Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Dépôt de bilan


Par : Zangetsu05
Genre : Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1


Publié le 28/08/2010 à 00:04:05 par Zangetsu05

I/

Il plongea la main dans la poche intérieure de son imperméable avant de se rendre compte qu'il les avait encore oubliées. Il haussa les épaules, lâchant un court soupir qui se cristallisa au contact de l'air froid, puis se dirigea de l'autre côté du couloir. Il tapa deux petits coups secs sur la porte en bois massif. A l'intérieur, il entendit un bruit de pas précipités.
« Qui est-ce, s'enquit une voix fluette ? »
Cette fois-ci, il soupira longuement, une ride de contrariété barrant son front buriné.
« Ta mère n'est pas là, hein ?
- Non.
- Ton père ?
- Il est mort, répondit simplement la fille.
- Ah… »
Blanc. Il toussota dans une vaine tentative de rétablir le dialogue. Le son ne sortit même pas de sa bouche, incapable de se propager le long de sa gorge sèche, encore moins d'émerger d'entre ses lèvres craquelées à l'extrême. La jeune fille se mit à tapoter distraitement sur la poignée. Clic. Clic.
« Ecoute, petite…
- Oui ? »
Il inspira profondément, conscient qu'elle ne lui ouvrirait sûrement pas la porte. Les petits enfants n'ouvrent jamais la porte aux inconnus. Tout le monde sait ça. Il tenta quand même le coup, se grattant la joue d'un air gêné.
« Je suis le voisin et j'ai laissé mes clés chez moi. Tu pourrais me laisser entrer pour que je passe par le balcon ?
- Ca ne me pose pas de problème… Mais il faut d'abord que je demande à Momo. »
Il fronça les sourcils, légèrement décontenancé. La fille, quant à elle, tenait son haut conseil de sécurité avec le susnommé, non sans force chuchotements et intonations conspiratrices. Il se demandait de qui il pouvait s'agir. Probablement un animal de compagnie. Les enfants aiment bien s'entretenir avec leurs animaux de compagnie. Dommage pour eux qu'ils ne prennent jamais la peine de répondre. Il se demandait quand les gens comprendraient que si les bêtes ne voulaient pas converser avec eux, c'était parce qu'elles n'avaient pas que ça à faire. C'était déjà assez énervant de les entendre se plaindre à longueur de journée…
Il se rendit compte qu'il risquait d'en avoir encore pour un peu de temps. Il réprima un frisson lorsqu'il s'assit à même le sol humide, dos contre le mur. Il remua un instant, cherchant d'abord la position la plus confortable, puis se résigna à adopter la moins douloureuse. Il passa la main dans la poche arrière de son pantalon, en sortit une cigarette. Il eut un pincement au coeur en voyant le piteux état dans lequel elle se trouvait. Papier froissé, décoloré ; trouée en son milieu, du tabac s'échappait par l'ouverture béante. Rassure-toi, tu n'en à plus pour longtemps. Je vais mettre fin à ton calvaire. Un sourire rassurant étirait le coin de ses lèvres, lèvres entre lesquelles il plaça la malheureuse d'un geste majestueux. Cela faisait un moment qu'il ne s'était pas senti aussi puissant. Le pire était que ça ne l'étonnait même pas.
Chassant ces pensées d'un vague mouvement de la tête, il fit mine de saisir son briquet. Un éclair de lucidité traversa son esprit, soutirant aux méandres de sa mémoire une image anodine : son trousseau de clé, auquel était accrochée l'arme du pseudo crime. Déglutissant péniblement, il saisit la cigarette entre deux doigts. Il ne savait comment lui annoncer la mauvaise nouvelle. Mais il la soupçonnait d'avoir compris en voyant sa mine déconfite. Marmonnant une excuse quelconque, il la remit dans son paquet, promettant de l'achever dès qu'il en aurait l'occasion. Pour l'heure, il ressentait un intense besoin de se reposer.
Seul dans le sombre couloir, il se pelotonna en position foetale dans son imperméable, mordillant légèrement son pouce droit. Un faible gémissement s'échappa d'entre ses dents jaunies par le tabac.

La plus grande différence entre lui et les humains était qu'il avait saisi qu'il ne serait toujours qu'un enfant.

