Tous les guetteurs à l'intérieur du supermarché se relevèrent et braquèrent leurs armes sur nous.

« Alex, t'as vraiment un don pour nous mettre dans la merde, tu sais? gémit distinctement Carmen. »
« M'en parles pas..., soupirais-je en fermant les yeux, consterné. »
« Fermez-la et avancez, ordonna l'un des guetteurs, et vous avisez pas de toucher à vos armes! »

Étant dans une situation plus que précaire, nous décidâmes d'obéir, en essayant de ne pas brusquer nos mouvements. Les autres rescapés s'écartèrent vivement de notre chemin, et notre groupe de cinq s'immobilisa au milieu de l'arc de cercle formé par les soldats. L'un d'eux pencha la tête de côté et ouvrit de grands yeux.

« Jessie! Mais qu'est-ce que tu fais là? »
« Je leur fais confiance..., fit-elle d'une toute petite voix. »
« Elle s'est laissée corrompre vous voulez dire! s'exclama une voix familière. »

Je tournai la tête, et vis Cédric, accompagné de seulement trois hommes, qui entrait par la même porte que nous. Je baissai la tête, certain que la mort de ceux qui l'accompagnaient à son départ allait nous retomber dessus. Les survivants s'aperçurent de l'absence des autres, et leurs regards se braquèrent sur nous. Si on faisait les comptes, ça faisait quinze hommes tués depuis notre arrivée, Sebastien inclus.
La situation se dégradait de seconde en seconde, et je sentis que la jeune femme derrière moi commençait à s'agiter. Les guetteurs semblaient hésiter quant à ce qu'il fallait faire, car nous avions été informés qu'ils nous abattraient à vue, mais la présence de Jessica compliquait cette affaire. Je perçus un lointain bruit à l'extérieur du bâtiment, mais n'y prêtai pas attention.


« Bon, ça suffit, clama Cedric d'une voix glaciale. Elle a choisi de les rejoindre. Abattez-les. »
« Attendez! hurla l'interessée. »

La jeune femme se plaça devant moi, les bras légèrement écartés. J'entendis à nouveau un bruit, et tendis davantage l'oreille. Je penchai la tête vers elle pour lui chuchoter quelques mots.

« J'apprécie le geste, mais c'est pas la peine. »
« Pourquoi? gémit-elle. Je peux pas les laisser vous tuer comme ça. »
« C'est pas ce que je veux dire, soufflais-je. »
« Quoi alors? »
« Il arrive..., achevais-je en déglutissant, mes avant-bras se couvrant de chair de poule. »

Elle eut un violent frisson, et commença à pâlir. Les hommes hésitaient toujours, mais Cédric ne tarderait pas à rompre l'attente. Je tournai légèrement la tête vers Steph', et lui répétai les deux mots que j'avais transmis à Jessie. La jeune femme le répéta aux deux autres. Dans le silence qui s'était installé, l'air soulevé par les deux puissantes ailes provoquait un bruit légèrement perceptible, qui le devint de plus en plus.
Peu à peu, toutes les têtes se levèrent, tentant de déceler d'où provenait ce son. Le dirigeant de la communauté sembla comprendre ce qu'il se passait, car il arracha un fusil des mains de l'un de ses hommes.
C'est alors que le plafond éclata.
Étant déjà préparés à ce qui allait se produire, nous fûmes suffisamment vifs pour esquiver les blocs de bétons qui se mirent à chuter du toit. L'homme possédé, lui, tenta de tirer sur nous, mais la poussière provoquée par l'effondrement réduisait considérablement sa vision, et rien ne nous atteignit. Les rescapés, eux, ne s'attendaient pas à voir le supermarché s'écrouler sur eux, et plusieurs furent immédiatement broyés sous les décombres.
Moins de deux secondes après, la créature faisait irruption à l'intérieur du bâtiment, et sa présence acheva de terroriser les survivants. Elle écrasa impitoyablement les hommes et femmes sous ses pattes puissantes, et sa queue en balaya d'autres, qui furent projetés contre un mur, avant de retomber, inertes.
Pendant ce temps, nous nous jetâmes sous un rayon posé en travers d'un mur, seule cachette à portée. De cet abri improvisé, nous pouvions voir toute la scène. Cédric recula et passa la porte qui menait aux chambres. Le dragon happa quelques personnes de plus et les dévora, puis il se mit à tuer tout ce qu'il voyait. Les rares survivants tentaient désespérément de fuir, mais leurs chances de survie étaient nulles.
Jessica faillit éclater en sanglots, mais Matt plaqua une main sur sa bouche pour l'empêcher de faire trop de bruit. La jeune femme tentait tant bien que mal de contenir ses larmes, mais je voyais clairement les gouttes rouler le long de ses joues. Voyant que la créature nous tournait le dos pour avaler l'un des guetteurs qui lui tirait dessus, j'esquissai un geste pour m'extirper de cet abri. Mon coéquipier m'attrapa instantanément le bras.

