<h1>Noelfic</h1>

133B


Par : KRASHFLAM

Genre : Action

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 1

Découvrir.

Publié le 18/06/12 à 23:19:31 par KRASHFLAM

Scène 1 : Poursuivi

– Milice du Triangle, nous venons chercher Simon Welthrough !
Le cri des hommes en blanc devant la porte avait retenti dans la maison comme un signal d'alerte. Mon cœur se mit à s'agiter et je sentis mon pouls accélérer, j'étais maintenant aussi paniqué que je l'avais été une heure auparavant. Tous mes efforts pour me calmer venaient d'être anéantis par cette simple phrase. 
Ils étaient à mes trousses : je n'étais plus en sécurité dans ma chambre. J'avais perdu trop de temps à me cacher chez moi plutôt qu'à fuir, alors qu'il était certain qu'ils allaient venir. Je le savais : je devais partir, mais comment ?
Soudain, je vis par la fenêtre cet arbre, celui sur lequel ma sœur grimpait toujours, lorsque nous avions encore une chance de nous en sortir. Désormais, nos vies allaient changer, je ne savais même pas si j'allais vivre. 
J'entendais les pas de la milice dans l'escalier, ils devait y avoir au moins trois gardes armés et surentraînés. Je n'avais aucune chance. Je fixai l'arbre et réfléchis à la possibilité d'y sauter. J'allais devoir m'y lancer, quitte à tomber. Je peinais à ouvrir la fenêtre et commençai à paniquer, entendant les gardes atteindre mon étage. Ils allaient m'attraper, j'étais perdu.
La fenêtre céda. Un milicien voulut me retenir et je sentis une douleur vive me prendre aux côtes. Je m'efforçai de lutter et parvins à repousser son étreinte alors que je me jetai dans l'arbre. Le saut me parut interminable et je ne sus si j'allais pouvoir m'accrocher à une branche solide qu'au dernier moment. J'y parvins. Je progressai sur le chêne et me rapprochai de la route. Il ne m'était plus possible de revenir en arrière, à présent. J'avais très mal, car les branches attaquaient ma peau. Ne sachant que faire, je sautai dans un buisson un peu plus loin, dans la rue. 
J’atterris non sans douleur, mais j'atteignis ma cible. Malgré le temps qui me parut énorme dont j'eus besoin pour me relever, les hommes ne m'avaient pas encore rattrapé. Je gagnai donc très vite la grande rue afin de me fondre parmi les passants. On y trouvait surtout des habitants pressés et des touristes insouciants promenant leurs onéreuses chaussures et leurs chers appareils photos, au grand plaisir des pickpockets. Je vis le premier agent de la Milice sortir de la maison alors que j'entrais dans cette large avenue. Il ne pouvait plus m'atteindre.
Soudain, je me rappelai de quelque chose dont on m'avait parlé, et qui allait peut-être me sauver la vie. Je pris la résolution de me diriger vers l’Église du Triangle pour y trouver refuge. Il s'agissait d'une très large cathédrale qui se dressait au bout de la rue, plus haute que tous les autres bâtiments. Il s'agissait d'une des plus grandes églises du monde, car nous étions dans la troisième plus grande ville de toute la Terre : Trigoniapolis. Ce lieu de culte avait gardé l'apparence qu'il avait eu moins d'un siècle auparavant, lorsque le catholicisme était encore une religion autorisée. Le clocher était haut et beau, et plus personne n'était encore capable d'en faire de tels. Nous ne faisions plus que des habitations carrées et sans ornements, désormais.
