2044
Par : Garyu
Genre : Polar , Science-Fiction
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 5
Une question de confiance.
Publié le 21/02/17 à 11:47:31 par Garyu
03 Mars 2044 ; 09h17 : Une question de confiance.
La tasse éclata au sol, déversant le peu de café qu’il restait dedans. Victor se leva précipitamment en jurant. Un malencontreux geste de la main avait poussé le récipient hors du bar. Face à lui, le dossier était ouvert. Ses pages étaient éparpillées sur la table. Il n’y en avait qu’une dizaine, plus quelques photos. Pourtant, Victor le lisait encore et encore depuis environ une heure. Il jura de nouveau en voyant la tasse par terre et le sol constellé de morceaux de porcelaine qui trempaient dans le café. Cela ne faisait qu’accentuer sa colère et sa fatigue de ne pas comprendre ce que cachait le rapport du défunt commandant. En effet, le dossier ne menait à rien.
Les photos étaient au nombre de trois. Elles étaient chacune numérotées et à leur dos figurait des noms. Probablement pour identifier les personnes présentes dessus. Néanmoins, Victor était certain qu’ils n’étaient que des pseudonymes. Ils portaient toujours des masques qui venaient couvrir la majeure partie de leur visage. Certains arboraient une casquette ou un chapeau. Il était donc impossible de les retrouver dans les dossiers de la police ou de lancer une recherche dans le réseau de caméras installées dans Paris et sa banlieue. Ce qui interloquait le plus Victor, c’était la façon dont les photos avaient été prises. Les personnes présentes prenaient la pose et, quand on pouvait le voir, souriaient directement à la caméra. Les clichés ressemblaient à ceux que feraient une bande de potes voulant immortaliser leurs aventures. Concernant les pages du rapport, il n’y avait que des dates et des noms, la plupart du temps les mêmes que sur les photos. A part ça il n’y avait aucune indication de lieu et les photos pouvaient avoir été prises dans n’importe quel appartement miteux de la région. On reconnaissait Gauthier sur certains clichés car il arborait le même manteau que le soir de sa mort. Il n’était jamais à l’écart, toujours bien intégré au groupe, en train d’enlacer quelqu’un ou de serrer fermement une main. Voilà ce qui décontenançait le plus Deckan : l’attitude de son ami sur les photographies. « Qu’est-ce que tu foutais, vieil homme ? » se dit-il en fixant un cliché où Christian avait la main posé sur le crâne d’un individu plus petit, comme s’il lui frottait les cheveux affectueusement. « Une femme ? » s’imagina Deckan en retournant le papier où il figurait « Christian et David ». Victor ressentit comme une pointe de jalousie à l’idée que son mentor ait pu prendre quelqu’un d’autre sous son aile. Ou plutôt que Christian ait pu entretenir une relation semblable à la leur avec une autre personne. Une jalousie qui tenait plus de celle que ressentirait un garçon, délaissé par ses parents après la venue d’un nouveau-né.
Victor rejeta la photo sur le comptoir et recula afin d’évaluer les dégâts : la tasse avait parfaitement éclaté, ne laissant que de gros morceaux de porcelaine bien groupés. Une mer de café s’était formée et continuait lentement à s’étendre vers les pieds de l’homme. Victor appuya sur un bouton mural où une icône de balai figurait. Un robot sortit alors du mur et entreprit de se diriger là où la tasse s’était brisée. Pendant qu’un léger vrombissement emplissait la pièce principale, Victor se dirigea vers la salle de bains afin de faire un peu de toilettes avant de se rendre aux bureaux. Il avait déjà meilleure mine qu’hier même si l’alcool lui pesait légèrement sur le crâne et l’estomac. Il n’y avait plus rien à voir avec l’homme dans l’ascenseur maintenant qu’il était rasé et qu’il s’était lavé. Il songea à ce que Besson voulait lui dire. Le jeune capitaine de police était certain qu’il s’apprêtait à l’écarter de l’affaire. « Les archives… C’est le dernier endroit où j’ai envie de me retrouver » songea-t-il en se rinçant le visage.
En un instant la pièce plongea dans le noir, arrachant Victor à ses songeries. Victor entendit un cri de surprise dans le couloir. L’immeuble entier était à présent dans la pénombre. D’instinct, Victor ouvrit un tiroir où s’étalait des serviettes, plongea la main entre deux d’entre elles et en sortit une arme : il ne voyait pas d’autre raison au piratage de l’immeuble qu’une intrusion. Il désactiva la sécurité en glissant son doigt le long de l’arme et une légère lueur verte vint confirmer qu’elle était prête à tirer. Soudainement, de la musique résonna dans tout l’étage et même tout l’immeuble. Elle émanait de tous les appareils capables de diffuser du son connectés au réseau du bâtiment : télévisions, enceintes, miroir-écrans. Pourtant, la glace devant laquelle se trouvait Victor ne diffusait aucun son mais elle s’illumina légèrement. Victor la fixa, intrigué et une phrase apparut alors : « Pas beaucoup de temps. Quitte l’immeuble. Va au café « La Loutre ». Va au bar et demande le portable. Seul. ». Elle resta une quinzaine de secondes affichée et le miroir s’assombrit. Puis, la même musique que dans le reste de l’immeuble démarra. Victor resta quelques instants complètement immobile, la bouche entrouverte. Enfin, il détala hors de la salle de bains. Il se dirigea vers l’entrée de l’appartement et enfila son manteau. Il y glissa son arme après avoir soigneusement réactivé la sécurité puis alla pianoter à l’écran qui contrôlait la porte. Au moment où il s’apprêtait à confirmer l’ouverture, il se ravisa et tourna les talons pour aller vers le bar. Là, il rassembla les feuilles et les photos qui s’éparpillaient et après les avoir remises dans le dossier, il le glissa sous son matelas. Finalement, il s’élança hors de l’appartement.
