Le Cycle Des Calepins Oubliés
Par : Tacitus42
Genre : Science-Fiction , Action
Status : Terminée
Note :
Chapitre 14
Killed In Action
Publié le 10/02/12 à 22:42:43 par Tacitus42
4. Killed in action.
Les détonations ont retenti dans toute la citée (à cause des panneaux qui accentuaient l’écho). Je me demande même si l’entière structure n’a pas vibrée sous l’onde de choc tellement le coup m’est apparu puissant.
Le Rubicon était franchi.
« Bandits eliminated ! » annonça Tobiack avec une expression d’allégresse vaguement dissimulée.
Un pan de route de plus de trois cent mètres venait de s’effondrer emportant avec lui une cinquantaine de véhicules lourds (progressant jusque-là en formation).
La plupart implosèrent d’eux-mêmes par contrecoup (les orgues à missiles notamment : même si leurs tubes étaient vides, les réservoirs, eux, étaient pleins) amplifiant et propageant sensiblement le désastre.
Le tout coupant la route aux unités motorisées qui avaient réussi à passer : ce qui était l’objectif principal assigné à Edric.
Les champignons de fumées s’élevaient encore dans les airs dans l’incompréhension et la panique générale.
La plupart des vitrines qui ornaient le couloir miné ont volées en éclat sous l’effet de la déflagration.
A notre grand dam, Lilith n’avait pas pris part au cortège.
La nouvelle nous était parvenue quelques heures plus tôt : dame Lilith se sentant indisposée ne participerait pas « personnellement » à l’évènement…
(Ce qui était bien dommage pour nos affaires, mais tant pis !)
Je suppose qu’elle n’a même pas pu voir « directement » les ravages de l’Incendiaire (question d’angle mort), les mains tout contre la vitre blindée (et teintée) du troisième étage d’une annexe des trois tours piliers (laquelle prenait pied à la base de l’angle de cent vingt degrés que formaient les deux avenues principales lorsqu’elles s’unissaient pour courir en droite ligne jusqu’aux portes du dôme).
Mais les parois insonorisées ne l’étaient pas suffisamment pour empêcher d’entendre ce genre de feu d’artifices (ou simplement d’absorber totalement les vibrations qu’il entraîne).
A dire la vérité, on aurait pu faire sauter directement le building, (on aurait pu aussi faire sauter les trois tours : comme je l’ai dit, on aurait même pu atomiser directement l’entière citée)… Mais c’était encore une dépendance des crèches royales : à fortiori, il y avait des enfants à l’intérieur.
Concernant le bâtiment en lui-même, il s’agissait du prolongement bien distinct d’une sorte de contrefort brisé de sa grande sœur (dont les murs couraient sur cent cinquante mètres environ pratiquement en V le long des deux boulevards avant de se rejoindre pour former la base d’un parallélogramme dont la pointe arrière était dotée d’un appendice immense prolongeant le tout d’au moins deux cent mètres).
Nota bene : j’ai toujours tendance à compter en lieues, coudées, pieds ou autre pouces mais cela risque de ne pas se voir… Pour un esprit aussi cartésien que l’est celui de l’IA qui me sert de traducteur, le système métrique paraissait plus logique. Pour le reste et si vous voulez tout savoir, la géométrie des trois tours piliers différait légèrement entre nos deux secteurs.
Mais l’annexe s’avançait dans la place en un prisme presque longiligne et légèrement biseauté sur toute la longueur de l’arête qui tenait lieu de hauteur postérieure.
Et la tour principale s’affaissait une première fois (pour raison de soutènement donc : il y avait aussi des arcs pleins entre les deux) peu avant le dixième étage, ne gâchant rien de l’angle parfait que l’on avait déjà depuis notre toit sur toute l’étendue de la terrasse supérieure de la dépendance.
…
Les unités motorisées défilaient les premières (comme en situation tactique du reste : pour protéger l’infanterie) et avaient eu le tort de s’engouffrer dans l’avenue de gauche (de senestre comme je le dis encore parfois ou sinistre si vous préférez : le côté qui porte poisse en tout les cas).
Et la réaction en chaîne avait emporté le dernier blindé défilant, lequel n’avait pas encore dépassé le second coin (anguleux à soixante degré) de la troisième tour pilier (dont les vitres avaient pourtant moins souffert que les autres : elles étaient anti-chocs, comme les nôtres).
La route était éventrée en une énorme balafre s’élargissant en son centre et qui gagnait une bonne partie des trottoirs, ces derniers étant toutefois trop étroit pour que les unités de devant rallie le contingent laissé derrière. Il aurait fallu trouver une autre route assez grande pour accueillir les quelques blindés restants mais il n’y en avait simplement pas dans tout le cœur, pas d’autre que les trois larges avenues (précisément pour raison stratégique à la base : afin de favoriser un mode de défense en guérilla qui demeurait moins coûteux en terme d’effort de guerre et plus rentable au sein d’une citée-dôme).
Par conséquent, Harold allait avoir le champ libre (via le boulevard de droite : celui que devaient emprunter les fantassins).
Tout se passait donc comme prévu.
Il devait s’agir d’un carnage dans les règles (même si les soldats à pied défilaient, eux, avec leurs armes chargées : tradition oblige).
Il fallait frapper un grand coup et à grand renfort d’esbroufe en l’occurrence…
Quoique nous venions pratiquement d’annihiler le quart du corps blindé du treizième secteur.
La raison en était simple : il n’y avait plus qu’une seule usine dans cette ville capable de fabriquer ce genre d’unité (mesure illégale qu’avait outrepassé l’état du Québec : de la même manière qu’il le fit chez nous).
La fabrique fut salement endommagée (en 2166) avant d’être totalement réhabilitée (ce qui prit du temps).
Et le temps qu’il leur faudrait théoriquement pour se refaire devait « techniquement » jouer en notre faveur.
Mais ça ne nous intéressait même pas en l’occurrence.
Les guerres institutionnelles nous ont de toute façon appris que les blindés étaient pratiquement inutiles (voir des proies faciles) en agglomération (d’autant qu’ils ne passent pas partout).
Mais l’infanterie se portait, elle, plutôt bien : Harold avait de quoi faire.
Il n’y avait que des guerriers : depuis les soldats dans le cortège jusqu’au moindre habitant (qui possédait nécessairement une arme, même en ce jour de fête : c’était un devoir plus qu’un droit)…
Les seuls que l’on pouvait encore sauver à la rigueur avaient moins de treize ans et étaient cloîtrés dans les étages inférieurs des trois tours centrales.
Les autres étaient ou bien des menaces potentielles ou déjà morts.
Et les rues n’étaient pas suffisamment contrôlées en ce jour de fête (même si certaines patrouilles ont amèrement regretté de rencontrer un certain vieillard sensiblement vicelard).