-**-

Il avait toujours aimé être réveillé par la douce caresse d'un courant d'air. Douce et périodique. D'avant en arrière. D'arrière en avant. Il s'amusait parfois, quand il était encore jeune, à calquer son pouls sur ce rythme obsédant. Maintenant, il n'exerçait plus aucune emprise sur son fébrile coeur. C'était à peine s'il réussissait à lui faire pomper le sang à travers le cholestérol de ses artères et veines.
Lorsqu'il ouvrit ses yeux, ceux-ci se posèrent instinctivement sur le plafond rongé par les moisissures et autres entités fongiques. Depuis tout ce temps, il ne s'était toujours pas habitué à dormir sous un toit. Quelle stupide idée que de se priver de la contemplation du ciel à peine tiré du sommeil.
« Vous pouvez rentrer, Monsieur. J'ai finalement convaincu Momo que vous n'êtes pas un méchant.
- Un méchant, hein ? Non, je ne suis pas un méchant, fit-il en se relevant pesamment.
- Je sais. »
Il chancela, manquant de tomber à la renverse. C'était comme si les deux mots prononcés par la fille s'étaient matérialisés et l'avaient percuté de plein fouet. Un propos basique, certes. Mais quel ton… C'était bien simple : il avait cru l'espace d'un instant que Dieu lui adressait la parole. Il éclata de rire devant l'absurdité de ce sentiment. Muscles abdominaux et zygomatiques contractés à l'extrême, échine courbée en deux, épaules soulevées irrégulièrement sous le coup de soubresauts incontrôlables. Il avait oublié combien il était grisant de perdre le contrôle de son corps. Il remercia intérieurement la petite fille, sentant qu'elle l'avait défait d'un énorme poids. Il connaissait finalement le son de la Vérité.
« Monsieur ? »
Sans plus attendre, il pénétra dans l'appartement.
Etrange. Il y avait quelque chose d'étrange. Le plancher grinçait à son passage, comme s'il essayait de le prévenir. De quoi ? Il passa distraitement la main sur un mur lézardé, poussiéreux. Le lieu n'avait rien d'inquiétant en soi. C'était sale, mal éclairé. Une atmosphère assez lugubre. Rien d'inhabituel donc. Cependant, il était perturbé par un élément qu'il n'arrivait pas à définir.
« Par ici… »
Il suivit la petite fille sans poser de question. Celle-ci avançait tranquillement, évitant avec une facilité étonnante les détritus jonchant le sol. C'était loin d'être son cas. Et puis, il avait l'esprit ailleurs, car il venait de comprendre ce qui clochait. L'odeur. Ca sentait comme chez lui. Non. Ca sentait comme lui.
« C'est là. »
La petite fille souriait, montrant de son petit bras tendu le balcon. Il fit un vague signe de la tête en guise de remerciement, mais se mit à arpenter méthodiquement la pièce. Il lui restait une dernière chose à faire avant de rentrer. L'odeur était de plus en plus marquée. Narines frémissantes, il se dirigea vers l'endroit d'où elle semblait provenir.
Ah, c'était donc ça.
Pour la deuxième fois de la journée, il ressentit une irrépressible envie de rire.
« Il est beau, n'est-ce pas ? souffla la petite fille dans son dos.»
Il détailla du regard le gros animal. Ça devait être un chat. Noir, au poil long. Il y passa les doigts. Long et soyeux, avec cette teinte verdâtre caractéristique des corps en décomposition. Il aurait bien aimé savoir de quelle couleur étaient ses yeux. Dommage qu'il n'ait plus sa tête.
« Très beau, répondit-il, un sourire sincère aux lèvres. »

Il a perdu assez de temps. D'un geste décidé, il tire la porte du balcon. Une violente bourrasque fait claquer son vieil imperméable contre ses cuisses. Il se gratte la tête, contrarié. Même les éléments lui mettent des bâtons dans les roues. Ce qui ne le décourage pas pour autant. Il doit rentrer chez lui. Alors il réunit ses forces, s'apprête à affronter le vent. Il se hisse tant bien que mal sur le parapet, accroupi à la manière d'une grenouille. Puis il se lève, lentement, prudemment. Comme un équilibriste, il tend ses bras en guise de balancier. Moins d'un mètre le sépare de sa terrasse. Une petite expiration pour se donner du courage, et il saute.
Le temps s'arrête. Derrière-lui, il croit entendre la petite fille lui crier de faire attention. Il est en l'air, à mi-chemin. Au jugé, il pense qu'il va y arriver. De justesse, mais il va y arriver. Alors il attend. Il attend que le temps daigne bien reprendre son cours. Ce dernier s'exécute sans tarder.
Il a été optimiste.
Il essaie d'agripper le muret. En vain. Ses doigts s'écorchent sur la pierre dure. Il tombe. Son rythme cardiaque s'accélère, mais ne s'affole pas. Une légère montée d'adrénaline. Il se rappelle qu'il a toujours voulu faire du parachute. Là, il fait de la chute, ce qui n'est pas trop différent. Mis à part le résultat. Il se demande s'il va avoir mal. Bien sûr, il va avoir mal. Très mal. Mais les gens comme lui ne devraient pas avoir peur de la douleur physique.
Tiens, ça dure plus longtemps qu'il ne l'aurait cru. Il décide d'occuper cet instant de « flottement » (il est décidément d'humeur festive aujourd'hui…) en considérations rationnelles. Il essaie de déterminer le meilleur rapport position de chute sur douleur engendrée. Malheureusement, il n'est pas très calé sur le sujet. De toute façon, il est incapable de bouger. Il ne sait même pas quelle posture il a adopté.
Il est conscient qu'il passe ses derniers instants dans ce corps, mais cela ne l'attriste pas autant qu'il l'imaginait. Un léger pincement au coeur, c'est tout. Il aurait aimé se voir une dernière fois, pouvoir contempler ces formes disgracieuses qui l'ont accompagné pendant une grande partie de sa vie. Ces élans de sentimentalisme ne pourront pourtant pas être satisfaits.

Ça fait un moment qu'il a fermé les yeux. Et il n'est pas près de les rouvrir.


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