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Concours D4RK de Noel


Par : Nirvana
Genre : Concours
Statut : C'est compliqué



Chapitre 4 : Conte de Conan


Publié le 29/12/2012 à 13:28:38 par Nirvana

La forêt. Claire, lumineuse. La neige s'est répandue partout, comme une fine pellicule, une légère couche. Du sommet des sapins à la terre et aux rochers, elle est tombée toute la nuit, et s'est arrêtée au lever du jour, comme si le soleil, l'Astre de Lumière, avait-il imposé sa suprématie et sa force à la nature qui domine cette Terre.


Cette pauvre, cette vieille Terre, sur laquelle nous sommes. Perdus. Perdus au fond des bois. Dans un trou, un large trou creusé dans le sol gelé, avec une bâche agricole étendue au fond.


Je suis étendu dessus, en position semi-allongée, le dos appuyé contre la terre fraîche et parsemée de ronces et de caillasses, face à l'étendue infinie de ces bois enneigés, profitant du superbe panorama que m'offre la petite colline dans laquelle mon trou est posé, comme un gros bouton éclaté sur le sommet du nez.


Mon pote Greg est installé à coté de moi, dans la même position, tenant ses jumelles de ses mains épaissement gantées et observant l’immensité qui s'offre à nous.



J'ai mon casque sur les oreilles, relié à mon petit poste d'écoute de fabrication Russe. Je tourne la molette de changement de fréquence. Il n'y a rien sur les ondes, pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Seulement un petit bruissement constant et rassurant, comme un ronronnement de chat, qui vient accompagner la quiétude du moment.


C'est le vingt-quatre décembre. La veille de Noël. Plus qu'une journée, seulement une, à rester terré dans ce trou, à se geler le cul et tout ce qui va avec, avant de rentrer en base arrière, au chaud, à l'abri. En sécurité. Savourer un bon et copieux repas, avec mes camarades, mes frères, et ne plus s'alimenter avec ces foutues rations militaires qu'on se tape depuis deux semaines.


Ces quinze derniers jours ont été assez calmes. Il n'y a pour ainsi dire strictement rien eu. Aucun incident, aucun accrochage. Je n'ai pas vu un seul Albanais depuis un mois. La ligne de front semble s'être stabilisée.



Je tourne la molette, encore et encore, inlassablement. Greg baisse ses jumelles et se tourne vers moi, brisant la monotonie de la scène.

-Hé, hé Brennan.

J'ôte mes casques :

-Ouais ?


Il glisse sa main à l'intérieur de son blouson et sort une petite flasque métallique.

-Joyeux Noël, mec.


Il la débouchonne, bois une gorgée, grimace un peu, et me la tend. Je m'enfile à mon tour un coup de gnôle. Elle est forte, et ça réchauffe. Je lui tends la flasque.

-Merci mon pote.

-Vas-y, garde-là.


Merde. Moi, j'ai rien pensé à lui offrir. C'est fou ce que la guerre vous fait perdre tout sens de civilité le plus primaire.

-J'suis désolé, j'ai rien pour toi.

-Offre-moi donc une clope et du feu alors.

-Tu fumes ?

-Non.

Je souris en lui envoyant mon paquet de Gauloises à moitié écrasé et mon Zippo.


J'entends un léger craquement de neige derrière-nous. Nous nous retournons et voyons la silhouette de Titi qui arrive. Il s'accroupit devant notre trou.

-A la soupe, les gars. Dit-il en sortant deux boites de conserve.

-T'as quoi toi ? Me demande Greg.

-Saucisses-lentilles, encore et encore, ça fait trois jours que j'bouffe ça.

-J'ai bœuf en salade, on échange ?

J'me marre :

-Alors là, tu peux crever. Merci Titi.

-De rien. Tenez l'coup les gars, ce soir vous êtes relevés. Les potes à l'arrière nous ont préparé un bon gueuleton pour le réveillon.

-Ouais. Ça va faire du bien. Dis-je en grattant ma barbe

-J'vous laisse, faut qu'j'aille voir les autres. Bon courage ! S'exclame Titi en se relevant.