Raison pour laquelle l’habitant moyen ne s’est pas méfié du vieil Harold s’avançant tout paré des pièces de son exosquelette de combat (les citoyens présents se sont écartés quand même : il n’était rien qu’ils eussent pu faire de toute façon).
Pour information, une Gatling est un double canon automatique de calibre trente millimètres avec une cadence de tir de plus de mille coups à la minute et qui peut découper une cloison en béton de trente centimètres d’épaisseur aussi facilement qu’un couteau, du beurre…
Je le dis d’avance : je ne suis pas fan de ce genre de mesure déloyale (même si j’avoue qu’elle est efficace)…
Raison pour laquelle j’étais fort aise de ne pas avoir à intervenir dans ce genre d’opération (du moins le croyais-je).
Pour ma part, je buvais un bon café affalé sur mon siège, les deux pieds croisés sur le bureau, devant les écrans de surveillances…
Lesquels étaient en l’occurrence divers ordinateurs portables posés à même un desk et qui dépeignait tant ce qu’Harold était supposé voir (par le biais de son casque) que les informations de certains senseurs piratés par les soins de Furius (ou même le rendu de son propre champ de vision direct, bien que restreint).
Hagerald me tenait lieu de second (étant donné que je ne connaissais encore rien de l’outil informatique à cette époque).
Et je pouvais facilement jauger l’agitation qui régnait dans les quartiers de Lilith pratiquement jusqu’à sa porte à chaque fois qu’Haggis changeait de vue : le local où demeurait la reine avait été amputé de ses senseurs bien avant notre « incursion » (pour la simple et bonne raison qu’il était le centre névralgique de la surveillance : nous les aurions piratés aussi sinon). Mais je pense qu’ils se méfiaient déjà aussi de l’efficacité de « certains hackers » soi-disant « indigènes ».
Je pouvais même voir Domakhol (ou voir ce qu’il voyait grâce à un implant oculaire) faire semblant de s’inquiéter avec ses nouveaux comparses.
L’image tridimensionnelle de son appartement perpétuellement vide avait été dûment enregistrée et envoyée.
Dans le Treizième, notre espion était forcément lui-même soldat (et plutôt bien gradé), mais jamais que le suivant du garde d’un garde de Lilith (lequel était trop haut placé pour se permettre de défiler : ils avaient peut-être plus d’ennemis à l’intérieur qu’à l’extérieur en définitive).
Mais comme je l’ai dit, les quartiers de la reine demeuraient inaccessibles.
Nous savions seulement qu’ils comprenaient vraisemblablement deux issues (que nous ne pouvions toutefois pas voir faute de capteur), l’une d’elles donnant accès à une cage d’escalier (jouxtant « pratiquement » les ascenseurs à même la façade) et desservant elle-même chaque étage jusqu’au dernier, sous la terrasse sur laquelle attendait un hovercraft (au cas où).
« R.à.S. » décréta placidement Torgil.
Il attendait avec Lyam l’hypothétique arrivée de Lilith (à supposer qu’elle morde à l’hameçon).
Ils étaient tout deux sur le toit, à la base de l’angle aigu que faisait la diagonale (trajectoire de tir) avec la base d’un rectangle étiré formé par les rives de l’avenue qu’empruntait Harold.
Ils se tenaient donc sur l’autre versant de la forme qui avait pour coin opposé l’annexe de la première des trois tours centrales.
Le niveau de la terrasse du building ciblé était plus bas que le nôtre d’une vingtaine d’étages et l’aéroglisseur bien visible.
Harold avait prévu d’aider à faire sortir la souris Lilith de sa tanière en lançant ses deux minuscules ogives sur le bâtiment (ce qu’il venait de faire à en croire le renouveau du vacarme perçu depuis notre toiture et les vibrations de la structure)…
Je crois d’ailleurs qu’il les a usées, une larme à l’œil : il les avait amoureusement bichonnées en prévision du jour J dans l’espoir de s’en servir contre l’infanterie.
Pour info, on se serait contenté d’un tir de barrage sur le building (s’il n’avait pas pu les ramener) : mais ça aurait eu nettement moins de panache et d’impact (niveau psychologie surtout)…
A défaut d’avoir changé quoique ce soit à la donne.
Il avait eu mon feu vert au préalable (les gamins avaient dégagé les étages réquisitionnés par la camarilla de Lilith : plus de bambins entre le premier et le septième).
Harold avait donc ciblé les niveaux supérieurs et inférieurs des appartements où était sensée se trouver la suzeraine du secteur (puisque la baie bombée et blindée épaisse de cinquante centimètres offrait une trop bonne protection à ce genre d’agression) : Le vieux lascar espérait peut-être que le planché s’effondre sous-elle ou que le ciel lui tombe sur la tête…
Ce qui n’arriva pas : les infrastructures du bâtiment entier aux mêmes normes que les nôtres assuraient une absorption maximum de n’importe quel type d’explosion (comme nous nous y attendions : nos secteurs avaient été bâtis de la même façon) ou empêchait en tout cas tout effondrement (ce que Lilith ne savait peut-être pas).
Nota bene : les normes de sécurité en question (bien qu’améliorées par la suite) furent adoptées dans le courant du vingt-et-unième siècle suite aux conséquences du crash délibéré d’avions dans deux tours d’une mégapole aujourd’hui disparue.
Le but premier était juste de lui faire suffisamment peur pour la faire déguerpir (vers son hovercraft).
Après quoi, nous ne pouvions plus compter que sur Lyam…
Lequel avait une marge de manœuvre infime : la distance entre elle et son aéroglisseur (une trentaine de mètres à tout casser).
Un tir hyperbolique (sans vent : forcément) à plus de trois kilomètres sur une cible mobile (se déplaçant le long d’une perpendiculaire d’une vingtaine de mètres à peine bien qu’en contrebas) avec plus de sept secondes de vol pour le projectile : un truc à la Gretchencko en somme…
(Fallait espérer que dame Lilith ne se presserait pas trop tout de même).
Le problème étant que Lyam n’arriverait peut-être pas à la cheville du commandeur.
Mais jusque-là, tout s’était plus ou moins déroulé sans anicroche : il n’y avait aucune raison de douter.
« J’ai une cible ! » cria-t-il soudain.
Il avait l’œil droit rivé sur la plate-forme à travers sa lunette et je pouvais voir moi-même en temps réel ce qu’il avait devant son réticule.
Je ne l’ai entraperçue qu’une fraction de seconde (le temps que le nabot décale le fusil du degré nécessaire à l’anticipation du mouvement de sa proie, en comptant la trajectoire courbe que décrirait la balle)…
Le problème était que je ne l’avais simplement pas repérée au sortir de sa section blindée (après qu’elle y fut pourtant entrée), que ce fut au niveau des cages d’escaliers ou d’ascenseur à hauteur de son étage : j’aurais au moins du la voir « dans » l’élévateur…
Mais je me rappelle m’être immédiatement dit pour moi-même qu’elle « débile » j’étais.
