Mussolini
Par : Negatum
Genre : Action
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 4
MARCO (4)
Publié le 28/08/10 à 13:40:10 par Negatum
(Avec ce chap, on arrive au niveau d'Ecriture. Le reste est de l'OC)
-Des révolutionnaires!
Ivan réagit avec vivacité. Avec le calme et la rapidité d'un automate, son bras accomplit un large mouvement circulaire, et un trait de lumière surgit de sa paume. Le couteau tournoya, et se planta dans la gorge du garde.
Celui-ci eut un dernier gargouillis et s'effondra.
-T'as pas perdu la main, ricana Gapone. Ça en fait déjà huit.
-Dépêchons-nous. Ce palais est sans fin.
Sans un regard vers la vie qu'ils venaient d'ôter, ils avancèrent. Dans les traits d'Ivan, là où on lisait quelques heures avant le calme et la modestie d'un interprète de talent, il n'y avait plus que de la détermination glacée et déjà sanglante. Marco, soudain fasciné par cette métamorphose, peina à détourner son regard. Ce n'était déja plus son interpréte, mais il y avait bien quelque chose de commun entre l'Ivan qu'il connaissait et cet Ivan-là. Quelque chose qu'il n'arrivait pas à trouver.
Ils allaient passer par le parc. Mais c'était à l'extrémité opposée de l'endroit où ils se trouvaient: Ils en avaient au moins pour une heure à tout traverser. Ce dédale perdaient la majorité des espions, mais Ivan travaillait ici depuis plusieurs années: il ne se laisserait pas berner. Pour se donner bonne conscience, Marco repensa à une tentative d'évasion: Mais le monstre gigantesque qui ricanait à coté laissait peu d'espoir. C'était idiot de risquer sa vie juste pour l'honneur. Marco Galiani ne mourra pas pour de la propagande.
Quand le Soleil plongea définitivement sous la Terre, Gapone sortit une torche électrique et l'alluma. Les deux communistes n?avaient presque pas échangé un mot depuis le début du trajet. Au fur et à mesure qu'ils s'étaient approchés des palais, l'air s?était rafraîchi, et Marco frissonnait sans rien dire.
Soudain, une sonnerie retentit au-dessus d?eux. Ivan sursauta.
-Merde! Je croyais que t'avais fait le tour! s'écria-t-il sur Gapone.
Galiani se souvint du rire, de cette voix si étrange, et des yeux du moine quand il avait tiré sur le garde, et il se prépara franchement à ce que l'autre décapite son interprète. Mais Gapone se contenta de baisser la tête.
-Je le croyais aussi. Un ou deux ont dû échapper à ma vigilance.
-On cours, ordonna Ivan. On se planque si ils sont plus de quatre. On les tue sinon. Pas d'arme à feu, on est prés du palais, les détonations nous repéreraient.
-Saisi, camarade Koutouzov, grommela Gapone.
-Et vous, dit Ivan à Marco en rangeant son arme, je fais confiance à votre intelligence pour ne rien tenter. Vous avez remarqué qu'on est plutôt rapides et plutôt forts. Aucune possibilité de survie dans la fuite, croyez-moi. Courez avec nous et baissez-vous si vous voyez des balles venir vers vous.
-J'ai intérêt à être plutôt rapide, alors, ricana Marco.
-Évitez l?humour, aussi. Y a des fascistes qui se seraient déjà suicidé de honte à votre place, alors le minimum syndical que vous devriez faire si vous avez un peu la foi en Mussolini, c'est vous taire.
Marco s'apprêta à répondre par une de ces tendres repartie de diplomate acculé, mais il se retint: A quoi bon? L'interprète avait parfaitement raison.
Ils se mirent à courir, et Marco fut rapidement à bout de souffle. Ivan, en tête, était diablement rapide. Le chemin défilait à une vitesse constante, mais le diplomate savait qu'ils étaient encore très loin d'être au bout. Les murs de pierre succédèrent à ceux de velours. Les poumons en feu, Marco luttait pour reprendre sa respiration.
-Baissez-vous! s'écria Gapone.
Il obéit bêtement et aperçut une lame qui le dépassait. Trois silhouettes étaient devant eux. Le premier tomba avant que les autres ne puissent réagir.
-Ce sont eux!
-Gapone, à gauche! Je tire à droite!