Dans le couloir, quelques personnes s’étaient rassemblées et discutaient en arborant une mine sérieuse. Victor les dépassa et passa devant la cage d’ascenseur où se trouvaient deux hommes en uniforme de technicien. L’un d’eux était au téléphone et s’énervait contre celui qu’il avait au bout du fil :
- Comment ça vous ne pouvez pas relier l’ascenseur au générateur interne ? Ecoutez-moi bien : j’ai cinq personnes de coincées dans cet ascenseur-là et il y en a une vingtaine d’autres sur les autres lignes, alors faites votre foutu boulot qu’on puisse tous les sortir de là avant dix heures ! Sinon, c’est vous qui allez faire une descente de vingt mètres pour leur dire de patienter !
Victor ouvrit la porte de service qui donnait sur des escaliers. Il songea quelques instants à la trentaine d’étages qu’il avait à descendre puis il regarda sa montre. « Bientôt 9h30… Il faut que je fasse vite » se dit-il. Il commença alors à dévaler les escaliers accompagné par la musique qui continuait à être diffusée dans tout le bâtiment.
En arrivant dans le hall du bâtiment, Victor ralentit son allure. Il s’était précipité dans les marches, dévalant les étages qui se ressemblaient en tout point si ce n’est par la saleté qui se faisait plus présente au fur et à mesure de la descente. Les techniciens de surface avaient pour consigne de nettoyer l’immeuble en commençant par le hall puis le sommet : le quarantième étage. Ainsi les sols des étages supérieurs brillaient toujours d’un blanc éclatant alors que les couloirs des étages inférieurs accumulaient la poussière. Et ce jusqu’à que l’administrateur de l’immeuble accepte de majorer les heures supplémentaires, dans ses bons jours, ou qu’il ne menace les employés de prendre la porte, dans ses mauvais. Ce qui était bien plus fréquent. Bien souvent, les nettoyeurs n’insistaient pas car ils savaient la chance qu’ils avaient : voilà des années que la plupart des travails de ce genre avaient complètement été remplacé par des robots. Cependant, on continuait à embaucher des êtres humains pour le nettoyage et la maintenance dans la police. Quelques personnes dans l’immeuble possédaient des robots, c’était le cas de Victor. Ces quelques personnes se trouvaient toutes dans les dix derniers étages.
Victor franchit la double porte coulissante et il tomba nez à nez avec un colosse de presque deux mètres. Derrière lui il entendit encore quelques instants la mélodie puis elle se tût alors que la porte se refermait, laissant place au silence. Le géant leva alors une main ganté dans un léger cliquetis mécanique pour saluer Victor et d’une voix caverneuse, il lui adressa la parole :
- Bonjour, Monsieur Deckan.
L’interpellé leva les yeux vers l’imposant bonhomme qui laissa pendre son bras à son côté, ce qui produisit un nouveau craquement mécanique. Il était en uniforme bleue et sur son crâne s’ancrait une casquette d’où dépassaient quelques touffes grisonnantes. Malgré sa taille intimidante, il dégageait quelque chose de rassurant car il avait un visage amical et souriant. Il faisait partie des gardiens de l’immeuble et aussi loin que le capitaine s’en souvenait, il avait toujours été là. Victor le salua à son tour :
- Bonjour à vous, Antoine. Comment se porte votre bras ?
A ces mots, Antoine ôta le gant de cuir de la main cliquetante. Loin de laisser apparaitre un membre de chair et de sang, ce qui se cachait en dessous était métallique. Antoine resta silencieux quelques secondes en observant sa main et il remit son gant, comme s’il avait honte de la montrer. Il y a quelques mois, un augmenté s’était fait explosé devant l’immeuble lors d’une manifestation contre la police. Le terroriste avait emporté une trentaine de civils avec lui et une colonne du bâtiment s’était effondrée sur Antoine. Celui-ci avait esquivé à temps pour ne pas se faire fracasser sous les décombres mais son bras s’était retrouvé broyé sous la pierre. Il avait passé les trois derniers mois en réhabilitation et était revenu depuis le début de semaine. Il déglutit et haussa les épaules :
- Merci de vous inquiéter pour moi, capitaine. Je suis heureux de ne pas me retrouver complètement infirme et de reprendre du service. J’ai encore cette sensation du membre fantôme, des douleurs, mais les médecins m’ont assuré que les médicaments ont aussi pour but d’habituer mon corps à la prothèse et qu’elles devraient passer d’ici quelques semaines.