Un immense écran interrompit alors ses publicités à tendance subliminale et manipulatrice pour laisser la parole à Sir O'Down, le chef du Triangle, notre bien-aimé dirigeant à tous. L'alerte avait été donnée : j'étais désormais recherché. Je ne pouvais plus rester dans la grande rue incognito. 
Je devais gagner l'Église du Triangle avant que mon portrait ne soit diffusé : j'estimai mon temps de survie restant à cinq minutes, tout au plus, si je n'atteignais pas le Prêtre Noir de l'abbaye d'ici là. On m'avait raconté que, malgré son appartenance au Triangle, cet abbé était bienveillant et qu'il pouvait être l'un des rares opposants au Régime, du moins par les idées, bien qu'il lui fut docile par ses actes. 
Quant à moi, je me savais sain d'esprit. Je savais que ma mission était de rejoindre les insurgés, et j'avais également conscience du fait qu'ils allaient être de plus en plus nombreux, à cause de la famine. Seul le régime l'ignorait, ou plutôt cherchait à l'occulter devant une population crédule et aveugle.
Alors que je courais encore, je compris qu'il était trop tard. Je perdis tout espoir. Mon portrait robot venait d'apparaître sur les dix milliards de téléviseurs de la Terre, qui appartenait entièrement au Triangle. Tout le monde pouvait me reconnaître : je me savais perdu et n'avais plus la force de lutter. 
J'atteignis cependant l'Église dans un dernier souffle. Rien n'était pourtant gagné d'avance : un benêt était venu prier là pour remercier le Maître Suprême du Triangle d'avoir envoyé sur terre notre Glorieux Dirigeant Suprême afin de nous sauver. Il me surprit et me reconnut instantanément. Il se lança à ma poursuite afin de m'arrêter et de toucher la prime. Je ne pouvais pas lui en vouloir : avec la disette et la misère, nul ne pouvait cracher sur les mille dollars du Triangle que valait ma tête. Personne n'allait m'aider, je me faisais des illusions. J'étais un ennemi public.
Nous arrivâmes enfin dans le jardin de l'Église, qui la séparait de l'abbaye du père Nîvey, ce Prêtre Noir qu'on disait ancien catholique, à l'époque où les gens croyaient encore en un Dieu non-Triangulaire qui ne soutenait pas l'extermination des Vénusiens ou la conquête de Mars. Une entité supérieure hostile aux projets de Sir O'Down avait paru inconcevable. Le gouvernement avait donc dû reconnaître qu'il ne pouvait être un tel Dieu, sans chercher plus loin. Il combla le manque de présence divine dont souffrait une bonne partie de la population, en instituant le Maître Suprême.
Le peuple s'était alors fait à l'idée que le Dieu d'Abraham et de Moïse ne pouvait exister. Ceux qui s'étaient opposé à cette nouvelle croyance étaient vus comme des arriérés du nom de « Pardessins1 » et le bruit courait qu'ils étaient un milliard à souiller la Terre du Triangle, tapis dans un pays qu'ils nommaient, en référence à leurs ancêtres hébreux, "Eretz Israël". Cependant, cette Israël-ci n'avait rien de l'Israël biblique.
On racontait justement que le père Nîvey y avait été, un jour. Ce prêtre Noir, qui avait malgré tout prêté Serment sur le Triangle comme tous les autres habitants de la Terre, pouvait donc encore croire secrètement en Dieu. À vrai dire, je le croyais, et voulais le croire. J'étais prêt à reconnaître que son Dieu existait si Ses serviteurs avaient assez de respect envers Ses créatures pour m'apporter l'hospitalité. Ils me donnèrent en fait bien plus que ce que je demandais, car lorsque j’atteins l'abbaye, ce Prêtre Noir du Triangle me dévoila son vrai visage...