Greg et moi sortons nos réchauds individuels. Je fais chauffer ma conserve, et un quart d'eau, dans lequel je verse un petit sachet de café soluble.

-Le meilleur moment de la journée. S'enthousiasme Greg en ouvrant sa boite.

-Ouais. Café ? Répondis-je en lui tendant mon gros mug métallique.

-J'veux bien.



On s'accorde une pause de quinze minute pour casser la croûte, fumer une clope, boire un coup et raconter 2-3 conneries. Avant de se remettre au boulot, casque sur les oreilles et jumelles sur les yeux.



Neuf heures et demie. J'attends toujours en tournant ma molette. Mais au hasard d'une fréquence, le ronronnement paisible change. Il se transforme peu à peu en bruit sourd et grésillement. Comme un spectre, comme si un esprit était enfermé dans mon poste et hurlerait pour en sortir. Ce grésillement se fait de plus en plus distinct, et de plus en plus fort. Je fais du coude à Greg.

-J'ai quelque chose sur 12.3.

-Ça dit quoi ?

-J'sais pas, le démodulateur a du mal. Continue de chouffer, ça se rapproche.


-Non... Non, j'vois rien... Faut prévenir le QG.

-Occupe-t'en.


Il prend son talkie-walkie fixé au niveau de l'épaule.

-Tsar, ici Blitzwolf. Tsar, ici Blitzwolf.

-Blitzwolf, ici Star.


Ça passe mal. Son talkie grésille.

-Ici Blitzwolf, ça travaille sur 12.3.

-Tsar bien reçu, maintenez la surveillance. Rapellez-nous si y'a du nouveau.

-Blitzwolf, terminé.



-J'arrive à entendre... Ils causent en Albanais. Je sais pas ce qu'ils disent, mais ils sont actifs.

Greg reprend ses jumelles. Son corps se bloque.


-Putain mec, ça arrive.


Il me tend ses oculaires que je porte à mon regard. Je distingue effectivement des formes, des ombres, à deux ou trois-cent mètres, qui progressent à travers les branches et les buissons.


-Tsar, ici Blitzwolf. Une escouade se dirige vers nous.

-Ici Tsar, combien de personnels ?

-Blitzwolf, une dizaine. Peut-être plus.

-Tsar, quelle est leur attitude ?

-Blitzwolf, on dirait un groupe de reconnaissance, une patrouille armée.

-Tsar, évitez de vous faire repérer. On vous envoie du renfort.

-Blitzwolf, perdez pas de temps, ils continuent leur progression. Terminé.


On peut maintenant distinctement entendre les types parler. Ils avancent vers nous en ligne, AK à la main. Au milieu, un gros barbu fait des gestes et semble leur donner des ordres.


Lentement, sans geste brusque, Greg et moi sortons nos armes posées sous la couverture. Il a un Dragunov SVD avec silencieux, et moi un AS Val.


Lentement, nous les tenons en joue.


Nous sommes bien installés, à l'abri dans notre trou de combat, au dessus d'eux. Si l'on vient à les engager, on a nos chances, mais il faudra pas se louper.


-Si ils commencent à grimper sur la colline, on ouvre le feu. Murmure Greg.

-Ça marche. Tu prends lequel ?

-Le chef, et ceux qui sont à sa gauche.

-Ok. Je tape celui avec le SVD, et tous ceux à la droite du chef.

-Ok.


Ils approchent. Ils approchent, lentement. Cent-cinquante mètres. Cent mètres. Je retiens mon souffle. Une goutte de sueur coule le long de ma tempe jouant du tambour et se cristallise en stalactite au bout de ma mâchoire.


J'ai la cible dans ma ligne de mire. Le bout du cran de mire juste au niveau de son torse. Je bascule en coup-par-coup du bout du doigt. Lentement.



Ils posent le pied sur la colline. Je tire le premier. Deux coups consécutifs. Le sniper tombe dans la neige.


Greg ouvre le feu à son tour. Le chef s'écroule contre un arbre.


Les autres n'ont pas vu d'où ça venait, les silencieux montés sur nos canons ayant réduit le bruit de départ du coup et masquant la flamme produite en sortie de bouche. On continue de les aligner, alors qu'ils se mettent grossièrement à couvert derrière ce qu'ils trouvent en criant tout et n'importe quoi et en ripostant au hasard dans les arbres, vidant leurs chargeurs en l'air.