Victor acquiesça mais son esprit était ailleurs : il apercevait derrière Antoine le café « La Loutre » où il se devait se rendre. Il appréciait Antoine mais il était pressé.
- Tout ira pour le mieux, dit-il en le dépassant.
Antoine le toisa d’un regard étonné puis fit à nouveau un geste de la main avant de se repositionner à côté de la porte. Victor avança d’un pas déterminé vers le café qui se trouvait derrière le barrage policier. La sécurité avait été renforcée depuis l’attentat et une portion du quartier était à présent réservée aux membres de la police. Il arriva au niveau de l’installation et salua l’officier qui se présentait devant lui.
- Capitaine, dit l’homme en uniforme en saluant Victor. Je suis navré mais vous connaissez les règles.
- Vous allez vous excuser tous les jours, demanda Deckan, irrité, tout en portant son regard vers l’établissement où il devait se rendre.
En voyant le regard de l’officier légèrement noircir, Victor regretta immédiatement ses paroles mais le mal était fait. L’homme ne dit rien de plus et recula de quelques pas en faisant signe à Victor de continuer sa route. Le capitaine avança alors vers le portique et le dépassa. Un léger vrombissement en émana et une voix féminine annonça :
- Bonjour, Capitaine Victor Deckan.
Un autre officier se présenta devant lui et commença à le fouiller, rapidement mais fermement. Il sentit l’arme dans le manteau de Deckan mais continua normalement sa fouille car celui-ci avait l’autorisation d’en porter une. Finalement, il remercia le capitaine et le salua. Victor fit de même et s’élança vers la terrasse de « La Loutre » où quelques fumeurs discutaient du temps, une tasse de café dans la main.
La porte s’ouvrit dans une sonnerie et Victor pénétra dans un brouhaha de conversations. En parcourant la salle du regard, le capitaine reconnut de nombreuses têtes : beaucoup d’entre eux travaillaient à l’immeuble où il habitait. Il ne connaissait pas leurs prénoms mais chacun de leur visage s’était peu à peu ancré dans l’esprit de Victor. En s’avançant lentement vers le bar, Victor perçut une conversation :
- Bon dieu, je suis bien content de ne pas être du matin aujourd’hui, s’exclama un homme ridé aux cheveux poivre et sel. Des types sont entrés dans le système et ont tout coupé à part ce qui peut émettre du son. Il paraît que il y a de la musique dans tout l’immeuble.
- C’est vrai ! Larry m’a appelé toute à l’heure, renchérit une jeune femme aux cheveux attachés. Impossible de couper la musique : c’est comme si on les avait dégagé du système. Du coup, ça fait vingt minutes que l’immeuble tout entier diffuse L’Ode à la joie de Beethoven, ajouta-t-elle avec un léger sourire.
La conversation se perdit dans le bruit environnant alors que Victor s’éloignait. Il arriva au bar auquel il s’accouda et fit signe au patron. C’était un homme de taille moyenne, des cheveux blonds en pompadour et une barbe courte, taillée. Celui-ci s’approcha en essuyant une tasse et lui demanda :
- Bonjour. Vous êtes là pour un café ?
- A vrai dire, je suis venu pour…, commença-t-il hésitant. Je suis venu pour le portable.
L’homme posa la tasse et mit le torchon sur son épaule. Il hocha la tête et gratta sa barbe blonde.
- Ah oui, s’exclama-t-il. Votre femme m’a appelé, elle m’a dit que vous viendrez le récupérer. Un instant, je vous prie.
Il se retourna et ouvrit un tiroir où se trouvaient vraisemblablement les objets perdus et oubliés des clients. Il en retira un téléphone portable en le fixant avec intérêt et le porta jusqu’à Victor. Il le posa devant lui et Victor put voir ce qui causait sa curiosité. L’appareil était vieux, une quarantaine d’années peut-être. C’était un téléphone à clapet comme on en faisait au début des années 2000. Victor connaissait ce genre de modèles : Christian en avait un chez lui. Les souvenirs assaillirent le policier : c’était un téléphone noir à clapet avec un clavier mécanique de la marque Motorola. Le défunt l’avait gardé tout ce temps alors que les opérateurs ne faisaient plus de carte SIM adapté à ces vieux modèles. Il lui avait un jour avoué le conserver par nostalgie. « C’est le premier téléphone que j’ai eu. Je ne dis pas que c’était mieux mais au moins on appelait téléphone portable ce qui servait à téléphoner. Enfin bon, je dois passer pour un vieux con quand je dis ça » avait-il ajouté ce jour-là. Le portable que Victor avait devant lui différait de celui de son ami même s’ils dataient de la même époque. Celui que lui présentait le patron était blanc.
- Nom de nom, j’avais pas pris le temps de bien le regarder, siffla le barman. Mon père en avait un comme ça ! Elle a quel âge votre femme ?
- Je ne sais pas, répondit Deckan, perdu dans ses souvenirs.
Le barman haussa les épaules et reprit la tasse qu’il essuya machinalement.
