VIII


Cela faisait déjà un petit moment qu’on entendait des petits cliquetis qui perturbaient le silence. Je n’arrivais pas à évaluer d’où ces bruits pouvaient provenir. Ca y est. C’était déjà terminé. Je me mis dos à terre, sur les coudes et me pencha pour regarder autour de moi. Yacine n’était plus là. Son corps inanimé avait disparu. Je paniquais. Me relevant rapidement, je balayais toute la salle du regard, lorsque j’aperçus avec effroi mon ennemi qui se tenait derrière moi, ma propre arme tenue dans sa main. Le barillet était ouvert. Il sortit un petit objet métallique de sa poche et le plaça dans le dernier emplacement vide. Un cliquetis se fit entendre, et il remit l’arme en place en annonçant froidement :

-Et voilà… C’était la dernière.

Le fou portait des balles sur lui. Quelle chance il a eut qu’elles conviennent à mon arme ! Mais au fond… Etait-ce vraiment de la chance ?

Il se tenait à quelques mètres de moi. Nous nous regardâmes un long moment. C’était le jeu du regard avant celui de la roulette russe. Et il pointa le pistolet dans ma direction. Cette fois, ce n’était plus de l’effroi qui me parcouru, mais quelques chose de plus fort. Maintenant, je pouvais voir la mort coincée dans ce cercle noir à la profondeur insondable… Il est là le gouffre sans fin.

Yacine me mit en joue. Au moment où il m’ajustait, une main se posa sur le bout du canon, et le boucha. Il appuya sur la gâchette, le coup partit, traversa la main, mais la balle n’eus pas la force d’atteindre sa cible. Je n’avais pas réalisé ce qu’il s’était passé. Je me croyais mort, ma vision se troublait, mes jambes me supportaient péniblement. Plutôt entrevu que vu, je m’en aperçu à peine. Cependant, j’avais confusément vu ce canon dirigé sur moi et cette main qui l’avait bouché. J’avais également entendu plusieurs coups partir. Et c’est au bout de quelques secondes où je me sentais vivant que je retrouvais mes esprits.


Eva vacillait. Elle se dirigeait vaguement dans ma direction, puis s’écroula. Je me précipitais vers elle. J’entendis faiblement mon nom prononcé dans l’obscurité. Je me courbais et vis dans l’ombre une forme qui se traînait vers moi.

-Que fais-tu ? Pourquoi n’es-tu pas partie tant que tu le pouvais ?
-Laisse-moi… Je meurs…

Elle avait un air insensé, grave et navrant. Elle leva sa main vers mon regard, où l’on vit un trou noir en son milieu. J’eus un frémissement.

-Ne t’inquiète pas, ce n’est rien… On ne meurt pas d’une main percée. Dès que nous sortirons d’ici, tu seras sauvée.

Pas de réponse. Elle appuyait sa main trouée sur sa poitrine où il y avait un autre trou, et d’où il sortait par instants un flot de sang. Puis on entendit des sanglots. Des larmes coulèrent au rythme des saccades de son cœur. Et elle me regarda de ses yeux mouillants d’une ardeur et d’une passion qui m’en coupa le souffle. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose. Seuls des soupirs se firent entendre. Mais enfin on distinguait quelque chose, un son, un bruit indescriptible, que personne ne pouvait entendre… Pourtant je l’entendis. Car il fallait avoir guetté ces mots pour les percevoir.

-Tu sais, je crois… Je crois que j’étais un peu amoureuse de toi…

Elle essaya de sourire, puis expira. Ses yeux se vidèrent d’amour pour se perdre dans l’éternité, et les dernières larmes coulèrent sur ses joues rouges. Je tenais son visage dans mes mains ensanglantées, et je me mis moi aussi à faire couler des larmes. Une goutte perla sur sa joue qui se vidait de vie, et je fermais les yeux.

J’entendis derrière moi un nouveau cliquetis. Yacine voulu me porter le dernier coup, celui qui m’aurait été fatal.







Mais c’était trop tard, il l’avait déjà fait.