Il faut savoir qu’une cloison coupe-feu est souvent double ou triple épaisseur au minimum (et en sandwich) : il suffisait d’enlever une bonne couche pour laisser assez de place pour le passage d’un seul homme (debout de tout son long : il ne fallait pas être claustrophobe).
Hors donc, même si nous avions prévu le léger écueil que vous savez, nous ne savions à coup sûr que depuis quelques heures seulement qu’elle n’allait prendre place que dans le dit sas. Nous n’avions simplement pas jugé utile de creuser le problème (pensant que nos renseignements actuels étaient suffisants)…
Elle pouvait tout aussi bien avoir fait aménager longtemps à l’avance un monte-charge personnel à même la pièce protégée (et à notre insu par conséquent), lequel débouchait forcément « quelque part » par une issue dérobée dans les étages supérieurs : elle n’aurait eu qu’à prendre le dernier escalier (celui menant à l’aéroglisseur) : je n’ai simplement pas pensé à contrôler cette portion à ce moment-là (pour les raisons citées plus haut).
Pour ce que ça change…
La dame n’était pas seule en tout les cas.
« Négatif : cessez… » Tentais-je vainement.
- « Vas-y bonhomme » entendit-on.
Le bruit de la détonation résonna trois fois.
Sept secondes et quelques s’écoulèrent…
« Je l’ai eue, je l’ai… »
…
Le cri d’exultation de Lyam s’arrêta dans un décrescendo presque pathétique.
« Cible éliminée » assura Torgil d’une voix neutre pour quelqu’un qui venait d’avaliser l’ordre qui tua tant la dame que l’un des enfants qui lui servaient de boucliers humains…
Je crois que c’est à ce moment précis, à la fin de cette courte réplique, que j’ai entendu le second coup de feu (que j’ai tout d’abords pris pour un écho perdu du premier).
« Rapport » demandais-je…
- « Je… »
« Le petit… »
« Il s’est suicidé » annonça le major.
Sa voix trahissait l’état de choc pour le coup.
Je ne saurais jamais pourquoi Lyam a agi si vite : je ne le connaissais pas (moins que tous les autres en tous le cas)…
On aurait presque cru à un réflexe.
Endoctrinement militaire ?
Sens exacerbé de l’honneur ?
Peur des retombées ?
La plupart des gens auraient quand même attendu… Auraient essayés de comprendre, d’assimiler…
L’Histoire veut en tout cas qu’il ait dispensé la mort à tort et se soit châtié, de lui-même, sur l’instant.
Il n’avait pourtant fait qu’exécuter un ordre : il était par conséquent moins coupable que l’autre…
Faut croire que le petit comme ils l’appelaient tous valait plus que l’ensemble de notre putain de bande réunie.
Il avait nécessairement du utiliser le pistolet qu’il portait à son ceinturon (puisque l’image de la lunette n’avait pratiquement pas vibrée au second coup de feu).
Le résultat du premier tir n’était pas beau à voir : on pouvait contempler le crâne explosé des deux victimes qui avait répandu son contenu sur le sol.
Il n’avait simplement pas pu voir la fillette cachée jusque-là par la haute stature de la dame.
Mais il aurait du éviter le tir étant donné le nombre d’enfants alentours.
Loin de là, Harold faisait son office…
Et moi je buvais ce qui restait de mon café…
Je sais : je suis un enfoiré !
(Mais ils auraient du m’écouter).
- « Les données ont été enregistrées : vous serez déférés en court martial, dégradé et vraisemblablement exécuté » annonçais-je d’une voix sans ton au major qui demeurait à l’écoute de son oreillette.
Il y eut un blanc de quelques secondes… Le temps qu’il réalise : qu’il digère.
Le temps que je rabatte le bas du vêtement qui couvrait mon faciès (et que je me suis bien gardé d’ôter en entier, même pour finir ma tasse).
- « Bien reçu » entendit-on d’une voix tout aussi monocorde : le major Torgil tenait à sa de dignité…
Aussi se contenta-t-il d’ajouter « demande permission d’imiter mon subalterne. »
…
A une autre époque (aux jours d’aujourd’hui j’entends), j’aurais autorisé sa requête (étant donné que la plupart d’entres-nous échappent trop facilement aux peines qu’imposeraient logiquement leurs bavures : dans mon unité notamment).
Mais en l’occurrence, j’étais persuadé que Gretchencko trouverait une peine juste pour un crime de guerre.
- « Négatif : vous passerez en court martiale comme le code militaire le prévoit. »
Tout le monde a droit à une chance de rédemption après tout (même si sa seconde femme ne méritait probablement pas de savoir pourquoi il risquait de mourir).
- « O.K. les enfants : mission accomplie ! »
« On remballe » déclarais-je à tous par l’intercom.
La fin était moche, mais c’était la fin (du moins le pensais-je)
…
- « Ils ont buté Lilith !! »
La voix paniquée était celle d’un garde obligeant les autres à se retourner.
Jusque-là Domakhol et ses amis assistaient en toute sécurité au carnage du vieil Harold.
Ils étaient maintenant quatre dans la pièce.
- « De quoi tu causes ? »
« Lilith est pas dans ses quartiers ? » Décréta le type alors à la gauche de Domakhol.
- « Sur le toit : ils l’ont tuée j’vous dit. »
- « Tu te fous d’nous ? » répondit l’autre à sa droite.
- « Vas voir, crétin ! » renchérit le gars à senestre.
« Si ça se trouve, c’est son ombre qu’ils ont descendue ! »
- « Hein ?! »
- « Son sosie, imbécile ! »
- « Vous avez entendu ?! » Cette fois, c’était Furius qui venait de parler (et tout haut).
Nous étions toujours en relais. Il était truffé d’implants et de nano-puces en fait : dans les dents, dans les yeux et les oreilles (partout en somme, mais il était volontaire à la base).
« Affirmatif » dis-je (chose qu’il fut le seul à entendre : le volume de la puce réceptrice étant réglé au minimum).
- « Quoi ?! » demanda l’un de ses compères.
- « Non, rien » assura Domakhol.
Tendre des perches, laisser à l’ennemi au moins une chance de comprendre.
Mais je n’ai moi-même pas compris tout de suite où il voulait en venir.
Il a juste ajouté : « laissez : je vais voir moi-même ! »
Il m’a fallu le temps de le voir approcher des deux types en faction devant une simple arcade (par le biais des senseurs dans l’angle, au plafond) pour réaliser.
Les gardes ne pouvaient pas le laisser rentrer : ils ne pouvaient plus se permettre de laisser rentrer personne à présent.
Tout au plus pouvaient-ils lui donner une info utile.
Mais son regard changeant petit à petit trahissait son intention (même pour moi qui, jusque-là, n’avais jamais vu cette ire qui faisait son renom).
- « Domakhol, stand by (on a encore besoin de… »
Mesure inutile s’il en est : il venait de sortir ses deux armes de poings devant les deux opposants qui se raidirent soudainement…
Furius se lança alors dans une course éperdue parsemée par le meurtre et pour en venir à quoi ?