Ils s'élancèrent autour de Marco, qui se demanda comment on pouvait encore accélérer. Il les suivit pourtant. Deux machettes comme surgies de ses cotés frappèrent les fascistes. Le premier tomba à la renverse. Le second parvint à esquiver le coup et brandit son revolver dans leur direction. Le coup partit.
Le mur à coté d?Ivan se brisa sous le choc de la balle. La détonation vibrait encore dans l?air quand Ivan, arrivé à la hauteur du garde, planta un énième couteau dans sa gorge.
Marco manqua de trébucher sur le cadavre. Il sentait la sueur, une sueur rance et nauséabonde. Son coeur projetait du sang qui frappait sur ses tympans, et son tempo rugissant lui donnait une nausée horrible. A la place de ses jambes, il n?y avait maintenant que des pierres en fusion qui rougissaient encore d?avantage. Bientôt, elles allaient éclater. Il semblait que chaque enjambée qu?il parcourait était un nouveau miracle qui recommençait chaque seconde. Du sang coulait de ses chaussures de diplomates.
Et Marco continuait de courir. Tous ses signaux d'alertes avaient atteint leur maximum, et il lui semblait qu'il ne pourrait pas avoir plus mal. Son cerveau était englué dans la souffrance et, si elle ne gagnait plus en intensité, elle gagnait en précision. Il ne voyait déjà presque plus devant lui. Et il courrait, encore et toujours, avec un courage et une abnégation qu'il ne connaissait chez personne, et surtout pas chez lui.
Il était entré dans un monde où il n'y avait plus que deux terres: La douleur lancinante et atroce, plus la conscience étonnement claire de celle-ci. Devant ses pupilles éclairées par les lumières de la fatigue, la fine silhouette d'Ivan qui courait, et qui disparaissait dans l'ombre de la nuit, derrière elles, les rugissements et toussotements de Gapone, et au-dessus d'eux la sirène infernale, qui semblait parfois assourdie sous les battements martelés de son coeur, parfois crispante et insoutenable. Les couloirs rétrécis, les escaliers allongés, et les halls, immenses et gigantesques, qui défilaient comme un paysage ferroviaire. Parfois, une large baie vitrée, et la vue d'un jardin ou d'une forêt fantastique, où s'ébattaient dans l'alcool et la luxure cadres du régime et prostituées aux seins pendants, sous la lune mystique de Rome. Dans ces moments, Gapone, sans cesser de courir, cachait la lampe sous sa robe et ils devaient courir, toujours, dans l'obscurité absolue. Plus rarement, dans les coins de ses yeux, Marco apercevait des corps mous s'effondrer sous les coups de poignards silencieux et rapides de ses ravisseurs, et le décompte noir du moine s'égrener lentement.
-Douze... Quatorze...
Après un temps qui sembla durer plus longtemps que toute sa vie, dans lequel il répertoria méthodiquement tout les signes qui indiquaient qu'il allait mourir d'épuisement, puis dans lequel il recommença l'opération trois fois, et conclut sur le sens de sa vie, ils débouchèrent sur un gigantesque parc plongé dans la pénombre. Ivan leur fit signe d'arrêter.
Marco tomba à genoux en cherchant bruyamment sa respiration. Il ne vit pas le sourire railleur de Gapone.
-Les jardins du palais de Mussolini, présenta Ivan, à peine essoufflé. Le roi est aussi quelque part dans les parages.
-C'était quoi, ce qu'on venait de traverser? C'était très long. lança Gapone en riant.
-On est passé par les couloirs qui passent de ministère en ministère. Du bout de la ville au palais, une bonne partie de la ville est remplie de ses corridors, et y en a encore plus en souterrain. C'est un gigantesque labyrinthe qui sert de défense naturelle. J'ai entendu dire qu'elles avaient été taillés durant la bataille de Rome en 1867.
Marco s'effondra à quatre pattes. Ivan se retourna.
-Vous avez bien couru, fit-il en masquant son essoufflement, et son supérieur put voir enfin la lueur de mépris qu'il attendait depuis le début de cette prise d'otage. Vous faites du sport?
-Je n'avais pas fait d'exercice depuis mes seize ans, haleta Marco. C'est la première fois que je courrais plus d'une heure.
-Vous avez un sens de l'abnégation admirable envers vos ravisseurs. Mais n'en rajoutez pas trop, s'il vous plait: Ca ne fait qu'une grosse demi-heure que l'alarme a sonné.
-Je le porte? demanda Gapone.
