Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Gabrielle


Par : MonsieurF
Genre : Fantastique, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 9


Publié le 25/10/2015 à 01:01:53 par MonsieurF

Dans sa tête qui lui faisait encore et toujours aussi mal, dans sa tête si douloureuse encore victime de migraines toutes plus insupportables les unes que les autres, l'incroyable bal de l'horreur continuait perpétuellement. Un revolver qui tire six fois, qui tue cinq personnes. Une colère noire qui avait poussé à bout un homme qui pourtant ne se laissait pas facilement submerger par ses émotions... Dans la tête de ma mère, très exactement deux ans après sa sortie de l'hôpital, se déroulait toujours le film de la destruction de sa vie.
Bien des choses avaient changé depuis la tuerie du supermarché. La plupart des gens avaient déserté la petite ville calme, et personne n'osait plus venir s'installer là-bas. Ma mère elle, n'avait pas souhaitée partir. Elle habitait notre ancienne maison, et vivait totalement recluse, ne voulait plus sortir, ne voulait plus vivre. De la tuerie, il ne restait plus que ses séquelles physiques et une affreuse torture mentale.
Ma mère avait 45 ans, mais paraissait maintenant en faire 65; elle se déplaçait difficilement, émettait des râles après chaque effort physique, et pleurait dans son lit tous les soirs pendant des heures.
Qu'avait-elle pu faire dans sa vie pour qu'autant de douleur s'abatte sur elle? Ne pas avoir aimé sa fille assez fort était son explication préférée. Pour elle, tant de choses auraient pu être évitées si son amour pour moi avait été plus puissant, plus intense, plus sincère.

Un matin, ma mère fût réveillée par des sons, des hallucinations auditives qui se jouaient dans sa tête comme cela avait déjà été le cas depuis la tuerie. Ce matin-là, elle entendait des cris et des gémissements de plaisir, des sons qu'elle avait elle-même produits des dizaines de fois lors de ses escapades avec son ancien amant Collin, au motel.
Elle s'extirpa difficilement de son lit, comme tous les matins. Elle entra dans la cuisine, jeta un œil à l'amoncellement de vaisselle sale dans l'évier, et s'approcha de son stock de médicaments. Elle attrapa brutalement la petite boite jaune transparente qui contenait sa vicodine, et avala deux comprimés. Ça ne fonctionnait jamais, mais elle savait que si elle ne se raccrochait pas à l'espoir que des médicaments puisse apaiser sa douleur, elle deviendrait folle.
Elle s’installa ensuite sur l'une des chaises dans la cuisine et plongea son regard dans la fenêtre qui lui faisait face et qui donnait, au loin, sur le lac. Son esprit s'emballa, la plongea quelques instants dans son ancienne vie. Elle s'imagina Marjorie à 40 ans, avant qu'elle commence à tromper son mari, sa famille.
Les gémissements dans sa tête se faisaient tout d'un coup plus puissants, la forçant à repenser avec douleur à ses moments orgasmiques avec son ancien amant. Elle se rappelait comment elle aimait ça, comment à l'instant le plus crucial de l'acte, plus rien n'avait d'importance. Elle revoyait le moment d'après, celui où Collin lui avait tendu la bague. Elle se voyait l'accepter, prendre la bague, embrasser Collin et lui proposer de s'enfuir ensemble loin de tout. C'était probablement la meilleure chose à faire à ce moment-là. Peut-être aurait-elle été plus heureuse que jamais dans les bras de cet homme, amoureux transi qui aurait pu déplacer des montagnes pour la femme qu'elle était.

Quelqu'un sonna. Ma mère interrompit immédiatement ses rêveries. Elle s'approcha avec difficulté près du Judas de la porte. Ce qu'elle vit à travers l'interrogea, à tel point qu'elle hésitait à ouvrir la porte, croyant que son esprit lui jouait encore de mauvais tours.
Elle tourna tout de même la poignée et un homme bien en chair et en os apparu devant elle. L'homme qui se cachait derrière d'opaques lunettes noires, baissa ces dernières et laissa la femme en face de lui scruter son regard; elle en était sûre maintenant. C'était Pierre Domenico, son ancien collègue de bureau.
L'homme balbutia un "bonjour" très peu assuré. "Bonjour" qui lui fut rendu par un simple acquiescement de la part de ma mère. Cette dernière, d'un faible geste, invita à l'homme d'entrer. Elle n'était pas à l'aise avec l'idée de laisser entrer chez elle un homme qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps, mais son envie de s'asseoir pour calmer ses vertiges fût plus fort que tout.
Elle s'installa péniblement dans le canapé du salon et prit quelques instants pour souffler.
L'homme, lui, était resté debout, droit comme un piquet après ses deux pas à l'intérieur de la maison.

