Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Mussolini


Par : Negatum
Genre : Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1 : Marco (1)


Publié le 20/08/2010 à 19:47:22 par Negatum

CHAPITRE I: MARCO

La passion la plus forte du vingtième siècle : la servitude.
-Albert Camus



« La Grande Révolution n'est PAS finie ! »

Louis se hissa sur les barricades. Les fusils tirèrent en l'air d'un seul coup, et leurs explosions sonnèrent comme le début d'un nouvel univers. Derrière, les flammes et les avions noirs vacillèrent comme des mirages, et disparurent dans un coup de vent. Il y eut un cri. Vingt millions de poings se levèrent. Et, du sommet du Trocadéro, Louis vit Paris lever des milliers de drapeaux rouges, et chanter les hymnes de la nouvelle ère.

La Tour Eiffel s'embrasa dans la nuit. Des nuées de visages et de bras traversèrent le champ de Mars et s'avancèrent vers les marches du palais de Chaillot. On annonçait la fin des colonies, et des masses de travailleurs noirs criaient en traversant le pont. On annonçait la liberté de culte et de pensée, et les prêtres se penchaient vers les pauvres, tournant le dos à leur Dieu solitaire et avare. On annonçait la fin de la propriété, et des usines du Nord surgissaient les anciens esclaves, et les nouveaux maîtres. On annonçait la paix absolue, totale, et les drapeaux de toutes les patries brûlaient au nom de la dernière des nations, celle du bonheur et du communisme. Comme des gonds enchaînant l'humanité grise, les lois des derniers tyrans disparaissaient par les voix des peuples.

Louis Adreï referma le poing, lentement, savourant la victoire du monde et de la vie. Derrière lui, les cieux noirs s'embrasèrent sous les coups de la Révolution. Derrière lui, dessinés avec du sang, Lénine et Staline, Trotski et Thorez, mais aussi Blum et Gambetta, Danton et Robespierre, la Boétie et Spartacus se dressaient sur de longues toiles blanches volées à Versailles. Derrière lui encore, il sentait ceux qu'il aimait, ses amis, ses idoles, ses frères de Révolution, et sa famille. Le souffle fier de son père, les larmes de sa soeur. Mais il ne les voyait pas

Parce qu'il regardait le peuple. Le Peuple de Paris, qui brillait parmi le noir, ce peuple qui avait triomphé des armées capitalistes, et qui, jamais, ne s'était agenouillé devant les tyrans. Et sous la mer rouge de drapeaux, et sous les milliers de poings levés, on pouvait sentir, filant sous le vent du Grand Soir, le monde libre et délivré de l'Histoire, qui chuchotait son nom. « Merci, camarade Adreï »

« Et la Révolution ne se terminera JAMAIS ! »

Au moment où il prononçait ces paroles, Louis se réveilla.

Et comme tous les matins où il faisait ce rêve, ce fut un réveil difficile.











Rome, 12 mai 1939.

-Quelqu'un a quelque chose à dire avant le début de la séance ? acheva Marco.

Il ouvrit les mains dans un signe de dialogue. Il tentait de paraître aimable, mais en de telles circonstances, c'était difficile.

- Je sais qu'une bonne partie de la diplomatie des dernières décennies s'est joué à des virgules, mais les temps ont changé, continua-t-il. C'est sans doute l'un des rares bons points de notre époque tourmentée. Les peuples et les masses ont dépassés les petits pactes qu'on faisait autrefois, hein ? Il faut décider de la marche à suivre maintenant, un truc clair, sinon... Et bien ce sera le chaos.

Neville Chamberlain, (1) assis dans un coin de la pièce, aboya sèchement quelques paroles en anglais.
-Arrêtez ça, Galiani, traduisit l'interprète derrière Marco. Nous avons accepté de nous réunir pour cette réunion de la dernière chance, mais ce n'est pas une raison pour accepter de se faire traiter de cette façon !
Marco abaissa les mains sans discuter. Ce n'est pas la dernière chance, imbécile. La dernière chance, elle était passée lors du traité de Versailles. Ça faisait dix mois que tout le monde tentait de freiner les volontés de l'Allemagne. Vingt-cinq conférences secrètes s'étaient déroulées depuis Munich, (2) et personne n'avait encore réussi à trouver une configuration qui pouvait éviter une guerre mondiale.

Cette réunion-ci, néanmoins, se révélait particulière : elle se déroulait en Italie - les diplomates se fascinent pour la Suisse - et elle était conduite, pour un temps du moins, par Marco Galiani. C'était la première pour celui-ci, depuis sa nomination aux Affaires Étrangères, et il tenait à marquer le coup. Sa première entrée chez les Grands de ce monde. Chez les Très, Très Grands. Classe d'Histoire, niveau Travaux Pratiques.

- Ivan ? demanda-t-il à l'interprète derrière lui.

- Oui, monsieur Galiani ?

- Demandez à tous si il ne leur manque rien.

