arrière vers la gauche. En plissant les yeux, je distinguai effectivement un arbre fin dans le lointain, comme mort, noir d'écorce et nu de feuillages. Sec comme l'être qui ne fléchit pas d'un degré face aux tourments et aux années. Sa forme ondulée laissait deviner une poussée en spirale, tel que Zohak me l'avait décrite. Telle était mon objectif.
Au moment même où j'appréhendais ma descension suivante, soudain aperçue de la difficulté de grimper à reculons, un hurlement qui n'était pas le mien perça mes tympans. Mes épaules se contractèrent, avant même d'être saisies par deux pinces crochues. Une créature m'extirpa du rocher à une brusque vitesse. J'inspirai dans toute ma frayeur. Un bruit d'ailes me fit comprendre le danger qui me guettait. La sensation de vide sous mes jambes, enfin, me fit laisser échapper des cris d'affolement. J'étais beaucoup trop haute, sans mon socle de pierre. J'espérai de tout mon coeur que cet animal extraordinaire ne fût pas assez stupide pour ne chercher que ma chute, voir mon écrasement. Non, il ne devait m'enlever que pour les becs affamés de ses descendants. Ses griffes serraient douloureusement ma chair. Du rouge coula sur ma chemise. Je pleurais de souffrance. Derrière mes larmes, je levai les yeux. Je ne pouvais faire que cela.
L'ombre du faucon recouvrit mon regard. Il mesurait plus de trois mètres. Son envergure en faisait le double. Ses ailes n'avaient qu'à légèrement osciller pour planer sur des distances, que même le tigre ne pouvait enjamber au summum de son allure. Son plumage argenté se peignait de taches brunes, sur son cou et sa queue. Ses serres étaient aussi sombres que ses yeux impénétrables. Son bec luisait d'un miroitement doré. Sa voix me semblait d'un coup plus grave, alors qu'il répétait avec insistance ses vagissements étranges.
A mesure que je reprenais mes esprits, l'odeur du sang parvenait à mes narines. Mon épée tenait toujours, à ma ceinture. La main pleine de transpiration, je la sortis de sa gaine et échangeai à mon ravisseur les blessures de ses doigts aigus contre une balafre tranchante. La bête gémit, meurtrie par l'attaque de mon glaive. La cadence de ses bras s'accéléra dans une trajectoire perturbée. L'équilibre du vol de ces animaux est toujours bien fragile. Le grand oiseau beuglait, et le sang que sa plaie relâchait semblait peser un fardeau, d'après son attitude désemparée. Les nuages s'éloignaient, sans pourtant que la bête n'acceptât de les abandonner. Elle battait l'air, comme si cela suffirait à nous maintenir. Je voulus presque agiter les jambes, convaincue que cela vaudrait bien autant. Sans doute le monstre en fut-il vexé... Je trouvais notre vitesse déjà conséquente, lorsqu'il me lâcha près des feuillages.
Mes hurlements firent peur aux perroquets situés dans les houppiers, qui s'envolèrent à mon arrivée. Une tempête électrique me fouetta la peau, en traversant les premières branches. Mon visage se griffa à plusieurs reprises. A défaut de freiner ma chute, ces douleurs, au moins, vivifièrent suffisamment mes sensations pour me donner le réflexe de saisir frénétiquement la première liane à portée de ma main. Lorsque celle-ci fut tendue, je me cramponnai du plus fort de mes doigts et bras, pour tenir le temps du balancement. Moins vite, je me dirigeais à présent à la verticale à cinq mètres du sol, entre les troncs d'acajous. Mes coudes tapèrent certaines écorces, avant que l'une d'elle ne s'interposât sur mon tracé. J'étais à la limite de remonter quand mes pieds amortirent l'impact. Il s'agissait d'une plante bancale, que je crus penché par mon poids. Sa pente m'offrit la confiance de lâcher prise et de dévaler sa charpente vers le bas, dans mon élan, pour mieux anticiper, et donc contrôler, mon retour sur la terre ferme. Je ré-atterris lourdement, affalée sur la sombre mousse du sol.
Vivante.
