Siana
Par : -AtantoinE-
Genre : Sentimental
Status : Terminée
Note :
Chapitre 4
Publié le 29/01/10 à 19:41:54 par -AtantoinE-
IV
-Merde, on est coincés !
-Comment ça ?
-La porte par laquelle on est entrés ! Elle vient d’être bloquée, putain !
Je me précipitais vers le mur opposé. Et en effet, j’avais beau tirer la poignée et taper sur la porte comme un sourd, impossible de la faire bouger.
-Mais comment ça se fait ? On l’a franchie il y a quelques minutes à peine !
-Je sais pas ! Je crois qu’il y a quelque chose qui la bloque de l’autre côté ! Jette un œil !
Après un court instant de réflexion, je positionnais machinalement mon œil face à la serrure. Voilà, et maintenant ? Je devais sans doute y voir une explication à notre enfermement soudain, sinon une solution. Mais je ne voyais rien. Franchement rien. Quelques épais points noirs, une zone de floue… Le vide, le néant. Et Siana qui perdait patience juste derrière moi. Par ma faute, elle se retrouvait coincée ici, et j’étais incapable de faire quoi que ce soit pour la sortir de là.
-Bon, alors ! Qu’est-ce que tu vois, bordel !
Je me redressais lentement, le visage neutre de toute émotion. Quelques gouttes de sueur me perlèrent sur le front et mon regard se posant sur le sol, je fus résigné.
-Je… Je ne peux pas.
-Comment ça, tu ne peux pas ?
-Je n’arrive pas… Je n’arrive pas à voir. Je ne vois rien. Rien !
-Mais si, regarde mieux, enfin ! Bon, pousse-toi, je vais m’en occuper, moi.
Elle venait de m’écarter d’un air exaspéré, les yeux rivés vers le ciel. Puis elle aligna son regard à la hauteur de la serrure. Après quelques secondes tous les deux restés immobiles, elle brisa enfin le silence :
-Et ben, c’est pourtant clair ! Tu la vois pas, l’espèce de poignée en plastique, là ?
-Euh… Non, j’ai pas vu ça…
Elle s’arrêta pour laisser s’échapper un soupir. Son traditionnel sourire, lui, était déjà parti bien loin.
-Ben je sais pas ce qui t’arrive, mon vieux, mais pour moi ça me semble évident. Une voiture s’est sans doute garée juste devant la porte, croyant que c’était abandonné depuis longtemps. D’ailleurs, j’ai pas l’impression qu’il y ait quelqu’un à l’intérieur…
Nous ne l’avions pas remarqué, mais la nuit était maintenant tombée et on pouvait voir le ciel à travers le trou béant que formait les murs défoncés du terrain vague. Je m’assis par terre sans répondre un seul mot et plongeais ma tête entre mes mains, pensif.
__________________________________________
Le vent commençait à faire danser les herbes folles du terrain vague. La voiture qui nous bloquait la porte n’avait toujours pas bougée, et étant donné le bien peu de monde qui passait dans cette petite ruelle pas très connue, il nous fallait sans doute attendre l’aurore pour espérer notre libération. J’avais eu terriblement honte sur le coup mais je m’étais maintenant apaisé. Je me trouvais devant l’imposant miroir qui se trouvait au fond du terrain. Le verre était sale et poussiéreux, et j’avais eu du mal à discerner mon reflet. D’autant qu’il me rappela à quel point je n’avais pas su profiter une dernière fois de la beauté des choses. J’avais échoué. Resté silencieux, je contemplais cette figure que je ne reconnaissais pas. Mes épaules se mirent à avoir des soubresauts.
Siana, elle, demeurait de l’autre côté, assise contre un des murs. Nous ne nous étions pas parlé depuis tout à l’heure. Comme si nous avions repris une journée normale, où nous nous ignorions tout à fait. Ça me rongeait.
Alors, je vis une ombre sur la glace. Au départ, je n’y fis pas bien attention. Mais cette silhouette venait de se mouvoir et je fis volte-face, comme par réflexe. Siana était debout, derrière moi et regardait mon reflet sur le miroir. Elle s’assit alors lentement à côté de moi, sans changer la direction de son regard, et dit d’une voix douce :
-Excuse-moi de m’être emportée, tout à l’heure… Je voulais pas de mettre dans cet état, t’es responsable de rien…
-Non, je suis bien là où je suis, ce n’est pas à cause de ça…
-Alors… Qu’est-ce qui se passe ?
