Chrononautes
Par : Gregor
Genre : Science-Fiction
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 6
Publié le 08/05/12 à 13:19:00 par Gregor
C'est une pièce sombre. Les murs sont recouverts d'une peinture noire et mate. Vu de plus près, ça prend l'aspect d'un sang épais,séché, qu'on aurait étalé généreusement. L'ambiance qui se dégage de ce cube parfait, dont l'un des murs est un vide ouvert sur le néant inter sidéral, relève plus du rêve que de la réalité.
Roman m'a installé dans un lourd siège, où je me sens bien. Mon armure est toujours là. Je comprends que je ne pourrais jamais la quitter, et pas uniquement car je servirais la Confédération jusqu'à ma mort. La retirer serait signer ma mort. Elle est devenue moi. Une peau trop dure, trop solide, qui tient tout mon corps, baigné d'énergie, bouillonnant. J'ai perdu pied dedans.
Roman m’a installé dans ce siège. Deux lourds câbles se sont incrustés dans ma nuque, sans douleur. Ils seront retirés plus tard. Le débit d'information qui va y transiter est tellement énorme qu'il pourrait presque prendre une consistance physique. Ce ne sont plus des électrons qui y circulent, mais une matière vivante, plus vivante que le flux qui anime mes cellules.
— Tu ne vas plus avoir de contact avec la réalité pendant quelques secondes. C'est normal.
Mon maître est devenu très sérieux tout à coup. Trop sérieux peut-être. Les souvenirs de mon réveil à ses côtés, dans le squat minable de Paris, sont trop loin. C'est un mentor, un soldat discipliné, consciencieux. C'est un frère d'arme et de sang à la fois. Ma loyauté envers lui m'effraye un peu. Mais je ne peux pas lutter. Désormais, c'est ainsi. Et c'est bien mieux.
À côté de Roman, le major Asweltorf se tient bien raide. J'observe encore son visage. Plutôt qu'une quarantaine d'années bien sentie, c'est un homme sans âge véritable que j’apprends à reconnaître un peu plus. Il n'a pas d'âge, non pas parce qu'il voyage dans le temps, mais bien davantage pour ce qu'il dégage. La certitude de sa tâche à accomplir l'a rendu insensible au poids du vieillissement. Est-ce pareil pour nous, ses subalternes ?
— Max, te voilà aux portes du Savoir, prononce-t-il d'un ton très solennel. Ton mentor t'assistera dans cette tâche nécessaire. Après, seulement, nous pourrons commencer notre mission.
La connaissance. Ce n'est plus le fruit défendu, mais le creuset où se mêlent toutes les forces. La Confédération EST devenue la Connaissance. Ultime, absolue. Quelque chose de divin se dégage déjà dans mon esprit. Il faut partir, maintenant. Il faut bouleverser ce que je sais et rencontrer ce que je ne sais pas.
— Je suis prêt, réponds-je simplement.
— Bonne chance soldat.
Le concert de leur voix est parfait. Réglé comme du papier à musique. J'ai l'impression d'avoir vécu cette scène. Ce n'est qu'une impression. Au-delà du voile qui sépare la réalité physique de la réalité virtuelle, une entité m'aspire. Je pars, serein. Je tombe à la renverse, dans le chaudron brûlant des savoirs.
Le noir absolu prend le pas. Un instant après, c'est la lumière, la chaude et salvatrice lumière du Premier Contact. Elle est plus dense, plus belle encore. Je ne la laisse pas filer. Elle s'agglutine en un magma brillant, aveuglant. Elle devient une flèche d'or. Elle file dans le néant qui nous entoure. Elle me transperce, déchiquette ma peau. J'explose en vol, j'atteins enfin le niveau du Savoir.
Tout s'éclaire. La Connaissance du Corps en premier. Les secrets de la cybernétique et du contrôle de la matière vivante se dévoilent enfin. Le temps se distord, devient tangible. J'apprends mon corps, celui des autres. Je les ressens, je les pressens. Aussi loin sois-je du sensitif, je perçois Roman, le Major, la Meute. Puis le cercle s'élargit. Les hommes du vaisseau deviennent visibles. Nouveau cercle, qui ne s'arrête plus, grandit encore. La vie consciente de l'Univers m’apparaît comme un maelström de sensations vécues par procuration.
