Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Dépôt de bilan


Par : Zangetsu05
Genre : Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3


Publié le 28/08/2010 à 04:36:52 par Zangetsu05

III/

« Que tout le monde se calme. »
Chron ne se laissa pas distraire par la voix doucereuse de Hated. Etant le plus vieux du Conseil, il estimait qu'il était de sa responsabilité de régler les problèmes. Ce pourquoi, depuis l'apparition de Hated, il était plongé dans ses réflexions. Et selon ses calculs, c'était vraiment mal barré.
« Je n'ai rien fait à Arth. Et je ne vous ferai rien non plus. Tout ce que je vous demande, c'est un peu de coopération. »
Chron n'en croyait pas ses oreilles. Montée d'adrénaline. Tout n'était pas perdu.
« Je ne vais pas y aller par quatre chemins : je veux remplacer Deus à la tête du Conseil. Y a-t-il des objections ? »
Chron sourit amèrement. Il fallait s'y attendre. C'était précisément ce que redoutait Deus quand il l'avait enfermé. Un pouvoir comme celui de Hated permettait tous les abus. D'ailleurs, personne n'osa manifester sa désapprobation.
« Vous êtes sûrs ? Ce n'est pas comme si j'allais tuer celui qui s'opposerait à ma volonté..., fit Hated en arborant un sourire étrange. »
Toujours rien. Les membres du Conseil semblaient atteints de pasconcernite aiguë. Quelques uns observaient le plafond, manifestant un intérêt soudain pour les fresques défraîchies qui l'ornaient. Lucsuhr, elle, regardait ses ongles d'un air qui se voulait absorbé. Mais le tic nerveux qui agitait les coins de sa bouche ne trompait personne.
Parfait. Il ne fallait en aucun cas mettre Hated de mauvaise humeur. Qui savait comment il réagirait ?
« Très bien. Je vais donc prendre la place qui me revient. »
Hated rejoignit l'extrémité de la table. Un petit geste. Tendre. Une caresse sur le velours du trône de Deus. Du défunt Deus. Puis il s'assit. Et comme si ce n'était pas assez provocateur, il déplia ses jambes et les posa bruyamment sur la table ovale.
« Ordre du jour ? »
Chron se demanda pendant un bref instant quelle attitude allaient adopter les membres du Conseil. Un très bref instant. Depuis le moment où Hated avait foulé le sol en marbre de la salle, la reddition avait été signée. Ils avaient un travail à accomplir. Avec ou sans Deus. Et surtout, ils tenaient à leur vie supposée éternelle.
Et la réunion débuta. Comme d'habitude.
Chron se passa la main sur le visage puis tourna la tête vers la porte. Ou plus précisément vers le corps inerte adossé tout près de la porte. Hated avait dit vrai. Arth était vivant. Sa poitrine se soulevait, s'abaissait lentement. Chron se cala plus confortablement dans son fauteuil en cuir noir. Il ne lui restait plus qu'à attendre qu'il reprenne connaissance.
Par acquis de conscience, Chron examina une fois de plus les événements qui s'étaient succédé depuis la mort de Deus. Il rit nerveusement, se rendant compte que le succès de son plan ne tenait qu'à une déduction. Probablement foireuse, d'ailleurs. Mais ça ne coûtait rien d'essayer. Il n'avait plus grand-chose à perdre. Ce qui l'étonnait, c'était que personne ne semblait se préoccuper du détail sur lequel reposait son optimiste théorie.
L'attitude d'Arth.
Ils avaient dû la considérer comme une tentative de fuite. Ce qui aurait été complètement stupide, puisqu'il n'avait nulle part où fuir. Et pour l'avoir connu pendant un certain temps, il savait qu'Arth était tout sauf stupide. Ce qui avait amené Chron à penser qu'Arth savait quelque chose de plus que lui. Quelque chose de plus qu'eux tous.
Comme l'endroit où se trouvait le Détonateur.