- Je ne juge pas, dit-il en pensant que son interlocuteur avait honte. Je vous sers un…
Il sursauta légèrement, arrêtant sa phrase, lorsque le portable se mit à vibrer de manière répétée. Il était fermé mais le nom de l’appelant s’afficha sur la façade du téléphone. « Amy » lut Victor. Il prit l’appareil mais ne l’ouvrit pas, réfléchissant à toute vitesse sur ce qu’il devait faire. « Dois-je prévenir quelqu’un ? Alex ? Besson ? Anna ? » se demanda-t-il. Le patron coupa court à sa réflexion.
- Vous feriez mieux de répondre, non, lui dit-il, toujours en essuyant la tasse.
Victor planta son regard dans le sien et cru pendant un instant que le barman avait dans les yeux comme de l’insistance. Puis son regard s’adoucit et il le salua en souriant avant de retourner à ses occupations. Victor détala hors du café en ouvrant le téléphone et le porta à son oreille. Pendant ce qu’il lui sembla une éternité il attendit qu’on parle puis une voix de femme vint sonner à ses oreilles.
- Vous avez pris votre temps, Victor.
L’intéressé se stoppa au milieu de la rue, prêtant attention à ce qui l’entourait. Il finit de traverser la route et s’éloigna du barrage policier en marchant d’un pas rapide. Il ne savait tout simplement pas quoi dire, les évènements s’étant enchaînés trop vite à son goût. Il entendit la femme souffler.
- Vous pouvez vous éloigner autant que vous voulez des immeubles de police, s’ils veulent écouter la ligne, ils l’écouteront quand même, continua-t-elle.
Victor s’arrêta net et se crispa. Non seulement elle observait ses mouvements ce qui le rendait paranoïaque mais en plus, si on écoutait son appel, c’en était fini de lui. Il jeta un regard anxieux derrière lui et jura. Pourtant, la femme éclata d’un rire chaud et moqueur.
- Détendez-vous, c’était une blague. On fait le nécessaire pour être intraçable par vos collègues. Vous comptez parler ou vous êtes un grand timide ?
Le policier sentit qu’il rougissait mais il reprit sa marche. Il déglutit car il avait la bouche sèche. Finalement, il formula une question :
- Qui êtes-vous ?
- Amy. Enfin… Si je dis David, ça vous parle, interrogea-t-elle.
Victor se souvint de la photographie où figurait Christian et un individu plus petit indiqué comme étant David. « C’était donc bien une femme… » se dit-il en se rappelant sa première impression. Ils restèrent tous les deux silencieux pendant quelques minutes. Victor se remémorait les différents clichés, essayant de se souvenir si la silhouette de David/Amy apparaissait sur d’autres photos que celle avec Christian. Puis ses pensées s’égarèrent : « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Je peux faire confiance à cette femme ? D’ailleurs est-ce vraiment une femme ? ». Il inspira afin de parler.
- ‘David’, c’est un pseudo, répondit-elle, amusée, à la question que Victor s’apprêtait à poser. Prenez à droite.
Victor se stoppa un instant devant la ruelle qui descendait entre deux bâtiments. Elle s’enfonçait dans la pénombre, le jour étant à peine levé, néanmoins le capitaine discerna un tag à une dizaine de mètres. Il était écrit « Nique la police ! ». Le policier fit non de la tête.
- Vous vous foutez de moi ? C’est un coupe-gorge, je vais me faire massacrer là-dedans, rétorqua-t-il.
Il entendit Amy soupirer à nouveau.
- Ecoutez Victor : je sais que ça fait beaucoup à digérer et ici, on est tous étonné que vous soyez allé jusque-là. Tout ce qu’on a fait, ça aurait pu nous coûter cher. Très cher, expliqua-t-elle.
Victor avança vers la ruelle et posa un pied sur la première marche. Il passa sa main libre dans ses cheveux, ne sachant que faire.
- On vous a fait confiance, ajouta-t-elle. A vous maintenant. Faites-nous confiance.
Le policier inspira profondément puis descendit encore d’une marche. A vrai dire, il n’était pas rassuré. Il ne se passait pas un mois sans qu’on retrouve un policier criblé de balles dans un dédale de rues pareil. Cependant, il savait qu’Amy avait raison : elle et son groupe avaient risqué gros. Cela dit, il n’avait pas pris le temps de réellement réfléchir depuis qu’il avait reçu le message sur son miroir. Il avait foncé tête baissé jusqu’ici. Ce constat lui fit l’effet d’un choc. « Je suis complètement taré » réalisa-t-il. Tout d’un coup, ce qu’il devait faire lui sembla clair et il recula, sûr de lui. Il était un policier, pas un traître. Que pensait-il faire ?
- Je ne suis pas Christian, dit-il simplement en éloignant le téléphone de son oreille.
- S’il vous plait, Victor, implora Amy à travers l’appareil. Christian, il croyait en vous. Il nous a dit de vous contacter.
Pendant un instant, Victor cru entendre ce que lui avait dit Anna après lui avoir remis le dossier. Soudainement, tout ce dont il avait la certitude un instant auparavant s’effaça. Il jura et reporta le portable à son oreille.
- J’y vais, dit-il en s’élançant dans les escaliers.