Ivan acquiesça, et le moine saisib6t Marco sans ménagement, avant de le déposer sur son dos. Le diplomate, sonné et essoufflé, sentit la respiration brûlante du monstre et les coups de batte qu'envoyait son coeur de géant.
-Il y a des voitures pas très loin, fit Ivan. On en a pour peut-être cinq minutes. La nuit nous protégera ici.
Il jeta un coup d'oeil derrière l'épaule de Gapone.
-Je sais, je ne crie pas, si je veux en sortir vivant, grimaça Marco.
-Je ne l'aurait pas mieux dit. En route !
Aux sirènes hurlantes succéda le douloureux silence du parc. Tout était dégagé et immobile. Au loin, le palais de Mussolini , un grand et beau bâtiment inspiré de ceux de la Rome antique brillait dans la nuit, éclairé par les torches électriques et les projecteurs. Autour, des bosquets d'arbre et des pièces d'eau copiaient les chefs-d'oeuvre de la Renaissance. Tout était immobile. On pouvait sentir la nature chaude respirer dans le coeur gris de Rome. A un moment, Gapone fit un large mouvement et Marco aperçut des étoiles, disparues partout ailleurs.
-Quelqu'un vient! On se bouge! chuchota Ivan.
Une silhouette blanche, large et grande vint s'asseoir en bas d'un cyprès. De dos, elle ne vit pas Gapone et Ivan s'éloigner au pas de course. Marco tordit son cou pour apercevoir qui était celui qu'ils dépassaient. Il sursauta: La personne s'était retourné, et ses yeux noirs les regardaient, surpris. Elle leva la main pour les héler, mais au dernier moment, haussa les épaules. Marco connaissait cet homme.
-Mussolini?
La dernière partie de cette fuite fut plus rapide. Ivan tua le garde qui gardait les voitures. C'était la vingt-deuxième et dernière victime de l'enlèvement de Marco Galiani. Ivan et Gapone jetèrent le diplomate sur la banquette arrière.
-Bon, ben ça c'est fait, fit l'interprète en démarrant la voiture.
Gapone se tassa avec difficulté dans le minuscule siége avant de la voiture.
-Ouaip', ricana-t-il. Ca a été très long, quand même. Je m'attendais pas à tout ça.
La voiture passa par l'entrée du palais. Un garde voulut s'approcher pour les arrêter, mais s'écarta quand il vit les symboles officiels qui l'ornaient. Ils s'engouffrèrent dans la nuit de Rome dans un sifflement.
Ivan se détendit enfin. Ses traits se détendirent en un nouveau visage.
-Ca faisait longtemps qu'on s'était pas vus, camarade Gapone, fit-il avec un sourire.
-J'était pas encore ici quand t'as commencé ta couverture. Ca doit faire... quoi... deux? Trois ans?
-Aha, ouais. Dieu que ça me parait loin maintenant. Tout était différent. La guerre semblait évitable, à l'époque. Maintenant, regarde...
Il agita sa main vers la fenêtre. Les rues étaient couvertes d'affiches rouges et noires, de peinture de soldats et d'armes brandies. Ils passèrent juste devant une patrouille en arme qui marchait au pas de l'oie.
Gapone éclata d'un rire gras.
-Bah... Peu importe! Ca ne peut qu'être plus drôle!
-T'as pas changé d'un millimètre.
-Et toi, toujours aussi fier et prétentieux. Le lombric fasciste a pas réussi à briser ton orgueil, à ce que je vois!
A l'arrière, silencieux et le visage grave, Marco les scrutait du regard.
-T'es un imbécile, Gapone, répliqua Ivan en s'engageant dans la ville basse, un sourire aux lèvres. Me réduis pas à ma fierté.
Autour d'eux, les lumières se raréfièrent, et l'on vit de nouveaux des ombres minuscules se hisser sur les immenses trottoirs noirs.
-Y a du nouveau à la cellule?
-Moins qu'au Parti, répondit Gapone. Je pense que tu connais Marconi?
-Ouais, on s'est déjà vu. C'est un brave type, il fait du bon travail. Le Komintern projetait de l'envoyer à Moscou, je crois.
Le moine devint bougon.
-J'aime pas son travail.
-A part lui, y a un nouveau ?
-Ouais, un français, envoyé par Thorez pour se faire pardonner. Il est à la cellule depuis six mois.
-Il est comment?
Gapone sortit la tête de l'habitacle pour goûter à l'air nocturne.