Chron sourit devant l'ampleur de sa naïveté. Bien qu'il soit persuadé que Deus ne serait jamais allé risquer sa vie dans le monde des humains sans spécifier la location du Détonateur à quelqu'un, il doutait réellement que ce quelqu'un soit cet étourdi d'Arth. Confier une telle responsabilité à un gamin rêveur relèverait de l'inconscience. Certes, la plupart des membres du Conseil étaient des connards de base, catégorie à laquelle n'appartenait pas Arth. A laquelle Chron n'appartenait pas non plus. Et pourtant, Deus ne lui avait rien dit.
« Assez ! »
Chron sursauta, reconnaissant la voie dure et rocailleuse de Khuraj. Celui-ci s'était levé, interrompant Moneh en plein milieu d'un rapport sur la dévalorisation du dollar.
« Comment pouvez-vous..., commença-t-il, tremblant de fureur. »
Du haut de ses deux mètres quinze, Khuraj jeta un regard méprisant à l'Assemblée. Les coutures de sa tunique menaçaient de sauter sous la pression de ses puissants muscles.
« Comment pouvez-vous faire comme si de rien n'était ? poursuivit-il d'une voix sourde. Deus est mort, et c'est comme ça que vous l'honorez ? En vous écrasant comme des mauviettes devant cet enfant de pute ? »
Aujourd'hui plus que jamais, Chron se disait qu'il y avait vraiment des gens qui ne servaient à rien d'autre qu'à foutre la merde. Et Khuraj était de ceux-là.
Hated avait l'air de garder son calme. A le regarder, on pouvait même croire qu'il n'avait rien entendu.
« Attention, Khuraj... N'oublie pas que tu insultes notre mère à tous..., fit-il d'une voix faussement légère.
- Foutaises ! Tu sais très bien ce qu'on est. Deus nous a créés dans le seul but de l'aider à accomplir sa tâche. Nous n'avons pas de parents, et nous sommes encore moins frères. La seule chose que nous possédons, c'est une mission : assister Deus dans la direction de ce monde.
- Mission que je fais le serment de mener à bien, Khuraj. Je ne vois pas où est le problème...
- Deus t'a enfermé il y a trois mille ans. Tu es une menace pour nous tous.
- Deus, Deus et encore Deus..., soupira Hated. Tu devrais l'oublier un peu et te préoccuper davantage de ton sort...
- Tu es le seul qui puisse nous tuer, Hated, continua-t-il sans se démonter. Ne nous leurrons pas. Si cette bande d'incapables t'obéit, c'est par peur, et non parce qu'ils pensent que tu es l'homme de la situation. »
Pour la première fois depuis le début de leur conversation, Chron eut l'impression que Khuraj avait touché un point sensible. Hated fronça les sourcils, décontenancé.
« Crois-tu que j'aie demandé à avoir ce pouvoir ? Je suis comme Deus a bien voulu me faire.
- Cest faux, et tu le sais très bien. Tu n'es rien d'autre qu'une expérience...
- JE T'INTERDIS DE DIRE ÇA ! »
Hated s'était brusquement redressé. Il n'y avait désormais plus aucune trace de sérénité sur son visage aux traits déformés par la rage. Khuraj, lui, avait repris son calme. Un sourire triomphant aux lèvres, il avança tranquillement vers son interlocuteur.
« Tu n'es rien d'autre qu'une expérience ratée, martela-t-il, appuyant chacun de ses mots avec délectation. »
Tout se passa très vite. Trop vite pour que Chron puisse saisir dans son intégralité ce qui se déroulait. Mais la tête de Khuraj roulant grotesquement sur le marbre rougi l'aida à avoir une idée d'ensemble. Hated suffoquait, incapable de reprendre son souffle. Il ne pouvait détacher son regard de l'insupportable sourire qui déformait toujours les lèvres de Khuraj.
« Vous... Vous n'avez pas changé, hein ? hoqueta-t-il. »
Chron fut extrêmement surpris de sentir les douloureuses aiguilles de la compassion titiller son coeur. La situation de Hated était clairement insoutenable. A vrai dire, Chron commençait même à culpabiliser. Un peu. Pas assez, bien entendu, pour qu'il perde de vue son plan.
De toute façon, il n'avait plus le temps de plaindre Hated. Cela faisait un moment qu'Arth s'était réveillé.