Une mort certaine...
Mais c’était, il est vrai, la seule destinée de tout ce qui se voulait guerrier.
Le reste est une suite de séquences rémanentes entre les images oscillantes, décrivant la vue directe de Domakhol en plein effort et celles des scènes rapportées par les capteurs des plafonds, mais se succédant à mesure que notre agent empruntait un nouveau corridor…
Selon que mon regard interloqué se portait aux unes ou aux autres (sur chacun des deux P.C. qui y étaient respectivement assignés).
Les détonations accompagnaient les flashs mêlés aux cris brefs d’ordres directs de gardiens tentant de s’organiser (mais n’y parvenant pas) alors que Furius profitait de l’avantage de la surprise pour tenter la percée.
Il n’aurait pas pu tuer tout le monde durant sa traversée. Certains sont simplement restés bêtes à son passage (sans plus).
Il a quand même pris une balle sous l’épaule gauche (je crois pouvoir dire qu’il serait mort de toute façon).
Et en fin de compte, il n’a eu à défoncer que deux portes. La première de l’épaule (en abattant un homme dans la foulée) et la seconde du pied droit rabattu violemment (toujours dans son élan).
La dernière, (celle qui était blindée et qui menait à Lilith), c’est un garde de l’intérieur qui l’a ouverte (sans doute sous la directive de la reine elle-même).
C’est en tous les cas une erreur énorme : une preuve de plus s’il en est que les gens du treizième n’étaient que des novices en matière de guérillas urbaines (bien qu’ils fussent passés pro en espionnage et manipulations en tout genre).
Le culte de la force brute par le biais de la manipulation ne sert à rien pour ce genre de chose.
Nous avions sur eux, trois ans d’une âpre lutte, de conquête de terrain maison par maison, porte après porte… Plus Gretchencko qui avait su en définir les règles.
Mais je crois aussi que c’était la panique à l’intérieur à cause de tout le ramdam qu’on avait réussi à faire dehors : ça facilite l’avènement de ce genre de bourde monumentale.
On ne devait rien entendre de l’intérieur du sas des huiles du Treizième : les cloisons sont insonorisées (raison pour laquelle Furius a pu aller si loin dans l’incompréhension générale).
Mais la salle de la suzeraine du secteur tenait d’avantage d’un compartiment blindé que d’une tribune présidentielle.
Comme je l’ai déjà précisé, elle était nécessairement munie de sa propre alcôve de sécurité laquelle était bardée de moniteurs de surveillance : ils ont vu la charge de Domakhol.
Le type n’a eu que le temps d’entrouvrir la porte avant de se manger un pruneau dans le bas-ventre.
Il est tombé contrit par la douleur alors que sa propre masse recroquevillée sur le sol empêchait la fermeture de l’accès lui-même.
L’instinct de tueur (façon marines) ?…
Berserk ?
Des foutaises tout ça!
L’instinct commanderait de viser la tête : neutraliser la menace potentielle au plus vite.
Mais un type comme Furius ne choisit pas de tirer dans les parties génitales de quelqu’un par hasard ou par cruauté. C’est simplement parce que c’était le seul moyen de le faire tomber en avant (et donc de garder le passage ouvert).
S’il avait tiré dans la tête, le type serait tombé en arrière (et la porte se serait refermée d’elle-même)…
S’il avait tiré ailleurs (dans les tripes par exemple) le type aurait eu une opportunité de riposter.
Faut croire que la chance sourit aux audacieux (si on peut parler de chance pour un mort qui courait encore).
Et l’ire de Domakhol ne l’empêchait pas d’être lucide.
Il a tiré à bout portant sur le second garde arrivant juste derrière (qui, ne pouvant fermer la porte n’a fait que l’ouvrir d’avantage pour riposter)…
Je le vis repousser son corps dans la foulée (s’en servant comme bouclier), tout en enjambant la masse de celui qu’il avait châtré.
Ce qui l’a finalement crucifié je crois, c’est l’opportunité : le choix.
S’en prendre aux gens de Lilith d’abord ou la tuer elle tout de suite (et risquer de mourir)…
Un réflexe stupide puisqu’il était pratiquement assuré de crever d’une manière ou d’une autre.
(Ou alors pensait-il pouvoir s’échapper avec l’hovercraft ?!)
Peut-être que le délai de latence que j’ai perçu n’était que le laps de temps qu’il lui fallut pour trouver Lilith dans son champ de vision (à gauche, entre deux gardes, près de la vitre en l’occurrence).
Toujours est-il qu’il a hésité pendant une fraction de seconde…
Face à cinq hommes, fusils-mitrailleurs aux poings (dont la plupart se trouvaient certes en avant mais d’avantages sur ses flancs).
Il aurait pu abandonner son pavois de fortune pour trouver un couvert derrière le sofa, plus gros (pour se cacher plus qu’autre chose, étant donné que les fusils étaient assez puissants pour transpercer les deux : le macchabée ou le large divan)…
Mais il a tenté de dire quelque chose en lâchant le mort avant de braquer ses deux semi-automatiques « placebos » vers Lilith (et de se faire cribler de balles donc).
Il a articulé « Gretch quelque chose » comme d’aucuns auraient crié « Geronimo ».
Aucun mot n’est véritablement sorti en entier de sa bouche. On l’a juste entendu déglutir (sans doute après avoir régurgité du sang).
La prétendue rage divine a du disparaître progressivement de son visage avant qu’il ne tombe à genou puis ne tombe tout court.
Mais à contrario je l’imagine plutôt froncer les sourcils avec un dernier rictus dans un ultime sursaut d’orgueil (juste avant de sombrer sur le sol). Je n’aime pas me répéter mais il n’y avait pas de senseur dans cette partie du bâtiment…
Je n’ai vu que ce qu’il a vu avant de mourir…
Puis ce qu’il ne pouvait plus voir puisqu’il est resté étendu, les yeux ouverts (rivés sur la moquette).
Lilith était toujours vivante : le dernier exploit de Furius fut néanmoins de le démontrer de manière claire.
A l’incrédulité de la reine du Treizième secteur succéda la colère et nous continuions à entendre tout ce qui se disait dans la pièce.
Nous avions donc techniquement encore un avantage (tant qu’elle restait dans cette salle).
Mais nous comptions déjà deux morts là où l’idée originelle de Domakhol nous en aurait épargné un pour un résultat qui aurait vraisemblablement été meilleur…
Deux bons soldats qui plus est.
Par la suite, Victor n’a pu que constater amèrement le fiasco de la mission : on a beau être bon dans ce que l’on fait, on ne peut pas réussir à tous les coups.
Et il subsistait trop de paramètres à définir dans une équation qui tendait à multiplier les inconnues (ce que le commandeur ou moi-même ignorions totalement alors).
…
Pour le reste, il a bien fallu que je m’y colle en fin de compte.