-Louis? Ah...
Il sourit.
-Jeune. Plus jeune qu'on n'a jamais pu l'être.
-Des révolutionnaires!
Ivan réagit avec vivacité. Avec le calme et la rapidité d'un automate, son bras accomplit un large mouvement circulaire, et un trait de lumière surgit de sa paume. Le couteau tournoya, et se planta dans la gorge du garde.
Celui-ci eut un dernier gargouillis et s'effondra.
-T'as pas perdu la main, ricana Gapone. Ça en fait déjà huit.
-Dépêchons-nous. Ce palais est sans fin.
Sans un regard vers la vie qu'ils venaient d'ôter, ils avancèrent. Dans les traits d'Ivan, là où on lisait quelques heures avant le calme et la modestie d'un interprète de talent, il n'y avait plus que de la détermination glacée et déjà sanglante. Marco, soudain fasciné par cette métamorphose, peina à détourner son regard. Ce n'était déja plus son interpréte, mais il y avait bien quelque chose de commun entre l'Ivan qu'il connaissait et cet Ivan-là. Quelque chose qu'il n'arrivait pas à trouver.
Ils allaient passer par le parc. Mais c'était à l'extrémité opposée de l'endroit où ils se trouvaient: Ils en avaient au moins pour une heure à tout traverser. Ce dédale perdaient la majorité des espions, mais Ivan travaillait ici depuis plusieurs années: il ne se laisserait pas berner. Pour se donner bonne conscience, Marco repensa à une tentative d'évasion: Mais le monstre gigantesque qui ricanait à coté laissait peu d'espoir. C'était idiot de risquer sa vie juste pour l'honneur. Marco Galiani ne mourra pas pour de la propagande.
Quand le Soleil plongea définitivement sous la Terre, Gapone sortit une torche électrique et l'alluma. Les deux communistes n?avaient presque pas échangé un mot depuis le début du trajet. Au fur et à mesure qu'ils s'étaient approchés des palais, l'air s?était rafraîchi, et Marco frissonnait sans rien dire.
Soudain, une sonnerie retentit au-dessus d?eux. Ivan sursauta.
-Merde! Je croyais que t'avais fait le tour! s'écria-t-il sur Gapone.
Galiani se souvint du rire, de cette voix si étrange, et des yeux du moine quand il avait tiré sur le garde, et il se prépara franchement à ce que l'autre décapite son interprète. Mais Gapone se contenta de baisser la tête.
-Je le croyais aussi. Un ou deux ont dû échapper à ma vigilance.
-On cours, ordonna Ivan. On se planque si ils sont plus de quatre. On les tue sinon. Pas d'arme à feu, on est prés du palais, les détonations nous repéreraient.
-Saisi, camarade Koutouzov, grommela Gapone.
-Et vous, dit Ivan à Marco en rangeant son arme, je fais confiance à votre intelligence pour ne rien tenter. Vous avez remarqué qu'on est plutôt rapides et plutôt forts. Aucune possibilité de survie dans la fuite, croyez-moi. Courez avec nous et baissez-vous si vous voyez des balles venir vers vous.
-J'ai intérêt à être plutôt rapide, alors, ricana Marco.
-Évitez l?humour, aussi. Y a des fascistes qui se seraient déjà suicidé de honte à votre place, alors le minimum syndical que vous devriez faire si vous avez un peu la foi en Mussolini, c'est vous taire.
Marco s'apprêta à répondre par une de ces tendres repartie de diplomate acculé, mais il se retint: A quoi bon? L'interprète avait parfaitement raison.
Ils se mirent à courir, et Marco fut rapidement à bout de souffle. Ivan, en tête, était diablement rapide. Le chemin défilait à une vitesse constante, mais le diplomate savait qu'ils étaient encore très loin d'être au bout. Les murs de pierre succédèrent à ceux de velours. Les poumons en feu, Marco luttait pour reprendre sa respiration.
-Baissez-vous! s'écria Gapone.
Il obéit bêtement et aperçut une lame qui le dépassait. Trois silhouettes étaient devant eux. Le premier tomba avant que les autres ne puissent réagir.
-Ce sont eux!
-Gapone, à gauche! Je tire à droite!
Ils s'élancèrent autour de Marco, qui se demanda comment on pouvait encore accélérer. Il les suivit pourtant. Deux machettes comme surgies de ses cotés frappèrent les fascistes. Le premier tomba à la renverse. Le second parvint à esquiver le coup et brandit son revolver dans leur direction. Le coup partit.