Mon coeur battait à toute allure. J'étais hors de souffle. Immobile, je sentis à nouveau les élancements de mes épaules, couvertes de mon sang. Et qui, alors, viendrait me les soigner ? Zohak était mort. J'étais toute seule. Les lamentations reculées de ma victime résonnaient fébrilement, plus loin - cette nuit, des oisillons allaient mourir de faim. Quant à moi, je me croyais perdue. Quel résultat ! J'avais le sentiment de m'être ruée à ma perte, et les issues en devenaient de plus en plus obscures. J'essayai de trouver où résidait l'erreur, où j'avais bien pu gâter les choses... A la première épreuve seulement qu'induisait ma quête ? Cela aurait été affligeant d'être si peu armée... J'avais suivi mot pour mot les directives de Zohak. Tous ces parcours étaient nécessaires. S'il était un responsable de mes malheurs, rien d'autre que le Destin n'en pouvait être inculpé. Sur les toits de la forêt, là où nulle verdure ne s'élevait, le hasard avait laissé mon sort me retrouver sous la forme d'un rapace. Un sacrifice inévitable que j'avais par chance bravé haut la main.
Mes veines brûlaient, de part et d'autre de ma poitrine. Une larme de douleur glissa sur ma paupière. La colère accéléra mon coeur. Mais Zohak ? N'était-il pas lui-même l'initiateur de mon aventure ? Après tout, il en était le prédicateur, c'était du pareil au même. Hormis la survenue du volatile, il avait exactement dicté ce que je ferais par la suite. Et tout cela s'était produit. Ce vieillard ne pouvait être messager de ma Destinée, c'était ridicule. Il était certes un pantin, mais pas de cette chose-là. Il n'avait pas la tête de n'importe quel oracle dont j'entends parfois parler. De toute sa vie, Zohak n'avait jamais eu l'expression que d'un pauvre hère soumis et insignifiant. Mais il avait été mon ami... Loin d'anticiper cette journée que je vivais à cet instant, il m'avait demandé de la réaliser. Et moi, grande âme naïve et miséricordieuse, je lui avais une fois de plus obéi. Contrairement à ce que je pensais en quittant le camp, il y avait encore tout à faire de mon indépendance.
Car si j'étais en ces conditions, c'était uniquement parce que je ne pouvais plus ignorer la possibilité de connaître le plus grand mystère qui ait jamais pu m'habiter. Zohak ne devait cette obéissance qu'à cela. Ceci établi, restait à se demander à quoi je devais son projet de m'envoyer en pleine jungle. Certes, c'était là un des moyens pour moi de connaître la vérité, mais la parole n'était-elle pas beaucoup plus pratique et sans danger ? Plutôt que d'économiser le peu de secondes qu'il avait encore à consommer pour m'épargner ces périls, il s'était borné à proférer ses discours insensés. Si je puis personnellement prédire l'histoire, aucun humain n'a le droit de se justifier par le Destin qui l'accompagne. Il est trop facile de refuser de s'en écarter. Une once de courage suffit à s'affirmer contre Lui ! Zohak aurait pu m'éviter tout cela, s'il avait seulement eu la volonté sincère de m'aider...
Je bouillonnais de rage. Je ne savais plus quelle chaleur m'envahissait, extérieure ou intérieure. Mes pensées se bousculaient. J'avais du mal à raisonner. La seule réflexion qui me restait, c'était la culpabilité de Zohak. C'était de Sa faute. Les erreurs ne sont pas toujours laborieuses à accepter, lorsque la responsabilité nous en incombe. Mais lorsqu'il s'agit d'une influence étrangère, une conscience que l'on ne peut comprendre, la peine se métamorphose en rancoeur excédée contre la fatalité absurde. Je me relevai, le cou dans les épaules. A une dizaine de mètre, je vis l'éclatement lumineux de la lame pourprée de ma machette. Ma nervosité avait atteint son paroxysme. Je m'y rendis d'un pas irrité, l'extirper de son bois, et guettai les lieux. C'est à ce moment que je m'aperçus de leur singularité : presque tous les arbres étaient inclinés, dans la direction qui me semblait être l'ouest. Là d'où je venais. Je me rappelai avoir entendu que le tronc enroulé que je cherchais influait sur le décor. Bien que je ne puisse le distinguer de mon niveau, je devinai sans difficulté que cette incidence était répulsive. Soit, me dis-je, mon objectif serait le point même que les ramures semblaient fuir. Je devais être proche du but. Le sourire aux lèvres, je m'avançai à nouveau.
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