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Chrononautes


Par : Gregor
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2


Publié le 05/05/2012 à 19:56:13 par Gregor

2.

Il dormait à poings fermés. Dehors, la rumeur du trafic, presque éteint à cette heure-ci, berçait doucement des rêves glacés, glacés comme son souffle qui s'étirait en fine volute de fumée. Les vitres brisées de la fenêtre qui éclairaient sa chambre cassaient la lumière de la lune, la reflétant sur le parquet usé, gris dans la nuit. Le matelas ne hurlait pas. À peine s'essoufflait-il lorsque Max se tournait et se retournait, s'emmitouflant dans l'assemblage puant de couverture qui lui donnait un peu de chaleur.
Il avait froid. Il avait fini par tomber. Hypothermie légère, réversible.
Il dormait à poings fermés, vers les quatre heures, ce matin-là, quand un gros bruit fit trembler les murs de l'immeuble. Il ne bougea pas. Ne frissonna pas. Des bruits de pas lent, extrêmement lourd, se dirigeaient dans la cage d'escalier. Fluctuants, percutants, s’éloignant avant de se faire à nouveau plus clairs. Deux personnes au moins s'acharnaient à cette tension malsaine, en rangers ou quelque chose approchant ce genre de chaussures énormes, prolétaires, improbables.
Quelqu'un cria. Un cri puissant, strident, masculin. Il ne dura que deux, trois secondes, et s'éteignit en un gargouillis vengeur. Nuque brisée, et puis les pas, encore. Ils se dirigeaient sans mal vers la chambre de Max. À cet instant, ce n'était plus simplement des pas lourds qui filtraient à travers la porte, mais aussi des cliquetis métalliques, des sifflements, des chuintements. Toute une mécanique sonore s’organisait derrière le panneau en bois. Mais pas une seule voix. La seule qui avait crié était morte.
Il dormait à poings fermés quand ils tournèrent la clenche, rentrèrent dans la chambre miteuse. Deux géants de fer, deux mètres minimum, cent-cinquante kilos. Des armures vivantes, un reflet rouge dans les yeux, et toujours pas de voix. Max ne bronchait pas. À peine se retournait-il sur le matelas. Il s'enfonçait. Trente-cinq degrés centigrades et sept dixièmes. Un état limite, pas encore trop préoccupant. L'un des géants s'approcha, saisit le jeune homme dans son sommeil, le mettant en équilibre sur son épaule, large, robuste, toujours emmitouflé dans ses couvertures. Ils savaient qu'il ne poserait aucun problème. Il sentait bien un peu le parfum de la mort sur ses cheveux. Mais c'était surtout le poison de la haine qui dégageait ses effluves dans la pièce. Celui du non-dit, de la souffrance silencieuse. Ils se regardèrent, un instant. Il avait été assez facile de le trouver. Plus facile que prévu même. Et le prochain saut ne serait pas possible avant trois heures, au moins. Il leur fallait trouver un endroit plus sûr, moins visible. Il fallait aussi que Max se réveille, qu'il comprenne. Il faudrait qu'il tienne le choc du saut.
Beaucoup d'inconnues dans cette équation. Mais Max n'était pas le premier. En réalité, il était le dernier. Les deux géants savaient le prix qu'il représentait. Il leur faudrait être diplomates. Ne surtout pas l'effrayer. Et la tâche s'annonçait ardue.


Le réveil est une horreur. Une impression de brûlure dans les mains, les bras, les jambes. La tête en bouillie, craquée, pliée en mille. Et puis cette odeur de métal, d'huiles. Ces bruits lancinants, réguliers, comme un cœur ralenti, froid.
— Major Asweltorf, je crois que ça y est…
Mauvais accent, russe, ou slave, je ne sais pas. Sa voix est trop impersonnelle, trop froide. Je dois délirer, ça y est.
— Reste branché, Roman. Son métabolisme est encore trop ralenti .
— Bien major.
Les ronronnements ne s'arrêtent pas. Il me faut plusieurs minutes pour comprendre que mon dos est appuyé contre surface dure et froide, malgré les couvertures. Plusieurs minutes encore pour comprendre que cette surface est un torse, énorme, hors norme. Mon bras droit et immobilisé dans une main tout aussi démesurée. Des doigts épais comme des poignets se referment sur ma paume. Ils pourraient me tuer sans difficulté. Mais pour l'instant, ils sont juste là, terminés en d'étranges tuyaux, des perfusions qui gonflent sous ma peau. J'ai plus chaud. Je reprends mes esprits.
Je tourne la tête vers le visage du propriétaire de cette main. Un casque le couvre intégralement. Un assemblage luisant, comme du chrome solidifié, où plusieurs sphères de petite taille, des yeux sans doute, luisent en pulsant une lumière vive, presque agressive.
— Enfin réveillé, Max ?
La voix sort de son corps tout entier. Complètement synthétique. Ce type n'est pas humain. Maintenant, je le sens.
— Vous êtes qui ?
Il ricane.
— Major, je crois qu'il défie toutes vos prévisions.
— Roman, ça suffit.
Le géant en armure se tait. Son comparse, celui semble donc être son chef, reprend.
— Baisse ton casque roman. C'est important qu'il nous voie. Qu'il TE voit. Puisqu'à présent, tu es son mentor…
— Mais, Major, commence à protester mon sauveur.
— Le Dieu-Machine a choisi de te le confier. C’est irrévocable. Et je sais que tu t'en sortiras très bien.
— À vos ordres, major...
Roman, ce type trop amusant pour sembler être un soldat, s'exécute sans broncher. La rigueur militaire se traduit dans sa voix. Il ne joue plus. Il obéit simplement.
Un autre chuintement me tire de ma torpeur. Les claques qui protègent son visage coulissent. Et c'est la surprise.
C'est, où c'était un homme, je ne sais plus. Lui-même ne le sait sans doute pas, ou plus. Si la moitié droite de son visage est intacte, mâchoire carrée, front haut, lèvres fines, presque blanches, menton en fossette, tout le reste a disparu. Disparu sous de l'acier, comme un carnaval qui aurait mal tourné. Son œil gauche est un cercle parfait rempli de lumière, qui me scrute, sans vie. Sa joue gauche, son oreille gauche, une partie de son crâne disparaissent sou des lignes étranges, qui suivent une peau qui n'existe sans doute plus. Des câbles surgissent de la base de son crâne, se perdant derrière son dos. Plutôt dans son dos, et dans son cou, pour être exact. Ce type n'est plus un simple humain. Il est terrifiant. Et pourtant, il sourit.
— Salut, lâche-t-il en riant en coin. Roman, soldat de première classe, sous les ordres du Major Asweltorf. Tu ne t'attendais pas vraiment à ça ?
— N… Non, parviens-je à lâcher.
— C'est normal. On a tous réagi comme toi au début. Et après, on s'habitue.
Je reste muet. Je le regarde. C'est contre nature, improbable. Il ne semble pas souffrir.
— Ça… Ça fait mal ?
— Je n'ai plus de sensibilité à la douleur.
Je frissonne.
— Et toi non plus d'ailleurs, enchaîne le major Asweltorf.
Je sursaute.
— Roman t'a injecté des milliards et des milliards de petites bestioles artificielles de la taille d'un acide aminé. Juste ce qu'il faut pour te remettre d'aplomb, te préparer.
— Me préparer à quoi… major ?
Il se lève. Il n'a pas défait son casque. J'imagine un vieil homme grisonnant, avec une barbe de plusieurs semaines. Un air de druide, venu du futur, ou de Dieu sait où.
— Te préparer à sauter, Max. À revenir dans le futur.


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