Mon visage redevint ferme. Seuls mes yeux se perdaient dans l’éternité.
-Nous en sommes à la deuxième semaine.
-Depuis quoi ?
-Depuis que j’ai appris que j’étais malade.
Siana eut un léger sursaut qu’elle tenta de dissimuler.
-Ah bon ? Malade ? Mais de quoi ?
-D’ici à quelques jours, mes yeux ne me serviront plus à rien. Dans quelques jours, peut-être même quelques heures, je ne pourrais plus jamais voir à nouveau à quoi ressemblera une ville sous la neige. Je ne verrai plus les paysages paisibles qui peuvent défiler lors des longs voyages en voiture. Et les printemps n’existeront plus en moi que par d’obscurs souvenirs.
-Tu… Tu veux dire que… ?
Alors je me tournais vivement vers elle, tenta de la regarder droit dans les yeux, d’y imprégner tout l’émoi qui m’envahissait, toutes les émotions qui étaient en guerre pour occuper mon cœur. Quant à mon âme, elle ne tenait plus l’équilibre qu’entre le vide et la terre ferme. Un coup de vent l’aurait faite basculer.
-Tout cela, au fond, je pourrais m’en passer. Mais le plus terrible, c’est que… c’est que je ne pourrai plus te regarder en face. Je ne pourrai plus profiter du plaisir infini que j’avais à me noyer dans tes grands yeux noirs. Je ne pourrai plus admirer ta silhouette se déplacer gracieusement d’un point à un autre, le regard droit, digne, qui ne m’était jamais accordé, mais que je sublimais toujours. Non, je ne pourrai plus… Je ne pourrai plus que deviner, tout au plus, sans jamais en être sûr… Je suis désolé.
Et je m’écroulais alors sur moi-même. Je n’étais plus rien. Je pensais que me débarrasser de ce fardeau me libérerait enfin. Qu’il me permettrait de ne plus subir cet acide qui me ronge de l’intérieur, que j’avais pourtant moi-même laissé s’écouler. Je croyais. Mais c’était faux. Je n’étais plus qu’une âme perdue dans les méandres d’un désespoir que j’imaginais déjà sans fin. Rien que cette perspective m’avait abattu.
Siana, elle, était restée là, à m’écouter sans rien dire. Elle aussi était sonnée, et elle eut beau essayer de dire quelque chose, rien ne sortit de sa bouche, si ce n’est un long soupir qui s’échappait à travers ses lèvres humides.
-Tout ce que je verrai maintenant, c’est du noir. Ferme les yeux, et regarde-le, ce noir à la profondeur insondable. Ce sera la seule chose qui me sera accordée de voir. Au fond… peut-être pourra-t-il me rappeler tes yeux, tes cheveux… ou même ton ombre, peu importe… Je ne pourrai plus… Je ne pourrai plus… jamais…
Cette fois, je ne pouvais plus lâcher un autre mot de plus, venant d’épuiser le peu d’énergie qu’il me restait. La glace à moitié brisée me reflétait impassiblement mon morne futur. Et je pleurais maintenant toutes les larmes de l’enfer.
Siana, elle, ne savait plus quoi faire, ni quoi dire. Elle hésita quelques secondes qui me parurent une éternité. Puis elle approcha ses mains tremblantes et m’enveloppa dans ses bras.
Je levais le regard une dernière fois vers les étoiles avant qu’il ne rencontre cet imposant miroir. Malgré la vieillesse du verre, je fixais intensément Siana. Je la regardais encore et encore, inlassablement, sous toutes ses formes. Je m’évertuais à imprimer distinctement son visage dans mon esprit. Cet instant aurait dû être le plus féérique de ma vie, pourtant, la plus grande crainte que j’ai pu avoir, c’est la peur de l’oubli.
Siana se rendit compte que je la contemplais attentivement, et je changeais alors la direction de mon regard. N’oublie pas… Après tout, demain, tu seras peut-être aveugle…
-Merde, on est coincés !