« Qu'est-ce que tu fais? »
« Je vais choper cet enfoiré et détruire le fragment. »
« T'es complètement malade mon pote fit-il en secouant la tête, effrayé. »
« Non. Il nous lâchera pas, et même dans ce cas, imagine qu'il atteigne le vaisseau et qu'il refasse la même chose qu'ici? »
« Alex, je t'en supplie... »
« Laisses tomber Matt, ok? »

Je sortis de ma cachette et me mis à sprinter vers la porte. Alertée par mes pas, la créature se retourna précipitamment en rugissant, délaissant momentanément sa proie actuelle. Elle pivota complètement, et sa queue éjecta le malheureux, qui alla se briser les os contre un mur. Elle tendit alors le cou pour me happer. Je parvins de justesse à me glisser dans le couloir, sentant les mâchoires claquer derrière moi.
Une rafale de tirs m'accueillit, et j'eus le réflexe de me jeter en avant, dans l'une des chambres. Je sortis mon pistolet et me plaquai contre le mur. Je tendis le bras dans le vide pour tirer à l'aveuglette, mais ne touchai rien. En risquant un coup d'œil, je m'aperçus que ma cible n'était plus là, et s'était engagée dans les escaliers. Je me précipitai à sa suite afin de ne pas perdre sa trace.
A peine arrivé au premier étage, un fusil jaillit de derrière le mur et me percuta en pleine face. Le choc me jeta en arrière, et je dévalai les marches, avant de m'écraser à plat ventre. Je pris appui sur mes mains pour essayer de me redresser, la vision légèrement troublée d'un côté. Malgré mes membres endoloris, je me relevai et grimpai en titubant l'escalier.
L'homme semblait ne jamais vouloir s'arrêter, et continuait d'aller toujours plus haut. Cette escalade commençait à devenir vraiment épuisante.

« Pfou, personne va en haut parce que les niveaux supérieurs sont trop fragiles hein? Putain, mon cul ouais... »

Après encore plusieurs étages, je vis la cage d'escaliers était bloquée par des débris, et j'en déduis que Cédric avait été forcé de s'engager dans le couloir. Je ne savais pas réellement à quelle hauteur nous étions, mais il me semblait avoir parcouru des kilomètres.

« Alex? demanda Matt dans mon oreillette. T'es où putain? »
« Euh... Très haut, pourquoi? »
« Il est parti, mais je sais pas où... »
« Il y a des survivants...? demandais-je, me doutant de la réponse. »
« J'ai pas l'impression. Jessie est inconsolable, tu reviens bientôt? »
« Va falloir le temps de redescendre... »

Je tournai à l'angle du couloir, et m'arrêtai, voyant que ma proie s'était immobilisée devant un pan de mur effondré. L'homme me tournait le dos, et fixait le sol à travers la brèche. Son fusil pendait au bout de l'un de ses bras, et le fragment de monolithe se trouvait dans son autre main. Il tremblait de tout son corps, et je m'approchai doucement, gardant mon arme pointée entre ses omoplates.
Ses doigts s'ouvrirent brutalement, et son arme tomba au sol, rebondit, puis plongea en tournant dans la vide. Il resta ainsi, fixe, jusqu'à ce que j'arrive à moins de deux mètres derrière lui. La main qui tenait la pierre se releva lentement, et il la plaça devant son visage.

« Qu'est-ce qu'il me prend...? murmura t-il pour lui-même. »

Il se retourna vers moi, et je vis que ses yeux étaient cernés et injectés de sang. J'abaissai légèrement mon arme, voyant qu'il semblait être devenu momentanément lucide.

« Qu'est-ce qu'elle m'a fait...? »

Sa main libre glissa vers son arme de poing qui pendait à sa ceinture, et je me remis immédiatement sur mes gardes. Ses doigts se refermèrent sur la poignée. Les miens appuyèrent sur la détente sans que j'en pris conscience. Il fixa pendant quelques secondes l'impact creusé au milieu de son abdomen, puis la pierre lui échappa des mains, allant ricocher sur le sol. Il tituba en arrière, et je vis ses talons heurter les quelques graviers qui délimitaient le bord.
La main qui tenait l'arme se leva vers moi tandis qu'il me fixait d'un regard mort. Trois tirs résonnèrent dans le couloir, et le cadavre bascula dans le précipice. Je m'écroulai contre le mur, haletant. Il y avait eu trois coups de feu.
Je n'avais tiré que deux fois.
Je me laissai glisser au sol, fixant la tâche sanglante qui s'élargissait sur ma cuisse.