États-Unis d'Amérique. Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Italie. Grande-Bretagne. Allemagne. La quasi-totalité de la puissance militaire du monde se réunissait ici, dans cette petite salle qui puait le moisi, au fin fond des ministères de Rome. Seule, la France, dernière puissance occidentale capable de gêner les autres, était absente. Et pour cause : elle n'avait pas été invitée.

-C'est bon, monsieur, fit Ivan.

Dans la salle, ils n'étaient qu'une douzaine. Le fond de l'air restait étrangement frais pour une matinée d'été. Et pourtant, il sentait déjà la mort.

Molotov (3) alluma sa cigarette. Il s'agitait, et il sembla d'abord à Marco qu'il le regardait. Mais, imperceptiblement, il se décala vers la droite, et découvrit que les yeux glacés du soviétique ne se tournaient pas vers lui, mais vers Ivan, son interprète.

-Si vous le cherchez, Molotov, le Duce arrivera demain, assura Galiani. Jusque-là, c'est moi qui représenterai l'Italie dans cette conférence.

Ivan traduisit. Molotov l'ignora royalement.

-Galiani, grogna son second, un petit homme replet, dans un français grossier... Votre interprète... Il vient de Russie, n'est-ce pas ? De chez nous?

Ivan tressaillit, et tenta de traduire la phrase à son chef. Mais Marco avait étudié le Français. Il saisit la phrase au vol.

-Je pensais qu'on disait encore « URSS », ou « phare de la révolution », dit-il dans un Français amélioré. Ivan, vous pouvez lui raconter votre vie ?

-Excusez-moi, intervint le délégué américain, irrité, mais vous ne pouvez pas en parler plus tard ? Nous avons une guerre à éviter. Nos opinions publiques sont sur le qui-vive. Si l'un de nous croise le moindre journaliste dans des rues italiennes, nos carrières sont finies.

-C'est bien le moment de parler de carrières, grommela Chamberlain le britannique. Si il n'y a pas un accord dans les prochains jours, nous allons avoir une nouvelle guerre en Europe. De l'autre coté de l'Atlantique, vous ne pouvez pas savoir ce que c'est.

Ivan était un fonctionnaire d'une quarantaine d'années, long et large. Il avait un air fin et racé, comme tout les russes d'ascendance noble et donc française. Acculé derrière Marco, il semblait attendre un geste de lui. Molotov d'un geste, l'invita à continuer.

-Pourquoi pas ? Racontez-nous.

-Par pitié, Molotov ! Votre prédécesseur ne perdait pas de temps avec ces détails ! s'énerva le délégué américain.

Derrière son corps de cuir, le SS assis devant la fenêtre ne disait rien. C'était pourtant lui que Marco regardait. Il avait beau être le meneur de jeu, il savait parfaitement qui avait la meilleure main.

-Monsieur Granhäuser ? demanda-t-il.

Le SS sourit, et leva ses mains au ciel.

-Faîtes donc. Les armées tomberont quand les armées tomberont.

Ivan se tint droit.

-J'étais un des derniers bénéficiaires des bourses du tsar. Lénine a suivi le même parcours que moi. J'étais plutôt bon en langue et...

-Il parlait dix langues à dix-sept ans, toutes des dialectes de sa région, corrigea calmement Marco. Il ne connaissait pas un mot de russe quand il est monté à Petersbourg. Il le parlait, ainsi que le français, l'anglais, l'allemand et huit autres langues quand le feu mis à toutes les universités de Russie le jeta dans les bras des Anglais. Quand il est venu ici, il savait en parler quarante. De nos jours, c'est sans doute l'un des plus grands interprètes du monde.

-En substance, c'est cela, ajouta Ivan après l'avoir traduit en russe. Désolé d'interrompre les pourparlers avec mon histoire.

-Ses parents avaient une vache, et étaient d'ascendance noble -il s'appelle Koutouzov, comme le général qui a vaincu Napoléon. Cela a suffi pour qu'ils soient considérés comme des bourgeois réactionnaires. Ils ont été exécutés sur place en 1931, jeta négligemment Marco en épinglant Molotov du regard.

Le diplomate russe ne répondit rien. Il paraissait franchement surpris. Pas par la chute, pensa Marco. Ni par les capacités du poulain. Par quoi alors ? Molotov fixait toujours Ivan et semblait attendre une autre parole de lui.

-Nous pouvons commencer ? râla Chamberlain. On a beaucoup de choses à faire avant ce soir. Je propose qu'on statue déjà sur vos revendications en Afrique, Galiani. Elles sont...

-Vous avez entendus ? interrompit le SS.

-Quoi encore?

Granhäuser semblait honnêtement secoué par l'histoire d'Ivan. Il restait les bras croisés, se balançant sur son siège, ses cheveux blonds et courts resplendissant dans la lumière du printemps. Il affichait l'air des gens qui, toujours, ont entendu qu'ils étaient supérieurs, et qu'une larme d'eux étaient un cadeau fait à l'humanité.

-L'histoire de l'interprète. Monsieur Molotov, continua-t-il en traînant sur le « monsieur », a eu raison de vouloir l'entendre. Elle est assez instructive, en réalité. On croit que la morale, c'est l'anti-communisme, mais je crois comprendre une chose.