-Comment ça ?
-La porte par laquelle on est entrés ! Elle vient d’être bloquée, putain !
Je me précipitais vers le mur opposé. Et en effet, j’avais beau tirer la poignée et taper sur la porte comme un sourd, impossible de la faire bouger.
-Mais comment ça se fait ? On l’a franchie il y a quelques minutes à peine !
-Je sais pas ! Je crois qu’il y a quelque chose qui la bloque de l’autre côté ! Jette un œil !
Après un court instant de réflexion, je positionnais machinalement mon œil face à la serrure. Voilà, et maintenant ? Je devais sans doute y voir une explication à notre enfermement soudain, sinon une solution. Mais je ne voyais rien. Franchement rien. Quelques épais points noirs, une zone de floue… Le vide, le néant. Et Siana qui perdait patience juste derrière moi. Par ma faute, elle se retrouvait coincée ici, et j’étais incapable de faire quoi que ce soit pour la sortir de là.
-Bon, alors ! Qu’est-ce que tu vois, bordel !
Je me redressais lentement, le visage neutre de toute émotion. Quelques gouttes de sueur me perlèrent sur le front et mon regard se posant sur le sol, je fus résigné.
-Je… Je ne peux pas.
-Comment ça, tu ne peux pas ?
-Je n’arrive pas… Je n’arrive pas à voir. Je ne vois rien. Rien !
-Mais si, regarde mieux, enfin ! Bon, pousse-toi, je vais m’en occuper, moi.
Elle venait de m’écarter d’un air exaspéré, les yeux rivés vers le ciel. Puis elle aligna son regard à la hauteur de la serrure. Après quelques secondes tous les deux restés immobiles, elle brisa enfin le silence :
-Et ben, c’est pourtant clair ! Tu la vois pas, l’espèce de poignée en plastique, là ?
-Euh… Non, j’ai pas vu ça…
Elle s’arrêta pour laisser s’échapper un soupir. Son traditionnel sourire, lui, était déjà parti bien loin.
-Ben je sais pas ce qui t’arrive, mon vieux, mais pour moi ça me semble évident. Une voiture s’est sans doute garée juste devant la porte, croyant que c’était abandonné depuis longtemps. D’ailleurs, j’ai pas l’impression qu’il y ait quelqu’un à l’intérieur…
Nous ne l’avions pas remarqué, mais la nuit était maintenant tombée et on pouvait voir le ciel à travers le trou béant que formait les murs défoncés du terrain vague. Je m’assis par terre sans répondre un seul mot et plongeais ma tête entre mes mains, pensif.
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Le vent commençait à faire danser les herbes folles du terrain vague. La voiture qui nous bloquait la porte n’avait toujours pas bougée, et étant donné le bien peu de monde qui passait dans cette petite ruelle pas très connue, il nous fallait sans doute attendre l’aurore pour espérer notre libération. J’avais eu terriblement honte sur le coup mais je m’étais maintenant apaisé. Je me trouvais devant l’imposant miroir qui se trouvait au fond du terrain. Le verre était sale et poussiéreux, et j’avais eu du mal à discerner mon reflet. D’autant qu’il me rappela à quel point je n’avais pas su profiter une dernière fois de la beauté des choses. J’avais échoué. Resté silencieux, je contemplais cette figure que je ne reconnaissais pas. Mes épaules se mirent à avoir des soubresauts.
Siana, elle, demeurait de l’autre côté, assise contre un des murs. Nous ne nous étions pas parlé depuis tout à l’heure. Comme si nous avions repris une journée normale, où nous nous ignorions tout à fait. Ça me rongeait.
Alors, je vis une ombre sur la glace. Au départ, je n’y fis pas bien attention. Mais cette silhouette venait de se mouvoir et je fis volte-face, comme par réflexe. Siana était debout, derrière moi et regardait mon reflet sur le miroir. Elle s’assit alors lentement à côté de moi, sans changer la direction de son regard, et dit d’une voix douce :
-Excuse-moi de m’être emportée, tout à l’heure… Je voulais pas de mettre dans cet état, t’es responsable de rien…
-Non, je suis bien là où je suis, ce n’est pas à cause de ça…
-Alors… Qu’est-ce qui se passe ?