J’étais pourtant persuadé que je n’aurais pas été bien loin.
Les détonations ont retenti dans toute la citée (à cause des panneaux qui accentuaient l’écho). Je me demande même si l’entière structure n’a pas vibrée sous l’onde de choc tellement le coup m’est apparu puissant.
Le Rubicon était franchi.
« Bandits eliminated ! » annonça Tobiack avec une expression d’allégresse vaguement dissimulée.
Un pan de route de plus de trois cent mètres venait de s’effondrer emportant avec lui une cinquantaine de véhicules lourds (progressant jusque-là en formation).
La plupart implosèrent d’eux-mêmes par contrecoup (les orgues à missiles notamment : même si leurs tubes étaient vides, les réservoirs, eux, étaient pleins) amplifiant et propageant sensiblement le désastre.
Le tout coupant la route aux unités motorisées qui avaient réussi à passer : ce qui était l’objectif principal assigné à Edric.
Les champignons de fumées s’élevaient encore dans les airs dans l’incompréhension et la panique générale.
La plupart des vitrines qui ornaient le couloir miné ont volées en éclat sous l’effet de la déflagration.
A notre grand dam, Lilith n’avait pas pris part au cortège.
La nouvelle nous était parvenue quelques heures plus tôt : dame Lilith se sentant indisposée ne participerait pas « personnellement » à l’évènement…
(Ce qui était bien dommage pour nos affaires, mais tant pis !)
Je suppose qu’elle n’a même pas pu voir « directement » les ravages de l’Incendiaire (question d’angle mort), les mains tout contre la vitre blindée (et teintée) du troisième étage d’une annexe des trois tours piliers (laquelle prenait pied à la base de l’angle de cent vingt degrés que formaient les deux avenues principales lorsqu’elles s’unissaient pour courir en droite ligne jusqu’aux portes du dôme).
Mais les parois insonorisées ne l’étaient pas suffisamment pour empêcher d’entendre ce genre de feu d’artifices (ou simplement d’absorber totalement les vibrations qu’il entraîne).
A dire la vérité, on aurait pu faire sauter directement le building, (on aurait pu aussi faire sauter les trois tours : comme je l’ai dit, on aurait même pu atomiser directement l’entière citée)… Mais c’était encore une dépendance des crèches royales : à fortiori, il y avait des enfants à l’intérieur.
Concernant le bâtiment en lui-même, il s’agissait du prolongement bien distinct d’une sorte de contrefort brisé de sa grande sœur (dont les murs couraient sur cent cinquante mètres environ pratiquement en V le long des deux boulevards avant de se rejoindre pour former la base d’un parallélogramme dont la pointe arrière était dotée d’un appendice immense prolongeant le tout d’au moins deux cent mètres).
Nota bene : j’ai toujours tendance à compter en lieues, coudées, pieds ou autre pouces mais cela risque de ne pas se voir… Pour un esprit aussi cartésien que l’est celui de l’IA qui me sert de traducteur, le système métrique paraissait plus logique. Pour le reste et si vous voulez tout savoir, la géométrie des trois tours piliers différait légèrement entre nos deux secteurs.
Mais l’annexe s’avançait dans la place en un prisme presque longiligne et légèrement biseauté sur toute la longueur de l’arête qui tenait lieu de hauteur postérieure.
Et la tour principale s’affaissait une première fois (pour raison de soutènement donc : il y avait aussi des arcs pleins entre les deux) peu avant le dixième étage, ne gâchant rien de l’angle parfait que l’on avait déjà depuis notre toit sur toute l’étendue de la terrasse supérieure de la dépendance.
…
Les unités motorisées défilaient les premières (comme en situation tactique du reste : pour protéger l’infanterie) et avaient eu le tort de s’engouffrer dans l’avenue de gauche (de senestre comme je le dis encore parfois ou sinistre si vous préférez : le côté qui porte poisse en tout les cas).
Et la réaction en chaîne avait emporté le dernier blindé défilant, lequel n’avait pas encore dépassé le second coin (anguleux à soixante degré) de la troisième tour pilier (dont les vitres avaient pourtant moins souffert que les autres : elles étaient anti-chocs, comme les nôtres).
La route était éventrée en une énorme balafre s’élargissant en son centre et qui gagnait une bonne partie des trottoirs, ces derniers étant toutefois trop étroit pour que les unités de devant rallie le contingent laissé derrière. Il aurait fallu trouver une autre route assez grande pour accueillir les quelques blindés restants mais il n’y en avait simplement pas dans tout le cœur, pas d’autre que les trois larges avenues (précisément pour raison stratégique à la base : afin de favoriser un mode de défense en guérilla qui demeurait moins coûteux en terme d’effort de guerre et plus rentable au sein d’une citée-dôme).
Par conséquent, Harold allait avoir le champ libre (via le boulevard de droite : celui que devaient emprunter les fantassins).
Tout se passait donc comme prévu.
Il devait s’agir d’un carnage dans les règles (même si les soldats à pied défilaient, eux, avec leurs armes chargées : tradition oblige).
Il fallait frapper un grand coup et à grand renfort d’esbroufe en l’occurrence…
Quoique nous venions pratiquement d’annihiler le quart du corps blindé du treizième secteur.
La raison en était simple : il n’y avait plus qu’une seule usine dans cette ville capable de fabriquer ce genre d’unité (mesure illégale qu’avait outrepassé l’état du Québec : de la même manière qu’il le fit chez nous).
La fabrique fut salement endommagée (en 2166) avant d’être totalement réhabilitée (ce qui prit du temps).
Et le temps qu’il leur faudrait théoriquement pour se refaire devait « techniquement » jouer en notre faveur.
Mais ça ne nous intéressait même pas en l’occurrence.
Les guerres institutionnelles nous ont de toute façon appris que les blindés étaient pratiquement inutiles (voir des proies faciles) en agglomération (d’autant qu’ils ne passent pas partout).
Mais l’infanterie se portait, elle, plutôt bien : Harold avait de quoi faire.
Il n’y avait que des guerriers : depuis les soldats dans le cortège jusqu’au moindre habitant (qui possédait nécessairement une arme, même en ce jour de fête : c’était un devoir plus qu’un droit)…
Les seuls que l’on pouvait encore sauver à la rigueur avaient moins de treize ans et étaient cloîtrés dans les étages inférieurs des trois tours centrales.
Les autres étaient ou bien des menaces potentielles ou déjà morts.
Et les rues n’étaient pas suffisamment contrôlées en ce jour de fête (même si certaines patrouilles ont amèrement regretté de rencontrer un certain vieillard sensiblement vicelard).
Raison pour laquelle l’habitant moyen ne s’est pas méfié du vieil Harold s’avançant tout paré des pièces de son exosquelette de combat (les citoyens présents se sont écartés quand même : il n’était rien qu’ils eussent pu faire de toute façon).