Nous, on reste pros. On tire, une balle après l'autre. Respiration lente, visée correcte. Bien calés dans notre abri.


-Chargeur. Me dit Greg en changeant de magasin.

-Ok, je prends.

-Il arme son fusil et reprend le feu.

-C'est bon.

-Ok, je recharge.

-Ok.


Mais ce qui devait arriver arriva. En sortant un chargeur de ma pochette, j’aperçois l'un des hommes du commando nous désigner du doigt en hurlant quelque chose.

-On est repéré. Dit Greg en lui tirant dessus, sans le toucher.

-T'inquiètes, ça va le faire. Les renforts s'ront bientôt là.


Les mecs commencent à grimper la colline en rafalant à tout va. Les balles sifflent et viennent se fixer dans les branches et sapins au dessus de nous. De la neige et de la verdure nous tombent sur la gueule.


Ils tentent de nous encercler, on tente de les en empêcher. Leurs tirs se font plus précis, leurs mouvements plus souples. Ils sont totalement entrés dans le combat.


Malgré le fait que leur chef soit tombé, ils réussissent à s'organiser et scindent leur groupe en deux pour nous prendre en tenaille.


Ils se rapprochent rapidement, et dangereusement.

-Putain mais ils foutent quoi, ces putains de renforts ? S’énerve Greg.

-Du calme, du calme, du calme.


Je fais ça autant pour me rassurer que lui. Haletant, changeant de chargeur pour la troisième fois déjà. Les types sont tout près. Vingt-cinq mètres tout au plus. Ils commencent à lancer des grenades. Ça pétarade de partout.

-On va crever ! On va crever putain d'merde !

-Greg ! Greg ! Garde une grenade, garde une grenade à portée de main ! Faut pas qu'ils nous choppent vivants !


Il pose une défensive entre nous-deux. Si ils doivent arriver jusqu'à ce trou, que ce soit leur dernière demeure, et qu'on en emmène avec nous le plus possible dans l'au-delà.


Les gars nous gueulent des trucs en Albanais et en mauvais Anglais. Leurs voix gutturales résonnent dans les bois et accompagnent le ballet de bastos qui jaillissent à droite et à gauche.

-You will die ! You will die ! You fucking porks !


Un type se lève et fonce vers nous, baïonnette au bout du fusil.

-Allahu Akhbar !


Une grosse rafale détonne juste derrière-nous, et terrasse le banzaï.


Un gros gars saute dans notre trou et met sa mitrailleuse sur bipied. C'est Orsini, le grand Corse, accompagné d'une poignée de guerriers Serbes qui avancent en ligne vers nos assaillants.

-Tenez ! Prenez ! Bouffez ! C'est Noël ! C'est gratuit ! Connards ! Hurle Orsini en tirant, et en tirant, et en tirant, jusqu'à ce que le canon de sa PKM surchauffe et fume.


Les Serbes nous ont bientôt dépassés, et poursuivent les Albanais qui se replient, laissant leurs morts sur place.


Le combat continue, pour aller se terminer un peu plus loin, là où nos yeux ne peuvent pas voir, mais nos oreilles entendre le bruit des cris étouffés et des détonations.


Orsini se tourne vers nous en riant, et se lève, puis nous aide à en faire de même.

-Ça sentait le roussi, non ?

-Bon timing. Dit Greg.

-Deux minutes de plus et c'était fini. Merci, Orsini.


Nous sortons du trou, toujours nos armes en main. On va au résultat, nous trois, pendant que les autres finissent le boulot plus loin.


Je contemple la scène. Tout autours, plusieurs corps sombres et sans visage sont étendus dans la neige, recouverte de tâches rosées par endroits, ou bien d'énormes flaques rougeoyantes qui ont fait fondre toute la poudreuse et s'étendent lentement sur le sol froid et dur.


Je me dirige vers le sniper sur lequel j'ai tiré. Il est allongé sur le ventre, recroquevillé sur lui-même. Et déjà son corps se durcit et se raidit. Je récupère son fusil et le met en bandoulière dans mon dos, et continue ma macabre récolte.