Il se tourna vers Molotov et parla en allemand. Fébrile, Ivan traduisit le dialogue en russe, puis en italien.
-Staline est un monstre, jeta Granhäuser. Nous en avons un aussi. Quand à Mussolini... Eh bien c'est plus particulier. Vous savez, le point commun entre ces deux monstres? Ce qui fait que eux (il embrassa d'un regard méprisant Chamberlain et le diplomate américain) ne nous comprendront jamais ? Eux, ils ne vont pas au fond des choses, ils restent à la surface. Pour se maintenir au pouvoir, ils promettront de l'argent, une société plus juste, plus acceptable. Ils n'ont rien compris. Le destin d'Ivan, que nous venons d'écouter, ça, c'est quelque chose d'unique. Vous avez brisé son tranquille avenir tout tracé, et vous lui avez donné une histoire unique. Terrible, inhumaine, mais unique. Nous faisons pareil avec nos victimes, et aussi avec nos héros. Tous, sans exception ! Ils deviennent les personnages de la grande histoire du monde, un obstacle ou un pas de plus vers la fin des Temps Anciens. A chacun de devenir héros d'un récit infini et glorieux. Hitler et Staline ont réussi à fonder un monde de ce genre. Mais eux, ces imbéciles de libéraux, n'arriveront jamais à, si vous voulez, redonner son âme d'enfant à l'humanité. Quand je repense à tout ça... Nous avons plus de points communs que nous le pensions, n'est-ce pas, monsieur Molotov?

-C'est fini, les provocations gratuites ? s'écria Chamberlain, hors de lui. Granhaüser, qu'est-ce que vous voulez ? La Pologne, c'est cela ? La France ne se laissera jamais faire ! Jamais faire !

Il toussa violemment, manqua de s'étouffer. Le délégué américain lui tapa sur l'épaule, mais il continua, hors d'haleine.

-Nous allons au devant d'une guerre ! Vous parlez d'un cas particulier, vous faites de la philosophie, voire de la rhétorique! Ca n'a pas d'importance, tout ça. Dans une diplomatie normale, on s'appuie sur des chiffres, des données, qui permettent de voir ce qui est bon et mauvais! Pas des fantasmes mués en idéologie. Les massacres des rouges sont les mêmes que ceux des bruns? Et alors? La seule chose qui compte, Granhäuser, c'est que vous voulez la Pologne, et que la France ne vous laissera jamais faire. Alors commençons, immédiatement, ou je quitte cette salle et vous ne pourrez plus compter sur notre aide.

-Vous n'avez rien compris, fit Galiani en interrompant Ivan qui traduisait.

-Comment ?

-Ça a déjà commencé fit-il en Italien.

-Ça a déjà commencé, reprit Ivan en anglais.

Granhäuser regardait Molotov. Celui-ci tira lentement sur sa cigarette, regarda la fumée. Les arguments avaient portés.

-Vous voulez la Pologne, hein ? marmonna Molotov en allemand, une langue qu'il n'avait jamais parlée auparavant.

Le silence s'abattit sur Rome et sur le monde entier. Chamberlain resta figé dans une image comique. Marco se tordit les mains, et le bruit de la chair caressant la chair emplit l'air. Tout, tout puait le tabac de Molotov. Et dans cette fumée, la Seconde Guerre Mondiale, qui avait jusqu'alors paru si lointaine, si irréelle, sembla se matérialiser sous les regards effarés de ses créateurs.

Granhäuser, les yeux mi-clos, les mains noirs croisées dans une posture de maître du monde regarda Molotov abattre ses derniers mots.

-Cela tombe bien. Nous aussi, on la veut, la Pologne.





(1) NEVILLE CHAMBERLAIN était le premier ministre britannique à l'époque. Maître de la politique étrangère de son pays, il faisait partie d'une mouvance en Grande-Bretagne qui voulait privilégier le dialogue à la force contre Hitler. Il est notamment le principal instigateur des Accords de Munich.

(2) MUNICH est un traité signé en septembre 1938 par les principaux chefs européens. Il fait suite à la crise de la Tchécoslovaquie: Hitler réclamait l'Ossétie du Sud, peuplé d'Allemands, pour l'intégrer dans son Grand Reich. Les élites politiques et les peuples se divisèrent sur la réponse à cette revendication. Si ils refusaient, la guerre mondiale était enclenché. Daladier, Chamberlain et Mussolini ont donc décidé de léguer la Tchécoslovaquie à Hitler, en pensant qu'il arrêterait de réclamer toujours plus de terre. Ils avaient tort. Quelques jours après, Hitler réclame la Pologne.

(3) VYACHESLAV MOLOTOV est en mai 1939 le Commissaire aux Affaires Étrangères en URSS. Il est nouveau, Litvinov venant d'être limogé par Staline. Membre important du gouvernement depuis les années 1920, il est considéré comme le bras droit de Staline.

Wilheim Grahäuser et Marco Galiani sont des personnages inventés de toute pièce.


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