Le mur à coté d?Ivan se brisa sous le choc de la balle. La détonation vibrait encore dans l?air quand Ivan, arrivé à la hauteur du garde, planta un énième couteau dans sa gorge.
Marco manqua de trébucher sur le cadavre. Il sentait la sueur, une sueur rance et nauséabonde. Son coeur projetait du sang qui frappait sur ses tympans, et son tempo rugissant lui donnait une nausée horrible. A la place de ses jambes, il n?y avait maintenant que des pierres en fusion qui rougissaient encore d?avantage. Bientôt, elles allaient éclater. Il semblait que chaque enjambée qu?il parcourait était un nouveau miracle qui recommençait chaque seconde. Du sang coulait de ses chaussures de diplomates.
Et Marco continuait de courir. Tous ses signaux d'alertes avaient atteint leur maximum, et il lui semblait qu'il ne pourrait pas avoir plus mal. Son cerveau était englué dans la souffrance et, si elle ne gagnait plus en intensité, elle gagnait en précision. Il ne voyait déjà presque plus devant lui. Et il courrait, encore et toujours, avec un courage et une abnégation qu'il ne connaissait chez personne, et surtout pas chez lui.
Il était entré dans un monde où il n'y avait plus que deux terres: La douleur lancinante et atroce, plus la conscience étonnement claire de celle-ci. Devant ses pupilles éclairées par les lumières de la fatigue, la fine silhouette d'Ivan qui courait, et qui disparaissait dans l'ombre de la nuit, derrière elles, les rugissements et toussotements de Gapone, et au-dessus d'eux la sirène infernale, qui semblait parfois assourdie sous les battements martelés de son coeur, parfois crispante et insoutenable. Les couloirs rétrécis, les escaliers allongés, et les halls, immenses et gigantesques, qui défilaient comme un paysage ferroviaire. Parfois, une large baie vitrée, et la vue d'un jardin ou d'une forêt fantastique, où s'ébattaient dans l'alcool et la luxure cadres du régime et prostituées aux seins pendants, sous la lune mystique de Rome. Dans ces moments, Gapone, sans cesser de courir, cachait la lampe sous sa robe et ils devaient courir, toujours, dans l'obscurité absolue. Plus rarement, dans les coins de ses yeux, Marco apercevait des corps mous s'effondrer sous les coups de poignards silencieux et rapides de ses ravisseurs, et le décompte noir du moine s'égrener lentement.
-Douze... Quatorze...
Après un temps qui sembla durer plus longtemps que toute sa vie, dans lequel il répertoria méthodiquement tout les signes qui indiquaient qu'il allait mourir d'épuisement, puis dans lequel il recommença l'opération trois fois, et conclut sur le sens de sa vie, ils débouchèrent sur un gigantesque parc plongé dans la pénombre. Ivan leur fit signe d'arrêter.
Marco tomba à genoux en cherchant bruyamment sa respiration. Il ne vit pas le sourire railleur de Gapone.
-Les jardins du palais de Mussolini, présenta Ivan, à peine essoufflé. Le roi est aussi quelque part dans les parages.
-C'était quoi, ce qu'on venait de traverser? C'était très long. lança Gapone en riant.
-On est passé par les couloirs qui passent de ministère en ministère. Du bout de la ville au palais, une bonne partie de la ville est remplie de ses corridors, et y en a encore plus en souterrain. C'est un gigantesque labyrinthe qui sert de défense naturelle. J'ai entendu dire qu'elles avaient été taillés durant la bataille de Rome en 1867.
Marco s'effondra à quatre pattes. Ivan se retourna.
-Vous avez bien couru, fit-il en masquant son essoufflement, et son supérieur put voir enfin la lueur de mépris qu'il attendait depuis le début de cette prise d'otage. Vous faites du sport?
-Je n'avais pas fait d'exercice depuis mes seize ans, haleta Marco. C'est la première fois que je courrais plus d'une heure.
-Vous avez un sens de l'abnégation admirable envers vos ravisseurs. Mais n'en rajoutez pas trop, s'il vous plait: Ca ne fait qu'une grosse demi-heure que l'alarme a sonné.
-Je le porte? demanda Gapone.
Ivan acquiesça, et le moine saisib6t Marco sans ménagement, avant de le déposer sur son dos. Le diplomate, sonné et essoufflé, sentit la respiration brûlante du monstre et les coups de batte qu'envoyait son coeur de géant.