-"Viens t'asseoir par là, je suis ici." lança ma mère d'une voix rocailleuse, abimée par les innombrables cigarettes qu'elle avait fumées continuellement depuis quelques années.
L'homme s'approcha d'un pas mal assuré et s'installa dans l'un des fauteuils qui faisaient face à ma mère.
Il fit mine d'éclaircir sa voix, mais aucun son ne sortit de sa bouche ensuite.
Un silence s'installa. Un curieux instant se produisit. Il n'était pas dans la nature de ma mère d'apprécier des gens aussi peu importants qu'un collègue de bureau, comme c'était le cas pour Pierre. Elle n'avait jamais vraiment eu d’intérêt ou de gestes bienveillants pour ce dernier, mais étrangement, sa présence à cet instant lui procura un certain apaisement. Elle n'avait aucune idée de pourquoi il était venu, mais au fond d'elle, elle sentait comme un souffle frais sur son existence.
N'oubliant tout de même pas son caractère, ma mère lança un vif "Bon, tu veux quoi à la fin?" qui brisa la glace.

Pierre n'avait pas vraiment changé depuis la dernière fois que je l'avais vu. Quelques poils blancs qui apparaissaient timidement dans son bouc et ses cheveux étaient maintenant accompagnés d'autres poils argentés plus longs, et quelques petites rides s'étaient installées au creux de ses joues. Mais il était toujours aussi beau, toujours aussi désirable. Je savais que si je le voulais, je pouvais scruter sa vie depuis ma disparition pour voir s'il était toujours le tombeur qu'il m'avait donné l'impression d'être, mais je savais que voir cela me ferait probablement du mal. Peut-être verrais-je cela plus tard, après tout, j'ai l’éternité pour me préparer à ça.

-"Marjorie je... je voudrais d'abord sincèrement m'excuser de ne pas être venu plus tôt... Je n'ai jamais eu un mot pour vous depuis la disparition de votre fille, je n'ai jamais eu l'occasion de vous faire part de mes condoléances... jamais je n'ai eu le cran de venir vous affronter. C'est l'objet de ma présence ici aujourd'hui... quand j'ai su que vous étiez toujours à Sherbrooke, j'ai pris la décision de venir vous rendre visite." fît Pierre.

Ma mère n'eut aucune réaction.
Pierre reprit alors.

-"Il y a des choses que vous devez savoir. À propos de votre fille, et... de moi."

Les battements de son cœur s'accéléraient soudainement. Ses mains se mirent à trembler, et des larmes perlèrent au creux de ses yeux.
J'aurais tant aimé pouvoir être cette sorte de fantôme qui peut déambuler dans la pièce à cet instant, pour saisir la main de Pierre et lui faire comprendre que je suis là aussi avec lui.

Il ouvrit la bouche une fois de plus, les larmes coulèrent, et il raconta tout à ma mère. Notre première rencontre, la première fois que nous avons fait l'amour, les autres fois, les mensonges qu'il avait dû dire pour pouvoir me retrouver...
À l'écoute de cette confession, ma mère semblait toujours aussi inexpressive.

-"Je sais que cela vous semble... tordu... Mais vous devez savoir que depuis le premier instant ou j'ai posé mes yeux sur Gabrielle... Je l'ai aimée. Je n'ai pas cessé de l'aimer et encore aujourd'hui, je sais que je l'aime et que je n'aimerais qu'elle... Et au fond de moi, je sais qu'elle m'aimait aussi...."

Marjorie baissa les yeux.

-"Vous m'avez confié plus d'une fois qu'entre elle et vous, tout n'était pas rose et que vous auriez aimé qu'elle ait connaissance des sentiments complexes que vous aviez pour elle... J'aimerais que vous sachiez qu'elle, elle vous aimait. En dépit de votre relation, et de ce qu'elle m'en disait, elle vous aimait réellement."

Un long silence s'installa de nouveau. Ma mère pria alors calmement à Pierre de quitter sa maison immédiatement.
Ce dernier, après avoir attendu quelques minutes que quelque chose d'autre se produise, se leva, et, avec le visage fermé, quitta la pièce. Il adressa à l'attention de ma mère un "Au revoir" calme et délicat, avant de refermer la porte d'entrée derrière lui.

Marjorie resta assise là un très long moment. Dans sa tête, les migraines, les vertiges, les hallucinations... tout s'était enfin calmé.


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