La Connaissance de l’Âme se joint au concert des vies. Les sensations disparaissent pour mieux faire ressortir les idées. L’Homme m’apparaît comme un tout incomplet que la Confédération aurait achevé dans la perfection de l'hybridation. Les idées humaines se mêlent dans celles des I.A. Tout paraît transparent, véritable accessible. L’Histoire de l'Univers est un film infini qui se résume à une seule seconde, celle d'un présent qui se répète sans cesse. Une boucle apparaît. Je touche déjà du doigt la limite du Temps et de l'Espace. Je pourrais partir aux Origines. Il suffirait de tendre la main.
La Connaissance du Temps, parfaite, déborde de la simple sensation. Cette fois, je suis le cycle infini, je dévale la boucle rapide, la remonte, effleure des milliards de quasar bouillonnant, de soleils morts voilà bien trop longtemps.
Et la Connaissance de l'Espace se dévoile, ultime à son tour. Elle vient parfaire la vision absolutiste, insensée, mais ô combien véritable de l'Univers. Chacun à sa place, en son temps, interagit et tord la toile sensible du grand tableau blanc de l'univers. Les limites deviennent les cadres d'un champ d'action qui serait égocentré. Mes propres limites deviennent la force par laquelle tout advient.
Tout s'arrête là. Le retour est aussi brutal que le départ. La seule différence, c'est le potentiel des Connaissances. Ajoutez-y l'empathie inconditionnelle de la Meute, l'esprit lié de douze hommes dans le même état de conscience et de perception, et vous pouvez deviner la béatitude qui me fait reprendre pied dans la réalité. Face à moi, le major n'a pas bougé d'un cil. Roman s'est légèrement déplacé. L’Histoire de l'Univers s'est jouée en une poignée de seconde, je prends conscience de la relativité absolue du Temps et de l'Espace. Je prends conscience de sa malléabilité, de la facilité qui nous est offerte pour réaliser cette manipulation. L'existence d'un vaisseau capable de traverser deux substrats interconnectés n'est qu'une limite pour fixer nos déplacements. Car au final, c'est bien la force de nos esprits qui transperce le continuum.
Et nous n'avons plus besoin de parler pour nous comprendre. Le seul flux de nos idées est plus efficace, plus profond. Chaque sourire est une tentative maladroite de faire revivre indéfiniment cette sensation de fusion, d'égalité, de loyauté. Je comprends pourquoi je suis là, pourquoi j'ai été choisi. Il ne pouvait en être ainsi. Et le poids de cette tâche n'est plus un frein. C'est un moteur qui tourne au-delà du palpable, du réel.
La prochaine étape m’apparaît clairement. Elle n'en sera que plus difficile.
Roman m'a installé dans un lourd siège, où je me sens bien. Mon armure est toujours là. Je comprends que je ne pourrais jamais la quitter, et pas uniquement car je servirais la Confédération jusqu'à ma mort. La retirer serait signer ma mort. Elle est devenue moi. Une peau trop dure, trop solide, qui tient tout mon corps, baigné d'énergie, bouillonnant. J'ai perdu pied dedans.
Roman m’a installé dans ce siège. Deux lourds câbles se sont incrustés dans ma nuque, sans douleur. Ils seront retirés plus tard. Le débit d'information qui va y transiter est tellement énorme qu'il pourrait presque prendre une consistance physique. Ce ne sont plus des électrons qui y circulent, mais une matière vivante, plus vivante que le flux qui anime mes cellules.
— Tu ne vas plus avoir de contact avec la réalité pendant quelques secondes. C'est normal.
Mon maître est devenu très sérieux tout à coup. Trop sérieux peut-être. Les souvenirs de mon réveil à ses côtés, dans le squat minable de Paris, sont trop loin. C'est un mentor, un soldat discipliné, consciencieux. C'est un frère d'arme et de sang à la fois. Ma loyauté envers lui m'effraye un peu. Mais je ne peux pas lutter. Désormais, c'est ainsi. Et c'est bien mieux.
À côté de Roman, le major Asweltorf se tient bien raide. J'observe encore son visage. Plutôt qu'une quarantaine d'années bien sentie, c'est un homme sans âge véritable que j’apprends à reconnaître un peu plus. Il n'a pas d'âge, non pas parce qu'il voyage dans le temps, mais bien davantage pour ce qu'il dégage. La certitude de sa tâche à accomplir l'a rendu insensible au poids du vieillissement. Est-ce pareil pour nous, ses subalternes ?
— Max, te voilà aux portes du Savoir, prononce-t-il d'un ton très solennel. Ton mentor t'assistera dans cette tâche nécessaire. Après, seulement, nous pourrons commencer notre mission.