Il disparut alors au bout de la rue. A ce moment, deux individus dévalèrent les marches qu’il venait de fouler et prirent la même direction.
La tasse éclata au sol, déversant le peu de café qu’il restait dedans. Victor se leva précipitamment en jurant. Un malencontreux geste de la main avait poussé le récipient hors du bar. Face à lui, le dossier était ouvert. Ses pages étaient éparpillées sur la table. Il n’y en avait qu’une dizaine, plus quelques photos. Pourtant, Victor le lisait encore et encore depuis environ une heure. Il jura de nouveau en voyant la tasse par terre et le sol constellé de morceaux de porcelaine qui trempaient dans le café. Cela ne faisait qu’accentuer sa colère et sa fatigue de ne pas comprendre ce que cachait le rapport du défunt commandant. En effet, le dossier ne menait à rien.
Les photos étaient au nombre de trois. Elles étaient chacune numérotées et à leur dos figurait des noms. Probablement pour identifier les personnes présentes dessus. Néanmoins, Victor était certain qu’ils n’étaient que des pseudonymes. Ils portaient toujours des masques qui venaient couvrir la majeure partie de leur visage. Certains arboraient une casquette ou un chapeau. Il était donc impossible de les retrouver dans les dossiers de la police ou de lancer une recherche dans le réseau de caméras installées dans Paris et sa banlieue. Ce qui interloquait le plus Victor, c’était la façon dont les photos avaient été prises. Les personnes présentes prenaient la pose et, quand on pouvait le voir, souriaient directement à la caméra. Les clichés ressemblaient à ceux que feraient une bande de potes voulant immortaliser leurs aventures. Concernant les pages du rapport, il n’y avait que des dates et des noms, la plupart du temps les mêmes que sur les photos. A part ça il n’y avait aucune indication de lieu et les photos pouvaient avoir été prises dans n’importe quel appartement miteux de la région. On reconnaissait Gauthier sur certains clichés car il arborait le même manteau que le soir de sa mort. Il n’était jamais à l’écart, toujours bien intégré au groupe, en train d’enlacer quelqu’un ou de serrer fermement une main. Voilà ce qui décontenançait le plus Deckan : l’attitude de son ami sur les photographies. « Qu’est-ce que tu foutais, vieil homme ? » se dit-il en fixant un cliché où Christian avait la main posé sur le crâne d’un individu plus petit, comme s’il lui frottait les cheveux affectueusement. « Une femme ? » s’imagina Deckan en retournant le papier où il figurait « Christian et David ». Victor ressentit comme une pointe de jalousie à l’idée que son mentor ait pu prendre quelqu’un d’autre sous son aile. Ou plutôt que Christian ait pu entretenir une relation semblable à la leur avec une autre personne. Une jalousie qui tenait plus de celle que ressentirait un garçon, délaissé par ses parents après la venue d’un nouveau-né.
Victor rejeta la photo sur le comptoir et recula afin d’évaluer les dégâts : la tasse avait parfaitement éclaté, ne laissant que de gros morceaux de porcelaine bien groupés. Une mer de café s’était formée et continuait lentement à s’étendre vers les pieds de l’homme. Victor appuya sur un bouton mural où une icône de balai figurait. Un robot sortit alors du mur et entreprit de se diriger là où la tasse s’était brisée. Pendant qu’un léger vrombissement emplissait la pièce principale, Victor se dirigea vers la salle de bains afin de faire un peu de toilettes avant de se rendre aux bureaux. Il avait déjà meilleure mine qu’hier même si l’alcool lui pesait légèrement sur le crâne et l’estomac. Il n’y avait plus rien à voir avec l’homme dans l’ascenseur maintenant qu’il était rasé et qu’il s’était lavé. Il songea à ce que Besson voulait lui dire. Le jeune capitaine de police était certain qu’il s’apprêtait à l’écarter de l’affaire. « Les archives… C’est le dernier endroit où j’ai envie de me retrouver » songea-t-il en se rinçant le visage.
En un instant la pièce plongea dans le noir, arrachant Victor à ses songeries. Victor entendit un cri de surprise dans le couloir. L’immeuble entier était à présent dans la pénombre. D’instinct, Victor ouvrit un tiroir où s’étalait des serviettes, plongea la main entre deux d’entre elles et en sortit une arme : il ne voyait pas d’autre raison au piratage de l’immeuble qu’une intrusion. Il désactiva la sécurité en glissant son doigt le long de l’arme et une légère lueur verte vint confirmer qu’elle était prête à tirer. Soudainement, de la musique résonna dans tout l’étage et même tout l’immeuble. Elle émanait de tous les appareils capables de diffuser du son connectés au réseau du bâtiment : télévisions, enceintes, miroir-écrans. Pourtant, la glace devant laquelle se trouvait Victor ne diffusait aucun son mais elle s’illumina légèrement. Victor la fixa, intrigué et une phrase apparut alors : « Pas beaucoup de temps. Quitte l’immeuble. Va au café « La Loutre ». Va au bar et demande le portable. Seul. ». Elle resta une quinzaine de secondes affichée et le miroir s’assombrit. Puis, la même musique que dans le reste de l’immeuble démarra. Victor resta quelques instants complètement immobile, la bouche entrouverte. Enfin, il détala hors de la salle de bains. Il se dirigea vers l’entrée de l’appartement et enfila son manteau. Il y glissa son arme après avoir soigneusement réactivé la sécurité puis alla pianoter à l’écran qui contrôlait la porte. Au moment où il s’apprêtait à confirmer l’ouverture, il se ravisa et tourna les talons pour aller vers le bar. Là, il rassembla les feuilles et les photos qui s’éparpillaient et après les avoir remises dans le dossier, il le glissa sous son matelas. Finalement, il s’élança hors de l’appartement.