Pour information, une Gatling est un double canon automatique de calibre trente millimètres avec une cadence de tir de plus de mille coups à la minute et qui peut découper une cloison en béton de trente centimètres d’épaisseur aussi facilement qu’un couteau, du beurre…
Je le dis d’avance : je ne suis pas fan de ce genre de mesure déloyale (même si j’avoue qu’elle est efficace)…
Raison pour laquelle j’étais fort aise de ne pas avoir à intervenir dans ce genre d’opération (du moins le croyais-je).
Pour ma part, je buvais un bon café affalé sur mon siège, les deux pieds croisés sur le bureau, devant les écrans de surveillances…
Lesquels étaient en l’occurrence divers ordinateurs portables posés à même un desk et qui dépeignait tant ce qu’Harold était supposé voir (par le biais de son casque) que les informations de certains senseurs piratés par les soins de Furius (ou même le rendu de son propre champ de vision direct, bien que restreint).
Hagerald me tenait lieu de second (étant donné que je ne connaissais encore rien de l’outil informatique à cette époque).
Et je pouvais facilement jauger l’agitation qui régnait dans les quartiers de Lilith pratiquement jusqu’à sa porte à chaque fois qu’Haggis changeait de vue : le local où demeurait la reine avait été amputé de ses senseurs bien avant notre « incursion » (pour la simple et bonne raison qu’il était le centre névralgique de la surveillance : nous les aurions piratés aussi sinon). Mais je pense qu’ils se méfiaient déjà aussi de l’efficacité de « certains hackers » soi-disant « indigènes ».
Je pouvais même voir Domakhol (ou voir ce qu’il voyait grâce à un implant oculaire) faire semblant de s’inquiéter avec ses nouveaux comparses.
L’image tridimensionnelle de son appartement perpétuellement vide avait été dûment enregistrée et envoyée.
Dans le Treizième, notre espion était forcément lui-même soldat (et plutôt bien gradé), mais jamais que le suivant du garde d’un garde de Lilith (lequel était trop haut placé pour se permettre de défiler : ils avaient peut-être plus d’ennemis à l’intérieur qu’à l’extérieur en définitive).
Mais comme je l’ai dit, les quartiers de la reine demeuraient inaccessibles.
Nous savions seulement qu’ils comprenaient vraisemblablement deux issues (que nous ne pouvions toutefois pas voir faute de capteur), l’une d’elles donnant accès à une cage d’escalier (jouxtant « pratiquement » les ascenseurs à même la façade) et desservant elle-même chaque étage jusqu’au dernier, sous la terrasse sur laquelle attendait un hovercraft (au cas où).
« R.à.S. » décréta placidement Torgil.
Il attendait avec Lyam l’hypothétique arrivée de Lilith (à supposer qu’elle morde à l’hameçon).
Ils étaient tout deux sur le toit, à la base de l’angle aigu que faisait la diagonale (trajectoire de tir) avec la base d’un rectangle étiré formé par les rives de l’avenue qu’empruntait Harold.
Ils se tenaient donc sur l’autre versant de la forme qui avait pour coin opposé l’annexe de la première des trois tours centrales.
Le niveau de la terrasse du building ciblé était plus bas que le nôtre d’une vingtaine d’étages et l’aéroglisseur bien visible.
Harold avait prévu d’aider à faire sortir la souris Lilith de sa tanière en lançant ses deux minuscules ogives sur le bâtiment (ce qu’il venait de faire à en croire le renouveau du vacarme perçu depuis notre toiture et les vibrations de la structure)…
Je crois d’ailleurs qu’il les a usées, une larme à l’œil : il les avait amoureusement bichonnées en prévision du jour J dans l’espoir de s’en servir contre l’infanterie.
Pour info, on se serait contenté d’un tir de barrage sur le building (s’il n’avait pas pu les ramener) : mais ça aurait eu nettement moins de panache et d’impact (niveau psychologie surtout)…
A défaut d’avoir changé quoique ce soit à la donne.
Il avait eu mon feu vert au préalable (les gamins avaient dégagé les étages réquisitionnés par la camarilla de Lilith : plus de bambins entre le premier et le septième).
Harold avait donc ciblé les niveaux supérieurs et inférieurs des appartements où était sensée se trouver la suzeraine du secteur (puisque la baie bombée et blindée épaisse de cinquante centimètres offrait une trop bonne protection à ce genre d’agression) : Le vieux lascar espérait peut-être que le planché s’effondre sous-elle ou que le ciel lui tombe sur la tête…
Ce qui n’arriva pas : les infrastructures du bâtiment entier aux mêmes normes que les nôtres assuraient une absorption maximum de n’importe quel type d’explosion (comme nous nous y attendions : nos secteurs avaient été bâtis de la même façon) ou empêchait en tout cas tout effondrement (ce que Lilith ne savait peut-être pas).
Nota bene : les normes de sécurité en question (bien qu’améliorées par la suite) furent adoptées dans le courant du vingt-et-unième siècle suite aux conséquences du crash délibéré d’avions dans deux tours d’une mégapole aujourd’hui disparue.
Le but premier était juste de lui faire suffisamment peur pour la faire déguerpir (vers son hovercraft).
Après quoi, nous ne pouvions plus compter que sur Lyam…
Lequel avait une marge de manœuvre infime : la distance entre elle et son aéroglisseur (une trentaine de mètres à tout casser).
Un tir hyperbolique (sans vent : forcément) à plus de trois kilomètres sur une cible mobile (se déplaçant le long d’une perpendiculaire d’une vingtaine de mètres à peine bien qu’en contrebas) avec plus de sept secondes de vol pour le projectile : un truc à la Gretchencko en somme…
(Fallait espérer que dame Lilith ne se presserait pas trop tout de même).
Le problème étant que Lyam n’arriverait peut-être pas à la cheville du commandeur.
Mais jusque-là, tout s’était plus ou moins déroulé sans anicroche : il n’y avait aucune raison de douter.
« J’ai une cible ! » cria-t-il soudain.
Il avait l’œil droit rivé sur la plate-forme à travers sa lunette et je pouvais voir moi-même en temps réel ce qu’il avait devant son réticule.
Je ne l’ai entraperçue qu’une fraction de seconde (le temps que le nabot décale le fusil du degré nécessaire à l’anticipation du mouvement de sa proie, en comptant la trajectoire courbe que décrirait la balle)…
Le problème était que je ne l’avais simplement pas repérée au sortir de sa section blindée (après qu’elle y fut pourtant entrée), que ce fut au niveau des cages d’escaliers ou d’ascenseur à hauteur de son étage : j’aurais au moins du la voir « dans » l’élévateur…
Mais je me rappelle m’être immédiatement dit pour moi-même qu’elle « débile » j’étais.
Il faut savoir qu’une cloison coupe-feu est souvent double ou triple épaisseur au minimum (et en sandwich) : il suffisait d’enlever une bonne couche pour laisser assez de place pour le passage d’un seul homme (debout de tout son long : il ne fallait pas être claustrophobe).