Chron s'éclaircit brièvement la voix.

-**-

Arth se trouvait dans une ruelle sombre. Une de ces ruelles pavées de mauvaises intentions, à savoir que chacun de ses pas menaçait de le faire choir sur son arrière-train divin. Il se baissa, effleurant du bout des doigts le sol glissant. Difficile de reconnaître le liquide qui l'inondait dans une obscurité aussi dense, mais son goût métallique ne laissait aucun doute sur sa nature. Il marchait sur du sang, probablement le sien.
A vrai dire, Arth était déçu. Il avait imaginé quelque chose d'autrement plus grandiose que cette piteuse représentation. C'était donc ça, ce qu'il y avait après la mort ? A croire que les clichés humains sur l'au-delà étaient vérifiés. Le vieux aurait quand même pu se fouler un peu plus...
« Toujours en train de te plaindre, Arth... »
Voilà, maintenant, il entendait la voix du vieux. Vraiment, quelle désillusion. Il ne manquait plus que le coup de la lumière salvatrice...
« Suis la lueur, Arth, je t'attends au bout du chemin. »
Il se retint de rire, conservant l'expression de morgue qui convenait aux circonstances. Autant jouer le jeu jusqu'au bout.
« Très bien. Puissent tes pouvoirs sacrés purifier mes péchés et me permettre de reposer en paix.
- Assez ! »
L'injonction claqua violemment, faisant vibrer douloureusement les tympans sensibles du jeune garçon. Apparemment, il n'avait pas su doser l'ironie dans ses propos.
« Tu n'as pas l'air de saisir l'urgence de la situation. »
Arth trouvait cette réprimande déplacée. Après tout, c'était de sa faute s'ils étaient dans un pétrin pareil... De toutes les manières, ils étaient tous les deux morts, à présent. A quoi bon se préoccuper d'un problème qui ne les concernait plus ?
« Tu te trompes. Aucun de nous deux n'a encore trépassé.
- Chron était formel... Ton signal s'est éteint ! »
Arth passa une main fébrile sur son visage brûlant. Il se pinça l'arête du nez, dans une expression de réflexion intense, puis se frappa le front de sa paume ouverte.
« Suis-je bête. Tout s'explique. Je suis en train de rêver, tout ça n'est qu'un cauchemar, et je vais me réveiller d'ici peu, affolé et en sueur, mais sain et sauf, déclara amèrement le jeune garçon. »
Il sentait la colère monter en lui, brouillant sa vue et embrumant son esprit.
Plus de devinettes. Plus de demi-vérités. Il en avait assez de toute cette mascarade. Il voulait savoir ce qui se passait réellement. A commencer par la raison de la descente du vieux dans le monde des humains.
« J'imagine que tu ne te contenteras pas d'obéir aveuglément.
- Non. »
Arth ne reconnut pas sa voix. Aplomb et détermination se mêlaient subtilement à une pointe de rage à peine contenue.
« Disons que je me suis rendu compte qu'il me fallait commencer à réfléchir à la retraite. Je pense avoir fait mon maximum pour la race humaine. Je ne crois pas pouvoir apporter quoi que ce soit de plus. Il est temps de céder la place à quelqu'un d'autre. C'est pourquoi je suis allé visiter nos petits protégés. Pour récupérer le Détonateur.
- Le Détonateur... »
Chron lui en avait déjà parlé. Nul ne savait exactement ce que c'était ni où il se trouvait ; tous s'accordaient pourtant à lui prêter des pouvoirs faramineux. Un objet de légende, en somme. Logique que le vieux veuille garantir sa sûreté avant de démissionner.
« Ce n'est pas exactement cela, Arth... Le Détonateur joue un rôle crucial dans la passation de pouvoir.
- Tu veux dire que le prochain Président du Conseil devra le garder en secret, tout comme tu l'as fait durant ta présidence ? »
Arth entendit des éclats de rire enroués. Quelque chose amusait particulièrement le vieux, ce qui ne faisait qu'énerver davantage le jeune garçon.