-Il y a des voitures pas très loin, fit Ivan. On en a pour peut-être cinq minutes. La nuit nous protégera ici.
Il jeta un coup d'oeil derrière l'épaule de Gapone.
-Je sais, je ne crie pas, si je veux en sortir vivant, grimaça Marco.
-Je ne l'aurait pas mieux dit. En route !
Aux sirènes hurlantes succéda le douloureux silence du parc. Tout était dégagé et immobile. Au loin, le palais de Mussolini , un grand et beau bâtiment inspiré de ceux de la Rome antique brillait dans la nuit, éclairé par les torches électriques et les projecteurs. Autour, des bosquets d'arbre et des pièces d'eau copiaient les chefs-d'oeuvre de la Renaissance. Tout était immobile. On pouvait sentir la nature chaude respirer dans le coeur gris de Rome. A un moment, Gapone fit un large mouvement et Marco aperçut des étoiles, disparues partout ailleurs.
-Quelqu'un vient! On se bouge! chuchota Ivan.
Une silhouette blanche, large et grande vint s'asseoir en bas d'un cyprès. De dos, elle ne vit pas Gapone et Ivan s'éloigner au pas de course. Marco tordit son cou pour apercevoir qui était celui qu'ils dépassaient. Il sursauta: La personne s'était retourné, et ses yeux noirs les regardaient, surpris. Elle leva la main pour les héler, mais au dernier moment, haussa les épaules. Marco connaissait cet homme.
-Mussolini?
La dernière partie de cette fuite fut plus rapide. Ivan tua le garde qui gardait les voitures. C'était la vingt-deuxième et dernière victime de l'enlèvement de Marco Galiani. Ivan et Gapone jetèrent le diplomate sur la banquette arrière.
-Bon, ben ça c'est fait, fit l'interprète en démarrant la voiture.
Gapone se tassa avec difficulté dans le minuscule siége avant de la voiture.
-Ouaip', ricana-t-il. Ca a été très long, quand même. Je m'attendais pas à tout ça.
La voiture passa par l'entrée du palais. Un garde voulut s'approcher pour les arrêter, mais s'écarta quand il vit les symboles officiels qui l'ornaient. Ils s'engouffrèrent dans la nuit de Rome dans un sifflement.
Ivan se détendit enfin. Ses traits se détendirent en un nouveau visage.
-Ca faisait longtemps qu'on s'était pas vus, camarade Gapone, fit-il avec un sourire.
-J'était pas encore ici quand t'as commencé ta couverture. Ca doit faire... quoi... deux? Trois ans?
-Aha, ouais. Dieu que ça me parait loin maintenant. Tout était différent. La guerre semblait évitable, à l'époque. Maintenant, regarde...
Il agita sa main vers la fenêtre. Les rues étaient couvertes d'affiches rouges et noires, de peinture de soldats et d'armes brandies. Ils passèrent juste devant une patrouille en arme qui marchait au pas de l'oie.
Gapone éclata d'un rire gras.
-Bah... Peu importe! Ca ne peut qu'être plus drôle!
-T'as pas changé d'un millimètre.
-Et toi, toujours aussi fier et prétentieux. Le lombric fasciste a pas réussi à briser ton orgueil, à ce que je vois!
A l'arrière, silencieux et le visage grave, Marco les scrutait du regard.
-T'es un imbécile, Gapone, répliqua Ivan en s'engageant dans la ville basse, un sourire aux lèvres. Me réduis pas à ma fierté.
Autour d'eux, les lumières se raréfièrent, et l'on vit de nouveaux des ombres minuscules se hisser sur les immenses trottoirs noirs.
-Y a du nouveau à la cellule?
-Moins qu'au Parti, répondit Gapone. Je pense que tu connais Marconi?
-Ouais, on s'est déjà vu. C'est un brave type, il fait du bon travail. Le Komintern projetait de l'envoyer à Moscou, je crois.
Le moine devint bougon.
-J'aime pas son travail.
-A part lui, y a un nouveau ?
-Ouais, un français, envoyé par Thorez pour se faire pardonner. Il est à la cellule depuis six mois.
-Il est comment?
Gapone sortit la tête de l'habitacle pour goûter à l'air nocturne.
-Louis? Ah...
Il sourit.
-Jeune. Plus jeune qu'on n'a jamais pu l'être.
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