Scène 2 : L'abbaye

Il m'accueillit sereinement et repoussa celui qui voulait s'en prendre à moi. Cet homme d'église bien habillé et d'un âge que j'estimais à environ quatre-vingt ans paraissait très calme, une caractéristique que ne possédaient plus beaucoup de gens depuis l'arrivée du Triangle, notre "Sauveur". 
En vérité, je ne croyais pas que le Triangle avait amélioré nos vies. Je ne savais pas grand chose de ce que la vie aurait pu être si le Triangle n'avait pas été, mais ce qu'on m'en disait me paraissait invraisemblable.
On disait qu'il avait été un temps où les gens mangeaient des animaux qui n'avaient pas été purifiés par Son Excellence Sir Matthew O'Down, alors qu'on nous rabâchait sans cesse, dans les cours d'Instruction Obligatoire du Triangle, qu'un animal non agréé par le Triangle et purifié par Son Représentant était impur et porteur de maladies mortelles. De même, on nous disait que chaque "nation" -c'était le nom de plusieurs fratries consanguines réunies en un seul minuscule endroit- parlait une langue différente et que personne ne s'y opposait.
En y repensant, je me disais que ces gens du passé étaient bel et bien dénués d'intellect, et que le Triangle nous avait bien rendus meilleurs et bien plus éduqués. Les médias n'avaient donc pas si tort, ils disaient sûrement la vérité. J'étais peut-être fou.
L'homme qui se dressait devant mes yeux, habillé d'une soutane noir et souriant comme si rien de pressant n'arrivait, me donna l'impression de ne pas connaître ma situation. J'allais le lui demander lorsqu'il mit fin à toutes les questions qui subsistaient dans ma tête en débutant la conversation.
– Monsieur Welthrough, je savais que vous chercheriez à me voir.
Malgré l'urgence de la situation, son visage restait paisible et son sourire large, si bien que je me demandai ce qu'il pensait au moment où il me parlait. Je tentais en fait de savoir s'il m'était amical.
– Vous voulez que je vous abrite, n'est-ce pas ?
Devais-je répondre ? Et si jamais la rumeur était fausse ? Et s'il était docile au gouvernement et qu'il ne valait en fin de compte pas plus que les autres ? Je pris le risque d'accepter, car ma vie ne valait après tout plus grand chose.
– Je vous avouerai que oui, car j'ai entendu dire...
– On dit beaucoup de choses, sur moi. Qu'avez-vous donc entendu ?
C'était certain : il ne s'adressait pas à moins comme l'aurait fait un opposant au régime. J'avais l'impression qu'il voulait me piéger à tout prix. Je devais partir, à moins que...
– Vous... vous, savez. Les Pardessins, le Triangle...
Son sourire restait éclatant, et il me sembla même qu'il s'amplifia soudain.
– Les Pardessins ? Dîtes moi donc ce que vous savez à ce sujet.
Il dit cela spontanément, d'un ton sûr mais bienveillant. Je savais désormais qu'il était de mon côté. Il allait m'aider. Tout était clair dans mon esprit : j'avais trouvé mon sauveur.
– Vous en savez plus que moi.
– Bonne réponse, monsieur Welthrough. Me permettez-vous de vous tutoyer, Simon ?
– Bien sûr, que Dieu soit loué !
Cette dernière réplique m'était venu spontanément. Je n'avais jamais assisté à la moindre messe, si ce ne sont les cérémonies Triangulaires du Jeudi auxquelles j'avais participé deux ou trois fois au cours de mon Instruction. Néanmoins, je savais à présent que Dieu existait, car seul lui avait pu m'amener à cet homme. Cette phrase à elle seule m'aurait valu au moins un mois de prison, dans le monde extérieur. Mais j'étais protégé, ici. J'étais protégé par un cocon.
– Vous apprenez vite, hein ?
– Tutoyez-moi, je vous en prie.
L'homme ne pouvait résister à son instinct de politesse et de vouvoiement. C'était évident, étant donné qu'il ne voyait presque que des membres du Triangle, dont tous les dirigeants de classe trois et plus devaient être vouvoyés sous peine de mort. Ainsi, ce réflexe lui avait sûrement déjà sauvé la vie, mais j'insistais malgré tout pour qu'il passe cette étape dans sa relation avec moi, qui symbolisait une alliance et une fraternité dont j'allais avoir besoin.
« Suis-moi », me dit-il alors avec son éternel sourire qui semblait ne pas pouvoir s'effacer, quand bien même on aurait mis toute la noirceur du monde dans son esprit.
Il me fit entrer dans l'abbaye et nous descendîmes au sous-sol. Il y faisait plus froid qu'à la surface mais cela n'avait rien de dérangeant. Le prêtre me conduisit dans un long et large couloir en bois dans lequel un tapis rouge plutôt sale indiquait que l'entretien n'avait jamais été la priorité. De part et d'autre, ancrées dans les murs, se trouvaient des vitres à travers lesquelles on voyait les fidèles prier. Ça n'avait rien à voir avec la prière telle que je l'avais vu faire lors de mon Instruction Obligatoire ou lorsque mes grands-parents priaient : ces gens là ne priaient pas le Triangle, c'était certain.
Je fus soudain saisi d'effroi : depuis mon enfance, on ne m'avait donné pour seule et unique vérité que le Trianguilisme. J'avais fondé mes études, mon travail et ma vie entière sur ses principes. J'étais en train de détruire tout ça. Je risquais gros, très gros. L'athéisme n'était pas blâmé dans cette société, mais seule une religion était tolérée : celle du Triangle. J'étais donc entouré de hors-la-loi.
Je devais arrêter de penser au Triangle et à ses règles, car j'étais venu là pour ça. J'admirais à la fois la grandeur du lieu, qui bien que vétuste et mal entretenu possédait une âme qui rappelait sa fonction religieuse, et la passion des fidèles qui priaient un Dieu inconnu à mes yeux dans l'obscurité d'une abbaye, sous le regard d'un Prêtre Noir qui entretenait à la surface régulièrement des cérémonies avec les plus hauts membres du Triangle, et qui ici accueillait des opposants au régime. Un parfum de framboise presque trop fort se faisait sentir dans tout le souterrain, sûrement pour déguiser l'odeur de rance que pouvait dégager cet abri dans lequel les moisissures n'étaient pas rares.
Nous nous arrêtâmes devant une porte. Elle portait le numéro 133B.