« T'es-tu déjà demandé quelle était sa véritable utilité ? fit Deus, reprenant soudainement son sérieux. »
Arth se rendit compte qu'il ne s'était jamais réellement posé la question. Contrairement aux autres membres du Conseil, qui en débattaient à longueur de journée : les étymologistes pensaient qu'il pouvait tout bonnement faire exploser la Terre, les poètes qu'il permettrait le déclenchement d'une ère de bonheur pour les humains. Il ne se souvenait plus des autres thèses de ses confrères, mais il savait qu'elles faisaient légion. Chacun avait sa propre opinion, et mettait un point d'honneur à la mentionner à qui voulait bien l'entendre. Lui n'en avait aucune. Ce n'était pas dans ses habitudes de prendre position sur ce genre de sujet, où l'on ne pouvait départager aucune des parties. Cependant, fort des indications du vieux, il était désormais capable de formuler une hypothèse pas trop invraisemblable.
« C'est donc ça... Il détient tes pouvoirs, n'est-ce pas ?
- Tout à fait. »
Arth imaginait le vieux agiter lentement la tête, avec cet air auguste si exaspérant.
« L'adresse que je t'ai donnée... »
Le jeune garçon serra son poing gauche, froissant le papier en question. Le vieux s'était subitement tu. Il devait s'être rendu compte qu'ajouter quoi que ce soit aurait été superflu.
N'importe quel imbécile aurait compris.
Malgré la foule de sentiments contradictoires qui l'envahissait, Arth s'efforçait d'analyser tranquillement la situation. Il était sûr que c'était la principale qualité qui avait amené le vieux à faire ce choix. D'innombrables questions se bousculaient sur sa langue ; il n'en retint qu'une seule, face à laquelle toutes les autres paraissaient futiles. Une question qu'il s'était souvent posée. Mais aujourd'hui plus que jamais, il attendait une réponse.
« Pourquoi moi ? »
Il entendit le vieux pousser un long soupir. Long et douloureux.
« J'ai confiance en toi. »
Arth s'écroula sous le poids des mots. Ses genoux heurtèrent brutalement les pavés sanglants, lui tirant un gémissement de douleur. Chaque parcelle de son cerveau lui hurlait de refuser. Insouciant. Il voulait rester insouciant.
Les larmes commencèrent à couler. Cette fois-ci, il aurait été puéril de garder une assurance de façade. Le vieux savait clairement ce qu'il ressentait.
« Je ne veux pas, Deus..., sanglota-t-il. »
Il sentit une légère pression sur ses épaules frémissantes.
« Je ne voulais pas non plus... »
Une fillette était apparue face à lui. Elle lui enlaçait tendrement le cou, sa petite tête appuyée tout contre sa poitrine. Le jeune garçon ne fut pas vraiment surpris ; il avait reconnu le regard las, épuisé du vieux. Il se demandait combien de temps il lui faudrait pour avoir la même lueur résignée au fond des yeux.
« On s'ennuie rapidement de ses pouvoirs, Arth..., lui chuchota la fille dans le creux de l'oreille. »
Il y avait tant de choses qu'il ne savait pas. Tant de choses à apprendre. Mais, curieusement, il savait qu'il allait s'en tirer. Après tout, le vieux avait confiance en lui. Et le vieux se trompait rarement.
Il repoussa doucement la petite fille. Il s'était fait une raison. Inutile de s'apitoyer plus longtemps sur son sort. Il arrivait un moment où même les gamins dans son genre devaient prendre leurs responsabilités. Son coeur souffrait, certes, et il avait une furieuse envie de tout abandonner. Mais il ne pouvait pas. Personne ne lui avait dit que ça serait facile.
Arth vit la fillette s'éloigner lentement. Elle lui fit un signe de la main. A mi-chemin entre un geste d'excuse et un adieu. Le jeune garçon lui sourit.

« Tu n'as pas à t'inquiéter, Deus. Je te succèderai. Et je mettrai de l'ordre dans tout ce merdier. »


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