J'entends du bruit derrière un buisson. J'y dirige le canon de mon arme et avance prudemment.


Je passe le buisson. Et me retrouve face à un Albanais.


A peu près mon âge, une barbe naissante. Il est assis contre un arbre. Les mains en l'air, ses yeux sombres me supplient. Je dégaine mon flingue et l'arme, puis je pose le canon sur son front.


Je le fixe dans les yeux, je plonge mon regard dans le sien, je sonde son âme, comme un serpent.


Au moment d'appuyer sur la détente, je relâche la pression du doigt, et fouille une de ses poches de laquelle dépasse un portefeuille. Je l'ouvre. Il y a une main de Fatima à l'intérieur. En la poussant légèrement, je remarque une photo. Je la sort.


Il y a une femme et un gosse dessus. La femme est belle. Brune, la peau très pâle. Le gamin qu'elle tient dans ses bras doit avoir deux ans, avec de longs cheveux marrons et bouclés.

Je regarde le type. Putain. C'est vrai. C'est Noël.


-Your family ?

Il sourit comme sourirait un enfant malade.

-Yes. My wife, Adana, and my son, Dardan.

Je remet la photo dans son portefeuille et lui rend. Je baisse mon pistolet et sort la petite flasque que Greg m'a donné et la lui tend.


Il boit une gorgée d'alcool et s’essuie les lèvres avec le revers de sa manche.

-Don't worry. It's over. Come with me.

-Yes... Ok.


Il se lève. Je l'accompagne jusqu'à l'endroit d'où je viens. Il détourne son regard lorsque nous passons devant ses camarades allongés au sol, tenant encore fermement leurs armes.


-Orsini, j'ai un prisonnier.

-Conduis-le à Maxim. Il est sur la colline.


On remonte donc cette foutue colline.

-Don't worry, I will not hit you.

-Yes... Yes... Qu'il me répète en tremblotant.


On arrive au trou de combat. Maxim s'entretient en Serbe avec l'un de ses hommes, et le fait rompre lorsqu'il me voit arriver avec mon prisonnier.

-Salut, Red, ça va ? Bien joué, franchement, bravo pour c'que vous venez de faire, Greg et toi. Dès que c'est fini, on retourne à la base, et tu auras tout c'que tu veux.

-Je t'apporte un Albanais. Il vient de se rendre.


Maxim considère mon prisonnier avec dédain. Il lui parle en Albanais d'un air méprisant. Le gars répond timidement. Je ne comprends pas ce qu'ils se disent. Ils échangent deux, trois phrases.


Puis soudain, sans crier gare, Maxim sort son revolver et lui tire une balle en pleine tête. L’Albanais est à terre, les yeux tout surpris, avec un trou dans le front d'où coule un gros filet de sang.


-Mais... Mais pourquoi t'as fait ça ?

-C'était un péquenaud, aucune info à en tirer. J'vais pas me trimbaler un captif qui me sert à rien.


Qu'est-ce que j'ai à répondre à ça ? Que pourrais-je lui dire ? Lui raconter la vie, lui parler des Conventions de Genève ?


Le gars est par terre, dans son sang. Maxim s'éloigne. Je reste ici, seul avec le macchabée. Je passe ma main sur son visage pour lui fermer les paupières.


A cette heure-ci, des tas de gens, partout dans le monde, sont chez eux. Baignés dans la chaleur familiale. Les gosses sont impatients devant le sapin, chacun prépare tout ce qu'il faut pour dignement fêter le réveillon ce soir. Dans la joie et le bonheur.


Et moi, je suis là. Dans le froid et la mort. A 5 000 kilomètres de chez moi. Devant ce corps à qui l'on vient tout juste d'ôter la vie, comme ça, d'une simple pression du doigt. Ce gars à la place duquel j'aurai pu être, à quelques secondes près.


Y'a quelque chose à coté de lui. C'est la photo. Elle a dû glisser de son portefeuille lorsqu'il est tombé. Je la regarde. Une goutte d'eau tombe sur elle. Et une autre. Puis encore une autre.


Je pleure. Seul et perdu au milieu de ces bois.


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