Hors donc, même si nous avions prévu le léger écueil que vous savez, nous ne savions à coup sûr que depuis quelques heures seulement qu’elle n’allait prendre place que dans le dit sas. Nous n’avions simplement pas jugé utile de creuser le problème (pensant que nos renseignements actuels étaient suffisants)…
Elle pouvait tout aussi bien avoir fait aménager longtemps à l’avance un monte-charge personnel à même la pièce protégée (et à notre insu par conséquent), lequel débouchait forcément « quelque part » par une issue dérobée dans les étages supérieurs : elle n’aurait eu qu’à prendre le dernier escalier (celui menant à l’aéroglisseur) : je n’ai simplement pas pensé à contrôler cette portion à ce moment-là (pour les raisons citées plus haut).
Pour ce que ça change…
La dame n’était pas seule en tout les cas.
« Négatif : cessez… » Tentais-je vainement.
- « Vas-y bonhomme » entendit-on.
Le bruit de la détonation résonna trois fois.
Sept secondes et quelques s’écoulèrent…
« Je l’ai eue, je l’ai… »
…
Le cri d’exultation de Lyam s’arrêta dans un décrescendo presque pathétique.
« Cible éliminée » assura Torgil d’une voix neutre pour quelqu’un qui venait d’avaliser l’ordre qui tua tant la dame que l’un des enfants qui lui servaient de boucliers humains…
Je crois que c’est à ce moment précis, à la fin de cette courte réplique, que j’ai entendu le second coup de feu (que j’ai tout d’abords pris pour un écho perdu du premier).
« Rapport » demandais-je…
- « Je… »
« Le petit… »
« Il s’est suicidé » annonça le major.
Sa voix trahissait l’état de choc pour le coup.
Je ne saurais jamais pourquoi Lyam a agi si vite : je ne le connaissais pas (moins que tous les autres en tous le cas)…
On aurait presque cru à un réflexe.
Endoctrinement militaire ?
Sens exacerbé de l’honneur ?
Peur des retombées ?
La plupart des gens auraient quand même attendu… Auraient essayés de comprendre, d’assimiler…
L’Histoire veut en tout cas qu’il ait dispensé la mort à tort et se soit châtié, de lui-même, sur l’instant.
Il n’avait pourtant fait qu’exécuter un ordre : il était par conséquent moins coupable que l’autre…
Faut croire que le petit comme ils l’appelaient tous valait plus que l’ensemble de notre putain de bande réunie.
Il avait nécessairement du utiliser le pistolet qu’il portait à son ceinturon (puisque l’image de la lunette n’avait pratiquement pas vibrée au second coup de feu).
Le résultat du premier tir n’était pas beau à voir : on pouvait contempler le crâne explosé des deux victimes qui avait répandu son contenu sur le sol.
Il n’avait simplement pas pu voir la fillette cachée jusque-là par la haute stature de la dame.
Mais il aurait du éviter le tir étant donné le nombre d’enfants alentours.
Loin de là, Harold faisait son office…
Et moi je buvais ce qui restait de mon café…
Je sais : je suis un enfoiré !
(Mais ils auraient du m’écouter).
- « Les données ont été enregistrées : vous serez déférés en court martial, dégradé et vraisemblablement exécuté » annonçais-je d’une voix sans ton au major qui demeurait à l’écoute de son oreillette.
Il y eut un blanc de quelques secondes… Le temps qu’il réalise : qu’il digère.
Le temps que je rabatte le bas du vêtement qui couvrait mon faciès (et que je me suis bien gardé d’ôter en entier, même pour finir ma tasse).
- « Bien reçu » entendit-on d’une voix tout aussi monocorde : le major Torgil tenait à sa de dignité…
Aussi se contenta-t-il d’ajouter « demande permission d’imiter mon subalterne. »
…
A une autre époque (aux jours d’aujourd’hui j’entends), j’aurais autorisé sa requête (étant donné que la plupart d’entres-nous échappent trop facilement aux peines qu’imposeraient logiquement leurs bavures : dans mon unité notamment).
Mais en l’occurrence, j’étais persuadé que Gretchencko trouverait une peine juste pour un crime de guerre.
- « Négatif : vous passerez en court martiale comme le code militaire le prévoit. »
Tout le monde a droit à une chance de rédemption après tout (même si sa seconde femme ne méritait probablement pas de savoir pourquoi il risquait de mourir).
- « O.K. les enfants : mission accomplie ! »
« On remballe » déclarais-je à tous par l’intercom.
La fin était moche, mais c’était la fin (du moins le pensais-je)
…
- « Ils ont buté Lilith !! »
La voix paniquée était celle d’un garde obligeant les autres à se retourner.
Jusque-là Domakhol et ses amis assistaient en toute sécurité au carnage du vieil Harold.
Ils étaient maintenant quatre dans la pièce.
- « De quoi tu causes ? »
« Lilith est pas dans ses quartiers ? » Décréta le type alors à la gauche de Domakhol.
- « Sur le toit : ils l’ont tuée j’vous dit. »
- « Tu te fous d’nous ? » répondit l’autre à sa droite.
- « Vas voir, crétin ! » renchérit le gars à senestre.
« Si ça se trouve, c’est son ombre qu’ils ont descendue ! »
- « Hein ?! »
- « Son sosie, imbécile ! »
- « Vous avez entendu ?! » Cette fois, c’était Furius qui venait de parler (et tout haut).
Nous étions toujours en relais. Il était truffé d’implants et de nano-puces en fait : dans les dents, dans les yeux et les oreilles (partout en somme, mais il était volontaire à la base).
« Affirmatif » dis-je (chose qu’il fut le seul à entendre : le volume de la puce réceptrice étant réglé au minimum).
- « Quoi ?! » demanda l’un de ses compères.
- « Non, rien » assura Domakhol.
Tendre des perches, laisser à l’ennemi au moins une chance de comprendre.
Mais je n’ai moi-même pas compris tout de suite où il voulait en venir.
Il a juste ajouté : « laissez : je vais voir moi-même ! »
Il m’a fallu le temps de le voir approcher des deux types en faction devant une simple arcade (par le biais des senseurs dans l’angle, au plafond) pour réaliser.
Les gardes ne pouvaient pas le laisser rentrer : ils ne pouvaient plus se permettre de laisser rentrer personne à présent.
Tout au plus pouvaient-ils lui donner une info utile.
Mais son regard changeant petit à petit trahissait son intention (même pour moi qui, jusque-là, n’avais jamais vu cette ire qui faisait son renom).
- « Domakhol, stand by (on a encore besoin de… »
Mesure inutile s’il en est : il venait de sortir ses deux armes de poings devant les deux opposants qui se raidirent soudainement…
Furius se lança alors dans une course éperdue parsemée par le meurtre et pour en venir à quoi ?
Une mort certaine...