Dans le couloir, quelques personnes s’étaient rassemblées et discutaient en arborant une mine sérieuse. Victor les dépassa et passa devant la cage d’ascenseur où se trouvaient deux hommes en uniforme de technicien. L’un d’eux était au téléphone et s’énervait contre celui qu’il avait au bout du fil :
- Comment ça vous ne pouvez pas relier l’ascenseur au générateur interne ? Ecoutez-moi bien : j’ai cinq personnes de coincées dans cet ascenseur-là et il y en a une vingtaine d’autres sur les autres lignes, alors faites votre foutu boulot qu’on puisse tous les sortir de là avant dix heures ! Sinon, c’est vous qui allez faire une descente de vingt mètres pour leur dire de patienter !
Victor ouvrit la porte de service qui donnait sur des escaliers. Il songea quelques instants à la trentaine d’étages qu’il avait à descendre puis il regarda sa montre. « Bientôt 9h30… Il faut que je fasse vite » se dit-il. Il commença alors à dévaler les escaliers accompagné par la musique qui continuait à être diffusée dans tout le bâtiment.
En arrivant dans le hall du bâtiment, Victor ralentit son allure. Il s’était précipité dans les marches, dévalant les étages qui se ressemblaient en tout point si ce n’est par la saleté qui se faisait plus présente au fur et à mesure de la descente. Les techniciens de surface avaient pour consigne de nettoyer l’immeuble en commençant par le hall puis le sommet : le quarantième étage. Ainsi les sols des étages supérieurs brillaient toujours d’un blanc éclatant alors que les couloirs des étages inférieurs accumulaient la poussière. Et ce jusqu’à que l’administrateur de l’immeuble accepte de majorer les heures supplémentaires, dans ses bons jours, ou qu’il ne menace les employés de prendre la porte, dans ses mauvais. Ce qui était bien plus fréquent. Bien souvent, les nettoyeurs n’insistaient pas car ils savaient la chance qu’ils avaient : voilà des années que la plupart des travails de ce genre avaient complètement été remplacé par des robots. Cependant, on continuait à embaucher des êtres humains pour le nettoyage et la maintenance dans la police. Quelques personnes dans l’immeuble possédaient des robots, c’était le cas de Victor. Ces quelques personnes se trouvaient toutes dans les dix derniers étages.
Victor franchit la double porte coulissante et il tomba nez à nez avec un colosse de presque deux mètres. Derrière lui il entendit encore quelques instants la mélodie puis elle se tût alors que la porte se refermait, laissant place au silence. Le géant leva alors une main ganté dans un léger cliquetis mécanique pour saluer Victor et d’une voix caverneuse, il lui adressa la parole :
- Bonjour, Monsieur Deckan.
L’interpellé leva les yeux vers l’imposant bonhomme qui laissa pendre son bras à son côté, ce qui produisit un nouveau craquement mécanique. Il était en uniforme bleue et sur son crâne s’ancrait une casquette d’où dépassaient quelques touffes grisonnantes. Malgré sa taille intimidante, il dégageait quelque chose de rassurant car il avait un visage amical et souriant. Il faisait partie des gardiens de l’immeuble et aussi loin que le capitaine s’en souvenait, il avait toujours été là. Victor le salua à son tour :
- Bonjour à vous, Antoine. Comment se porte votre bras ?
A ces mots, Antoine ôta le gant de cuir de la main cliquetante. Loin de laisser apparaitre un membre de chair et de sang, ce qui se cachait en dessous était métallique. Antoine resta silencieux quelques secondes en observant sa main et il remit son gant, comme s’il avait honte de la montrer. Il y a quelques mois, un augmenté s’était fait explosé devant l’immeuble lors d’une manifestation contre la police. Le terroriste avait emporté une trentaine de civils avec lui et une colonne du bâtiment s’était effondrée sur Antoine. Celui-ci avait esquivé à temps pour ne pas se faire fracasser sous les décombres mais son bras s’était retrouvé broyé sous la pierre. Il avait passé les trois derniers mois en réhabilitation et était revenu depuis le début de semaine. Il déglutit et haussa les épaules :
- Merci de vous inquiéter pour moi, capitaine. Je suis heureux de ne pas me retrouver complètement infirme et de reprendre du service. J’ai encore cette sensation du membre fantôme, des douleurs, mais les médecins m’ont assuré que les médicaments ont aussi pour but d’habituer mon corps à la prothèse et qu’elles devraient passer d’ici quelques semaines.