Scène 3 : L'installation

J'entrai dans la chambre. Elle était plutôt petite, mais on y trouvait tout ce qu'il faut. Un grand noir était là, en train de prier comme tous ceux que j'avais pu voir auparavant. Il y avait au moins quarante personnes réfugiées ici, avec la plupart du temps deux personnes par pièce. J'appris par le père Nîvey que celui avec qui j'allais devoir partager la mienne s'appelait Sylvain.
Je n'avais encore jamais vu de noirs, depuis mon arrivée sur Terre. Considérés comme appartenant à une espèce inférieure destinée au travail manuel, ils travaillaient tous sous terre, dans les mines d'uranium. C'était la première fois que j'en voyais un. C'était sûrement un fugitif, comme ceux qui faisaient régulièrement la une des journaux. On disait qu'à chaque pied que l'on posait sur terre, une dizaine de noirs minaient sous nos pieds, à des niveaux différents, tant ils étaient nombreux. Ils étaient donc sans doute en plus grand nombre que les blancs, mais - n'étant pas considérés comme des humains - leurs vies ne valaient rien. On les forçait à se reproduire, comme on nous l'avait jadis expliqué en cours : il s'agissait d'un énorme élevage, plus intensif encore que celui des bœufs et des poules. Ces gens-là étaient maltraités, mais cela ne m'avait jamais vraiment choqué, jusque là.
Ce noir, dont je n'avais aucune idée de la provenance, ni du moyen par lequel il avait pu venir, était devant mes yeux. J'entrepris de l'examiner et le trouvai fort humain. Il n'avait rien de la créature monstrueuse et inhumaine dont on me narrait les méfaits chaque jour en Instruction Obligatoire, il s'agissait d'un homme comme un autre. Le prêtre m'expliqua qu'il tentait de lui apprendre le langage. Je doutais fortement de la capacité de ces hommes-singes à parler, et celui qui allait dormir avec moi ne le pouvait d'ailleurs pas.
– Ne crois pas ce que les télés te racontent, Simon, les noirs peuvent parler, écrire et réfléchir. C'est simplement que nul ne leur apprend. Nous en avons d'ailleurs deux qui savent écrire, ici.
Les dires du père Nîvey avaient glacé mon sang : on les empêcherait donc de se développer ? C'était impossible : nous étions le peuple le plus civilisé de tous, et c'est pour cette raison que la Terre nous était revenue entière, nous ne pouvions tenir des humains capables sous notre joug !
Soudain, je pris conscience. Nous ne pouvions avoir gagné la Terre d'un coup, il avait fallu des guerres. On nous parlait souvent de l'histoire du pays, en Instruction, mais on mentionnait toujours ces conflits comme des guerres pour la Paix ou batailles pour la Liberté.
Liberté, ce mot avait toujours sonné faux dans la bouche des instructeurs. Voilà soixante-dix ans que sa définition est perdue dans des livres d'histoires qui seront certainement brûlés d'ici quelques années, comme tous les autres, afin d'être remplacés par des Médiasupports. Et comme d'habitude, le gouvernement profitera de ce glissement de support pour en effacer le contenu gênant. Et si c'était nous, les méchants ?
J'avais désormais compris ce qu'il se passait dans les hautes sphères du Triangle. Je fis un signe de tête au prêtre qui s'en alla prier, et contemplai le nègre qui prenait place sur son lit. Il était vingt-deux heures, mais je ne trouvais pas le sommeil. La nuit allait être longue.
En m'endormant, je repensai à tout ce qui m'était arrivé dans la journée. Tout avait commencé par un simple coup de téléphone pendant lequel nous avions parlé des problèmes de la société, moi et ma sœur. Ma sœur, me dis-je. La reverrai-je jamais ? Qu'avait-il pu lui arriver ? Je l'avais appelée, puis tout s'était enchaîné : un milicien était venu m'interroger à propos de cet appel, et je l'avais assommé, pris de panique. La milice était ensuite venue, alors que je me réfugiais dans ma chambre. Tandis que j'étais occupé à fuir, je n'avais pas pensé à ma sœur. Elle était peut-être morte. Cette pensée me glaça le sang.
Décidément, je songeai que ce monde était trop compliqué, et je le fuis en rêve.

