Chapitre 2

Je mets une seconde pour réfléchir... Pendant une seconde je ne suis même pas sûr de vouloir décrocher. Pourquoi? Parce que tout ce qu'il y a autour de moi est iréel, et que répondre à cet appel, c'est croire à ce qui m'arrive. C'est montrer que j'accepte ce qu'il se passe. Puis je me dis que de toute manière, quoi qu'il arrive, je ne peux pas raccrocher au nez de mon père... Faut pas déconner. Donc je décroche.

"Allô Papa?"
- Il me demande où je suis passé. Apparemment ça fait vingt minutes qu'il me cherche dans le train, et il ne me retrouve pas. -
"Attends... tu me cherches? Tu veux dire que tu es ici? Dans le train?"
- Il marque un temps, pour essayer de trouver un sens à ce que je viens de dire. Puis d'un ton sceptique il me dit que, bien sûr, il est dans le train, que tous les voyageurs sont là. Alors évidemment, il me demande ce qui ne va pas. -
"Je... je vais revenir à ma place. J'étais aux toilettes, mais comme ceux de notre wagon étaient occupés, bah je... je suis allé à ceux du wagon suivant, voilà. J'arrive tout de suite, y'a pas de souci."

Puis je raccroche. Je regarde de nouveau autour de moi, comme si tout à coup les gens allaient réapparaître sous mes yeux. Je jette un oeil dans notre wagon, puis je me mets à courir à dans le train, à dévaler chaque wagon, chaque étage, pour vérifier si je suis vraiment la seule personne dans ce train... ou plutôt, dans cette version du train.
Parce que d'après cette petite discussion avec mon père, il y a deux "versions" du train : celle où je suis seul, et celle où tout se déroule normalement, dans laquelle j'ai disparu. Est-ce que je me suis... téléporté? Est-ce le mot pour ce phénomène? Je ne l'ai pas fait volontairement, je ne me suis même pas "concentré" pour le provoquer. Alors qu'est-ce qui a fait que c'est arrivé? Et pourquoi?

Au bout d'un moment, j'arrive dans le wagon-bar. Malgré la peur qui m'étreint, je pense que j'ai quand même faim, et soif, comme si je me vidais de mes forces à mesure que la frayeur m'envahissait. Cependant, à mesure que je me dirige vers le comptoir, je m'aperçois que les sièges sont renversés par terre. Cela ne retient pas trop mon attention, mais je suis assez curieux pour remarquer que les tables ne sont pas d'un blanc éclatant, ce blanc qui vous persuade que tout est propre et soigné. Elles ont l'air... grises. Je passe mon doigt dessus, et je réalise qu'elles sont couvertes d'une fine couche de poussière. De nouveau je me sens submergé, et je me hâte derrière le comptoir, j'ouvre le premier frigo qui vient : tout ce qu'il y a dedans est pourri, moisi. Le frigo semble éteint, mais tout de même, ce ne sont pas quelques champignons qui sont apparus, mais tous les aliments sont devenus noirs de décomposition. L'odeur me soulève le coeur, et ma tête fourmille de questions.