Victor acquiesça mais son esprit était ailleurs : il apercevait derrière Antoine le café « La Loutre » où il se devait se rendre. Il appréciait Antoine mais il était pressé.
- Tout ira pour le mieux, dit-il en le dépassant.
Antoine le toisa d’un regard étonné puis fit à nouveau un geste de la main avant de se repositionner à côté de la porte. Victor avança d’un pas déterminé vers le café qui se trouvait derrière le barrage policier. La sécurité avait été renforcée depuis l’attentat et une portion du quartier était à présent réservée aux membres de la police. Il arriva au niveau de l’installation et salua l’officier qui se présentait devant lui.
- Capitaine, dit l’homme en uniforme en saluant Victor. Je suis navré mais vous connaissez les règles.
- Vous allez vous excuser tous les jours, demanda Deckan, irrité, tout en portant son regard vers l’établissement où il devait se rendre.
En voyant le regard de l’officier légèrement noircir, Victor regretta immédiatement ses paroles mais le mal était fait. L’homme ne dit rien de plus et recula de quelques pas en faisant signe à Victor de continuer sa route. Le capitaine avança alors vers le portique et le dépassa. Un léger vrombissement en émana et une voix féminine annonça :
- Bonjour, Capitaine Victor Deckan.
Un autre officier se présenta devant lui et commença à le fouiller, rapidement mais fermement. Il sentit l’arme dans le manteau de Deckan mais continua normalement sa fouille car celui-ci avait l’autorisation d’en porter une. Finalement, il remercia le capitaine et le salua. Victor fit de même et s’élança vers la terrasse de « La Loutre » où quelques fumeurs discutaient du temps, une tasse de café dans la main.
La porte s’ouvrit dans une sonnerie et Victor pénétra dans un brouhaha de conversations. En parcourant la salle du regard, le capitaine reconnut de nombreuses têtes : beaucoup d’entre eux travaillaient à l’immeuble où il habitait. Il ne connaissait pas leurs prénoms mais chacun de leur visage s’était peu à peu ancré dans l’esprit de Victor. En s’avançant lentement vers le bar, Victor perçut une conversation :
- Bon dieu, je suis bien content de ne pas être du matin aujourd’hui, s’exclama un homme ridé aux cheveux poivre et sel. Des types sont entrés dans le système et ont tout coupé à part ce qui peut émettre du son. Il paraît que il y a de la musique dans tout l’immeuble.
- C’est vrai ! Larry m’a appelé toute à l’heure, renchérit une jeune femme aux cheveux attachés. Impossible de couper la musique : c’est comme si on les avait dégagé du système. Du coup, ça fait vingt minutes que l’immeuble tout entier diffuse L’Ode à la joie de Beethoven, ajouta-t-elle avec un léger sourire.
La conversation se perdit dans le bruit environnant alors que Victor s’éloignait. Il arriva au bar auquel il s’accouda et fit signe au patron. C’était un homme de taille moyenne, des cheveux blonds en pompadour et une barbe courte, taillée. Celui-ci s’approcha en essuyant une tasse et lui demanda :
- Bonjour. Vous êtes là pour un café ?
- A vrai dire, je suis venu pour…, commença-t-il hésitant. Je suis venu pour le portable.
L’homme posa la tasse et mit le torchon sur son épaule. Il hocha la tête et gratta sa barbe blonde.
- Ah oui, s’exclama-t-il. Votre femme m’a appelé, elle m’a dit que vous viendrez le récupérer. Un instant, je vous prie.
Il se retourna et ouvrit un tiroir où se trouvaient vraisemblablement les objets perdus et oubliés des clients. Il en retira un téléphone portable en le fixant avec intérêt et le porta jusqu’à Victor. Il le posa devant lui et Victor put voir ce qui causait sa curiosité. L’appareil était vieux, une quarantaine d’années peut-être. C’était un téléphone à clapet comme on en faisait au début des années 2000. Victor connaissait ce genre de modèles : Christian en avait un chez lui. Les souvenirs assaillirent le policier : c’était un téléphone noir à clapet avec un clavier mécanique de la marque Motorola. Le défunt l’avait gardé tout ce temps alors que les opérateurs ne faisaient plus de carte SIM adapté à ces vieux modèles. Il lui avait un jour avoué le conserver par nostalgie. « C’est le premier téléphone que j’ai eu. Je ne dis pas que c’était mieux mais au moins on appelait téléphone portable ce qui servait à téléphoner. Enfin bon, je dois passer pour un vieux con quand je dis ça » avait-il ajouté ce jour-là. Le portable que Victor avait devant lui différait de celui de son ami même s’ils dataient de la même époque. Celui que lui présentait le patron était blanc.
- Nom de nom, j’avais pas pris le temps de bien le regarder, siffla le barman. Mon père en avait un comme ça ! Elle a quel âge votre femme ?
- Je ne sais pas, répondit Deckan, perdu dans ses souvenirs.
Le barman haussa les épaules et reprit la tasse qu’il essuya machinalement.