Scène 4 : Matin douloureux

Après une journée mouvementée, la longue nuit qui suivit fut bien méritée. Je me levai vers dix heures du matin, alors que mon colocataire était déjà levé depuis une bonne heure. On entendait Radio Triangle depuis un poste situé dans la chambre adjacente. Je me préparai puis me dirigeai vers la salle principale, celle par laquelle j'étais entré dans ce vaste souterrain la veille. La grande salle pouvait accueillir plus de cent personnes, mais on en voyait rarement plus de dix. Les quarante-deux locataires s'y réunissaient au même moment lors de grandes fêtes comme Noël ou Pâques, ainsi que prêtre me l'avait expliqué.
Onze pensionnaires, exactement, étaient déjà attablés, en train de manger aussi bien qu'il était possible de le faire dans un sous-sol en restant inconnu des gens de la surface - les têtes triangulaires, tel que tout le monde ici les appelait.
Tous les regards se posèrent sur moi, j'avais oublié que j'étais nouveau. Contrairement à ce qu'on peut apercevoir tous les jours dans les lycées d'Instruction Triangulaire, il n'y eut ni épreuve d'arrivée, ni bizutage, ni rituel d'entrée. Ce furent seulement des « Bienvenue ! » chaleureux et bienveillants qui m'accueillirent après ma courte présentation. Les gens de ce souterrain étaient définitivement plus civilisés que les têtes triangulaires, ainsi que je me plaisais moi-aussi à les appeler, oubliant que j'en étais encore une moins d'un jour plus tôt.
Je déjeunai sans me gêner. Il y avait des œufs brouillés et des céréales, ainsi que du lait et divers jus de fruit. Je remarquai, alors que les pensionnaires s'enchaînaient, qu'il y avait au moins un tiers de noirs ici. Je conclus de mes observations personnelles que leurs dortoirs étaient organisés de manière à ce que chacun soit avec un blanc, probablement pour l'encourager à converser. Tous les noirs que j'avais vus jusqu'à présent, sauf celui qui était dans ma chambre, parvenaient au moins à articuler des phrases dignes d'enfants de sept ans. J'en déduis que Sylvain devait être un nouvel arrivant, et qu'il était donc en attente d'un blanc jusqu'à ma venue. Cela me parut étrange car il y avait bien plus de blancs que de noirs. Je devais donc être attendu. Je dissipai ces pensées et finit mon petit-déjeuner, un des meilleurs repas que j'avais mangé depuis le début de la famine, deux semaines avant.
Alors que j'avais tout juste fini d'avaler le contenu de mon bol, tout le monde se leva sans que je ne puisse voir pourquoi. Je me dressai de même et constatai que le prêtre était descendu. Il évitait de venir trop souvent pour ne pas attirer les soupçons de l'Évêque qui siégeait dans l'Église voisine : il passait au sous-sol environ trois fois par jour, pour y distribuer des nouvelles. Il dépassait, lors de ces visites, rarement cinq minutes. La veille avait été une exception.
Ceux qui étaient encore dans leurs chambres vinrent dans la salle et tendirent l'ouïe, ce que je fis également.
– Mes amis, l'heure est grave : l'Évêque est parti et je dois le suppléer.
Je ne voyais pas ce que cela pouvait impliquer mais sa voix était grave et les regards des autres pensionnaires l'étaient aussi.
– Savez-vous ce que cela signifie ?
Je savais très bien qu'il rajoutait ce petit passage de son discours à ma seule attention.
– Je ne pourrai pas m'occuper de vous pendant le mois qui suit. Vous allez devoir vous en charger. La chambre 152A, la seule inoccupée, pourra être utilisée comme serre et vous y cultiverez des plantes. Je compte sur vous.