Mais c’était, il est vrai, la seule destinée de tout ce qui se voulait guerrier.
Le reste est une suite de séquences rémanentes entre les images oscillantes, décrivant la vue directe de Domakhol en plein effort et celles des scènes rapportées par les capteurs des plafonds, mais se succédant à mesure que notre agent empruntait un nouveau corridor…
Selon que mon regard interloqué se portait aux unes ou aux autres (sur chacun des deux P.C. qui y étaient respectivement assignés).
Les détonations accompagnaient les flashs mêlés aux cris brefs d’ordres directs de gardiens tentant de s’organiser (mais n’y parvenant pas) alors que Furius profitait de l’avantage de la surprise pour tenter la percée.
Il n’aurait pas pu tuer tout le monde durant sa traversée. Certains sont simplement restés bêtes à son passage (sans plus).
Il a quand même pris une balle sous l’épaule gauche (je crois pouvoir dire qu’il serait mort de toute façon).
Et en fin de compte, il n’a eu à défoncer que deux portes. La première de l’épaule (en abattant un homme dans la foulée) et la seconde du pied droit rabattu violemment (toujours dans son élan).
La dernière, (celle qui était blindée et qui menait à Lilith), c’est un garde de l’intérieur qui l’a ouverte (sans doute sous la directive de la reine elle-même).
C’est en tous les cas une erreur énorme : une preuve de plus s’il en est que les gens du treizième n’étaient que des novices en matière de guérillas urbaines (bien qu’ils fussent passés pro en espionnage et manipulations en tout genre).
Le culte de la force brute par le biais de la manipulation ne sert à rien pour ce genre de chose.
Nous avions sur eux, trois ans d’une âpre lutte, de conquête de terrain maison par maison, porte après porte… Plus Gretchencko qui avait su en définir les règles.
Mais je crois aussi que c’était la panique à l’intérieur à cause de tout le ramdam qu’on avait réussi à faire dehors : ça facilite l’avènement de ce genre de bourde monumentale.
On ne devait rien entendre de l’intérieur du sas des huiles du Treizième : les cloisons sont insonorisées (raison pour laquelle Furius a pu aller si loin dans l’incompréhension générale).
Mais la salle de la suzeraine du secteur tenait d’avantage d’un compartiment blindé que d’une tribune présidentielle.
Comme je l’ai déjà précisé, elle était nécessairement munie de sa propre alcôve de sécurité laquelle était bardée de moniteurs de surveillance : ils ont vu la charge de Domakhol.
Le type n’a eu que le temps d’entrouvrir la porte avant de se manger un pruneau dans le bas-ventre.
Il est tombé contrit par la douleur alors que sa propre masse recroquevillée sur le sol empêchait la fermeture de l’accès lui-même.
L’instinct de tueur (façon marines) ?…
Berserk ?
Des foutaises tout ça!
L’instinct commanderait de viser la tête : neutraliser la menace potentielle au plus vite.
Mais un type comme Furius ne choisit pas de tirer dans les parties génitales de quelqu’un par hasard ou par cruauté. C’est simplement parce que c’était le seul moyen de le faire tomber en avant (et donc de garder le passage ouvert).
S’il avait tiré dans la tête, le type serait tombé en arrière (et la porte se serait refermée d’elle-même)…
S’il avait tiré ailleurs (dans les tripes par exemple) le type aurait eu une opportunité de riposter.
Faut croire que la chance sourit aux audacieux (si on peut parler de chance pour un mort qui courait encore).
Et l’ire de Domakhol ne l’empêchait pas d’être lucide.
Il a tiré à bout portant sur le second garde arrivant juste derrière (qui, ne pouvant fermer la porte n’a fait que l’ouvrir d’avantage pour riposter)…
Je le vis repousser son corps dans la foulée (s’en servant comme bouclier), tout en enjambant la masse de celui qu’il avait châtré.
Ce qui l’a finalement crucifié je crois, c’est l’opportunité : le choix.
S’en prendre aux gens de Lilith d’abord ou la tuer elle tout de suite (et risquer de mourir)…
Un réflexe stupide puisqu’il était pratiquement assuré de crever d’une manière ou d’une autre.
(Ou alors pensait-il pouvoir s’échapper avec l’hovercraft ?!)
Peut-être que le délai de latence que j’ai perçu n’était que le laps de temps qu’il lui fallut pour trouver Lilith dans son champ de vision (à gauche, entre deux gardes, près de la vitre en l’occurrence).
Toujours est-il qu’il a hésité pendant une fraction de seconde…
Face à cinq hommes, fusils-mitrailleurs aux poings (dont la plupart se trouvaient certes en avant mais d’avantages sur ses flancs).
Il aurait pu abandonner son pavois de fortune pour trouver un couvert derrière le sofa, plus gros (pour se cacher plus qu’autre chose, étant donné que les fusils étaient assez puissants pour transpercer les deux : le macchabée ou le large divan)…
Mais il a tenté de dire quelque chose en lâchant le mort avant de braquer ses deux semi-automatiques « placebos » vers Lilith (et de se faire cribler de balles donc).
Il a articulé « Gretch quelque chose » comme d’aucuns auraient crié « Geronimo ».
Aucun mot n’est véritablement sorti en entier de sa bouche. On l’a juste entendu déglutir (sans doute après avoir régurgité du sang).
La prétendue rage divine a du disparaître progressivement de son visage avant qu’il ne tombe à genou puis ne tombe tout court.
Mais à contrario je l’imagine plutôt froncer les sourcils avec un dernier rictus dans un ultime sursaut d’orgueil (juste avant de sombrer sur le sol). Je n’aime pas me répéter mais il n’y avait pas de senseur dans cette partie du bâtiment…
Je n’ai vu que ce qu’il a vu avant de mourir…
Puis ce qu’il ne pouvait plus voir puisqu’il est resté étendu, les yeux ouverts (rivés sur la moquette).
Lilith était toujours vivante : le dernier exploit de Furius fut néanmoins de le démontrer de manière claire.
A l’incrédulité de la reine du Treizième secteur succéda la colère et nous continuions à entendre tout ce qui se disait dans la pièce.
Nous avions donc techniquement encore un avantage (tant qu’elle restait dans cette salle).
Mais nous comptions déjà deux morts là où l’idée originelle de Domakhol nous en aurait épargné un pour un résultat qui aurait vraisemblablement été meilleur…
Deux bons soldats qui plus est.
Par la suite, Victor n’a pu que constater amèrement le fiasco de la mission : on a beau être bon dans ce que l’on fait, on ne peut pas réussir à tous les coups.
Et il subsistait trop de paramètres à définir dans une équation qui tendait à multiplier les inconnues (ce que le commandeur ou moi-même ignorions totalement alors).
…
Pour le reste, il a bien fallu que je m’y colle en fin de compte.
J’étais pourtant persuadé que je n’aurais pas été bien loin.
11/02/12 à 06:21:19
J'en ai pour des jours à tout lire
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