- Je ne juge pas, dit-il en pensant que son interlocuteur avait honte. Je vous sers un…
Il sursauta légèrement, arrêtant sa phrase, lorsque le portable se mit à vibrer de manière répétée. Il était fermé mais le nom de l’appelant s’afficha sur la façade du téléphone. « Amy » lut Victor. Il prit l’appareil mais ne l’ouvrit pas, réfléchissant à toute vitesse sur ce qu’il devait faire. « Dois-je prévenir quelqu’un ? Alex ? Besson ? Anna ? » se demanda-t-il. Le patron coupa court à sa réflexion.
- Vous feriez mieux de répondre, non, lui dit-il, toujours en essuyant la tasse.
Victor planta son regard dans le sien et cru pendant un instant que le barman avait dans les yeux comme de l’insistance. Puis son regard s’adoucit et il le salua en souriant avant de retourner à ses occupations. Victor détala hors du café en ouvrant le téléphone et le porta à son oreille. Pendant ce qu’il lui sembla une éternité il attendit qu’on parle puis une voix de femme vint sonner à ses oreilles.
- Vous avez pris votre temps, Victor.
L’intéressé se stoppa au milieu de la rue, prêtant attention à ce qui l’entourait. Il finit de traverser la route et s’éloigna du barrage policier en marchant d’un pas rapide. Il ne savait tout simplement pas quoi dire, les évènements s’étant enchaînés trop vite à son goût. Il entendit la femme souffler.
- Vous pouvez vous éloigner autant que vous voulez des immeubles de police, s’ils veulent écouter la ligne, ils l’écouteront quand même, continua-t-elle.
Victor s’arrêta net et se crispa. Non seulement elle observait ses mouvements ce qui le rendait paranoïaque mais en plus, si on écoutait son appel, c’en était fini de lui. Il jeta un regard anxieux derrière lui et jura. Pourtant, la femme éclata d’un rire chaud et moqueur.
- Détendez-vous, c’était une blague. On fait le nécessaire pour être intraçable par vos collègues. Vous comptez parler ou vous êtes un grand timide ?
Le policier sentit qu’il rougissait mais il reprit sa marche. Il déglutit car il avait la bouche sèche. Finalement, il formula une question :
- Qui êtes-vous ?
- Amy. Enfin… Si je dis David, ça vous parle, interrogea-t-elle.
Victor se souvint de la photographie où figurait Christian et un individu plus petit indiqué comme étant David. « C’était donc bien une femme… » se dit-il en se rappelant sa première impression. Ils restèrent tous les deux silencieux pendant quelques minutes. Victor se remémorait les différents clichés, essayant de se souvenir si la silhouette de David/Amy apparaissait sur d’autres photos que celle avec Christian. Puis ses pensées s’égarèrent : « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Je peux faire confiance à cette femme ? D’ailleurs est-ce vraiment une femme ? ». Il inspira afin de parler.
- ‘David’, c’est un pseudo, répondit-elle, amusée, à la question que Victor s’apprêtait à poser. Prenez à droite.
Victor se stoppa un instant devant la ruelle qui descendait entre deux bâtiments. Elle s’enfonçait dans la pénombre, le jour étant à peine levé, néanmoins le capitaine discerna un tag à une dizaine de mètres. Il était écrit « Nique la police ! ». Le policier fit non de la tête.
- Vous vous foutez de moi ? C’est un coupe-gorge, je vais me faire massacrer là-dedans, rétorqua-t-il.
Il entendit Amy soupirer à nouveau.
- Ecoutez Victor : je sais que ça fait beaucoup à digérer et ici, on est tous étonné que vous soyez allé jusque-là. Tout ce qu’on a fait, ça aurait pu nous coûter cher. Très cher, expliqua-t-elle.
Victor avança vers la ruelle et posa un pied sur la première marche. Il passa sa main libre dans ses cheveux, ne sachant que faire.
- On vous a fait confiance, ajouta-t-elle. A vous maintenant. Faites-nous confiance.
Le policier inspira profondément puis descendit encore d’une marche. A vrai dire, il n’était pas rassuré. Il ne se passait pas un mois sans qu’on retrouve un policier criblé de balles dans un dédale de rues pareil. Cependant, il savait qu’Amy avait raison : elle et son groupe avaient risqué gros. Cela dit, il n’avait pas pris le temps de réellement réfléchir depuis qu’il avait reçu le message sur son miroir. Il avait foncé tête baissé jusqu’ici. Ce constat lui fit l’effet d’un choc. « Je suis complètement taré » réalisa-t-il. Tout d’un coup, ce qu’il devait faire lui sembla clair et il recula, sûr de lui. Il était un policier, pas un traître. Que pensait-il faire ?
- Je ne suis pas Christian, dit-il simplement en éloignant le téléphone de son oreille.
- S’il vous plait, Victor, implora Amy à travers l’appareil. Christian, il croyait en vous. Il nous a dit de vous contacter.
Pendant un instant, Victor cru entendre ce que lui avait dit Anna après lui avoir remis le dossier. Soudainement, tout ce dont il avait la certitude un instant auparavant s’effaça. Il jura et reporta le portable à son oreille.
- J’y vais, dit-il en s’élançant dans les escaliers.
Il disparut alors au bout de la rue. A ce moment, deux individus dévalèrent les marches qu’il venait de fouler et prirent la même direction.
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