La connaissance. Ce n'est plus le fruit défendu, mais le creuset où se mêlent toutes les forces. La Confédération EST devenue la Connaissance. Ultime, absolue. Quelque chose de divin se dégage déjà dans mon esprit. Il faut partir, maintenant. Il faut bouleverser ce que je sais et rencontrer ce que je ne sais pas.
— Je suis prêt, réponds-je simplement.
— Bonne chance soldat.
Le concert de leur voix est parfait. Réglé comme du papier à musique. J'ai l'impression d'avoir vécu cette scène. Ce n'est qu'une impression. Au-delà du voile qui sépare la réalité physique de la réalité virtuelle, une entité m'aspire. Je pars, serein. Je tombe à la renverse, dans le chaudron brûlant des savoirs.
Le noir absolu prend le pas. Un instant après, c'est la lumière, la chaude et salvatrice lumière du Premier Contact. Elle est plus dense, plus belle encore. Je ne la laisse pas filer. Elle s'agglutine en un magma brillant, aveuglant. Elle devient une flèche d'or. Elle file dans le néant qui nous entoure. Elle me transperce, déchiquette ma peau. J'explose en vol, j'atteins enfin le niveau du Savoir.
Tout s'éclaire. La Connaissance du Corps en premier. Les secrets de la cybernétique et du contrôle de la matière vivante se dévoilent enfin. Le temps se distord, devient tangible. J'apprends mon corps, celui des autres. Je les ressens, je les pressens. Aussi loin sois-je du sensitif, je perçois Roman, le Major, la Meute. Puis le cercle s'élargit. Les hommes du vaisseau deviennent visibles. Nouveau cercle, qui ne s'arrête plus, grandit encore. La vie consciente de l'Univers m’apparaît comme un maelström de sensations vécues par procuration.
La Connaissance de l’Âme se joint au concert des vies. Les sensations disparaissent pour mieux faire ressortir les idées. L’Homme m’apparaît comme un tout incomplet que la Confédération aurait achevé dans la perfection de l'hybridation. Les idées humaines se mêlent dans celles des I.A. Tout paraît transparent, véritable accessible. L’Histoire de l'Univers est un film infini qui se résume à une seule seconde, celle d'un présent qui se répète sans cesse. Une boucle apparaît. Je touche déjà du doigt la limite du Temps et de l'Espace. Je pourrais partir aux Origines. Il suffirait de tendre la main.
La Connaissance du Temps, parfaite, déborde de la simple sensation. Cette fois, je suis le cycle infini, je dévale la boucle rapide, la remonte, effleure des milliards de quasar bouillonnant, de soleils morts voilà bien trop longtemps.
Et la Connaissance de l'Espace se dévoile, ultime à son tour. Elle vient parfaire la vision absolutiste, insensée, mais ô combien véritable de l'Univers. Chacun à sa place, en son temps, interagit et tord la toile sensible du grand tableau blanc de l'univers. Les limites deviennent les cadres d'un champ d'action qui serait égocentré. Mes propres limites deviennent la force par laquelle tout advient.
Tout s'arrête là. Le retour est aussi brutal que le départ. La seule différence, c'est le potentiel des Connaissances. Ajoutez-y l'empathie inconditionnelle de la Meute, l'esprit lié de douze hommes dans le même état de conscience et de perception, et vous pouvez deviner la béatitude qui me fait reprendre pied dans la réalité. Face à moi, le major n'a pas bougé d'un cil. Roman s'est légèrement déplacé. L’Histoire de l'Univers s'est jouée en une poignée de seconde, je prends conscience de la relativité absolue du Temps et de l'Espace. Je prends conscience de sa malléabilité, de la facilité qui nous est offerte pour réaliser cette manipulation. L'existence d'un vaisseau capable de traverser deux substrats interconnectés n'est qu'une limite pour fixer nos déplacements. Car au final, c'est bien la force de nos esprits qui transperce le continuum.
Et nous n'avons plus besoin de parler pour nous comprendre. Le seul flux de nos idées est plus efficace, plus profond. Chaque sourire est une tentative maladroite de faire revivre indéfiniment cette sensation de fusion, d'égalité, de loyauté. Je comprends pourquoi je suis là, pourquoi j'ai été choisi. Il ne pouvait en être ainsi. Et le poids de cette tâche n'est plus un frein. C'est un moteur qui tourne au-delà du palpable, du réel.
La prochaine étape m’apparaît clairement. Elle n'en sera que plus difficile.
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