Je ne voyais toujours rien de dramatique dans ses dires, même si l'agriculture souterraine, sans soleil, me paraissait impossible.
– Il vous faudra être très prudent. À cause des incidents d'hier, la milice a doublé ses effectifs. Ils craignent une rébellion, et nous sommes les premiers suspects, dans leur enquête. Vous devrez être extrêmement vigilants, et il y aura forcément des visites de la milice dans mon abbaye. Je compte sur vous pour ne pas leur laisser soupçonner l'existence de ce sous-sol.
Le sous-sol était extrêmement bien aménagé : un système d'alarme occupait tout le plafond et des sorties de secours étaient disposées assez régulièrement. Elles donnaient sur les mines des nègres. Ces sorties de secours devaient être dynamitées pour être ouvertes, ce qui prenait du temps - d'où l'importance d'un bon système d'alarme et d'un système de gardes.
J'avais peur, je craignais à nouveau pour ma vie. Je ne m'étais pas encore rendu compte du danger nouveau auquel je m'étais soumis en allant vers l'Église, le jour d'avant. Désormais, j'étais traqué comme un criminel. Tout ça à cause d'un appel téléphonique.
J'allais devoir survivre dans ce sous-sol tout le restant de mes jours, sans aucun but. À vrai dire, j'aurais encore préféré mourir que de poursuivre une existence incertaine et vaine, mais la crainte naturelle de la mort m'empêchait de me suicider, et je devais sauver ma sœur, je devais la retrouver. Ma sœur.
Le prêtre nous encouragea tous et nous fit un « Au revoir ! » sincère. J'étais très ému de voir l'amour que ce Pardessin portait pour nous, alors que je n'étais pas encore converti à sa religion. Je n'en avais d'ailleurs pas le projet : Je ne voulais pas consacrer toute ma vie à préparer ma mort, à sacrifier un rien fini pour un bien infini mais incertain.
Je n'y avais d'ailleurs pas réfléchi. J'étais trop préoccupé. J'avais d'autres choses à faire, l'heure était grave. Trop en tout cas pour s'engager dans des débats théologiques et pour discuter de l'existence de Dieu, en lequel je pensais croire malgré tout.
Je sortais quelque peu confus de cet adieu d'un homme qui la veille même m'avait sauvé. Je n'avais même pas eu le temps de le connaître, mais il avait déjà eu le temps de devenir mon protecteur. Et j'allais devoir vivre un mois sans mon protecteur.
Je saluai les autres et regagnai ma chambre, la chambre 133B.

Commentaires

Gregor

19/06/12 à 11:14:23

Bon, je laisse quand même un petit avais de passage, c'est toujours mieux que rien :-) ...

Ton texte, quoi qu?intéressant sur le fond, souffre de défauts notoires :
- pas mal de répétitions, peu volontaires je pense.
- un rythme trop rapide, qui passe par des descriptions peu immersives, des actions brèves, aucun attardement sur l'ambiance. C'est d'autant plus préjudiciable que nous sommes au début du récit, et qu'il apparait que tu voulais simplement donner une impression de rapidité.
- Un champ lexical loin d'être super original et parlant.
- Une ambiance trop peu immersive.

Je ne m?aventure pas sur le terrain de l'intrigue, mais on sent clairement l'influence de 1984, c'est flagrant. peut-être un peu trop ? Je ne sais guère ...

En revanche, le style est pas vilain. Parce que facile à lire sans être simpliste, et qu'on sent un potentiel certain dans ta syntaxe, dans tes personnages ... Après, je ne te cache pas qu'il va y avoir du boulot pour progresser. mais la base est là :-) ...

Vous devez être connecté pour poster un commentaire