Mon visage redevint ferme. Seuls mes yeux se perdaient dans l’éternité.
-Nous en sommes à la deuxième semaine.
-Depuis quoi ?
-Depuis que j’ai appris que j’étais malade.
Siana eut un léger sursaut qu’elle tenta de dissimuler.
-Ah bon ? Malade ? Mais de quoi ?
-D’ici à quelques jours, mes yeux ne me serviront plus à rien. Dans quelques jours, peut-être même quelques heures, je ne pourrais plus jamais voir à nouveau à quoi ressemblera une ville sous la neige. Je ne verrai plus les paysages paisibles qui peuvent défiler lors des longs voyages en voiture. Et les printemps n’existeront plus en moi que par d’obscurs souvenirs.
-Tu… Tu veux dire que… ?
Alors je me tournais vivement vers elle, tenta de la regarder droit dans les yeux, d’y imprégner tout l’émoi qui m’envahissait, toutes les émotions qui étaient en guerre pour occuper mon cœur. Quant à mon âme, elle ne tenait plus l’équilibre qu’entre le vide et la terre ferme. Un coup de vent l’aurait faite basculer.
-Tout cela, au fond, je pourrais m’en passer. Mais le plus terrible, c’est que… c’est que je ne pourrai plus te regarder en face. Je ne pourrai plus profiter du plaisir infini que j’avais à me noyer dans tes grands yeux noirs. Je ne pourrai plus admirer ta silhouette se déplacer gracieusement d’un point à un autre, le regard droit, digne, qui ne m’était jamais accordé, mais que je sublimais toujours. Non, je ne pourrai plus… Je ne pourrai plus que deviner, tout au plus, sans jamais en être sûr… Je suis désolé.
Et je m’écroulais alors sur moi-même. Je n’étais plus rien. Je pensais que me débarrasser de ce fardeau me libérerait enfin. Qu’il me permettrait de ne plus subir cet acide qui me ronge de l’intérieur, que j’avais pourtant moi-même laissé s’écouler. Je croyais. Mais c’était faux. Je n’étais plus qu’une âme perdue dans les méandres d’un désespoir que j’imaginais déjà sans fin. Rien que cette perspective m’avait abattu.
Siana, elle, était restée là, à m’écouter sans rien dire. Elle aussi était sonnée, et elle eut beau essayer de dire quelque chose, rien ne sortit de sa bouche, si ce n’est un long soupir qui s’échappait à travers ses lèvres humides.
-Tout ce que je verrai maintenant, c’est du noir. Ferme les yeux, et regarde-le, ce noir à la profondeur insondable. Ce sera la seule chose qui me sera accordée de voir. Au fond… peut-être pourra-t-il me rappeler tes yeux, tes cheveux… ou même ton ombre, peu importe… Je ne pourrai plus… Je ne pourrai plus… jamais…
Cette fois, je ne pouvais plus lâcher un autre mot de plus, venant d’épuiser le peu d’énergie qu’il me restait. La glace à moitié brisée me reflétait impassiblement mon morne futur. Et je pleurais maintenant toutes les larmes de l’enfer.
Siana, elle, ne savait plus quoi faire, ni quoi dire. Elle hésita quelques secondes qui me parurent une éternité. Puis elle approcha ses mains tremblantes et m’enveloppa dans ses bras.
Je levais le regard une dernière fois vers les étoiles avant qu’il ne rencontre cet imposant miroir. Malgré la vieillesse du verre, je fixais intensément Siana. Je la regardais encore et encore, inlassablement, sous toutes ses formes. Je m’évertuais à imprimer distinctement son visage dans mon esprit. Cet instant aurait dû être le plus féérique de ma vie, pourtant, la plus grande crainte que j’ai pu avoir, c’est la peur de l’oubli.
Siana se rendit compte que je la contemplais attentivement, et je changeais alors la direction de mon regard. N’oublie pas… Après tout, demain, tu seras peut-être aveugle…
29/01/10 à 19:49:05
Texte chargé d'émotion, décidément, j'adore ton style
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